Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Carole Mathieu, chercheur au Centre Énergie de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage de Claude Turmes, Transition énergétique. Une chance pour l’Europe (Les Petits Matins, 2017, 480 pages).
De prime abord, la politique énergétique européenne est un empilement de directives, règlements et autres lignes directrices. Bien qu’inscrite au cœur du projet européen depuis les premiers traités, elle reste sans ambition claire car il lui faut sans cesse composer avec une contrainte de taille : respecter la souveraineté des États membres en matière de définition de leurs bouquets énergétiques.
Pourtant, la politique européenne de l’énergie traite de sujets aussi fondamentaux que l’organisation des marchés électriques et gaziers, la gestion des risques d’approvisionnement ou encore la régulation des émissions de gaz à effet de serre. Elle s’est considérablement enrichie depuis les années 1990, si bien que débattre de l’avenir énergétique d’un État membre en particulier n’a aujourd’hui de sens que si l’on prend en compte cet échelon européen.
Incontestablement, la politique énergétique européenne est peu et mal considérée dans les débats nationaux, et c’est à ce travers que l’eurodéputé Turmes entend s’attaquer. Militant écologiste luxembourgeois, élu au Parlement européen depuis 1999 et membre parmi les plus actifs du comité en charge des questions énergétiques, il livre ici le récit d’un combat politique mené depuis bientôt deux décennies. En décryptant les coulisses bruxelloises, il donne à la politique énergétique européenne un visage plus humain et permet au lecteur de saisir la cohérence d’ensemble de ce vaste projet.
La première partie de l’ouvrage présente le témoignage d’un parlementaire engagé pour le succès de la transition énergétique européenne. Les travaux législatifs sont resitués dans la dynamique politique de l’époque. Le rôle décisif joué par certains personnages publics ou certaines institutions est aussi systématiquement mis en avant, que ces derniers aient œuvré en faveur ou contre les initiatives européennes. Si l’auteur souligne que le travail accompli est immense, il juge aussi très sévèrement les multiples tentatives de sabotage, orchestrées par les lobbies industriels et leurs alliés dans les capitales européennes. Ses observations servent souvent de leçons pour l’avenir, comme lorsqu’il évoque le défaut de calibrage initial du marché carbone européen, pour conclure que ce mécanisme pourrait, au mieux, servir de filet de sauvetage à la politique climatique européenne, mais qu’il ne saurait constituer son seul point d’appui.
Vient ensuite une partie de nature programmatique. Chaque chapitre couvre une thématique, en rappelle les enjeux, discute la pertinence des règles européennes et présente enfin des recommandations. Ce livre est donc aussi une réflexion argumentée et originale sur ce que devrait être la transition énergétique européenne et comment les citoyens européens pourraient en tirer le plus grand bénéfice. L’auteur clôt son propos en évoquant deux événements récents, le Brexit et la publication des propositions de la Commission pour mettre en œuvre les objectifs Climat 2030. Ces mentions de l’actualité la plus brûlante illustrent une fois encore la vigueur du débat énergétique européen. Néanmoins, elles nourrissent peut-être aussi le sentiment que, malgré la clarté des propositions de l’auteur pour faire de la transition énergétique « une chance pour l’Europe », son combat risque d’être bien long, tant la machine bruxelloise est complexe et tant l’avenir de l’Union européenne est incertain.
Carole Mathieu
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Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Yaël Hirsch propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Jean Guilaine et Jacques Sémelin, Violences de guerre, violences de masse. Une approche historique (La Découverte/Inrap, 2016, 400 pages).
Cet ouvrage regroupe 22 communications au colloque international « Archéologie de la violence. Violence de guerre, violence de masse » organisé par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et le musée du Louvre-Lens en 2014, et éclaire les enjeux d’un renouvellement de la discipline archéologique. En fouillant vestiges et ossements, en reconstituant des scènes de mort, elle « dénonce les maquillages, les outrances et les perversions » de l’histoire contemporaine.
La première partie montre comment l’archéologie permet d’affirmer que la violence n’est pas inhérente à la condition humaine. L’impossibilité (jusqu’ici) de trouver un site où les corps porteraient des traces de violence volontaire et communautaire avant 12 000 av. J.-C. (avec le Site 117 des bords du Nil) semble bien prouver que la guerre apparaît au prénéolithique, avec une mutation des conditions démographiques, climatiques et techniques. L’étude de fosses communes antiques comme Tell Brak (4 000 av. J.-C.) ou Himère (Ve siècle av. J.-C.) montre quelles sont les pratiques de guerre par l’état des corps (décapitations, blessures, inhumation) et les armes laissées sur le terrain.
La deuxième partie questionne la méthodologie. Qu’est-ce qu’une « zone de combat » ? Que fait-on quand on exhume la tombe d’un personnage célèbre comme Richard III, et comment utiliser les sources textuelles ? Enfin, comment l’archéologie transforme-t-elle ses outils forgés par l’étude de civilisations antiques pour l’étude des « guerres totales » contemporaines ?
Le troisième chapitre parle de l’histoire moderne comme de « l’avènement de la guerre totale » comme si les violences européennes d’États en formation n’avaient été que des prémices aux meurtres de masse du XXe siècle. L’étude de plusieurs villages abandonnés en Bohême durant la guerre de Trente Ans montre que c’est en multipliant les sites que le travail archéologique peut se faire. Sur un terrain de violences, la première mission de l’archéologie est de compter et de nommer les morts, pour réviser parfois les données retenues par les sources (camps de concentration en Afrique du Sud, 1899-1902).
Trois chapitres sont dédiés à la Première Guerre mondiale. L’approche « au ras du sol » de l’archéologie a permis une réévaluation complète du conflit, par la quantité de corps et d’armes retrouvés. En travaillant avec les autorités du patrimoine pour rendre accessibles les sites de combats, l’archéologie propose une démocratisation. Et l’enjeu de l’identification est évidemment crucial, avec les aléas de ce que les tests génétiques peuvent révéler.
Après un chapitre sur la guerre d’Espagne et un autre sur les bourreaux ordinaires, la dernière partie du recueil se concentre sur les génocides. Les fouilles de Treblinka ont permis de révéler l’organisation du camp, notamment le lieu des chambres à gaz, et d’inhumer les restes humains découverts. En Bosnie, où les victimes ont systématiquement été déterrées et dispersées dans des fosses secondaires et tertiaires par les génocidaires pour masquer leurs exactions, le travail des archéologues a permis d’identifier de nombreux corps. Indispensable pour l’étude des violences contemporaines, l’archéologie joue donc un tout nouveau rôle, qui va bien au-delà de son dialogue avec la discipline historique. « Contribuer à la réhumanisation des morts » est une tâche sociale, éthique et politique.
Yaël Hirsch
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The medium-term outlook in Spain is under pressure from three issues. Its politicians will have to act judiciously to avoid a constitutional crisis.
Spain’s minority PP (Partido Popular) government has stuttered since October 2016. Despite the country’s relatively buoyant economic performance this year, the government is under continued pressure from three sides: Catalan separatism, corruption allegations and the durability of its economic recovery. Significant movement in one of these areas could change the country’s political calculus, and the wider region.
Impressive growth / stubborn unemploymentMariano Rajoy’s conservative PP administration has been in power since 2011, and has been one of Europe’s foremost adherents of austerity. After years of painful cuts, however, Spain’s economy has registered 14 consecutive quarters of growth. This year it has exceeded expectations, had its IMF forecast upgraded, and is now the Eurozone’s fastest growing economy. If this trend continues time would appear to be on Rajoy’s side, if real incomes continue to rise ahead of the next election, nominally due in 2020.
What tempers this optimism is the unemployment rate. Although the figure (currently 17.2%) has dropped from an eye-watering 26.3% in 2013, including a steep fall this year, the figure is still unsustainable. There is also a suspicion that the recent improvement is due to temporary – not full-time – jobs, encouraged by the PP’s labour market reforms. The Spanish economy will need many more quarters of growth to bring this figure down, even into single digits. Meanwhile, pressure from Eurozone officials in Brussels is further limiting Spain’s fiscal room for manoeuvre. After receiving a reprieve from a financial penalty last year, the government will have to – and most likely achieve – a budget deficit under 3.1% of GDP in 2017.
Corruption allegations circle the Moncloa PalaceRajoy’s government probably wishes it could focus all its energies on the economy. Other crises, however, present mortal threats to its survival. Corruption scandals have plagued the PP for years. Rajoy became the first serving Spanish Prime Minister to testify in court on 26 July. He denied any knowledge of corruption in the PP. Nevertheless, as leader since 2004 and government minister 1996-2003 he is precariously close to the scandal, which is alleged to date back two decades. Former PP treasurer Luis Bárcenas is the most high profile political casualty so far. The charges include bribes, influence peddling and secret slush funds. Rajoy gave evidence in the so-called ‘Gürtel case’, which is linked to the Bárcenas affair. The PP minority government rely on support from Ciudadanos (Citizens), a new party founded in opposition to corruption and growing Catalan separatism. It is not inconceivable that the scandal could fell the government.
Source: Heritage Foundation, Index of Economic Freedom
An October plebiscite on Catalan independence?The final – and potentially most serious – component of this trio of risks is an independence referendum in Catalonia. The Catalan regional parliament, led by Carles Puigdemont, of the pro-independence Catalan European Democratic Party (PDeCAT), has called a referendum on 1 October this year. The central government in Madrid has so far refused to recognise the legitimacy of any plebiscite, stating that it would contravene the 1978 constitution. Both sides seem set on a collision course, driven by brinkmanship. Despite the chaos caused by the Brexit referendum last year, the probability that Madrid would not recognise the result, and that even if independence was declared a fledgling Catalan state would be blocked from joining the EU, opinion polls are currently very close.
Catalonia exceeds the rest of Spain’s economic performance by every measure: higher growth, lower unemployment, higher GDP per capita. Catalan nationalists have eyed an almost perfect opponent in the PP government. Posters have started to appear around Barcelona making the link between a no vote in October and the Franco dictatorship. The current situation in Catalonia is the very essence of political risk. However Madrid choses to approach the referendum, a ‘Yes’ vote – even without recognition – would cause the dominos to fall in a most unpredictable manner.
Spain has registered steady economic growth since the depths of the financial and Eurozone crises. The country has implemented a number of reforms, demonstrating a flexibility less obvious in its other neighbours in South Europe. Nevertheless, Madrid will have to weather a number of other storms if this outward stability is to be maintained.
This article was originally published by Global Risk Insights and written by Robert Ledger.
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Two memories come to mind when thinking about political divisions between neighbors and relatives and the violence that permeates when both sides accept totalitarian ideas as their norm. The death of former Lebanese Prime Minister Rafik Hariri, a man I was fortunate enough to hear speak in a small meeting, and a separate friend of mine from that same country that lamented factions in that society that sough political legitimacy through continued and unabated violence.
More than twelve years after the assassination of Hariri, Lebanon remains at the brink of another decade of sectarian violence while reasonable agents in Lebanese society beg all sides to remember the last few decades of violence and how it destroyed the country many times over.
Ideology in America today does not have decades of recent sectarian conflict to draw on for modern lessons, and may not be affected even if it did have those recent experiences. Ideology and intentional violence for the sake of violence often lives on the fringes, but ends with a meeting of minds or compromise in the middle. Fascism in all its forms ends with those who actually intend to build society and not continuously burn it to the ground.
The vast majority of us in the middle of the political divide are much like Ralph Fiennes’ characters in the movie Sunshine, where he plays generations from the same family with most of them succumbing to being executed or imprisoned without rights by those on the far right and then far left, just because he lived where he lived and via accusations against the political leanings of generations of his family. Fiennes shows that no matter what you do, think or say, fascists from both sides will label you and seek to dispose of you just because you exist in their world.
Societies that pull themselves to the extremes often have to ignore large swaths of reality to make the mental leap to self-abuse. The operation of actual slavery and organized death by way of rape and torture against many minorities in Iraq and Syria in an actual concentration camp style genocide is almost wholly ignored by international media. Actions done by actual Nazis are being repeated in our generation, and there is next to no response by the “Great Powers” of the world.
In addition, even victims of the genocide are blocked and almost wholly ignored by the international community as they beg to be claimed under otherwise generous refugee programs that by process ignore them as well. The cause of this came from sectarian factions in Iraq and Syria gaining a foothold into the mainstream. The lack of understanding of these issues comes with the almost complete absence of moderate voices from Iraq, and a strong and organized push to never find those voices in western media. An entire university education could be based on listening to those few people who lament violence in their countries, and the world would be better off with a real education that does not promote and legitimize political violence by any faction.
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Cette recension a été publiée dans le numéro d’été de Politique étrangère (n°2/2017). Thomas Richard propose une analyse de l’ouvrage d’Henry Laurens, Les crises d’Orient (1768-1914) (Fayard, 2017, 384 pages).
Ayant achevé sa grande histoire de La Question de Palestine, Henry Laurens a choisi de se pencher sur un autre thème qui a inauguré sa nouvelle série de cours au Collège de France, celui de la montée progressive des tensions qui ont entraîné le Moyen-Orient, au sens large, dans la guerre en 1914, dont ce volume constitue à la fois un résumé et une extension de la première partie, plus concis mais couvrant une période plus longue que les cours du Collège.
En effet, pour entrer dans ce que le XIXe siècle va progressivement nommer la « question d’Orient » jusqu’à son dénouement tragique, il est nécessaire de remonter aux suites immédiates d’un temps qui semble lointain, celui de la guerre de 1768, qui signe le premier grand recul de l’Empire ottoman face à la Russie, avec le début de la mainmise de cette dernière sur la mer Noire. Puis, presque à l’insu des protagonistes, de défaite ottomane en expéditions britanniques en Asie centrale, de guerre d’indépendance grecque en interventions de plus en plus massives des puissances dans les finances et la gestion des empires d’Orient, de rivalités des consuls locaux en explosions de violences qui s’ethnicisent, se forment les conditions de la crise qui devait conduire au remodelage de la région sous l’égide européenne.
Prenant appui sur sa profonde connaissance du terrain et des sources, Henry Laurens fait avec cet ouvrage la synthèse des monographies portant sur ces différents points, en y ajoutant ses propres recherches. Là réside l’intérêt premier de cet ouvrage, qui rend accessible un panorama de ces crises d’Orient qui couvrent aussi bien les empires ottoman et perse, que la fin de l’Inde des Moghols, l’Asie centrale, l’Afrique du Nord et les Balkans, sans oublier les cabinets et les Chambres européennes. Il permet ainsi de comprendre l’interpénétration de ces crises, qui rebondissent d’un bout à l’autre de la zone et se répondent en jeu de balancier au gré des avancées et des intérêts des protagonistes. C’est aussi la rançon de l’ouvrage, qui, bien que détaillé, donne envie d’approfondir les ressorts de chacun de ces événements, et est en ce sens aussi un ouvrage d’ouverture. On aimerait ainsi parfois qu’il s’attarde plus sur l’aspect émotionnel des enjeux géopolitiques, pour mieux faire saisir les déferlements de violence que connaît alors ce monde qui façonne le nôtre dans la douleur.
Au long des chapitres, c’est un monde en mutation qui se dessine, troublé mais riche de possibles différents de ce qui est finalement advenu, le monde levantin, celui de Cavafy et de la modernité ottomane. Cette attention à ne pas voir de téléologie permet de mieux comprendre le drame qu’a constitué la destruction de ce monde en 1918, et les crises qui en ont constitué la suite, mais qui ne sont pas plus écrites dans l’identité de la région que celles étudiées ici.
Si l’ouvrage porte une attention forte aux conséquences de cette époque sur la nôtre, sur les représentations qui en sont issues et qui ont encore (trop) cours pour expliquer sans finesse les réalités du terrain, ce va-et-vient entre les deux époques montre aussi la faiblesse de ces explications et met en garde contre cet héritage de représentations, en même temps qu’il éclaire les dynamiques réellement à l’œuvre. Ce faisant, ce travail exigeant et refusant tout simplisme est aussi une invitation nécessaire à l’étude et à la modestie face à ces héritages.
Thomas Richard
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