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Diplomacy & Crisis News

Comment M. Erdoğan a maté l'armée turque

Le Monde Diplomatique - Wed, 08/03/2017 - 16:36

La stratégie d'endiguement menée par M. Recep Tayyip Erdoğan pour contrer la mainmise traditionnelle des militaires sur la vie politique n'a pas empêché le putsch de juillet dernier. Sorti victorieux de cette épreuve de force, le président turc a lancé une vaste opération de purge pour conforter son pouvoir. Au risque de diviser et d'affaiblir une institution engagée dans deux opérations d'envergure.

Ferhat Özgür. – « War Moment » (Moment de guerre), 2008 The Pill / Istanbul

La tentative de coup d'État du 15 juillet 2016 en Turquie rappelle à quel point l'armée y demeure un acteur de poids susceptible de bouleverser l'équilibre des forces politiques. Cette institution, fondée en 1923 et lointaine héritière de la modernisation des forces ottomanes en 1826, constitue avant tout une puissance militaire majeure. En termes d'effectifs, soit 800 000 hommes (1,5 million si l'on inclut les réservistes et les personnels assimilés), elle est la huitième du monde et, derrière celle des États-Unis, la deuxième au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN), dont elle demeure un pivot essentiel après avoir longtemps été qualifiée de « première ligne de défense » face à l'ex-URSS et à ses alliés du pacte de Varsovie. Ses troupes interviennent en tant que force de maintien de la paix dans plusieurs pays (Afghanistan, Somalie, Kosovo…), mais stationnent aussi dans la partie nord de Chypre. Et plusieurs de ses unités sont rompues au combat du fait des opérations menées contre la guérilla kurde depuis 1984. Enfin, et le fait est moins connu, l'armée turque, dont le budget atteint 25 milliards de dollars (soit plus de 3 % du produit intérieur brut), représente aussi un acteur économique de poids grâce à son industrie de défense et à ses diverses entités financières (fonds de pension, banques, fondations, etc.).

Établie sur ces deux piliers, militaire et économique, l'armée turque a toujours joué un rôle central dans la vie politique, se jugeant garante du legs de Mustafa Kemal Atatürk (1), notamment en matière de laïcité et de défense de l'intégrité territoriale. Elle n'a pas hésité à intervenir directement pour mettre fin à une crise et pour renverser un gouvernement, par exemple lors des coups d'État de 1960, de 1971 et de 1980. Ce dernier, mené avec une grande violence notamment contre les mouvements de gauche et d'extrême gauche, contribua à instaurer une domination durable des militaires sur la société. La Constitution mise en place par la junte élargit et renforça les prérogatives du Conseil de sécurité nationale ; les orientations de cet organe dominé par les militaires s'imposèrent aux gouvernements civils. L'une des conséquences du coup d'État de 1980 fut aussi une large diffusion d'un mode de pensée militariste et sécuritaire au sein des élites politiques turques. Disposant de plusieurs relais, institutionnels mais aussi informels, les militaires purent agir à leur guise pour influer, de manière plus subtile que par un coup d'État, sur la vie politique. Ce fut le cas en juin 1997 avec la chute du gouvernement du premier ministre Necmettin Erbakan, un an à peine après son arrivée aux affaires. Figure emblématique de la mouvance islamiste turque, M. Erbakan fut poussé à la démission par une série de recommandations et de mises en garde « musclées » du Conseil de sécurité nationale, soutenu par une grande partie de la société civile, hostile à la remise en cause des fondements laïques de l'État turc moderne.

Travail de sape

C'est en tirant les leçons de cet épisode que M. Recep Tayyip Erdoğan a fait scission avec le parti de M. Erbakan et créé sa propre formation, le Parti de la justice et du développement (AKP). Au pouvoir depuis 2003 en tant que premier ministre, l'actuel président (élu en 2014) avait jusque-là réussi à éviter une confrontation directe avec l'armée grâce à une stratégie d'endiguement. L'AKP a pu limiter le pouvoir politique de celle-ci en mettant en place des réformes juridiques et institutionnelles. Dès 2003, en s'appuyant sur les négociations d'adhésion à l'Union européenne, M. Erdoğan a peu à peu imposé une démilitarisation des institutions civiles et un contrôle accru du gouvernement sur les questions de défense. Au nom de la nécessaire convergence avec les normes européennes, les militaires ont perdu le droit d'imposer leurs décisions au conseil des ministres et d'intervenir dans l'élaboration des politiques nationales. Au fil des ans, ils se sont aussi vu interdire de siéger dans plusieurs instances, comme le Conseil de l'enseignement supérieur (YÖK), habituel terrain d'affrontement entre défenseurs de la laïcité et islamistes, ou au sein du Conseil suprême de l'audiovisuel public (RTÜK). Plus symbolique encore, les tribunaux militaires, fers de lance de la répression politique dans les années 1980 et 1990, ne sont plus autorisés à juger les civils.

Face au travail de sape mené par l'AKP, le haut commandement militaire n'est pas resté passif. Sans s'opposer de manière frontale aux changements, il a multiplié les critiques et les prises de parole publiques. Ainsi que le relève le politiste Ahmet İnsel, l'institution s'est comportée comme « un quasi-parti (2)  » malgré son règlement intérieur, qui indique que les forces armées turques doivent être « en dehors et au-dessus de toute influence et des idées politiques ». En 2007, l'incapacité des chefs militaires à empêcher, au nom de la défense de la laïcité, la candidature et l'élection de l'ancien ministre des affaires étrangères islamo-conservateur Abdullah Gül à la présidence de la République a consacré l'ascendant de l'AKP sur l'armée et mis en évidence l'érosion de l'influence de cette dernière.

Avec la réforme progressive du champ institutionnel turc, le recours à la bataille juridique ainsi qu'une communication visant à ternir le prestige de certains officiers ont constitué l'autre volet de la mise au pas de l'armée. En 2007, l'affaire du « réseau Ergenekon » a débouché sur l'arrestation de plus de deux cents militaires, dont trois généraux. Après la découverte d'une cache d'armes à Istanbul, le gouvernement a accusé un réseau interlope, mêlant extrême droite, militaires et gauche kémaliste, de conspirer pour le renverser et pour exécuter plusieurs personnalités kurdes ou proeuropéennes. Très médiatisée, l'affaire demeure controversée : de nombreux officiers mis en cause continuent de clamer leur innocence. Mais elle a contribué à ternir l'image de l'armée dans un pays où des idées telles que « chaque Turc naît soldat » ou « la nation turque est une nation militaire » restent très répandues (3). L'affaiblissement de l'armée après le scandale « Ergenekon » a été accentué en 2010 avec l'affaire Balyoz (« marteau de forge »), dans laquelle des militaires ont été accusés de planifier des attentats en Turquie afin de permettre à l'armée de prendre le pouvoir. Celle-ci a alors été purgée de nombre de ses éléments, dont beaucoup de kémalistes, susceptibles de s'en prendre, un jour ou l'autre, à l'AKP.

Cette mise au pas n'aurait pas été possible sans le soutien du mouvement Gülen. Très présents dans le monde judiciaire, les sympathisants de cette mouvance religieuse (4), qu'ils soient juges ou procureurs, ont fait preuve d'opiniâtreté dans la poursuite des officiers mis en cause. D'ailleurs, et par un étonnant retournement de situation, la détérioration des relations entre l'AKP et les gülénistes a abouti en 2013 à la levée des poursuites contre certains militaires, voire à leur acquittement. Ce revirement montre que M. Erdoğan se sentait suffisamment en position de force pour desserrer son étreinte sur l'armée. Peut-être parce qu'il a mis en place une réforme essentielle consistant à lui garantir le contrôle de la nomination du haut commandement de l'armée lors de la tenue du Conseil militaire suprême (YAŞ). Ce changement majeur permet au chef de l'exécutif d'intervenir directement dans le processus de sélection des membres du haut commandement, alors qu'auparavant il devait se contenter de ratifier les décisions du YAŞ. S'entourant de hauts officiers jugés loyaux, M. Erdoğan s'est ainsi doté d'atouts qui ont été décisifs pour faire échouer la tentative de coup d'État de juillet 2016. À titre d'exemple, le chef d'état-major Hulusi Akar, qui est aussi le témoin de mariage de la fille du président turc, et le commandant de l'armée de l'air Abidin Ünal, l'un de ses proches, ont refusé de s'allier aux putschistes malgré leur capture par les mutins et les brutalités qu'ils affirment avoir subies.

Bien entendu, les raisons de l'échec du putsch sont multiples et ne reposent pas sur la seule proximité de M. Erdoğan avec quelques généraux. De l'avis de nombreux experts militaires turcs, les mutins ont péché par une grande improvisation. Surtout, un soutien plus large au sein du commandement des forces armées leur a fait défaut. S'ils ont réussi à rallier à leur cause l'ancien commandant de l'armée de l'air, le général Akın Öztürk, et le deuxième commandant de l'armée, le général Adem Huduti, ils n'ont pu convaincre ni les chefs de commandement des forces armées (terre, air, mer) ni le chef d'état-major Akar, déjà cité, de se joindre à eux. De façon générale, c'est la loyauté de nombreux officiers kémalistes envers les institutions et l'État turc qui a empêché la réussite du putsch.

Plus généralement, on peut aussi penser qu'il lui a manqué un réel soutien dans la société, comme le souligne très justement Jean-François Pérouse, directeur de l'Institut français d'études anatoliennes (IFEA), qui qualifie la tentative de « coup d'État hors-sol (5)  ». La population s'est très vite mobilisée pour affronter les militaires et leurs chars d'assaut. Bien avant qu'une journaliste de CNN Türk ne permette à M. Erdoğan de lancer un appel au peuple pour qu'il sorte dans la rue, de nombreux messages sur les réseaux sociaux, notamment Twitter, mobilisaient déjà contre le coup d'État (6). Cette implication populaire est l'une des grandes différences avec le putsch de 1980, où la population était restée confinée chez elle pendant plusieurs jours. La police, dont les effectifs ont augmenté depuis l'arrivée de l'AKP, a joué elle aussi un rôle important en s'opposant, armes à la main, aux mutins. En outre, de nombreux conscrits mobilisés par les putschistes ont rechigné à poursuivre leur action quand ils ont réalisé qu'ils n'étaient pas engagés dans une opération antiterroriste, comme on le leur laissait croire, mais dans le renversement du pouvoir. Enfin, la classe politique, y compris l'opposition kémaliste, d'extrême droite ou prokurde, s'est ralliée sans hésiter au gouvernement de l'AKP.

Près de trois mois après la tentative de putsch, de nombreuses questions restent néanmoins posées. M. Erdoğan a triomphé de ses ennemis et engagé une vaste opération de purge au sein de l'armée et des services de sécurité, ciblant notamment le mouvement Gülen, dont le fondateur nie toute implication. Près de 9 000 fonctionnaires de défense, dont 1 099 officiers (149 généraux et amiraux) ont été arrêtés, et le gouvernement a élargi les sanctions à des milliers de juges, enseignants et journalistes. Dans un contexte régional où l'armée turque intervient sur deux théâtres proches, quoique différents — le nord de la Syrie et le Kurdistan —, la refonte de l'institution se poursuit. Un décret-loi de 91 pages adopté le 30 juillet dernier a modifié sa structure, les forces armées étant désormais rattachées au ministère de la défense et non plus à l'état-major. Le président de la République et le premier ministre peuvent donner des ordres directs aux chefs de troupe et leur demander des informations. La chaîne de commandement au sein des forces armées est donc bouleversée puisqu'un ordre pourra être exécuté sans l'aval du chef d'état-major. La fermeture de toutes les écoles militaires et la non-affectation des élèves officiers qui viennent de terminer leur formation montrent la détermination du gouvernement à poursuivre cette reprise en main en attendant que l'université de défense, qui doit être prochainement créée, ne prenne le relais. Déjà évoquée avant l'été, la professionnalisation de l'armée — jugée inconstitutionnelle par une partie de l'opposition — vise à éviter que les conscrits ne soient impliqués dans les opérations de guerre, notamment au Kurdistan, mais aussi à imposer des critères plus rigoureux en matière de recrutement.

On le voit, M. Erdoğan entend s'entourer du maximum de garanties. Sans être directement liée à la tentative de coup d'État, l'intervention dans le nord de la Syrie a tout de même l'avantage d'« occuper » l'armée. Mais il reste à savoir si la purge en cours, notamment contre les militaires proches du mouvement Gülen, et les modifications structurelles prévues ne vont pas profondément l'affaiblir, alors qu'elle est engagée sur plusieurs fronts. Même si elle a dénoncé le coup d'État, la droite kémaliste accuse ainsi le président turc d'émousser volontairement l'armée au risque de l'exposer à des défaites sur le terrain. Enfin, on peut s'interroger sur le comportement futur des officiers kémalistes. S'ils ont refusé de soutenir le coup d'État, ils n'accepteront pas pour autant une mainmise définitive du pouvoir politique islamo-conservateur sur leur institution.

(1) Fondateur de la République turque en 1922, mort en 1938.

(2) Ahmet İnsel, « “Cet État n'est pas sans propriétaires !” Forces prétoriennes et autoritarisme en Turquie », dans Olivier Dabène, Vincent Geisser et Gilles Massardier (sous la dir. de), Autoritarismes démocratiques et démocraties autoritaires au XXe siècle, La Découverte, Paris, 2008.

(3) Cf. « La production militaire du citoyen. Sociologie politique de la conscription en Turquie » (PDF), doctorat de science politique soutenu le 23 novembre 2013 à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne.

(4) Lire Ali Kazancigil, « Le mouvement Gülen, une énigme turque », Le Monde diplomatique, mars 2014.

(5) Jean-François Pérouse, « Quelques remarques après le coup d'État manqué de la nuit du 15 au 16 juillet 2016. Un coup d'état hors-sol ? », Observatoire de la vie politique turque, 20 juillet 2016.

(6) Cf. H. Akin Unver et Hassan Alassaad, « How Turks mobilized against the coup », Foreign Affairs, New York, 14 septembre 2016.

Best Defense contest: Trump crisis predictions that haven’t happened yet

Foreign Policy - Wed, 08/03/2017 - 16:03
For those keeping score in our contest to pick President Trump’s first foreign policy crisis, these are the ones that haven’t happened yet.

Best Defense book excerpt — Ford’s ‘Weapon of Choice: Small Arms and the Culture of Military Innovation’

Foreign Policy - Wed, 08/03/2017 - 15:50
Weapon of Choice maps military innovation from the battlefield to the bureaucrat, from soldier to scientist.

Vieillir au féminin

Le Monde Diplomatique - Wed, 08/03/2017 - 14:47

En avril 2016, en Suisse, une octogénaire a demandé — et obtenu — une aide au suicide car, « très coquette » selon son médecin, elle ne supportait pas de vieillir. Un signe du stigmate particulier attaché à l'avancée en âge chez les femmes. En France, deux personnalités se sont emparées de cette question longtemps négligée par les féministes : Benoîte Groult et Thérèse Clerc, toutes deux disparues cette année.

Gustav Klimt. – « The Three Ages of Woman (Les Trois Âges de la femme »), 1905 Galleria Nazionale d'Arte Moderna, Rome / De Agostini Picture Library / A. Dagli Orti / Bridgeman Images

Pourquoi les femmes mentent-elles davantage que les hommes sur leur âge ? Partant de cette question apparemment anodine, Susan Sontag explore en 1972 ce qu'elle appelle le « deux poids, deux mesures de l'avancée en âge (1». En matière de séduction, remarque-t-elle, deux modèles masculins coexistent, le « jeune homme » et l'« homme mûr », contre un seul côté féminin : celui de la « jeune femme ». Au point qu'il est admis, notamment dans les classes moyennes et supérieures, qu'une femme dépense une énergie croissante (et, si elle le peut, de l'argent) pour tenter de conserver l'apparence de sa jeunesse.

Mais la dépréciation des femmes vieillissantes ne tient pas seulement à leur éloignement des standards jeunistes de beauté. Elle provient également de la simple avancée en âge, laquelle tend à amoindrir, pour elles, les possibilités d'être plus jeunes que leurs partenaires potentiels. Cette norme de l'écart d'âge permet à certains hommes d'avoir une descendance sur le tard, ou leur offre l'assurance d'être pris en charge, en vieillissant, par une compagne plus alerte. S'adressant aux femmes, Sontag montre ce qu'elles pourraient gagner à « dire la vérité », à « laisser voir sur leur visage la vie qu'elles ont vécue » ; à s'émanciper des normes jeunistes.

Au moment de la parution de ce texte, le mouvement féministe nord-américain et ouest-européen est en pleine effervescence. Pourtant, l'approche féministe de l'âge et du vieillissement demeure marginale au cours des années 1970. Les revendications se focalisent sur le contrôle de la fécondité, sur le travail, sur la liberté de mouvement ou sur celle de vivre sa sexualité. En France, c'est seulement dans les années 2000 que des analyses mettent en relation sexisme et âgisme. Benoîte Groult et Thérèse Clerc, toutes deux disparues en 2016 aux âges respectifs de 96 et 88 ans, font partie de ces penseuses et militantes qui ont cherché à politiser leur propre vieillissement dans une perspective féministe.

Benoîte Groult était la fille d'entrepreneurs fortunés et libéraux, liés aux milieux parisiens du stylisme et de la mode. Thérèse Clerc, elle, appartenait à la petite bourgeoisie commerçante, catholique et traditionaliste. Licenciée en lettres, Groult est enseignante puis journaliste, tandis que Clerc, qui a suivi une formation de modiste, devient femme au foyer. Cependant, toutes deux ont décrit a posteriori la première phase de leur vie comme une période marquée par le poids des activités domestiques et maternelles (la première a eu trois enfants et la seconde quatre), une certaine solitude dans la vie quotidienne, l'anxiété liée à la survenue de nouvelles grossesses, doublée, pour Groult, de l'expérience réitérée d'avortements clandestins. La seconde période, définie comme une « renaissance », est associée en grande partie à la découverte du féminisme.

« Festival des cannes »

Ayant quitté son mari, Thérèse Clerc devient, à 41 ans, vendeuse de grand magasin pour gagner sa vie. Dans le contexte du Mouvement de libération des femmes (MLF), elle découvre le plaisir amoureux et sexuel hors du cadre de la conjugalité hétérosexuelle et s'éloigne de la religion (2). À Montreuil, où elle s'installe avec ses enfants, elle devient une figure du féminisme local. En 1997, elle y fonde un lieu d'échanges féministes et d'accueil des femmes victimes de violence, rebaptisé en 2016 Maison des femmes Thérèse-Clerc.

Benoîte Groult, elle, rencontre au cours des années 1950 son troisième et ultime conjoint, l'écrivain Paul Guimard, qui l'encourage à écrire. Plus tard, sa lecture des publications liées au mouvement des femmes la pousse à démystifier les normes qui ont régi son existence passée. Paru en 1975, son essai Ainsi soit-elle (Grasset) mêle une critique de son éducation féminine bourgeoise et une synthèse de recherches sur l'inégalité des sexes dans le monde. Vendu à plus d'un million d'exemplaires, il s'adresse autant aux jeunes militantes de la génération MLF qu'aux cinquantenaires, restées, pour la plupart, extérieures au mouvement (3). Propulsée à 55 ans « féministe de service », selon son expression, Benoîte Groult s'engage dans la promotion institutionnelle des droits des femmes. De 1984 à 1986, elle préside la commission sur la féminisation des noms de métiers, de grades et de fonctions ; et, dans les années 1990-2000, elle soutient les luttes pour la parité en politique.

Journaliste, essayiste, romancière à succès, proche du Parti socialiste, vivant, selon les saisons, dans son appartement parisien ou dans ses maisons en Bretagne ou en Provence, la Benoîte Groult des années 2000 n'appartient assurément pas au même milieu social que Thérèse Clerc. Cette dernière vit modestement dans un petit appartement à Montreuil et se revendique de la pensée libertaire et autogestionnaire. Cependant, leur engagement pour la cause des femmes les a toutes deux conduites à interroger à travers ce prisme leur propre avancée en âge.

Militante, à partir de 1986, au sein de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité, Benoîte Groult met en relation le combat pour l'euthanasie avec les luttes féministes pour la libre disposition de son corps. Elle forge une éthique à partir de sa propre expérience, essayant d'analyser la façon dont, face au vieillissement et au veuvage, elle a dû réinventer, pour le préserver, son rapport hédoniste à l'existence. Elle évoque une curiosité permanente pour les évolutions sociopolitiques du monde, une recherche de plaisirs sensoriels quotidiens, une appétence pour l'effort physique qu'elle a dû recomposer et ajuster aux transformations de son corps au fil du temps, ainsi qu'un goût pour la contemplation des paysages ruraux ou maritimes (4).

Mais si cette femme, dotée d'une santé solide, a pu jusqu'au bout imprimer sa volonté sur ses activités quotidiennes et sur le choix de ses lieux de vie, comment vieillir quand on n'est plus en mesure d'accomplir certains gestes ordinaires ? Que peut le féminisme, pensée collective de la liberté de disposer de son corps, lorsque ce corps multiplie les signes d'affaiblissement et de dérèglement ? À 60 ans passés, Thérèse Clerc, tout en travaillant et en s'occupant de ses petits-enfants, a dû prendre en charge pendant cinq ans sa propre mère gravement malade. Ce type d'épreuve n'est pas rare pour ceux, et surtout celles, qui jouent le rôle de pourvoyeuse (ou de pourvoyeur) de soins à la fois pour les descendants et les ascendants. Éviter de devenir à son tour une charge pour ses enfants a constitué l'une des motivations de Thérèse Clerc lorsqu'elle a imaginé, à la fin des années 1990, la Maison des Babayagas. Ce projet d'une maison de retraite autogérée, fondée sur l'entraide et la solidarité entre ses membres, est conçu pour les femmes de la génération de Thérèse, notamment celles qui, longtemps mères au foyer ou travailleuses à temps partiel, disposent d'une retraite très modeste. Créée en 2012, la Maison des Babayagas ne correspond pas en tout point au rêve de sa fondatrice (l'attribution de nouveaux logements est aux mains du bailleur public et non des habitantes), mais elle devient néanmoins un lieu d'événements militants. Elle accueille notamment l'Unisavie, une université populaire mettant en commun des luttes et des savoirs relatifs à la vieillesse. On y débat d'autogestion, d'économie sociale et solidaire, de féminisme, du vieillissement des personnes migrantes ou encore de la sexualité des vieilles et des vieux.

Dans un documentaire, en 2005, Benoîte Groult évoquait une expérience courante de l'avancée en âge : c'est d'abord à travers le regard des autres qu'elle s'était vue vieillir. Pour sa part, elle se sentait « égale à elle-même », voire, par certains aspects, plus énergique qu'à des époques antérieures. Pourtant, elle voyait changer l'attitude des autres à son égard, se développer une forme d'indifférence, de commisération et parfois de mépris à peine voilé. Elle ressentait, à travers des mots et des gestes, qu'elle n'avait plus tout à fait sa place dans des événements ordinaires de la vie sociale dont elle prenait conscience qu'ils étaient régis par des limites d'âge implicites. Dans son milieu, celui du monde littéraire, du spectacle et de la politique, où beaucoup d'hommes de son âge étaient en couple avec des femmes bien plus jeunes, elle avait également commencé à ressentir le vieillissement de son apparence comme une forme de stigmate — une expérience à laquelle, au même âge, son mari pouvait encore échapper. Se sentant impuissante à changer les règles du jeu, elle assumait d'avoir eu recours à un lifting : « Je ne vois pas pourquoi les féministes n'auraient pas le droit aux progrès de la médecine. (...) Le souci de la beauté n'est pas en soi antiféministe », se justifiait-elle (5). Thérèse Clerc n'évoluait pas dans le même monde social et ses rides n'ont pas semblé l'empêcher de séduire hommes et femmes jusqu'à un âge avancé. Elle aurait sans doute respecté l'aspiration de Benoîte Groult à présenter un visage considéré par son entourage comme plus plaisant. Mais elle aurait peut-être ajouté que toutes les femmes n'ont pas les moyens financiers de sauver leur peau à coups de bistouri.

À la Maison des Babayagas, la « beauté » cessait de n'être qu'une technique de soi mobilisée individuellement, dans la coulisse, pour devenir un enjeu d'échange collectif. Thérèse Clerc s'intéressait aux œuvres d'art montrant des corps vieillissants et avait pour projet d'organiser un « festival des cannes » qui présenterait les meilleurs films mettant en scène la vieillesse. Avec plusieurs « Babayagas », elle avait participé à une chorégraphie intitulée de façon provocante « Vieilles peaux », où s'inventaient des mouvements dansés, ancrés dans la situation subjective de personnes très âgées (6). Elle réfléchissait aux vêtements, aux parfums, aux bijoux qui peuvent embellir un corps de vieille femme sans avoir pour seul objectif de dissimuler les signes de l'âge. En octobre 2015, elle avait coorganisé, avec des élèves en arts appliqués du lycée Eugénie-Cotton de Montreuil, un défilé de mode dont les modèles étaient les « Babayagas ». Des robes chatoyantes, amples et colorées, fabriquées par les élèves à partir de chutes de cravates abandonnées par les grossistes du quartier parisien du Sentier, étaient portées par des femmes de plus de 80 ans, dont Thérèse. Défilant avec un mélange de malice et d'autodérision, celles-ci pastichaient la démarche conventionnellement orgueilleuse des mannequins : trop vieilles pour jouer le jeu, elles en profitaient pour faire un pied de nez aux normes, sous le regard séduit et troublé de spectatrices et de spectateurs de tous âges.

Traditionnellement, une femme qui ne dissimule pas sa vieillesse et qui assume d'avoir (encore) des désirs dérange, voire dégoûte, plus encore qu'un homme. Pour interroger collectivement cette anxiété, nous avons besoin de « vieilles désirantes (7) » qui sortent du placard où elles sont sommées de rester cachées. Provocatrice par ses actions militantes, son refus de tout euphémisme pour parler des misères de la vieillesse, ses références explicites à la sexualité des vieilles personnes et son énergie à vouloir changer le monde, Thérèse Clerc assumait le rôle de contestatrice de l'ordre des âges. Chez celles et ceux qui étaient un peu plus jeunes, elle parvenait à distiller, au sein de l'anxiété intime, une forme de curiosité, sinon de désir, pour cette étrange étape à venir : la vieillesse.

Il ne s'agissait nullement pour elle de nier le corps qui s'affaiblit ni la crainte de voir s'approcher le moment de la fin. Mais alors que Benoîte Groult cherchait, en tant qu'écrivaine, à rendre compte au plus près de son expérience et à lui donner une forme littéraire, le rapport de Thérèse Clerc à la vieillesse était d'abord politique : elle percevait dans ce statut discrédité une position privilégiée pour questionner un certain nombre de normes sociales qui contraignent plus directement les adultes « dans la force de l'âge ». Elle considérait la vieillesse comme un moment propice pour défier, à travers des événements concrets, l'organisation âgiste de la société et pour remettre en question ses oppositions binaires : activité/inactivité, performance/vulnérabilité, autonomie/dépendance.

Disséminer de telles expérimentations est en soi un parcours jonché d'obstacles. Quand tout est organisé pour qu'une partie de la population accepte l'idée d'avoir « passé l'âge » de contribuer à la (re)production de la société, et peut-être même à sa contestation, encore faut-il qu'aux marges se développent des espaces de critique sociale accueillants pour celles et ceux dont « le ticket n'est plus valable (8) ».

Un combat jamais perdu, jamais gagné

À l'heure où le milliardaire Donald Trump, incarnation d'une misogynie débridée, accède au rang d'homme le plus puissant du monde, la nouvelle livraison de Manière de voir (9) arpente le front de « la guerre la plus longue » — selon la formule de l'essayiste américaine Rebecca Solnit : celle menée tout au long de l'histoire contre les femmes. Du Japon à l'ex-Allemagne de l'Est, du Burkina Faso à l'Iran, du monde arabe à l'Amérique latine, où en sont les combats pour l'autonomie, pour le droit à disposer de son corps, pour l'égalité professionnelle ou la parité en politique ? Mais aussi — pour que ces histoires ne soient pas oubliées : comment ont été obtenues l'inscription du principe d'égalité dans la Charte des Nations unies ou, en France, la liberté de contrôler sa fécondité ? Quel usage les suffragettes britanniques firent-elles du jujitsu ? Des textes de référence (Pierre Bourdieu, Christine Delphy, Nancy Fraser, Gisèle Halimi), ainsi que des cartes et des extraits d'ouvrages.

(1) Susan Sontag, « The double standard of aging », The Saturday Review, New York, 23 septembre 1972.

(2) Cf. notamment Danielle Michel-Chich, Thérèse Clerc, Antigone aux cheveux blancs, Éditions des femmes, Paris, 2007.

(3) Benoîte Groult, Mon évasion, Grasset, Paris, 2008, et Une femme parmi les siennes, commentaire de Josyane Savigneau, Textuel, Paris, 2010.

(4) Cf. Catel, Ainsi soit Benoîte Groult, roman graphique, Grasset, 2013, et Benoîte Groult, La Touche Étoile, Grasset & Fasquelle, 2006.

(5) « Vieillir ou le désir de voir demain », dans Une chambre à elle. Benoîte Groult ou comment la liberté vint aux femmes, documentaire d'Anne Lenfant (2005).

(6) Frédéric Morestin et Pascal Dreyer, « “Vieilles peaux” : exploration en terre utopique », Gérontologie et société, no 140, Paris, 2012.

(7) Rose-Marie Lagrave, « L'impensé de la vieillesse : la sexualité », Genre, sexualité & société, no 6, Paris, automne 2011.

(8) Romain Gary, Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, Gallimard, Paris, 1975.

(9) « Femmes : la guerre la plus longue », Manière de voir, no 150, décembre 2016 - janvier 2017, 8,50 euros, en kiosques.

Donald Trump Is the Opportunity Mexico Has Been Waiting for

Foreign Policy - Wed, 08/03/2017 - 14:00
There’s nothing like a parody of a Yankee president to put an end to years of political in-fighting.

SitRep: Wikileaks Says CIA Is In Your iPhone; U.S., Russian, Turkish Generals Meet; New Russian Sub Missiles

Foreign Policy - Wed, 08/03/2017 - 13:48
China Reacts to U.S.; North Korean Tensions; Iranian Losses in Syria; EUCOM Fights off Drones; And Lots More

Si elles disposaient enfin de leur corps ?

Le Monde Diplomatique - Wed, 08/03/2017 - 11:43

Il n'est pas offert à toutes de pouvoir décider du nombre d'enfants qu'elles mettent au monde et d'accoucher sans risques. Bon indicateur de la surmédicalisation ou du défaut de soins, la pratique de la césarienne, très rare au Tchad, concerne près d'un accouchement sur deux au Brésil. En France, la maîtrise de la procréation par les femmes a ouvert le champ de leur sexualité. Les pratiques masculines restent, cependant, plus diverses… ou plus souvent déclarées aux enquêteurs de la statistique nationale.

Les quotas du gotha

Le Monde Diplomatique - Wed, 08/03/2017 - 11:43

Pour justifier les quotas de femmes dans les conseils d'administration, certaines associations patronales estiment que les intérêts des salariées seraient mieux pris en compte et les entreprises mieux gérées. En réalité, cette revendication tend à naturaliser de prétendues qualités féminines, tout en réservant l'émancipation à quelques privilégiées.

Si les dirigeantes économiques restent peu nombreuses en France (15 % des chefs d'entreprises de plus de dix salariés), les organisations qui cherchent à les représenter sont multiples. Excepté quelques tentatives précoces, comme l'association Femmes chefs d'entreprise, fondée en 1945 par Yvonne Foinant, maître de forges et première femme élue dans une chambre de commerce en France (Paris, 1945), les associations de « femmes patrons » se sont multipliées dans le sillage de la loi sur la parité en politique de juin 2000 (lire Gisèle Halimi, « Un référendum pour les femmes »). Elles dénoncent le poids écrasant des hommes dans les instances de décision du monde économique et militent, à partir de 2008, pour l'instauration de quotas d'administratrices, une mesure défendue à l'Assemblée nationale par Mme Marie-Jo Zimmermann, la députée UMP (Union pour un mouvement populaire, rebaptisée Les Républicains) de la Moselle. Trois ans plus tard, la loi dite « Copé-Zimmermann » instaurant une féminisation progressive et obligatoire de ces instances est adoptée. Elle impose aux entreprises de plus de 500 salariés et réalisant 50 millions de chiffre d'affaires l'objectif de 20 % (en 2014) puis de 40 % (en 2017) de femmes au sein des conseils d'administration de plus de huit membres, ou un écart maximum de deux personnes entre les deux sexes au sein des conseils de huit membres ou moins. En août 2014, une nouvelle loi étend ces dispositions aux entreprises de 250 salariés et plus, qui ont jusqu'en 2020 pour atteindre les 40 % de membres d'un même sexe.

Lors des débats parlementaires, cette mesure de « discrimination positive » suscite peu de résistances, comme si la loi sur la parité en politique avait ouvert une brèche, à partir de laquelle il était possible d'élargir le champ d'application. Les critiques des opposants à la mesure —parmi lesquels figurent d'importantes dirigeantes— portent principalement sur trois aspects, déjà présents dans le débat paritaire (1) : la crainte des « femmes-alibis », promues en raison de leur sexe et non pas de leurs compétences ; le manque de vivier et de candidates potentielles ; l'inefficacité de ces mesures. Dénonçant la « parité imposée », Mme Patricia Barbizet, directrice générale d'Artémis, qui est une des administratrices les plus « cumulardes » (parmi ses principaux mandats en 2008 : Air France-KLM, Bouygues/TF1, Total SA), s'est toujours positionnée contre la loi, même après sa promulgation : « En invitant à choisir une personne pour son genre grammatical ou pour le groupe qu'elle est censée représenter, on fait fausse route. Le choix doit être celui de la compétence et de la personnalité » (L'Express, 14 janvier 2010) — supposant que les hommes sont, de leur côté, recrutés uniquement sur le critère de la compétence. La directrice de BNP Paribas Banque Privée France, Mme Marie-Claire Capobanco, exprime les mêmes réserves : « Je ne suis pas favorable aux quotas car imposer un pourcentage, cela ne tient pas compte des qualités de chacun. Le côté “alibi” de certaines nominations me dérange ! » (L'Agefi Hebdo (2), 17 décembre 2009). Ainsi, l'entrée de Mme Bernadette Chirac au conseil d'administration de LVMH et l'admission de Mme Florence Woerth à celui d'Hermès, en 2010, ont pu alimenter certaines craintes.

Les femmes, un « outil de performance » et une « valeur ajoutée » pour l'entreprise

Pour rallier à leur cause, les dirigeantes misent sur le lobbying et sur une expertise française dont les outils et approches ont été forgés aux États-Unis dans les années 1970. Fortes de leurs ressources financières et de leurs carnets d'adresses, elles produisent et diffusent des études démontrant que les entreprises dirigées par des équipes « mixtes » sont plus performantes. La performance économique y est abordée dans sa dimension commerciale (avoir des femmes dans les équipes de direction permettrait aux entreprises de mieux anticiper les attentes des clientes), mais aussi dans sa dimension « sociétale » (l'image de l'entreprise) ou encore financière. Il s'agit donc de promouvoir l'accès des femmes aux postes à responsabilité en raison de l'intérêt économique que représente cette féminisation, naturalisant en cela les qualités « féminines » du management, complémentaires d'un management « masculin ». À la lumière de l'économétrie, les quotas apparaissent donc comme une « bonne affaire » plutôt que comme une cause juste : les femmes sont un « outil de performance » et représentent une « valeur ajoutée » pour l'entreprise, selon le rapport à la commission des lois de l'Assemblée nationale de décembre 2009.

C'est aussi un argument central dans les autres pays européens qui ont adopté (ou dont les projets sont en discussion) des mesures incitatives en la matière (Norvège, Espagne, Islande, Italie, Belgique, Autriche, Pays-Bas, Suède, Grèce, Finlande). Alors que l'Islande subit une débâcle financière en 2008 qui amène le pays au bord de la faillite (3), la dénonciation d'une crise économique « masculine » bat son plein. Deux femmes sont finalement nommées à la tête des banques nationalisées. En Norvège, premier pays à imposer un quota de 40 % de femmes dans les conseils de surveillance des grandes entreprises publiques et privées en 2003, le ministre conservateur promoteur de la loi, M. Ansgar Gabrielsen, déclare que « la diversité, c'est bon pour le business » (rapporté dans L'Express, 14 janvier 2010).

Partant du principe que les femmes et les hommes n'auraient pas les mêmes comportements face à la prise de risques, et dans des directions où il n'y a quasiment pas de femmes, ces excès auraient-ils pu être évités si les directions avaient été mixtes ? Telle est la question que vont poser les dirigeantes mobilisées, pour lesquelles la crise constitue une occasion de promouvoir et légitimer leur cause. Sur son blog, Mme Avivah Wittenberg-Cox parle d'une « crise de la testostérone » (Les Échos, 6 mars 2009). De même, Mme Aude de Thuin, fondatrice du Women's Forum de Deauville, publie une tribune dans Le Figaro. Intitulé « Crise : Messieurs, vous ne pourrez pas faire sans nous ! », ce texte insiste sur les « opportunités » qu'offre la crise pour changer de gouvernance, « parce que la crise n'aurait pas été si grave s'il y avait plus de femmes dans les conseils d'administration » ; et que « se priver de l'approche des femmes, c'est renoncer au principe naturel de pondération et d'équilibre qui découle de la mixité des points de vue » (Le Figaro, 17 octobre 2008). Plus encore, la boutade « Si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, on n'en serait pas là aujourd'hui » connaît un succès particulier : elle est citée dans trente-cinq articles de presse en France entre mars 2009 et décembre 2012 (source : base Europress). Très sérieusement, les spécialistes de neurosciences John Coates et Joe Herbert ont cherché à mesurer le lien entre testostérone et prise de risque dans une étude portant sur… dix individus (4).

Loin d'annuler les stéréotypes, l'accès des femmes aux postes de pouvoir tend à les reproduire

La loi sur les quotas d'administratrices a élevé la France au rang de meilleur élève de l'Union européenne pour la mixité des conseils d'administration de ses plus grandes entreprises. La part des femmes a triplé dans les entreprises du CAC 40, passant de 10 % en 2009 à 34 % en 2015. Le bilan de l'application de la loi que l'on peut dresser est cependant en demi-teinte, et trois éléments restent problématiques.

Tout d'abord, la progression stagne. Selon un rapport d'évaluation de la loi réalisé par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes et le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle, environ 1 300 postes restent à pourvoir dans le millier d'entreprises concernées par la loi. Et, s'il ne manque pas de candidates, « la vraie difficulté est de demander à un homme administrateur qui n'a pas démérité de quitter son siège au profit d'une femme », analyse un trio de chercheurs du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) (Les Échos, 21 septembre 2016). Le rapport met en garde contre les stratégies de contournement de la loi qui commencent à être observées : transformation des sociétés anonymes (SA) en sociétés par actions simplifiées (SAS), structures dépourvues d'organe d'administration, où la loi ne s'applique donc pas ; diminution du nombre de membres des conseils pour augmenter statistiquement la part des femmes ; multiplication des cercles informels où se prennent les décisions…

Ensuite, la progression globale masque la persistance de fortes inégalités. Inégalités entre les entreprises : dans les entreprises non cotées, de taille intermédiaire, entrant dans le périmètre de la loi, le taux de féminisation des conseils tombe à 14 %. Inégalités entre les postes : une présence accrue d'administratrices ne signifie pas qu'on leur confie le pouvoir. Ainsi, en juin 2014, les femmes occupaient 10,3 % des postes dans les comités exécutifs et comités directeurs des sociétés du CAC 40, et 12,1 % dans les mêmes instances des 120 entreprises les mieux cotées en Bourse (SBF 120). De même, lorsque l'on se penche sur les postes détenus par les administratrices dans les comités spécialisés des conseils d'administration, on s'aperçoit que les femmes accèdent peu aux comités les plus prestigieux et les plus stratégiques : elles sont ainsi sous-représentées dans les comités des nominations (qui sélectionnent les futurs administrateurs) et des rémunérations ; elles sont en revanche bien représentées dans les comités d'audit, d'éthique ou de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) (Les Échos, 11 février 2014). En politique comme dans l'entreprise, la parité n'empêche pas que les femmes soient assignées à des places particulières, auxquelles elles accèdent à condition de se soumettre à une définition sexuée de leurs compétences (5). Ainsi, loin d'annuler le jeu des stéréotypes, l'accès des femmes aux postes de pouvoir tend paradoxalement à les reproduire.

Plus largement, la loi prétend que les entreprises dont les conseils sont plus féminisés mettraient en place des mesures plus favorables à l'égalité professionnelle dans l'entreprise. Qu'en est-il réellement ? En quoi et dans quelle mesure la présence de femmes aux postes de décision modifie-t-elle les manières de gérer l'entreprise ? Un plus grand nombre de femmes influence-t-il la prise en compte de leurs intérêts ? L'étude de Richard Zweigenhaft et William Domhoff sur la place des femmes, des minorités raciales ou des homosexuels parmi les élites américaines présente des résultats contrastés (6). Si les femmes et les « minorités » peuvent servir de « charnières » (buffers) et de relais à certaines revendications, les nouveaux entrants (ou entrantes) sont sursélectionnés socialement par rapport à leurs collègues (en termes de diplômes, d'expérience, d'origines sociales). Par conséquent, plutôt que de bousculer les pratiques ou le recrutement, ils pratiquent leur rôle de manière conformiste et légitiment ainsi le système tel qu'il fonctionne. En permettant d'afficher une « ouverture » des élites, ils contribuent paradoxalement à solidifier la stratification sociale.

Des quotas pour promouvoir une égalité pour et par le haut de la hiérarchie sociale

Globalement, en dépit du titre de la loi, il a peu été question d'égalité professionnelle lors de la mobilisation des dirigeantes économiques en faveur des quotas. L'argument économique, central dans ce débat en France et en Europe, en s'attachant aux seuls « avantages » que la mixité représente pour l'entreprise, permet de faire l'économie de l'analyse des phénomènes qui participent à la construction du plafond de verre (dans et hors de l'entreprise) en ne considérant que les « effets » de la mixité plutôt que les causes (de la non-mixité). Les associations de femmes patrons ont plutôt promu une égalité pour et par le haut de la hiérarchie sociale. Cette « égalité par le haut » est envisagée par le législateur comme un déclencheur de l'égalité pour toutes. Mais, comme le souligne l'historienne Geneviève Fraisse à propos de la parité, l'écueil pourrait être que l'égalité par le haut soit uniquement un « féminisme promotionnel » (7) ne profitant qu'à quelques privilégiées.

(1) Cf. Laure Bereni, La Bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, Économica, Paris, 2015.

(2) Groupe de presse économique et financière détenu par Artémis, la holding du groupe de M.François Pinault.

(3) Lire Philippe Descamps, « Des Pirates à l'assaut de l'Islande », Le Monde diplomatique, octobre 2016.

(4) John Coates et Joe Herbert, « Endogenous steroids and financial risk taking on a London trading floor », Proceeding of the National Academy of Sciences, no 105, Washington, DC, 2008.

(5) Catherine Achin et Sandrine Lévêque, « La parité sous contrôle. Égalité des sexes et clôture du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, no 204, Seuil, Paris, septembre 2014.

(6) Richard L. Zweigenhaft et William G. Domhoff, Diversity in the Power Elite, How it Happened, Why it Matters, Rowman &Littlefield Publishers, Lanham (États-Unis), 2006 [1998].

(7) Citée dans Réjane Sénac, L'Invention de la diversité, Presses universitaires de France, Paris, 2012.

J-2 : Politique étrangère, printemps 2017

Politique étrangère (IFRI) - Wed, 08/03/2017 - 10:17

Découvrez la vidéo de présentation du nouveau numéro de Politique étrangère, n° 1/2017, disponible en librairie et en ligne sur le site d’Armand Colin à partir de vendredi 10 mars !

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House Intel Panel Will Investigate Trump’s Evidence-Free Wiretapping Claims

Foreign Policy - Wed, 08/03/2017 - 03:49
As momentum grows to investigate President Donald Trump’s connections to Moscow, questions remain whether a Republican Congress can hold a president of their own party account.

With German Weapons against Yazidis

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Wed, 08/03/2017 - 00:00
(Own report) - The German government's Kurdish protégés in Northern Iraq are using German weapons to attack the Yazidi minority. This has been confirmed by new photo and video documents circulating around the internet for the past few days. These documents depict the Erbil-based Kurdistan Regional Government's (KRG) Peshmerga and its allied militias attacking Yazidis with Dingo infantry mobility vehicles (IMV), G36 assault rifles and other German weapons. The Peshmerga is seeking to round off the KRG territory and annex the region surrounding Shingal ("Sinjar" in Arabic) before the planned secession from Iraq of the regions under Erbil's control. Shingal had been the focus of international attention in the summer of 2014, when the IS/Daesh killed thousands of Yazidis and abducted, enslaved and raped thousands of Yezidis. Yazidis, who have always been harassed and discriminated against by the KRG are now fearing expulsion. For years, Erbil - which Berlin is supporting politically, as well as with training and arms for its Peshmerga - has been systematically expelling Arab speaking inhabitants from the territories under its control. Already in 2015, US observers were accusing the KRG of "ethnic cleansing."

Le tesbih et l’iPhone : islam politique et libéralisme en Turquie

Politique étrangère (IFRI) - Tue, 07/03/2017 - 11:04

Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir avant la sortie officielle du numéro de printemps de Politique étrangère (n° 1/2017), l’article que vous avez choisi : « Le tesbih et l’iPhone : islam politique et libéralisme en Turquie », par Max-Valentin Robert.

« L’influence de la religion sur le comportement économique constitue une thématique de recherche récurrente pour les sciences sociales. Ainsi Max Weber attribuait-il l’apparition du capitalisme à l’émergence de la pensée protestante. Plusieurs décennies plus tard, Gerhard Lenski comparait les attitudes respectives des juifs, des catholiques et des protestants américains à l’égard de l’économie et du travail. Puis, dans un double contexte de réaffirmation confessionnelle et de diffusion du libéralisme après la chute de l’URSS, un ouvrage dirigé par Richard Roberts tenta de réinterpréter les relations des diverses éthiques religieuses à l’économie de marché. En outre, Luigi Guiso, Paola Sapienza et Luigi Zingales ont montré que la religiosité alimentait une interprétation individualisante de la pauvreté, ainsi qu’un attachement au modèle libéral et une certaine hostilité à l’égard du travail des femmes.

Plus spécifiquement, il existe une abondante littérature sur le rapport de l’islam au capitalisme. Celle-ci s’est progressivement détachée des thèses weberiennes (qui percevaient la culture musulmane et l’économie de marché comme étant incompatibles), au profit d’une approche relativisant le poids du facteur religieux. De plus, Rodney Wilson a souligné l’émergence d’une nouvelle interprétation de l’islam, pleinement adaptable au capitalisme. Toutefois, la relation entre islam politique et libéralisme s’avère être moins étudiée. Or le recours à la littérature précédemment mentionnée, bien que nécessaire, ne saurait suffire à analyser le rapport qu’entretient l’islamisme à l’économie de marché (l’islam et l’islamisme correspondant à deux réalités sociales distinctes : religieuse pour l’un, politique pour l’autre). L’islamisme turc s’avère donc être un cas d’étude particulièrement pertinent : en Turquie, la permanence relative de la démocratie permet d’analyser l’évolution du discours économique des partis se revendiquant de l’islam politique.

Necmettin Erbakan et l’« ordre économique juste »

L’hostilité à l’économie de marché est une caractéristique récurrente des mouvements islamistes. Rappelons que le marxisme fut reformulé dans une optique religieuse par certains théoriciens iraniens à la veille de la révolution de 1979. De même, les Frères musulmans égyptiens défendaient initialement un socialisme islamique. Un phénomène similaire a également impacté la Turquie des années 1970 : les idéologies islamiste et
marxiste « convergeaient dans leur opposition au capitalisme et à la domination économique occidentale ».

L’affirmation de l’islamisme turc n’aurait sans doute pas été possible sans l’apparition de Necmettin Erbakan sur la scène politique. Soutenu par le Parti de la Justice (Adalet Partisi – AP) du Premier ministre Süleyman Demirel, cet ingénieur de formation fut nommé en 1966 à la direction du Département d’industrie de l’Union des Chambres et des Bourses de Turquie (Türkiye Odalar ve Borsalar Birligi – TOBB), avant de se voir attribuer un siège au conseil d’administration de cette même institution. Élu secrétaire général de la TOBB en 1967, il tenta de se faire élire à sa présidence en mai 1969. Soutenu par les petits entrepreneurs d’Anatolie, mais perçu avec méfiance par les grands industriels d’Istanbul et d’Izmir, il fut élu mais le gouvernement AP invalida son élection. Erbakan se porta ensuite candidat aux primaires organisées à Konya par la branche locale de l’AP, en prévision des élections législatives du 12 octobre 1969. Écarté par Demirel mais bénéficiant de l’appui des commerçants locaux, l’ex-secrétaire général de la TOBB se présenta en tant que candidat « indépendant », parvint à se faire élire député de Konya, et créa en janvier 1970 le Parti de l’Ordre National (Milli Nizam Partisi – MNP).

[…]

L’éthique musulmane et l’esprit du capitalisme

Comme le rappelle Dilek Yankaya : « L’affinité entre ces deux organisations [l’AKP et le MÜSIAD] se manifeste par leur ambition de représentation politique. L’AKP est le représentant des nouvelles classes moyennes culturellement conservatrices […] et économiquement libérales. Le MÜSIAD se présente aussi comme le porte-parole du “capital anatolien” […]. Ils apparaissent donc comme des organisations jumelles, défendant les intérêts des groupes sociaux pieux en voie de modernisation et sur le chemin d’une ascension sociale en phase avec la globalisation. » On relève d’ailleurs une certaine porosité entre les deux mouvements : lors des élections législatives du 1er novembre 2015, plusieurs membres de cette organisation patronale ont été élus députés (notamment à Konya, Malatya, Elazig et Gaziantep) sous les couleurs du mouvement islamo-conservateur.

La « nouvelle bourgeoisie islamique » a bénéficié d’un contexte politico-économique favorable après la victoire de Turgut Özal et de son Parti de la Mère-Patrie (Anavatan Partisi – ANAP), lequel obtint 45,1 % des suffrages exprimés aux législatives de 1983. Le passage d’un étatisme relativement protectionniste à un libéralisme tourné vers les marchés extérieurs fut au cœur des années ANAP. Özal se faisait le chantre du marché et de la dérégulation, promouvait les PME exportatrices et affichait une certaine europhilie. C’est dans ce contexte qu’émergea, à partir des années 1990, une nouvelle catégorie d’entrepreneurs conservateurs d’origine anatolienne, caractérisés par leur désir de conjuguer éthique islamique et acceptation du libre-échange. Cette bourgeoisie conservatrice affichait une certaine ouverture à l’export, et a constitué le fer de lance du développement des « tigres anatoliens ». Dilek Yankaya remarque l’existence (dans ce milieu) d’un capital social ayant deux capacités fondamentales : une « capacité de marchandisation symbolique pour créer une dynamique de collaboration », et une « capacité de rentabilisation sociale en vue de l’insertion de l’entrepreneur dans les niches économiques ». En témoigne par exemple l’affiliation au MÜSIAD : « Le marché capitaliste oblige l’entrepreneur à prendre des risques dans un environnement compétitif, parfois sans qu’il ait suffisamment de compétences techniques, de sources de financement ou d’informations sur le marché. À cela s’oppose la convivialité du [MÜSIAD] qui, en faisant bénéficier ses membres d’une ambiance non compétitive, solidaire et sincère, favorise l’échange d’expériences et le partage de l’information. » Il ne s’agit pas ici d’un calcul mais d’un qualcul : le choix du partenaire économique ne se fait pas seulement pour des raisons de stricte rentabilité, mais s’effectue aussi à travers la sélection de collaborateurs partageant des qualités communes (en l’occurrence, le respect des valeurs musulmanes).

[…]

En renforçant les prérogatives du pouvoir exécutif, le projet de réforme constitutionnelle actuellement débattu aurait pour conséquence indirecte une accentuation de l’emprise d’Erdogan sur l’AKP (ce qui rendrait difficile l’émergence de tendances dissidentes au sein du parti). L’arrestation, dans la nuit du 3 au 4 novembre 2016, de 12 députés du HDP (Halklarin Demokratik Partisi – Parti Démocratique des Peuples) peut être aussi interprétée comme une velléité de contrôle de l’offre électorale par le pouvoir islamo-conservateur – ce mouvement pro-kurde constituant le principal rival de l’AKP dans les provinces du Sud-Est. L’autoritarisme constituerait donc une ressource pour le Parti de la Justice et du Développement, face à d’éventuels risques de scissions que pourrait alimenter l’hétérogénéité de sa base électorale.

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Tribunes et propositions

Le Monde Diplomatique - Mon, 06/03/2017 - 16:07

Tribunes, opinions

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Divide and Rule

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Mon, 06/03/2017 - 00:00
(Own report) - With today's special summit of four heads of state, Berlin is preparing the EU's transformation in response to the Brexit. The German chancellor will meet in Versailles this afternoon with France's president and the prime ministers of Italy and Spain. Selected southern EU members have been included in alleged leadership meetings with the German chancellor to prevent a southern European bloc from emerging, which could possibly, in the future, put an end to German austerity dictates. With Great Britain's exit, the neo-liberal oriented EU countries are loosing the necessary quorum for a veto in EU bodies. Berlin could also encounter problems with the Eastern European "Visegrád Group," which does not want to support the emergence of a powerful integrated core around a German hub, because it would consolidate a two or even three-class EU. Reinforcement of the EU's anti-refugee border-management and particularly its resolute militarization are emerging as the common denominators for the Union's transformation.

The Politicization of the F-35 Program

Foreign Policy Blogs - Sun, 05/03/2017 - 18:06

The plane that is destined to replace the various types of aircraft flown by NATO forces and its allies might have some problems. The F-35 vertical take-off capable stealth fighter/bomber has been targeted by U.S. politicians for various reasons.

The F-35 will be distributed in various versions to different countries, and in return many of these participating countries will have a role in the global production of the F-35—similar to the multi-national production of the Tornado fighter/bomber or Airbus aircraft in Europe. With the suggestion of using the F-18E or an updated version by President Trump and being put into full effect by the Canadian government, the F-35 program will become a lot messier, and therefore more costly to all countries involved.

Trump suggested to Boeing that an upgraded version of the F-18E should be cost out comparable to the F-35. Many see this as a bargaining tactic, by pressuring Lockheed to lower the price on the future F-35. While a high-tech upgrade with stealth capabilities is possible for the F-18E and even the F-15, it would still lack the capabilities of the next generation F-35 that most likely would need to be invented even with a stealthy F-18E or F-15. While President Trump wishes to make it clear that the U.S. might walk away from the F-35 despite the chaos it would cause, it is most likely a bargaining tactic than an actual plan by the new Administration.

It is possible however to have the new F-18E or F-15, as stealthy prototypes have been produced. But in the end, the technologies that will prevent U.S. pilots from being shot down by S-400 and S-500 missiles is based in future developments of the F-35 platform, leading possibly to a revised F-22 with lower costs and higher production numbers. If lowering the costs of the F-35 works, and this cost reduction is transferred to lowering the costs of future projects like a revised F-35 or F-22, it would be worth the pressure on Lockheed for the U.S. government.

The Canadian proposal to replace the F-35 was a political talking point for years before the current government came into power. The Trudeau eventually decided—without much time or consultation, or even a competition—to buy several F-18Es to supplement its forces while it still pays into the F-35 program. Many in Canada believe that the supplemental planes may be a stepping stone to replace the F-35 altogether.

But with fees still being paid into the F-35 program and no consideration for other candidates like the Dassault Rafale or Saab Gripen, it seems as if there is no constructive arguments for keeping both planes in Canada’s inventory. Several retired generals have also voiced their concerns. This call has fallen on deaf ears despite the fact that F-18Es less advanced than the F-35 and that Canada is opting for newer planes instead of de-commissioned ones that could be updated to save costs. In the end, Boeing has won another round against Dassault and Saab, despite the loss of Canadian jobs and possible loss of future pilots.

All in all, pilots and the people they are protecting are paramount, not the reputation of politicians making political decisions without regard to technical information or the lives of the men and women in uniform.

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Moving Towards a Peaceful Colombia

Foreign Policy Blogs - Sun, 05/03/2017 - 16:48

FARC rebels at a demilitarization “settlement” in La Paz, Colombia in Feb. 2017. After reaching a historic peace treaty with the government, FARC members have agreed to surrender their weapons and finally bring a 50-year war to its end. (Federico Rios Escobar/NY Times)

For over 50 years, the government of Colombia engaged in a brutal, seemingly endless conflict with leftist guerrilla rebels. Last year, President Juan Manuel Santos reached a peace agreement with the leading rebel group, Revolutionary Armed Forces of Colombia (FARC). Beginning in February 2017, scenes played out across the country that many thought they would never see: FARC members peacefully surrendering their weapons, and preparing to return to civilian life under the protection of the military that had been their mortal enemy for decades.

Of course what everyone in Colombia wants to know is, is this peace for real? Is this really the end of a seemingly endless struggle in which hundreds of thousands perished? Is Colombia moving into a new era of acceptance and reconciliation? While the outlook seems positive, the road will not be easy.

Rocky road to peace

The current resolution is not without controversy. The peace accord was driven by Santos, who received the Nobel Peace Prize for his efforts to end the longstanding yet. Under the deal, FARC rebels would report to demobilization zones overseen by UN personnel. They would disarm and begin a transition/reintegration into Colombian society, monitored by the Colombian government. In return, rebels are to be granted full amnesty, though the government promises to launch a “transitional justice” system to address claims of crimes committed during the war.

Santos had compliance of FARC leaders and the best chance for peace in decades. Yet when Colombians voted on the peace accord in an October 2016 referendum, it was rejected. Many felt the deal was too lenient on the rebels, as the amnesty promise meant none of them would see jail time. As described by Helen Murphy of Reuters, “The accord has been heavily criticized by many.”

So what did Santos do? He circumvented the public’s decision, using the country’s Congress to force the agreement into law in November last year. In other words, the president decided “put the deal in front of voters—and then simply sidestep[ped] them when he did not like the outcome.” Not surprisingly, this angered many Colombians. The next presidential election in Colombia is in 2018, and if Santos is not re-elected the entire agreement may be in jeopardy.

FARC rebels complying

Nevertheless, the transition is moving forward. Around 7,000 FARC rebels have abandoned their remote jungle and mountain encampments and arrived at 26 demilitarization zones throughout the country within the last month. On February 20th, Santos announced that the rebels would begin to surrender their weapons, with UN-overseen disarmament expected to be completed by June.

As a symbol of remembering but moving on from the past, weapons will be melted down and shaped into war monuments. FARC also plans to transition into a leftist political party that could be included in the government it has so long opposed. Families separated for decades by the conflict are reuniting.

Second peace treaty in the works

Also in Feb. 2017, Santos began negotiations with a second prominent rebel group called the National Liberation Army (ELN). An agreement similar to the one reached with FARC is on the horizon, and ELN negotiators stated that the prospect of ending their decades-long conflict with the Colombian government “gives us hope.” However there is still work to be done—on February 20th Colombian authorities held ELN responsible for a bomb that exploded in Bogotá near a bullring, injuring dozens of police officers.

A better future

While the mechanics of the move toward peace have not been smooth, it seems that Colombia is moving closer to peace now than ever before. Whenever enemies become neighbors there will be hostility and uncertainty. But both sides seem to genuinely want the disarmament and reintegration to succeed. Generations of Colombians have only known war, and to see rebels turning in their weapons without opposition (mostly) is a truly incredible accomplishment. The Colombian government, FARC, and the UN now must make sure it sticks. There is too much at stake.

The transition may not be perfect, but there is no question it will lead to a better future for all Colombians. It really does seem that a new era has arrived.

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The U.S. Should Get Rid of Its President(ial System)

Foreign Policy Blogs - Sun, 05/03/2017 - 16:41

American Democracy at a Crossroads | Photo: Geoff Livingston

When John Yoo—a former Justice Department attorney known for writing legal memorandums on enhanced interrogation tactics—worries about executive overreach, you know things are truly getting serious. In a recent New York Times op-ed, Yoo argued that the Trump Administration was overstepping its bounds in pushing through several executive orders, among them the controversial immigration ban on seven Muslim-majority countries.

Yoo’s main claim to fame involves his authorship of the so-called torture memos during his tenure at the Justice Department. Unsurprisingly then, he has been a consistent advocate of the idea that the U.S. President has almost unlimited discretion over a vast array of policy issues. But even for Yoo, Donald Trump appears to be taking things too far.

Yet, when taking a step back, the Trump Administration’s conveyor belt of executive orders is but an extension of a general trend in American politics. Successive presidents have assumed greater and greater powers vis-à-vis Congress. In fact, that trend is one among many signs that the country’s governmental system is no longer adequate to actually govern effectively. The American presidential system no longer functions.

When it comes to political structure, the United States has always been something of an outlier. Most industrialized countries run parliamentary systems—think Westminster in the UK or the Bundestag in Germany. The crucial difference between parliamentary and presidential systems is the separation between the legislative and executive branches. In the former, these are interlocked to a certain degree, while in the latter, they constitute independent entities.

As political scientist Juan Linz laid out in his seminal 1990 paper, “The Perils of Presidentialism”, there are significant conceptual problems with presidential systems. Among these, the crucial aspect is political legitimacy. Linz explains that

“in a presidential system, the legislators, especially when they represent cohesive, disciplined parties that offer clear ideological and political alternatives, can also claim democratic legitimacy. This claim is thrown into high relief when a majority of the legislature represents a political option opposed to the one the president represents. Under such circumstances, who has the stronger claim to speak on behalf of the people: the president or the legislative majority that opposes his policies? Since both derive their power from the votes of the people in a free competition among well-defined alternatives, a conflict is always possible and at times may erupt dramatically.”

For the longest time, the U.S. has been able to escape these structural issues precisely because legislators have not represented cohesive and disciplined parties with clear ideological outlines. In fact, to the European eye, the two major American political parties hardly represented parties at all, but rather appeared as loose coalitions designed to capture voters. Yet, since the 1960s, the traditional underpinnings of the American party landscape have progressively eroded.

The civil rights era of the 1950s and 60s brought with it a process of ideological separation between Democrats and Republicans. In the U.S. Senate today, there is not a single Republican to the left of the most conservative Democrat. Due to the effects of gerrymandering and practically non-existent campaign finance restrictions, the effect has arguably been even more pronounced in the House. In addition, primaries ensure that politicians are often threatened most by ideological challengers from the left and right (but mostly the right) during election season.

The result is what we are currently seeing in American politics. The system was built precisely on the notion of checks and balances. Yet, these balances are what is producing the kind of gridlock and attrition that ultimately leads to a drift towards executive power. In the best of times, the same party controls both the White House and Congress. As we saw in 2009 with the passing of Obamacare, a lot of things can get done when that happens. But with two-year election cycles, the American norm is for divided government to predominate. It is no wonder, then, that paralysis takes hold in Washington. The product is a do-nothing legislature that attracts the ire of the electorate.

In this situation, the president will have an incentive to make policy by executive fiat in order to advance his (and someday her) agenda. But that is not a role that the White House has traditionally played. In any case, executive orders can only go so far. The Trump Administration has already rolled back a series of Obama era orders. If legislative stability is one of the hallmarks of a functioning democracy, this system is close to its antithesis.

In 2014, Francis Fukuyama wrote in Foreign Affairs that American politics is in decay. He explained that “political decay […] occurs when institutions fail to adapt to changing external circumstances, either out of intellectual rigidities or because of the power of incumbent elites to protect their positions and block change.” As a shorthand for the problems pestering the American political system, he coined the term vetocracy. In essence, there are too many choke points that nip legislative action in the bud. In addition to the split between Congress and the White House, there is the filibuster in the Senate. The states remain powerful, with their own (mostly bicameral) legislatures and state supreme courts. The archaic electoral college has meant that two out of the last three presidents actually lost the popular vote, while giving a handful of swing states massive electoral power.

The situation is not exactly helped by the fact that the U.S. tries to run a modern country on the basis of a 1789 constitution (albeit with a number of amendments). Here, massive conflicts are all but guaranteed. These occur perennially when constitutional originalists such as Clarence Thomas or the late Antonin Scalia—and indeed current Supreme Court nominee Neil Gorsuch—try to superimpose the original text of the constitution on contemporary political issues. It is hardly conceivable that the founders would have been able to foresee the nature of the current American political crisis. From their perspective, the fact that an overabundance of checks and balances would constitute the heart of the problem would have probably seemed outlandish.

But the United States is quickly finding out that its old revered institutions are coming apart at the seems precisely at a moment when long-held norms are also under threat. In fact, failing institutions and norm erosion might well be correlated.

Shortly before last year’s presidential election, Daron Acemoğlu wrote that American politics was in an iconoclastic phase, and that the “icons being targeted are the moral foundations of [American] democracy.” But another icon is the American system of government itself. If the U.S. constitution could be rewritten tomorrow, a set of 21st century founding fathers and mothers would be well advised to scrap the presidential system and put a parliamentary one in its stead. Of course, the structural problems dogging the United States would remain. Still, a more nimble and simple system would mean American government would no longer be part of the problem, but part of the solution.

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South Korea’s Strategic Importance Forgotten Amidst the Trump-Abe Honeymoon

Foreign Policy Blogs - Sun, 05/03/2017 - 16:28

Secretary Tillerson, South Korean Foreign Minister Yun, and Japanese Foreign Minister Kishida, pose for a photo before their Trilateral Meeting in Bonn. (U.S. Department of State)

After vaunting his “bromance” with President Donald Trump through an extended 27-hole golf tour at Mar-a-Lago, Japanese Prime Minister Shinzo Abe was reassured of the trump administration’s “100%” commitment to the U.S.-Japan alliance. The friendly remarks made in response to North Korea’s ballistic missile test (Feb. 12th) indicates that Mr. Abe’s quick-witted tributary diplomacy has paid off.

Despite the “very good” bilateral “chemistry” shown at the joint press conference, however, there was no mention of South Korea, even though the North Korean enigma ought to be resolved in the context of the trilateral alliance and multilateral negotiations (six-party talks).

The proactiveness of Mr. Abe’s Machiavellianism, which has quickly adapted to a new global order ahead of other U.S. allies in Asia, surely offers meaningful reflective lessons, especially for South Korea. While the impeachment of President Park Geun-hye paralyzed South Korea’s diplomatic control tower at the cost of strengthening democracy, Japan worked to strengthen Mr. Trump’s trust by successfully fulfilling a strategic transaction palatable to Mr. Trump’s realpolitik.

To keep up with this development, it is imperative that, in a concerted effort to defy the vacuum in political leadership, South Korean Acting President Hwang Kyo-ahn and legislative leaders reach a consensus in transmitting clear bipartisan messages to the Trump administration during its initial phase of formulating Asia-Pacific policies.

The Trump-Abe honeymoon signaled to the U.S.’ Asian allies that the Trump administration’s engagement strategy in the Asia-Pacific region (at least as concerns security issues) will not diverge much from the conventional foreign policy framework. However, recent developments have left the impression that Mr. Trump’s possible “rebalance of the Bush era’s extreme bilateralism” could eschew the de jure equality of, in particular, the current trilateral security cooperation in Northeast Asia, by establishing informal, de facto inequality between the bilateral alliances.

South Korean pundits have been apprehensive of such a worrisome prospect. The U.S. perception that Japan’s material capabilities are stronger than those of South Korea could bring about an informal hierarchy of alliances, under which the “U.S.-ROK” alliance is relegated to a subordinate position to the U.S.-Japan alliance.

For the U.S., containing China’s ascension to regional hegemony by supporting Japan’s increasingly hard-hedging tendencies against China could be conceived to be a cost-effective way of implementing the Ballistic Missile Defense System in Asia on behalf of its allies. This seems to be an inevitable choice, given that China is often held to deviate from its assumed responsibilities commensurable to its rising status.

Indeed, China’s ethno-centric vision for Asian integration, which aims to transform ASEAN into a polarized security community, is in many ways undesirable for its developing neighbors, for whom the U.S.’ maritime protection of trade routes (freedom of navigation) is crucial. In addition, China’s mimicry of U.S.’ “hub-and-spoke” strategy, which lacks a multilateral consensus, links trade too excessively to diplomatic disputes, and thereby stifles neighbors’ political autonomy.

Nevertheless, these circumstances do not necessarily entail that cooperation between the U.S. and China is infeasible. As the Secretary of State during the era of détente, Henry Kissinger, noted, “If the Trump administration, in the first year or so, can really engage with China strategically in a constructive and comprehensive way, President Trump and [Chinese] President Xi [Jinping] will find that the incentives for cooperation are much greater than for confrontation.”

Considering the fact that an escalation of tensions between the two superpowers is avoidable, as long as the leaders do not fall into the trap of heuristic decision-making, it is unwise to unilaterally rely on Japan-led hard-edging as the only possible strategy against China’s rise. Instead of unilaterally central-planning the regional order in Asia according to U.S.-Japan relations, the U.S. should recognize the strategic importance of other allies, thereby maintaining a variety of strategic options.

South Korea’s strategic choices contribute—although the country still lacks the major-power capacity to exert influence at the regional level—to defining the future orientation of the Korean peninsula and, in the long-run, maintaining the balance of power between the U.S. and China, in case the power competition between the two superpowers intensifies.

A recently released CFR discussion paper authored by renowned experts on Korea Scott A. Snyder and his associates insightfully and succinctly assess South Korea’s national interests and the constraints the country faces in striving to achieve its interests, and the strategic options that the country can exercise under the constrained circumstances.

The paper points out that the country has interests in defending itself from North Korea, minimizing fallouts from the power competition between the U.S., China, and other major powers, securing maritime trade routes, and reunifying the Korean peninsula. However, South Korea’s strategic behaviors chosen to achieve these interests are constrained by the uncertainty surrounding North Korea’s nuclear development, the country’s geopolitical locus, being a theater of power competition among the super- and major powers, and the export-oriented economy’s trade dependency and vulnerability to the international market.

The paper expects that the gradual changes in regional geopolitical environment will lead South Korea to simultaneously pursue (soft) hedging, regionalizing, and networking. Unless game-changing regional upheavals occur in East Asia, South Korea will carry on with its current (soft) hedging strategy in response to China’s rise by acceding to some of China’s terms, while strengthening the U.S.-ROK alliance. Meanwhile, the country will continue to regionalize with its East Asian and ASEAN neighbors to create multilaterally institutionalized security mechanisms by promoting regional peace and cooperative initiatives. It will also network among super- and major powers to promote its role as a conflict mediator.

Nevertheless, the middle power is less likely to risk the U.S.-ROK alliance by accommodating China’s hegemonic interests. It will strike a balance between the U.S. and China unless tensions escalate but cannot perpetually remain neutral between the two polarities for geopolitical reasons.

Reflecting South Korea’s likely and unlikely strategic options, the paper ends by suggesting that “the United States should recognize that South Korea’s hedging posture contributes to stability in Northeast Asia by mitigating China’s fear that the U.S.-ROK alliance might be directed against China.”

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In Chad and Cameroon, Security Council hears of Boko Haram terror and survivors' needs

UN News Centre - Sat, 04/03/2017 - 06:00
The United Nations Security Council is today in Chad, as part of a four-country visit &#8220to shine a spotlight&#8221 on the ongoing humanitarian challenges in the Lake Chad Basin region and draw international attention to the plight of about 11 million people.

UN aid chief calls for access, funds to prevent spread of South Sudan's famine

UN News Centre - Sat, 04/03/2017 - 06:00
Hundreds of thousands of people in South Sudan will starve unless relief workers gain access to needy populations and more funding is raised, the United Nations Emergency Relief Coordinator today warned after meeting malnourished children who fled the raging conflict in the country.

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