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Emmanuel Macron est-il l’héritier politique de Valéry Giscard d’Estaing, son prédécesseur à la tête de l’État (1974-1981) comme on l’entend souvent? Si les deux hommes ont la volonté de dépasser le clivage droite-gauche qui structure la vie politique française depuis la Révolution française (avec des éclipses impériales, royalistes et collaboratrices) et si leur engagement pro-européen est identique, seul le second a mené une vraie politique libérale au sens anglo-saxon du terme, c’est-à-dire à la fois sur le plan économique et sociétal. Et encore brièvement, durant la première partie de son septennat, entre 1974 et 1976. Ensuite, il a entamé une dérive de plus en plus droitière, notamment après les élections législatives de mars 1978 que la gauche a perdu de justesse, l’acmé en étant la loi « sécurité et liberté » de janvier 1981, entrée en vigueur juste avant sa défaite face à François Mitterrand. Macron, lui, est idéologiquement l’héritier de ce VGE II, absolument pas du VGE I.
Giscard n’a pourtant pas eu la tâche facile : faute d’avoir dissous l’Assemblée nationale en mai 1974, il n’a jamais été en mesure de constituer une majorité à sa main. Il a donc dû composer avec le RPR de Jacques Chirac (son Premier ministre jusqu’en août 1976), notamment en s’appuyant sur des personnalités comme Jacques Chaban-Delmas, son adversaire malheureux de la présidentielle, car trahi par les durs du parti gaulliste qui ne supportait pas sa « nouvelle société » concoctée avec l’aide d’un certain Jacques Delors. Malgré ce handicap, outre des réformes économiques qui ont commencé à sortir le pays de la gangue du capitalisme d’État hérité du général de Gaulle et à le maintenir à flot malgré la crise de 73-79, il a changé durablement le visage de la France : majorité à 18 ans (il le paiera cher), autorisation de l’avortement, remboursement de la pilule, divorce par consentement mutuel, émancipation du service public de la radio télévision (disparition de l’ORTF), possibilité pour les parlementaires de saisir le Conseil constitutionnel, etc.. VGE aurait bien été jusqu’à légaliser l’union entre personnes du même sexe, mais sa majorité ne le lui a pas permis.
Emmanuel Macron, bien que disposant d’une majorité à sa main, pour ne pas dire à sa botte, n’a pas eu ces ardeurs réformatrices, bien au contraire. Alors qu’il a les pleins pouvoirs et une opposition dispersée façon puzzle, il a mis sous le boisseau ses promesses de campagne relatives aux libertés, quand il ne les a pas purement et simplement violées. Ainsi, sa loi sur la sécurité intérieure a transcrit dans le droit commun les dispositions de l’État d’urgence les plus attentatoires aux libertés (en particulier en transférant des pouvoirs importants à l’autorité administrative au détriment du juge judiciaire, juge des libertés), alors qu’il avait durement critiqué les dérives de François Hollande durant sa campagne. De même, sa politique d’immigration est exactement à l’opposée de sa promesse de solidarité avec les réfugiés et n’a rien à envier avec ce qui s’est fait de plus inhumain dans le passé. Quant à la PMA ou à la fin de vie, ces réformes ont été renvoyées sine die. La seule réforme d’essence libérale que l’on peut mettre à son crédit concerne la moralisation de la vie publique. Un bien maigre bilan alors qu’il a tenu ou s’apprête à tenir l’ensemble de ses promesses économiques qui ne sont pas précisément de gauche (on pense à la suppression de l’ISF, à la réforme du Code du travail ou à la chasse aux « faux chômeurs » en oubliant la fraude fiscale).
Loin d’être libéral, Macron, à l’usage du pouvoir, se révèle être un conservateur (et non pas un réactionnaire comme François Fillon ou Laurent Wauquiez) dans la plus pure tradition française, exactement comme l’a été VGE seconde période, celui qui a couru après sa droite faute d’avoir pu rallier une gauche alors prise en otage par un parti communiste aligné sur Moscou. Ce mimétisme giscardien se retrouve d’ailleurs jusque dans sa mise en scène monarchique de l’exercice du pouvoir (l’anniversaire à Chambord, y compris sa participation à la chasse aux sangliers, la chronique de la vie – y compris familiale- à l’Élysée contée par Paris Match) ou encore dans sa volonté de s’adresser directement aux Français sans l’intermédiaire de médias qu’il méprise ouvertement – sauf lorsqu’ils oublient de se montrer critiques - au risque de saper un pilier de la démocratie, là aussi à l’exact inverse de ce qu’il promettait.
Certes, le quinquennat n’est vieux que de sept mois. Mais l’histoire montre que les réformes de sociétés ne passent qu’en début de mandat, pas à la fin. VGE l’avait compris, tout comme Mitterrand qui n’a pas tardé à abroger la peine de mort, à libéraliser les médias audiovisuels ou à dépénaliser l’homosexualité. François Hollande en faisant trainer la loi sur le mariage pour tous afin de mieux diviser la droite a juste réussi à dresser deux France l’une contre l’autre et à empêcher durablement toute autre réforme sociétale, ce qui a précipité sa chute. Bref, le « vieux monde » est toujours là : Macron est de droite et en même temps de droite, pour son plus grand bonheur sondagier. Le libéralisme, lui, attend toujours son héraut.
N.B.: article paru dans Libération du 30 décembre
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