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Symboliquement, les Vingt-sept saisissent chaque occasion pour faire sentir au Royaume-Uni qu’il doit libérer au plus vite le strapontin qu’il occupait jusqu’à présent. Ainsi, Theresa May, la Première ministre conservatrice, n’a participé qu’au dîner de jeudi soir entre les chefs d’État et de gouvernement réunis à Bruxelles pour leur sommet d’hiver afin d’évoquer le seul sujet sur lequel elle est encore consultée, le Brexit. Et c’est de Londres qu’elle a appris que ses bientôt ex-partenaires avaient officiellement décidé d’ouvrir la seconde phase du divorce à partir de janvier 2018, après « l’accord », en réalité une capitulation sans condition, conclue le 8 décembre sur les trois conditions préalables posées par les Européens : le statut des ressortissants communautaires, le maintien de l’ouverture de la frontière entre la République irlandaise et l’Irlande du Nord et le chèque de sortie.
May s’est réjouie d’un «pas important sur la voie d’un Brexit en douceur et ordonné et l’élaboration d’un futur partenariat étroit et spécial». « J’ai hâte de discuter des futures relations commerciales et sécuritaires», avait-elle déclaré la veille à l’issue du diner. Un optimisme un tantinet forcé, le temps avant la sortie effective, le 29 mars 2019 à minuit, étant compté comme l’a rappelé la chancelière allemande Angela Merkel : « il reste beaucoup de problèmes à régler et nous n’avons pas tellement de temps ». Car les questions qui restent à régler sont immenses afin de parvenir à une sortie ordonnée puisqu’il faut couper tous les liens juridiques tissés depuis plus de quarante ans entre l’Union et la Grande-Bretagne. Or, il a fallu sept mois d’intenses discussions pour trancher seulement trois sujets. Or, il faut aborder des questions aussi complexes que les transports, la protection des données, l’environnement, la politique agricole, la libre circulation des capitaux, des services, des marchandises et des personnes, l’immigration (quid de Calais, par exemple ?), etc. Il sera «extrêmement difficile» de finaliser un accord sur un retrait ordonné d’ici au 29 mars 2019, a d’ailleurs mis en garde Donald Tusk, le président du Conseil européen, même si l’objectif reste «réaliste» : «Il est évident que la seconde phase sera plus exigeante, plus complexe» que la première. Et là, l’unité des Vingt-sept, qui a bien résisté jusqu’ici, risque d’être mise à mal, tant les intérêts sont divergents. Cette seconde phase sera « le vrai test » de l’unité des 27, a reconnu Tusk.
De même, la relation future entre les deux rives de la Manche reste brumeuse, Londres n’ayant pas précisé, comme on commence à en avoir l’habitude à Bruxelles, ce qu’elle veut : un accord de libre-échange qui exclurait par nature les services (80% du PIB britannique) ? Un accord d’un genre nouveau incluant les services ? Un accès au marché unique ? Et là aussi, les 27 risquent de ne pas être d’accord entre eux, certains étant particulièrement dépendants des flux commerciaux, capitalistiques et humains entre leur pays et la Grande-Bretagne. «Il y a apparemment des opinions divergentes sur ce à quoi devrait ressembler» notre future relation avec le Royaume-Uni, a admis le Premier ministre irlandais Leo Varadkar. «Les Britanniques sont de bons négociateurs et ils sont très malins, car ils appellent directement les capitales », a ironisé Mark Rutte, le Premier ministre néerlandais : « Nous avons réussi à conserver notre unité jusqu’à présent et c’est notre ambition de continuer à le faire».
Avant d’aller plus loin, l’Union veut donc que Londres précise ses intentions : ce n’est qu’en mars prochain qu’ils adopteront un mandat de négociation qui permettra à Michel Barnier, le négociateur européen, de commencer à traiter la question de l’avenir en même temps qu’il continuera à couper un à un les fils reliant le Royaume-Uni à l’Union. Il est déjà entendu qu’aucun accord ne sera conclu avant le Brexit effectif, Bruxelles ne pouvant commencer à négocier qu’avec un pays tiers : Theresa May devra se contenter d’une simple déclaration politique. C’est pour cette raison que, lors de son discours de Florence de septembre dernier, elle a demandé à l’Union une période de transition de deux ans (jusqu’en mars 2021) avant de ne plus avoir accès au marché unique. Les 27 ont souligné, dans les conclusions adoptées hier, que cela signifiera lque e Royaume-Uni devra continuer à appliquer les lois européennes et à payer son écot au budget européen sans participer à «la prise de décision» au sein de l’UE.
Enfin, les chefs d’État et de gouvernement ont haussé le ton après les déclarations du ministre britannique du Brexit, David Davis, sur le caractère «non contraignant» de l’accord préliminaire conclu la semaine dernière. Les négociations de la seconde phase «ne pourront avancer que si l’ensemble des engagements pris au cours de la première étape sont pleinement respectés et fidèlement traduits en termes juridiques dans les meilleurs délais», ont-ils précisé dans leurs conclusions.
N.B.: article paru dans Libération du 16 décembre
Conseil européen jeudi et vendredi. Comme à chaque fois, il faut s’accréditer pour ces sommets qui réunissent 28 chefs d’État et de gouvernement. Et là, pour une fois, nous recevons un badge (jaune, couleur de la presse) orné d’un bonhomme de neige. Enfin un peu de poésie dans ce monstre bureaucratique européen !
Les journalistes s’en amusent et certains diffusent, vu l’ennui de ce Conseil sans enjeu, sur les réseaux sociaux ce joli badge. Je publie le mien sur Twitter dans l’après-midi. Le soir, coup de fil (très gentil) du service de presse du Conseil des ministres qui m’avertit que je n’avais pas le droit de diffuser cette photo et qu’en conséquence mon accréditation est annulée : je dois retourner au service ad hoc (le bâtiment nommé Lex, situé rue de la Loi, à un jet de pierre du Conseil des ministres) pour refaire mon accréditation. Je suis sidéré : aucune règle de cette nature n’a jamais été portée à notre connaissance. Et je rappelle que j’ai déjà publié sur Twitter plusieurs de mes badges (dont celui du sommet UE-Chine) ou pris des photos d’officiels avec leur badge… La « règle » secrète est d’autant plus absurde que rien n’interdirait à un journaliste de donner son badge à une tierce personne pour qu’il le copie (c’est l’argument), d’autant qu’on les garde une fois le sommet terminé (j’en ai une collection qui remonte à 1990…). En tous les cas, faute d’avoir eu connaissance de cette « règle », je refuse de retirer mon tweet.
Hallucinant, mais bon. Vendredi, je me présente à nouveau au Lex et, comme d’habitude, je dois passer mes affaires dans une machine à rayon X puis passer moi-même sous un portique de sécurité. Et là, surprise, on me demande d’enlever ma ceinture et ma montre, alors que la veille personne ne me l’avait demandé exactement au même endroit. Je proteste déclenchant l’hostilité immédiate des agents (privés) de sécurité qui ont dû apprendre leur métier dans une prison de haute sécurité. C’est d’autant plus absurde que je n’ai accès qu’à un espace réservé aux journalistes porteurs de la carte de presse. Mais, m’explique avec tendresse l’un des agents, si je ne m’exécute pas, je n’entrerai pas. Pensez donc, une montre explosive ! Je fais remarquer que mon pull comporte des boutons en acier, suscitant davantage d’irritation des vigiles… Une fois muni de mon précieux viatique, je me rends au Conseil des ministres. Nouvelle fouille. Mais là, comme la veille, personne ne me demande d’enlever ma ceinture et ma montre… En clair, la sécurité est plus dure pour assurer la sécurité des eurocrates que celle des chefs d’État et de gouvernement.
Dans la série des absurdités, on atteint des sommets lorsque le surréalisme belge se conjugue avec la bureaucratie européenne. Ainsi, les journalistes n’ont pas le droit de longer le bâtiment où se réunissent les chefs d’État. Pourquoi ? Pour éviter que les voitures des cortèges officiels soient gênées par des piétons puisqu’à cet endroit, il n’y a pas de trottoir et que, surtout, l’on est obligé de passer devant la sortie du parking. Soit. Mais de l’autre côté du tunnel Loi (une autoroute urbaine à cinq voies), la rue qui va du rond-point Schuman à la rue de la Loi est aussi fermée sur 200 mètres alors qu’il y a un large trottoir et que l’on ne gêne personne. Interrogée, la police belge est incapable de fournir une explication logique.
S’agit-il de protéger le bâtiment d’un tir de bazooka, de missiles ou de fusil ? Même pas comme le montre les photos : on peut passer en contrebas du bâtiment de la Commission ou rue Charlemagne, deux endroits qui offrent des angles de tir tout aussi dangereux. De toute façon, vu la densité urbaine du lieu, il est impossible de sécuriser le bâtiment du Conseil. D’ailleurs, à Washington, on peut librement passer devant la Maison-Blanche, tout comme à Paris on peut longer l’Élysée de tous les côtés, seul le trottoir longeant l’accès principal étant interdit. La seule conséquence de cette mesure absurde: obliger les journalistes (puisque cette impossibilité de passer ne s’applique qu’à eux alors qu’ils sont munis d’un badge sécurisé) à faire un grand tour pour gagner le point d’entrée qui leur est réservé.
Allons plus loin : sous le bâtiment du conseil européen, passe à la fois le tunnel Loi, une ligne de métro et une ligne de train. La circulation des voitures n’est pas interrompue (on est en Belgique) pas plus que celle des métros ou des trains. Mais les métros ne s’arrêtent pas à la station Schuman alors que les trains si puisqu’il existe une sortie qui n’est pas dans le périmètre de sécurité. Une raison ? Personne ne la connaît. Le train est manifestement moins dangereux que le métro ou les véhicules à moteur.
Ces illogismes sécuritaires eurocratiques ne s’arrêtent hélas pas aux seuls sommets européens. Ils sont quotidiens : ainsi, les commissaires ou les fonctionnaires de la Commission ou de n’importe quelle autre institution communautaire, lorsqu’ils se rendent au Parlement, doivent enlever leurs ceintures tout comme les journalistes, alors que les assistants parlementaires du Jobbik, des allumés néo-nazis hongrois, ou ceux d’Aube dorée, ne sont soumis à aucun contrôle, pas plus d’ailleurs que les fonctionnairesl du parlement, les contractuels ou les conjoints des députés, ce public étant jugé non susceptible de se radicaliser dans la nuit. Même chose à la Commission ou au Conseil des ministres, qui soumettent à des contrôles tous ceux qui ne sont pas de la maison. Comme me le fait remarquer ironiquement un fonctionnaire, “Schengen a supprimé les frontières entre les Etats, mais pas entre les institutions communautaires”.
En fait, les seuls à être contrôlés partout sont les journalistes, surtout s’ils sont armés d’une caméra ou d’un ordinateur, manifestement les seuls à être identifiés comme une menace claire et immédiate (bien que détenteur d’une carte sécurisé infalsifiable). À la Commission, ils sont même soumis à un double contrôle par, notez bien l’ironie, des vigiles d’une compagnie privée dont le CV est infiniment moins contrôlé que celui des journalistes : à l’extérieur du bâtiment, une inspection rapide des sacs pour s’assurer que nous n’avons pas de kalach en kit, à l’intérieur passage aux rayons X et portique de sécurité.
Les ceintures sont donc considérées comme des armes par destination, mais le fait que sous les institutions communautaires passent des lignes de train et de métro, des tunnels autoroutiers ou encore que les voitures entrant au parking de l’europarlement, de la Commission ou du Conseil ne soient pas inspectées ne pose manifestement de problèmes à personne. Mais au fond, la politique sécuritaire de l’Union est peut-être celle de l’absurdité : n’importe quel terroriste s’y perdrait devant ces règles sans queue ni tête.
Mais cette mésaventure aura donné des idées aux Twittos. J’ai droit à un mème, le selfie d’Emmanuel Macron où apparait à droite la tête du Premier ministre belge, Charles Michel ayant fait rigoler la Belgique entière.
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Saviez-vous que les eurocrates apatrides de Bruxelles planifiaient, en secret, la constitution d’une armée européenne à ses ordres afin de pouvoir l’envoyer dans les pays de l’Union qui seraient tentés de suivre l’exemple du Brexit ? C’est Florian Philippot, vous savez l’ex qui tente d’exister sur les plateaux télé à défaut de représenter politiquement quelque chose, qui l’a révélé mardi 12 décembre, à Strasbourg, lors d’un débat sur la défense européenne. Un scoop d’ampleur que la presse, sans doute aux ordres de Bruxelles, a passé sous silence. Bien que « fédéraste », pour reprendre une expression de Le Pen père, je suis avant tout journaliste et j’ai courageusement décidé de briser cet insupportable silence !
Pour l’encore député européen (Philippot siège désormais à l’EFD, le groupe de l’Anglois Nigel Farage, l’ex-leader du UKIP), le lancement d’une Coopération structurée permanente (CSP) en matière de défense, qui réunit 25 pays sur 28, vise à créer « une force unique commandée par l’Union européenne ». « Lorsque les eurocrates disposeront du commandement sur les forces armées, ce n’est pas contre des ennemis extérieurs qu’ils les tourneront, ce sera contre les peuples d’Europe. Ils ne se contenteront plus de bafouer les référendums, d’imposer des actions et d’adresser des remontrances, ils enverront les chars faire régner l’ordre à Varsovie, à Rome, à Paris et partout où les peuples opprimés par Bruxelles voudront se battre pour retrouver leur liberté ». C’est ici, à partir de 36’26’’.
Florian Philippot n’est certainement pas un crétin, puisqu’il a fait Louis le Grand, HEC et l’ENA... Mais incontestablement, il prend, à l’image de ses consoeurs et confrères en europhobie, les citoyens pour des crétins en cherchant à faire croire qu’il existe un complot visant à créer une UERSS prête à écraser les peuples comme le fit l’armée rouge à Berlin, Budapest et Prague… Mais plus c’est énorme, doit-il se dire, plus ça a une chance de passer.
Un angle d’attaque totalement à contresens, car, tous les sondages le montrent, les Français souhaitent une défense européenne qui permettra une mutualisation des coûts et des risques, tout comme ils soutiennent l’euro et l’intégration européenne. Son éviction du Front National est d’ailleurs la conséquence de la défaite de Marine Le Pen à la présidentielle qui avait adopté sa ligne ultra-souverainiste. Mais, surtout, on est extrêmement loin d’une quelconque « armée européenne » qui, si elle doit un jour lointain voir le jour, ne sera certainement pas sous le contrôle des eurocrates de Bruxelles, mais du pouvoir politique, c’est-à-dire des États. La CSP, que les chefs d’États et de gouvernement vont officiellement lancer à l’issue du sommet qui s’est ouvert aujourd’hui à Bruxelles, n’a rien à voir avec le projet de Communauté européenne de défense (CED) rejeté en août 1954 par l’Assemblée nationale française qui elle visait effectivement à créer une armée européenne. Faut-il rappeler que ce rejet a militairement marginalisé l’Europe et transformé le vieux continent en terrain de jeu de l’OTAN, c’est-à-dire des États-Unis ?
Infiniment plus modestement, les États, qui sont à l’origine de cette CSP et en gardent le contrôle, s’engagent à augmenter leurs dépenses militaires, ce qui devrait réjouir Philippot, et à coopérer, sur une base intergouvernementale qui devrait aussi réjouir l’ex, sur des projets concrets pilotés par un pays « leader ». La liste des 17 premiers projets est ici, sur l’excellent blog de mon confrère Nicolas Gros, spécialiste des questions de défense. Cela va du « soutien médical » à la « cyber defense », en passant par la conception d’un « drone sous-marin » ou d’un véhicule blindé d’infanterie. Bref, on cherche désespérément où Philippot a été pêcher cette « armée européenne » en gestation qui plus est soumise au commandement des eurocrates de la Commission… A ce niveau d’enflure, c’est l’insignifiance qui menace Philippot, pas les chars européens fantasmatiques.
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Lundi dernier, dans Libération, je révélais les propositions de réforme de la zone euro que la Commission s’apprêtait à rendre publiques trois jours plus tard, le mercredi 6 décembre. Cela m’a valu un recadrage de Margaritis Schinas, le porte-parole de l’exécutif européen, qui a affirmé que « personne ne savait de quoi il parlait » et que les fuites médiatiques étaient nulles et non avenues. Il n’a pas parlé de « fake news », heureusement, mais a estimé que le fait que la presse allemande annonçait que la Commission allait affaiblir le Pacte de stabilité, alors que j’affirmais au contraire qu’elle s’alignait sur les « casques à pointe de l’économie » de la CDU-CSU, montrait bien que les fuites étaient bidon. Et je vous passe les appels téléphoniques furibards de diverses éminences européennes.
Vu la virulence des réactions, ce qui ne m’impressionne guère, j’attendais donc avec intérêt la publication du paquet, mercredi, pour voir si mes sources s’étaient trompées. Je vous la fais brève : c’est exactement ce que j’avais annoncé. À tel point que je n’ai pas jugé utile de faire un second papier répétant ce que j’avais dit dans le premier. À ma grande tristesse, hélas, je n’ai pas eu droit aux excuses de Margaritis Schinas puisque finalement j’ai démontré que je savais parfaitement de quoi je parlais… On n’est pas beau joueur à la Commission.
En réalité, le seul point de divergence, et il est majeur, porte sur le jugement que l’on peut porter sur ce paquet. Or, si on peut critiquer les erreurs factuelles, il n’appartient pas à la Commission de critiquer les jugements que l’on porte sur son action en discréditant les journalistes. J’estime, en effet, que Juncker s’est aligné sur les durs de la CDU-CSU alors que le récit qu’il voulait vendre était au contraire qu’il leur avait glorieusement résisté et mis sur la table un paquet à mi-chemin des craintes allemandes et des souhaits français d’une plus grande intégration. Après lecture de l’ensemble du paquet, je confirme point par point mon analyse.
Il est vrai que Schäuble n’a pas obtenu absolument tout ce qu’il voulait, pas plus que la Bundesbank n’a pas obtenu de pouvoir décider seule de la politique monétaire de la zone euro. En particulier, le futur Fonds monétaire européen (FME) ne sera pas chargé de la surveillance budgétaire des États de la zone euro en lieu et place de la Commission. Mais quelle « victoire » ! Imaginait-on qu’elle allait se faire hara-kiri toute seule ? Soyons un minimum sérieux. D’autant que le FME, en dehors des périodes de crise, fera comme le FMI pour pallier son ennui : il publiera des rapports « non contraignants » analysant l’état des finances publiques, bref, il fera de la surveillance sans le dire… De même, la Commission est toute fière d’avoir proposé que le FME rentre dans le cadre communautaire. Or c’est bien un minimum. Le problème est que, comme le veulent les Allemands, son fonctionnement restera en réalité intergouvernemental et préservera le droit de veto allemand (et français, puisqu’il faut 85% des droits de vote) sur le déblocage d’une assistance financière. En clair, c’est un faux nez communautaire (le « memorandum of undestanding » sur son fonctionnement est curieusement resté secret, comme c’est bizarre…).
Emmanuel Macron a-t-il obtenu, lui, quelque chose ? Absolument rien : il n’y aura pas de budget de la zone euro autonome, pas de solidarité financière, pas de parlement de la zone euro contrôlant les activités de la Commission et de la zone euro. On peut retourner les propositions de la Commission dans tous les sens, on ne trouve aucun élément qui permette de dire que le chef de l’État français a été entendu. En réalité, les propositions de la Commission « entérinent le statu quo », comme le note très justement sur Twitter, Shahin Vallée, l’ancien conseiller économique de Herman van Rompuy, ex-président du Conseil européen. Bref, la belle histoire vendue par la Commission d’un paquet « équilibré » est juste une vaste plaisanterie. D’ailleurs, Peter Altmaier, l’ex secrétaire général de la chancellerie et ministre des finances par intérim, a immédiatement clamé sa satisfaction sur Twitter pendant que Paris observait un silence de plomb.
On comprend mieux, dès lors, le secret absolu ayant entouré la préparation de ce paquet, l’objectif étant à la fois de placer la France (les négociations se sont déroulées entre le cabinet de Juncker et celui de la Chancelière) et les commissaires (qui n’en ont pris connaissance que la veille de son adoption) devant le fait accompli et d’empêcher la presse de faire son travail d’analyse. Ainsi, mercredi, le « matériel de presse » n’a été distribué qu’à 13h alors que la conférence de presse des seconds couteaux de la Commission avait déjà commencé depuis 30’ (Juncker n’est pas descendu pour s’expliquer). J’ai vigoureusement protesté contre ce mépris suscitant l’approbation de mes collègues (c’est ici aux alentours de 6'). Dommage que certains d’entre eux aient gobé la fable de la Commission sur le soi-disant équilibre du paquet.
N.B. du 11 décembre : Margartis Schinas me signale que Bruno Le Maire, le ministre français des finances a bien réagi, mais seulement le 7 décembre. Un enthousiasme pour le moins mesuré. Personnellement, j’appelle ça un tweet poli: «Contribution bienvenue de @EU_Commission hier sur l’avenir de la zone euro. Ensemble nous devons porter des mesures ambitieuses pour créer une veritable union économique et monétaire, source de croissance et d’emplois». Tout est dans le mot «ensemble».
Nicolas Vadot
« Jeu, set et match » : aux petites heures du mercredi 11 décembre 1991, à Maastricht, le Premier ministre conservateur d’alors, John Major, clame sa joie d’avoir tout obtenu ou presque de ses partenaires, tant sur la monnaie unique que sur le social. 25 ans plus tard, aux petites heures du vendredi 8 décembre, Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, et Michel Barnier, le négociateur du Brexit, ont la décence de se montrer infiniment plus diplomates avec un pays qui termine à genoux la première partie des pourparlers de sortie de l’Union. De fait, il s’agit moins d’un « accord » que d’une capitulation sans condition de Londres : si Theresa May, la Première ministre britannique, veut sauver les meubles alors que tous les voyants économiques virent au rouge, elle n’a d’autres choix que d’accepter toutes les exigences des Européens. Décryptage du premier rapport de 15 pages publié hier.
1- La frontière entre l’Irlande du Nord et la République irlandaise ne sera pas rétablie.
C’était le point majeur des trois conditions préalables fixé par les Vingt-sept (avec le statut des ressortissants communautaires et la facture du divorce) et surtout le plus complexe et le plus explosif. Les Vingt-sept exigent que la frontière entre l’Irlande du Nord, partie du Royaume-Uni, et la République irlandaise reste ouverte, car il s’agit de la pierre angulaire des accords dits du Vendredi saint d’avril 1998 qui ont mis fin à trente ans de guerre civile entre nationalistes catholiques et unionistes protestants. Or, le « hard Brexit » (Brexit dur) choisi par Theresa May implique une sortie du marché unique et de l’union douanière, ce qui signifie le rétablissement d’une frontière physique pour contrôler non seulement les marchandises (soumises à des droits de douane et à des vérifications de normes), mais aussi les femmes et les hommes. Or les deux Irlande sont aujourd’hui étroitement imbriquées et le risque d’un nouvel embrasement en cas de nouvelle séparation n’est pas seulement de l’ordre de la politique fiction.
Londres et Bruxelles n’ont pas encore trouvé « la » formule magique, même s’ils se rapprochent de celle qui s’applique à Hong-kong depuis sa rétrocession à la Chine : « un pays, deux systèmes ». En clair, il est convenu que l’Irlande du Nord restera de facto dans le marché unique et l’union douanière. Un tel engagement est lourd de conséquences, car cela implique que les normes juridiques et la politique commerciale nord-irlandaise seront calquées sur celles de l’Union. Mais en même temps Theresa May s’engage à ce que la circulation soit libre entre l’Irlande du Nord et le reste du territoire britannique, ce qui exclut donc que les normes et la politique commerciale britanniques s’écartent des normes de l’Union, puisque tout ce qui passera de l’ile de Grande-Bretagne vers l’Irlande du Nord pourra se retrouver en République d’Irlande et donc dans l’Union. La logique ultime de cet accord est donc que Londres adhère à l’Espace économique européen (comme la Norvège, l’Islande et le Liechtenstein). Ce qui est pour l’instant inacceptable par les Brexiteurs les plus durs. Ou alors, si Londres veut retrouver sa pleine souveraineté sans remettre le feu à l’Irlande du Nord, cela veut dire que l’Irlande du Nord restera dans le marché unique et l’union douanière, sans libre circulation avec la Grande-Bretagne. À terme, cela ne peut que se terminer par la création d’une fédération irlandaise. Et pour ne rien arranger, le futur statut spécial de l’Irlande du Nord donne déjà des idées à l’Écosse et au pays de Galles. Autrement dit, il y a un fort risque de désintégration du Royaume…
2- Les droits des ressortissants communautaires résidant en Grande-Bretagne sont garantis.
Au départ, le gouvernement britannique voulait se servir des 3 millions d’Européens vivant au Royaume-Uni comme d’une monnaie d’échange. C’est loupé : leur droit au séjour, au travail ou à la protection sociale est garanti pour l’éternité, pour eux et leurs enfants, y compris ceux à naitre après la date du Brexit, le 30 mars 2019, comme l’exigeait le Parlement européen. Mieux : la Cour de justice de l’Union sera compétente jusqu’en avril 2027 pour arbitrer tous les conflits relatifs à leurs droits (Bruxelles souhaitait la date de 2029, Londres de 2024).
3- La facture du Brexit sera intégralement payée par Londres.
En juillet 2017, Boris Johnson, le secrétaire au Foreign Office martelait devant les Communes : « Les sommes que les responsables européens proposent de réclamer à ce pays me semblent exorbitantes et je pense qu’ils peuvent toujours courir ». Résultat de la course : Londres s’acquittera bien d’une facture comprise entre 45 et 55 milliards d’euros qui comprend tous les engagements budgétaires qu’elle a souscrits avec ses partenaires. Un chèque qu’elle paiera sur plusieurs années. Bon prince, la Commission a fait cadeau des frais de déménagement de l’Autorité bancaire européenne et de l’Agence du médicament qui doivent rejoindre Paris et Amsterdam…
4- Et maintenant ?
« Le défi le plus difficile est devant nous », a prévenu Donald Tusk, le président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. Lors du sommet européen des 14 et 15 décembre, les Vingt-sept vont donner leur feu vert pour l’ouverture de la seconde phase des discussions afin de trancher les liens innombrables qui unissent les deux rives de la Manche et entamer des négociations sur le cadre de leur relation future, y compris une période de transition de deux ans, ce qui permettra aux entreprises de s’organiser. « Si vous superposez les modèles existants d’accords avec États tiers et les lignes rouges fixées par le gouvernement britannique, il ne reste qu’une partie visible: un accord de libre-échange du type Canada«, a estimé hier Michel Barnier. Ce qui risque d’exclure les services alors que ceux-ci représentent 80% du PIB britannique.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libé du 9 décembre