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Pour son troisième Conseil européen, Emmanuel Macron a une nouvelle fois touché du doigt son isolement politique. Pendant que les 27 autres chefs d’Etat et de gouvernement se sont retrouvé, jeudi, dans une série de minis pré-sommets, les autres membres de leur famille politique afin de se coordonner, lui, il a fait antichambre en attendant le début formel de la réunion à 28. Car lui et son parti « La République en marche » n’appartiennent ni au Parti populaire européen (PPE), trop à droite, ni au Parti des socialistes européens (PSE), trop à gauche, ni à l’Alliance des libéraux et démocrates pour l’Europe (ALDE), trop libéral, ni aux Conservateurs et réformistes européens (ECR), trop eurosceptiques. Or l’Union, ce n’est pas seulement un groupement d’Etats, c’est aussi une vie politique foisonnante dont on ne peut rester impunément à l’écart, les affinités politiques l’emportant de plus en plus souvent sur les logiques étatiques. Emmanuel Macron le sait et ne veut pas marcher trop longtemps seul : il espère que la révolution En Marche emportera les vieux clivages politiques européens et que son parti s’imposera comme une force centrale dans l’Union. Un pari pour le moins audacieux, sans doute trop téméraire.
C’est peu dire que, pour l’instant, la nouveauté d’En Marche, qui fait sa force au niveau national, fait sa faiblesse au niveau européen. Au Parlement, on ne compte qu’un député étiqueté En Marche en la personne de Jean Arthuis, ancien ministre des Finances de Jacques Chirac, qui siège sur les bancs des libéraux de l’ADLE présidée par le Belge Guy Verhofstadt. Élu sur la liste Modem-UDI et rallié à Macron dès septembre 2016, il n’a entrainé aucun des autres 73 autres eurodéputés français dans son sillage. Un député sur 751, même président de la puissante commission des budgets, c’est peu pour peser réellement sur le travail législatif. Au sein de la Commission, même tableau : le commissaire français est un socialiste de « l’ancien monde », Pierre Moscovici, qui ne lui fera aucun cadeau.
Victime du calendrier
Le chef de l’Etat est surtout victime du calendrier, les dernières élections européennes ayant eu lieu en mai 2014, à une époque où LREM n’existait tout simplement pas. Il est donc condamné à attendre les prochaines élections, en mai 2019, pour disposer enfin d’un groupe de députés LREM au Parlement et de pouvoir désigner dans la foulée un commissaire français de sa famille. Durant les prochains dix-huit mois, il sera donc privé de relais au sein de l’Assemblée et de la Commission. Maigre consolation : l’élection présidentielle n’est pas restée sans effet sur les partis politiques français représentés au Parlement qui sont tous au bord de l’implosion. Ainsi, le PS, déjà réduit à la portion congrue après les élections de 2014, avec 13 députés, vient de perdre Isabelle Thomas et Guillaume Balas, partis rejoindre M1717 de Benoit Hamon ainsi que l’ex-aubryste, Gilles Pargneaux, qui s’apprête à sauter dans le train En marche.
Côté LR, le poids lourd – et juppéiste - Alain Lamassoure vient de claquer la porte avec fracas, ne se reconnaissant plus dans la dérive droitière et eurosceptique de son parti. Tokia Saïfi a suivi le mouvement en adhérant à Agir. Sur les 20 élus LR de 2014, il n’en reste donc que 17, Jérôme Lavrilleux ayant été mis sur la touche dès le début de l’affaire Bygmalion. L’élection de Laurent Wauquiez risque d’entrainer d’autres remous, plusieurs députés étant proches des Constructifs comme Arnaud Danjean, qui vient de rédiger un rapport sur la défense nationale à la demande de Macron, voire Élisabeth Morin-Chartier qui travaille main dans la main avec l’Élysée sur la révision de la directive sur le détachement des travailleurs. Mais il n’y aura, pas plus qu’au PS, de passage à LREM dans l’immédiat.
Entre-deux
Entre l’affaiblissement des partis traditionnels français et l’absence de représentants d’En Marche au niveau européen, cela signifie que l’influence de la France est proche de zéro au sein des familles politiques européennes. Ce qui oblige Macron et ses ministres à surcompenser au sein du Conseil européen et du Conseil des ministres en jouant les relations d’Etat à Etat. « On navigue dans un entre-deux pour l’instant », admet-on à l’Élysée : « ne pas être dans une famille politique nous donne des marges de manœuvre et on a des relais d’influence, beaucoup d’eurodéputés étant proches de nos idées comme Morin-Chartier », se rassure-t-on. Ainsi, Gilles Pargneaux aurait réussi à convaincre 70 eurodéputés représentant 21 nationalités issus du PPE, du groupe socialiste, des libéraux et des Verts (mais la liste n’est pas publique) de signer un appel baptisé « Refondation européenne », montrant ainsi qu’il existe un soutien transpartisan à la volonté de celui qui vient d’obtenir le prestigieux prix Charlemagne de réformer l’Europe. Mais ce n’est ni un intergroupe et encore moins un groupe politique structuré.
Curieusement, le président ne cherche pas à entretenir la sympathie qu’il suscite au Parlement : « lui qui parle de démocratie dans tous ses discours n’est toujours pas venu à Strasbourg, contrairement à ses prédécesseurs », note la socialiste Pervenche Berès : « au mieux on parle de janvier ». Tout se passe comme si Macron avait fait une croix sur l’actuel Parlement et préparait déjà 2019. Mais l’équation qu’il aura à résoudre ne s’annonce pas des plus simples.
Certes, « Macron qui devait perdre ces élections intermédiaires a de bonnes chances de les gagner. La gauche est éparpillée, la droite va virer eurosceptique, ce qui va lui donner du champ d’autant qu’il ouvrira sans doute sa liste à d’autres forces politiques comme le Modem et à la société civile », prédit Alain Lamassoure. D’autant que le FN ne devrait pas rééditer son exploit de 2014 lorsqu’il était arrivé en tête des partis français, comme en témoigne sa lente, mais inexorable désintégration au Parlement européen : il ne compte plus que 17 élus sur les 25 d’origine, soit une déperdition de 30 % notamment avec le départ du poids lourd Floriant Philippot, de Sophie Montel et Mirielle D’Ornano.
Des élections européennes européennes
Macron a bien l’intention de ne pas tomber dans le piège d’une nationalisation de l’élection européenne : « le clivage sera entre les europhiles et les europhobes, exactement comme au second tour de la présidentielle », explique l’un de ses proches. Car le 7 mai a montré un fort attachement des Français à l’Europe et le président compte bien capitaliser sur son fort engagement européen. L’élection de Wauquiez à la tête de LR donne encore plus de poids à cette stratégie. De même, il n’est pas question d’envoyer à Strasbourg des amateurs ou des dilettantes : « les élus devront travailler afin que notre influence soit aussi forte que celle des Allemands », martèle-t-on à l’Élysée. LREM peut espérer une trentaine d’élus pronostique Lamassoure, d’autant que la population française ayant augmenté, le nombre d’eurodéputés français passera de 74 à 78 ou 79. Surtout, ils seront élus sur une liste nationale comme vient de le décider le gouvernement, ce qui devrait faire les affaires d’En Marche vu son faible ancrage local.
Mais une fois élus, où siègeront les élus En Marche ? « Macron est un authentique démocrate-chrétien et sa place serait au PPE », estime Alain Lamassoure : « ça serait son intérêt d’intégrer le plus grand groupe, celui qui va sans doute gagner les élections de 2019 ». Mais l’ex-LR reconnaît qu’il n’y a aucune chance qu’il le fasse vu l’image trop marquée à droite de ce groupe : « il reste sur sa ligne ni droite, ni gauche, ce qui exclut aussi le groupe socialiste ». « Pendant longtemps, il a cru possible de fonder un « En Marche Europe » avec notamment la CDU d’Angela Merkel », raconte Lamassoure : « Joseph Daul, le président du PPE, est allé lui expliquer que c’était impossible, le PPE étant une création de la CDU et son principal relais d’influence en Europe ».
Faire bouger les lignes
Reste donc les libéraux de l’ADLE dont une bonne moitié est Macron-compatible, dont son président, l’ancien premier ministre belge Guy Verhofstadt. Mais pour l’instant, ce dernier, qui a demandé à plusieurs reprises à être reçu par Macron, n’a reçu aucune réponse. « Ce groupe est hétéroclite et une partie pourrait se retrouver dans En Marche », reconnait Jean Arthuis. Ce qui passera par une recomposition du groupe, les libéraux allemands du FDP, trop eurosceptiques, n’y ayant alors plus leur place. En revanche, les Espagnols de Ciudadanos, un parti créé aussi après les élections de 2014 et qui pourraient arriver en tête en 2019, pourraient le rejoindre. Ne pas faire partie de l’un des deux grands groupes ne fait pas peur à Macron : « c’est mieux, mais ça n’est pas suffisant. Que pèsent LR et le PS au sein du PPE et du groupe socialiste ? », note-t-on méchamment à l’Elysée.
Macron pourrait aussi être tenté de créer un groupe entièrement nouveau. A l’Elysée on espère y arriver, le discours sur l’Europe prononcé à la Sorbonne le 26 septembre par Macron servant de plate-forme commune. Mais, être d’accord sur la nécessité de réformes institutionnelles ne signifie pas que l’on soit d’accord sur les politiques à mettre en place. Surtout, il faut réunir au minimum 25 députés provenant d’au moins 7 pays pour qu’il soit durablement viable. Le minimum serait d’attirer, à défaut de la CDU ou du SPD qui resteront là où ils sont, les Italiens du Parti démocrate. Ce qui s’annonce difficile : ainsi, Gianni Pittela, le patron du groupe socialiste, a tweeté, le 21 novembre, après une rencontre avec Matteo Renzi, que le PD resterait membre du groupe socialiste… « Même si beaucoup de gens au PPE, au PSE, chez les Libéraux ou chez les Verts se reconnaissent dans Macron, faire sauter les structures existantes, aussi hétéroclites soient-elles, est autrement plus difficile au niveau européen qu’au niveau national », met en garde Alain Lamassoure. Mais on veut croire à l’Élysée que c’est possible, Macron ayant démontré sa capacité à faire bouger les lignes.
N.B.: Article paru dans Libération du 14 décembre