Le nouveau numéro de Politique étrangère (1/2017) vient de paraître ! Il consacre un dossier complet aux crises de la démocratie, tandis que le « Contrechamps » propose et oppose deux visions de la réalité russe : vivre avec la Russie ou lui faire face ? Enfin, comme à chaque numéro, de nombreux articles viennent éclairer l’actualité, comme Trump et l’avenir de la politique commerciale européenne ou encore l’espace eurasiatique tel qu’envisagé par la Chine.
De l’élection de Donald Trump aux dérives politiques de plusieurs régimes d’Europe de l’Est, en passant par les débats de Nuit debout et les critiques du déficit démocratique européen : les régimes démocratiques paraissent aujourd’hui moins légitimes, leur pérennité moins assurée. La juste mesure des crises de la démocratie est essentielle : un nouveau monde idéologique s’ébauche, une hiérarchie des puissances inédite se dessine, et les représentations du monde qui ont prévalu depuis 20 ans s’épuisent. Le dossier de Politique étrangère fait écho aux débats très actuels sur les forces et faiblesses des démocraties.
Les relations avec la Russie posent justement question à la fois dans le champ diplomatico-stratégique et dans le champ idéologique. Moscou est-elle une nouvelle puissance dominante ? Est-elle La Mecque des opposants à la démocratie libérale ? Bref, ses nombreuses faiblesses limitent-elles l’efficacité russe, ou la poussent-elles à privilégier la logique de force face à des démocraties affaiblies ? La rubrique « Contrechamps » propose deux visions de la réalité russe et des stratégies imaginables pour demain : vivre avec la Russie, ou lui faire face ?
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Au cours de la campagne électorale de l'automne dernier, le parti Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS) a profité de la crise migratoire européenne pour attiser la xénophobie. « Regardez la Suède ou la France : il y a des zones où règne la charia et où des patrouilles veillent à son application ! Voulez-vous que ces phénomènes apparaissent chez nous ? », a lancé le président du PiS, M. Jarosław Kaczyński, le 16 septembre 2015. Au cours d'un meeting, le 12 octobre, il a même accusé les migrants d'être « porteurs du choléra et de parasites ». « Les Polonais voyagent et voient à quoi mène l'immigration, assure Aleksańdra Rybinska, journaliste à l'hebdomadaire wSieci, proche du PiS. Le multiculturalisme ne fonctionne pas, alors ils ne veulent pas de cela ici. Le gouvernement précédent avait dû accepter sept mille migrants. C'est déjà trop. »
Tunisien, M. Aziz W. réside à Varsovie depuis six ans. Cuisinier, il a le visage glabre, parle polonais, trinque avec ses amis polonais, mais se sent malgré tout rejeté par sa terre d'accueil. « C'est très dur, confie-t-il. Des regards de travers ; des jeunes qui, à l'arrêt de bus, me disent : “Rentre chez toi, terroriste musulman !” Plusieurs fois, je me suis fait agresser. »
Né au Sénégal, M. Mamadou Diouf vit en Pologne depuis plus de trente ans. « En 2007, j'ai demandé et obtenu la nationalité polonaise. Le PiS était alors au pouvoir ; je craignais qu'il ne m'expulse. » Animateur d'une fondation sur l'Afrique (Afryka.org), M. Diouf participe à des débats dans les médias et intervient dans des écoles. « Difficile de lutter contre les préjugés, déplore-t-il. Le mot “nègre”, murzyn , est couramment employé. De vieux romans et poèmes racistes sont connus de tous les écoliers. Alors, j'explique que la biologie humaine est contre l'homogénéité, que la Grèce et la Rome antiques ont bénéficié des contacts avec leurs voisins... Sincèrement, comment un Polonais peut-il être fasciste, compte tenu de l'histoire de ce pays et de l'importance de sa diaspora à travers le monde ? »
Pays sans passé colonial, où les frontières fluctuantes et les meurtrissures de l'histoire ont contribué à confondre polonité, blancheur de peau et catholicisme, la Pologne ignore le multiculturalisme. Il existe bien quelques minorités (germanophones, Ukrainiens, Juifs, Tatars musulmans), mais peu d'immigrés extra-européens : des commerçants vietnamiens arrivés dans les années 1970, environ cinq mille ressortissants africains et, désormais, des migrants acceptés au compte-gouttes. La plupart des Polonais entendent préserver cette homogénéité : seuls 4 % estiment que leur pays devrait accueillir des migrants, selon un sondage réalisé en janvier par l'institut CBOS. Les attentats de Paris et les agressions sexuelles de Cologne ont pu conforter cette xénophobie. « L'Allemagne va devenir une république islamique », nous déclare spontanément un militant du PiS. Les graffitis antisémites, les croix celtiques fascistes, souvent tracés par des groupes de supporteurs de football, sont courants sur les murs des villes. « Il existait déjà de l'antisémitisme, alors qu'il n'y a quasiment plus de Juifs depuis la Shoah, déplore Mme Marta Tycner, militante du parti de gauche Ensemble (Razem). Voici maintenant la xénophobie sans immigrés ! »
Vainqueur des élections d'octobre 2015, le parti conservateur polonais Droit et justice (PiS) multiplie les démonstrations d'autoritarisme. La Commission européenne a lancé en janvier une « procédure de sauvegarde de l'Etat de droit ».
Mineurs au musée de Silésie à Katowice (scénographie) Les photographies qui illustrent ce reportage sont de Cédric Gouverneur.A la permanence Solidarność de la mine Pokąj (« paix »), à Ruda Sląska, en Silésie, M. Adam Kalabis, 46 ans, physique de catcheur et cheveux ras, nous propose un thé. Ses énormes pognes sont encore un peu noires de charbon : voilà une demi-heure, il se trouvait encore à huit cents mètres sous terre. « Ici, il y a quatre mille salariés, dont une moitié de mineurs, détaille-t-il. J'y travaille depuis l'âge de 18 ans. J'ai commencé par porter des sacs de charbon. Là, je suis à la maintenance. » Ce géant se dit « usé par la mine » : « J'espère ne pas finir comme mon père : retraité à 45 ans, décédé un an plus tard. » La retraite, M. Kalabis, lui, n'est pas près de la voir : « Dans son calcul, le gouvernement précédent a invalidé les jours de congé maladie et ceux où je donnais mon sang. » Certains mineurs ont pris l'habitude de donner leur sang afin de se voir octroyer une journée de repos... « Les libéraux ont même cessé d'inclure les années passées sous les drapeaux des gars qui avaient fait leur service militaire du temps des communistes ! »
M. Kalabis travaille pour la compagnie publique KW « sept heures et demie par jour, cinq jours par semaine, pour 2 900 złotys », soit moins de 700 euros. « Mon salaire a augmenté de 150 złotys [34 euros] en quinze ans. Et encore, je ne suis pas à plaindre. La veuve d'un ami, tué par le coup de grisou de Halemba [23 morts en novembre 2006], a touché six mois d'indemnités, et puis plus rien ! » Il serre ses poings de lutteur : « Dans ma famille, tout le monde était mineur, depuis des générations. Mais je suis le dernier. Ma femme nettoie les WC publics. Un “contrat-poubelle”, 800 złotys [180 euros] par mois à plein temps ! » Les « contrats flexibles » sont en effet surnommés « contrats-poubelle » par ceux qui les subissent.
Contre « un monde de cyclistes et de végétariens »« C'est dur de trouver un travail fixe, soupire le mineur. Voilà pourquoi les jeunes filent à l'étranger. » Depuis l'entrée du pays dans l'Union européenne, en 2004, au moins deux millions de Polonais ont émigré, notamment au Royaume-Uni. « Mon fils et ma fille rêvent de vivre en Angleterre. Le capitalisme, c'est bien pour ceux qui savent faire du business, pas pour les autres », conclut M. Kalabis en haussant les épaules. Une décoration hétéroclite est punaisée au mur du local syndical : la bannière de Solidarność, les armoiries de la Pologne — un aigle blanc couronné sur fond rouge —, l'inévitable portrait du pape Jean Paul II, la photographie — dédicacée — d'un champion de boxe local et... le calendrier 2016 du parti Droit et justice (Prawo i Sprawiedliwość, PiS).
Affiche de Solidarność pour les élections du 4 juin 1989Mineur et délégué syndical Solidarność, M. Kalabis milite aussi pour ce parti situé à la droite de la droite. D'ailleurs, Solidarność a appelé à voter pour le candidat du PiS, M. Andrzej Duda, à l'élection présidentielle de mai 2015. Lors des élections parlementaires qui ont suivi, le syndicat n'a pas donné de consigne, mais tout le monde a compris le message... « Je suis catholique, mais ce n'est pas la raison de mon engagement. Le PiS, ce sont les seuls qui nous soutiennent, ils sont proches des gens. Après le coup de grisou de Halemba, le président Kaczyński (1) était venu nous voir ; ça m'avait touché. » A l'inverse, M. Kalabis exècre les libéraux de la Plate-forme civique (Platforma Obywatelska, PO), parti de centre droit au pouvoir de 2007 à 2015. Le mineur dit avoir été « choqué » par la présence du président Bronisław Komorowski aux funérailles du général Wojciech Jaruzelski, le dirigeant communiste de la République (1981-1989) qui avait réprimé Solidarność. Et il n'a pas digéré que le gouvernement PO envisage sans concertation, en janvier 2015, la fermeture de mines : « J'ai appris la fin prochaine de mon puits à la télévision ! », enrage-t-il. Il en est persuadé : l'ancien premier ministre PO Donald Tusk, devenu président du Conseil européen, « veut fermer toutes les mines, alors que le PiS a juré de les préserver ». « La plupart des collègues votent pour le PiS », conclut-il.
Le 25 octobre 2015, le PiS remportait les élections parlementaires (Diète et Sénat) avec 37,6 % des suffrages, contre 24,1 % pour les libéraux et 8,8 % pour les populistes de Kukiz'15. N'ayant pas franchi les seuils requis (5 % pour un parti, 8 % pour une coalition), le camp progressiste n'a eu aucun élu (2). La gauche, divisée entre Gauche unie et Ensemble (Razem), mais aussi victime du phagocytage de ses idées sociales par la droite réactionnaire, est absente du Parlement. Quelques mois auparavant, en mai 2015, l'élection présidentielle avait donné un avant-goût de cette lame de fond conservatrice : le président sortant, le libéral Komorowski, avait été battu au second tour par M. Duda, un quasi-inconnu.
Malgré nos demandes répétées, aucun responsable du PiS n'a accepté de nous rencontrer (3). Un savoureux entretien avec le ministre des affaires étrangères Witold Waszczykowski paru dans le tabloïd allemand Bild (3 janvier 2016) donne cependant un aperçu de l'idéologie de ce parti : « Comme si le monde devait évoluer, selon un modèle marxiste, dans une seule direction : vers un mélange des cultures et des races ; un monde de cyclistes et de végétariens, qui n'aurait recours qu'à des énergies renouvelables et combattrait toute forme de religion. Tout cela n'a rien de commun avec les valeurs traditionnelles polonaises. Cela va à l'encontre de ce que la plupart des Polonais ont à cœur : tradition, conscience historique, amour de leur pays, foi en Dieu et vie de famille normale, avec un homme et une femme (4). »
Le choix entre un emploi précaire et l'émigrationCependant, le conservatisme n'est pas la seule motivation des électeurs du PiS. Ils se recrutent dans la Pologne du déclassement et de la précarité, celle qui se cache derrière les bons indices macro-économiques (voir les « Repères »). La Pologne des petites gens qui, comme M. Kalabis et sa famille, ont pâti des réformes ultralibérales et n'ont souvent de choix qu'entre un « contrat-poubelle » à 200 euros et l'émigration. La Pologne spécialisée dans la sous-traitance de produits bas de gamme pour les grands groupes européens, notamment allemands. La Pologne des retraites à moins de 300 euros par mois. Nationaliste, clérical, protectionniste et xénophobe (lire « Xénophobie réelle, immigrés fantômes »), le PiS a su attirer tous ces déçus par un ambitieux programme social : une allocation mensuelle de 500 złotys (115 euros) par enfant, financée par la taxation des banques et des grandes surfaces ; un salaire minimum horaire ; et même le retour à la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, alors que les libéraux comptaient la porter à 67 ans.
Politiste, professeur à l'université de Varsovie, Radosław Markowski a étudié l'évolution du PiS : « Lorsqu'ils étaient au pouvoir entre 2005 et 2007, ils étaient conservateurs, mais libéraux sur le plan économique. Ils sont devenus de plus en plus populistes, xénophobes et eurosceptiques ; un nationalisme catholique, agrémenté d'un programme socialisant. » Il range les électeurs du parti en trois catégories : « D'abord, ceux que j'appelle “la secte de Smolensk” : des gens convaincus que le crash d'avril 2010 (5) était le fruit d'un complot de Donald Tusk et de Vladimir Poutine. Ensuite, les catholiques pratiquants, dont la connaissance du monde se résume souvent à ce que leur raconte le curé — un tiers des Polonais pratiquants ont fait l'expérience de la propagande politique à l'église. » Et enfin, les gens modestes attirés par le programme social du parti : « Le PiS a su déceler les attentes des ouvriers, des paysans... » L'abstention — près de 50 % — a fait le reste.
Manifestation en faveur de la démocratie, Gdańsk, janvier 2016Sociologue au think tank de gauche Krytyka Polityczna (« La critique politique »), Jakub Majmurek analyse les facteurs qui ont conduit au rejet des libéraux : « La PO est restée aux commandes huit ans. C'est long pour une jeune démocratie. La première ministre Ewa Kopacz, qui a succédé en 2014 à Donald Tusk, parti pour Bruxelles, manquait de charisme. » Surtout, les libéraux ne se sont jamais relevés de l'« affaire des écoutes ». En juin 2014, l'hebdomadaire conservateur Wprost publie des conversations privées de proches du pouvoir enregistrées par des serveurs d'un grand restaurant de Varsovie. Le vocabulaire graveleux des convives, leur connivence et leur suffisance ont anéanti l'image de la supposée plate-forme « civique » : « Après cela, ils ont été perçus comme des élites coupées des réalités », raconte Majmurek.
Il souligne aussi l'« autosatisfaction » des libéraux : « Les leaders de la PO sont relativement âgés ; ils ont vécu le communisme, les pénuries. Leur discours récurrent était : “Regardez quel bond a fait la Pologne !” Un discours inaudible pour les jeunes : ils n'ont pas connu cette époque. Et lorsqu'ils vont travailler en Europe de l'Ouest, ils constatent que les salaires y sont bien meilleurs. A Berlin, les loyers sont un peu plus élevés qu'à Varsovie, mais les gens gagnent trois fois plus. Les aspirations de la jeunesse polonaise sont très fortes. » Et ses frustrations, à l'avenant.
Chef d'entreprise âgé de 34 ans, M. Paweł Michalski nous reçoit à Bytom, une ville de Silésie sinistrée depuis la fermeture des puits de mine. Rideaux de fer baissés, retraitées qui font la manche... « Ici, il y a 20 % de chômage », soupire le jeune entrepreneur. Il milite au mouvement Kukiz'15, un parti iconoclaste, populiste, « antisystème », fondé sur son nom par M. Paweł Kukiz, un ancien rocker, et infiltré par l'extrême droite ultranationaliste. M. Kukiz a réuni pas moins de 20 % des électeurs au premier tour de l'élection présidentielle de mai 2015, et son mouvement constitue désormais la troisième force politique du pays, devant la gauche. Candidat de Kukiz'15 aux législatives, M. Michalski a récolté 15 % des voix à Bytom. « Les jeunes émigrent, soupire-t-il. En Angleterre ou en Allemagne, c'est facile de travailler. Ici, une amie infirmière gagnait 1 700 złotys [moins de 400 euros] par mois : impossible de vivre avec ça ! C'est une honte. Alors, elle est partie en Allemagne. » M. Michalski se dit « favorable au libre marché », mais soutient le projet du PiS d'octroyer 500 złotys par enfant : « Les gens sont trop pauvres, il faut les aider. » Quant à la présence d'ultranationalistes au sein de son parti, il préfère la minorer : « Vous savez, il y a de tout, à Kukiz... »
Grand ménage à la tête des médias publicsM. Robert Piaty, 33 ans, a beau avoir étudié la science politique, il enchaîne les « contrats-poubelle ». Actuellement, il travaille à Katowice dans un centre d'appels pour 1 400 złotys par mois, soit 320 euros. « La moitié de mes amis sont partis en Angleterre. Moi-même, j'y ai vécu six mois ; je gagnais 1 200 euros par mois. » Il appartient au syndicat Sierpien 80 (« Août 1980 », en référence à la grève de Solidarność) et vote pour le parti de gauche Ensemble (3,6 % des suffrages), qui se veut le Podemos polonais. Mais il comprend que de jeunes précaires votent pour le PiS, dans l'espoir de bénéficier de son programme social : « Ils ont promis un salaire minimum horaire dès juillet 2016. » En attendant de tenir ses promesses sociales, le PiS donne un tour de vis aux institutions : entre Noël et la Saint-Sylvestre, le nouveau gouvernement a nommé cinq juges au sein de la plus haute instance judiciaire, le Tribunal constitutionnel, fait voter une loi modifiant son fonctionnement et licencié les directions des médias publics. Ce n'est pas tout : en mars, une loi devrait faire du ministre de la justice le nouveau procureur général. Depuis la mi-décembre 2015, plusieurs dizaines de milliers de Polonais ont manifesté à l'appel du Comité de défense de la démocratie (KOD). Et, fait sans précédent dans l'histoire de l'Union européenne, la Commission de Bruxelles a lancé le 13 janvier à l'encontre de Varsovie une « procédure de sauvegarde de l'Etat de droit » : une enquête préliminaire afin de déterminer si la Pologne contrevient aux principes démocratiques.
« La démocratie polonaise se porte très bien », estime Aleksańdra Rybinska, journaliste à wSieci. A la mi-janvier, la couverture de cet hebdomadaire de droite présentait sous le titre « Conspiration contre la Pologne » un photomontage associant la chancelière Angela Merkel et le président du Parlement européen Martin Schulz au partage de la Pologne en 1772. Rybinska justifie la politique du PiS : « La PO avait nommé ses propres juges peu avant de perdre les élections. Le PiS n'aurait donc pu passer aucune loi. Quant aux nominations dans les médias, c'est l'usage ici : en 2008, des confrères de droite ont été licenciés sur ordre de la PO. Cela n'avait alors pas offusqué les Occidentaux... La vérité, c'est que le PiS représente tout ce que les soixante-huitards au pouvoir en Europe détestent. L'Occident pensait que la Hongrie de Viktor Orbán serait une exception ; et maintenant, c'est à la Pologne de se tourner vers les valeurs traditionnelles. Bruxelles a peur des forces conservatrices. »
Peu de jeunes parmi les défenseurs de la démocratie« Les partisans du PiS estiment qu'ils ont été méprisés, persécutés par les élites libérales, analyse Majmurek. Leurs leaders étaient un peu plus jeunes que les libéraux, alors ils ont été moqués, surnommés “les Pampers” ! D'où leur ressentiment envers la classe politique. Après leur traversée du désert, ils estiment que leur temps est venu. Ils veulent leur revanche. »
Veste mauve, boucles d'oreilles et catogan, le décontracté Mateusz Kijowski, 47 ans, personnifie tout ce que le PiS rejette. Ce spécialiste des technologies de l'information a fondé le KOD sur le réseau social Facebook, en novembre dernier. « En quelques jours, nous étions 55 000 inscrits », dit-il en souriant. Il revient de Strasbourg, où, raconte-t-il, la délégation du KOD a reçu « un très bon accueil des eurodéputés libéraux, socialistes et Verts ». En cette mi-janvier, il s'apprête à organiser une seconde vague de manifestations « dans 46 villes, et auprès de la diaspora polonaise en Europe ». Nous lui montrons une vidéo d'extrême droite circulant sur Internet qui accuse le KOD d'être financé par le milliardaire américain George Soros : « Malheureusement, non ! s'esclaffe-t-il. Sérieusement, personne ne s'attendait à ces atteintes aux libertés. Au cours de la campagne, le PiS n'en a pas parlé. Il agit comme si un mandat lui donnait tous les droits, comme si la démocratie signifiait le pouvoir absolu de la majorité électorale. Il s'en prend au principe fondamental de l'Union européenne qu'est la séparation des pouvoirs. Nous voulons défendre nos libertés. »
Le samedi suivant, à Gdańsk, environ deux mille sympathisants du KOD se sont rassemblés place Solidarność, devant les chantiers navals. Ils piétinent dans la neige pour se réchauffer. Leurs pancartes appellent à la défense de la démocratie. Une caricature compare le nouveau patron de la télévision publique TVP, M. Jacek Kurski — un natif de Gdańsk, surnommé « le pitbull du PiS » —, à M. Jerzy Urban, porte-parole honni de l'ancien régime communiste. Les manifestants agitent des drapeaux polonais, européens et même quelques étendards LGBT (6) arc-en-ciel. Certains arborent le masque blanc adopté par les Anonymous. Un drone survole la place et filme les manifestants. Narquoise, la foule salue le mouchard volant.
« C'est notre devoir d'être ici, expliquent deux retraitées alors que le cortège se dirige vers le centre-ville. On a manifesté en 1980 ; on ne veut plus de dictature ! Nous sommes venus pour les jeunes, qui ignorent ce qu'ils peuvent perdre. » En effet, la moyenne d'âge de cette manifestation est élevée : la plupart des participants ont plus de 40 ans. « Je suis ici de ma propre initiative, se moque cette jeune fille, je ne suis pas payée par George Soros. » Comment explique-t-elle que les jeunes se mobilisent si peu ? « Ils sont apathiques, ils n'ont pas de conscience politique et ne se sentent pas concernés. Mon petit frère, qui a 18 ans, voulait voter Kukiz ; j'ai réussi à le convaincre de voter PO. » Arrivés rue Dluga, dans la vieille ville, les manifestants scandent « Nous voulons être nous-mêmes », un slogan de Solidarność en 1980. M. Alexander Hall, ancien dissident, s'empare du mégaphone et dénonce le fait que le chef du PiS, M. Kaczyński, soit le véritable homme fort du pays, sans assumer de fonction officielle. Une banderole le montre d'ailleurs en marionnettiste manipulant à sa guise le président Duda et la première ministre Beata Szydło. A 13 h 30, après avoir chanté l'hymne national et écouté l'hymne européen, les manifestants se dispersent, ignorant les quelques jeunes qui les traitent de « porcs sortis de leur mangeoire », insulte des partisans du PiS à l'encontre de ceux de la PO.
« Que l'Europe s'occupe de son million de migrants ! »Le KOD a cependant un autre souci que l'apathie des jeunes ou leur vote en faveur de la droite et des populistes : sa difficulté à séduire hors des milieux libéraux. Aucun des électeurs de gauche rencontrés ne souhaite participer à ses manifestations. « Les libéraux sont des gens aisés, la partie de la société qui a bénéficié des réformes économiques », raille M. Piaty, le jeune précaire de Katowice. Militante féministe de Varsovie, Mme Ania Zawadzka bat le pavé lors de la Gay Pride et de la contre-manifestation antifasciste qui, chaque 11 novembre, s'oppose à la marche des ultranationalistes. Pourtant, elle refuse de rallier le KOD : « L'intelligentsia libérale est responsable de la situation, tranche-t-elle. Ils ont refusé d'assouplir le droit à l'avortement pour ne pas froisser l'Eglise (7). Ils ont fait de la Pologne un pays ultralibéral, multiplié les lois contre les travailleurs, méprisé et marginalisé les pauvres. A cause d'eux, le peuple a basculé à droite. »
M. Karol Guzikiewicz avait 16 ans lorsque, apprenti mécanicien, il a participé à la grève historique de Gdańsk aux côtés de Lech Wałęsa en 1980. Devenu vice-président de Solidarność aux chantiers navals, il milite désormais au PiS : « Les chantiers sont en friche : une centaine d'hectares en 1990, vingt aujourd'hui », résume-t-il en nous faisant traverser les ateliers où s'affairent les soudeurs. « Dix-sept mille ouvriers en 1990, un millier aujourd'hui. Désormais, on fabrique surtout des éoliennes. » Il assène : « Tout cela, c'est la faute de Donald Tusk et de l'Europe. A cause des libéraux, les lois du travail en Pologne sont les pires d'Europe. Alors, oui, je milite au PiS depuis 2008. J'ai rejoint ce parti parce que son programme social était proche de celui de Solidarność. » Et tant pis si son ancien mentor, le Prix Nobel de la paix Wałęsa, a déclaré le 23 décembre, dans une interview à Radio ZET, que le nouveau gouvernement agissait « contre la démocratie, la liberté » et « ridiculisait la Pologne dans le monde ». Quant aux critiques de Bruxelles, le syndicaliste les balaie d'un revers de main : « Que l'Europe s'occupe de son million de migrants et laisse la Pologne tranquille ! »
Le même jour, à Gdańsk, nous rencontrons l'ancien dissident Stefan Adamski, qui rédigeait en 1980 le bulletin clandestin de Solidarność : « Les gens de Solidarność ont été trahis par les libéraux. Une transition brutale vers un capitalisme darwinien ! Pas étonnant qu'ils se tournent vers un parti qui affiche un programme social, même s'il est irresponsable. » M. Adamski, l'un des fondateurs d'Attac (8) Pologne, milite au parti de gauche Ensemble. « Solidarność n'était pas partisan du capitalisme, précise-t-il. Le syndicat demandait au régime communiste le respect des droits des travailleurs. Le PiS ne remet pas en cause le capitalisme : il promet seulement de le rendre plus solidaire. » Et il ajoute : « Le plus désolant, c'est que Kaczyński ne sera pas stoppé par les défenseurs de la démocratie. Il sera discipliné par les marchés financiers, qui s'opposeront à la mise en œuvre de ses mesures sociales et protectionnistes. »
(1) Lech Kaczyński, président de la Pologne de 2005 jusqu'à son décès, le 10 avril 2010, lors du crash aérien de Smolensk (96 morts). Il était le frère jumeau de M. Jarosław Kaczyński, premier ministre de 2006 à 2007 et actuel chef du PiS.
(2) A l'exception du représentant des germanophones, qui n'est pas soumis au seuil des 8 %.
(3) Un eurodéputé, M. Tomasz Poręba, nous a bien accordé un entretien par courrier électronique, mais il a ensuite refusé que des extraits de ses réponses soient intégrés à cet article.
(4) Face au tollé suscité par ces déclarations, le ministre a ensuite prétendu qu'il s'agissait d'une « blague ».
(5) Cf. note 1.
(6) Pour la défense des droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et trans.
(7) Depuis 1993, l'avortement n'est autorisé en Pologne qu'en cas de viol ou de danger avéré pour la santé de la mère ou de l'enfant.
(8) Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne.
Celui qui fut le rapporteur de la commission Attali en 2008 n'hésite pas à se présenter comme un homme neuf. Ce tour de passe-passe ne date pas d'hier : bien avant Emmanuel Macron, il y eut Jean Lecanuet, dont la campagne présidentielle, en 1965, inaugura le marketing politique — avec pour slogan « Un homme neuf, une France en marche »… Autre scrutin : en Allemagne, où la question migratoire est omniprésente, avec des répercussions aux frontières de l'Union européenne, notamment en Turquie, qui joue le rôle de tampon depuis un quart de siècle. La méfiance envers la démocratie représentative occidentale est partagée par nombre d'intellectuels chinois. Une sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.
Lisez le second article du nouveau numéro de Politique étrangère (n° 1/2017) – à paraître demain ! – que vous offre la rédaction : « Trump et l’avenir de la politique commerciale européenne », écrit par John Solal-Arouet et Denis Tersen.
« Les États-Unis se sont donc dotés d’un président protectionniste et isolationniste. Certes, promesses et programmes ne font pas automatiquement une politique l’élection passée. Mais un candidat qui attaque la Chine, le Mexique, menace de quitter l’OMC, de dénoncer l’ALENA et l’accord de Paris sur le climat, refuse de signer le projet de Partenariat Trans-Pacifique (TPP) négocié par son prédécesseur, engage le président. Il le peut d’autant plus que, si ce dernier ne peut pas libéraliser de son seul chef, sans l’aval du Congrès, il peut largement de sa propre initiative mettre en place des mesures de protection aux frontières, ou bloquer un traité en refusant de le soumettre au pouvoir législatif. Anti-mondialisation, le nouveau président américain a une certaine forme de cohérence : il est pour une fermeture des frontières, pour les biens et services comme pour les personnes.
Les premières nominations ne démentent pas la rhétorique de campagne : Wilbur Ross ministre du Commerce, Peter Navarro, un économiste « défensif mais pas protectionniste » à la tête du tout nouveau National Trade Council placé auprès du président pour le conseiller sur les sujets commerciaux, Robert Lighthizer, représentant américain du commerce (USTR). Ils se sont fait remarquer par des déclarations antichinoises, et en défendant les intérêts de la « vieille » industrie. Celui qui mènera les négociations commerciales, Robert Lighthizer, est un avocat connu en matière d’antidumping, vétéran de l’administration Reagan. Le méchant était alors japonais, et les États-Unis avaient obtenu de leur partenaire, sous la pression, des accords volontaires de restrictions aux exportations. C’était avant l’OMC, avant les « chaînes de valeur mondiales », qui permettent aux entreprises américaines d’éclater leur production dans de nombreux pays, au premier rang desquels la Chine, pour importer ou recomposer leurs produits aux États-Unis, et avec un marché japonais dont le niveau de fermeture était sans commune mesure avec celui de la Chine. Les tweets, ces coups de menton de l’âge numérique, à destination des entreprises ayant des velléités d’investissement au Mexique, s’inscrivent également dans la droite ligne de la campagne. Le discours inaugural du président le 20 janvier dissipe les doutes : « La protection conduira à une grande prospérité et à la force. » Les premiers communiqués venant de la Maison-Blanche le soir même annoncent le retrait du TPP et la renégociation de l’ALENA. Nous y sommes.
Donald Trump n’est pas seul : le Brexit l’a précédé, les mouvements populistes progressent partout en Europe. L’accord économique et commercial global (CETA) avec le « petit » Canada (0,6 % du commerce extérieur français) a été proche de s’arrêter au stade de la signature, et son avenir est aléatoire. On pourrait traiter ces évolutions majeures avec une relative indifférence, considérer que, par une ruse de l’histoire, les populistes vont nous débarrasser d’un dangereux libre-échange et de mauvais accords, tel le TTIP. De plus, ainsi que l’on nous l’a enseigné, l’infrastructure – la base matérielle, les forces productives – précède la superstructure : le commerce mondial progresse moins vite que la « richesse » mondiale et recule même depuis quatre ans. Entrerions-nous sans ambages et sans trop de regrets dans l’ère de la démondialisation ?
Faut-il donc traiter la nouvelle Amérique à la légère ? Non. Les mêmes symptômes affectent l’Europe. Les difficultés nées de la phase « commerciale » de la mondialisation n’ont pas été résolues. L’entrée dans la mondialisation « informationnelle » fait surgir de nouveaux problèmes. Et s’annonce la « grande convergence » chère à Richard Baldwin – la troisième vague de la mondialisation va permettre de mobiliser les personnes dans le cycle de production quelle que soit leur localisation dans le monde et devrait buter sur des résistances encore plus fortes.
Ces dernières sont-elles vraiment de nature économique comme nous le suggèrent les commentateurs du « déclassement » de l’ouvrier blanc américain ? En réalité, non. Toutes les analyses du vote Trump montrent qu’il transcende les classes sociales, appartenances ethniques ou genres. It’s not the economy stupid[, ironisent ceux qui soulignent la primauté des dimensions identitaires et culturelles qui construisent une ligne de ressentiment populaire à l’encontre des élites mondialisées. Pourtant, c’est bien sur l’économie que les populistes concentrent le tir : pour construire des murs, au risque d’ajouter de nouveaux risques géopolitiques, économiques, et démocratiques à ceux qui affligent déjà leurs électeurs révoltés. Pour arriver aux commandes de la première économie mondiale, Donald Trump a clairement annoncé le programme. Si certains misent sur un soft Trump, nouveaux Giraudoux venant nous expliquer que « la guerre de Détroit n’aura pas lieu », Paul Krugman n’a pas ces illusions : la guerre commerciale n’est plus seulement une option, c’est une probabilité.
L’Europe devra être méfiante. Le face-à-face avec la Chine est inévitable, mais l’administration américaine prendra en compte le rapport de puissance. Pragmatique, elle se tournera vers des « partenaires » plus à sa portée. Le Mexique est un candidat déjà visé, mais une Europe faible sera également au menu. Son excédent bilatéral vis-à-vis des États-Unis progresse. Les sujets de frictions ne manquent pas : contentieux aéronautique ou agricole (datant du xxe siècle…), enjeux numériques aux dimensions multiples (fiscalité, concurrence, droit des données), déséquilibres macro-économiques allemands, climat… »
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Nigeria’s president, Muhamaddu Buhari, headed to the United Kingdom for his “annual leave” on January 19, and Vice President Yemi Osinbajo became acting president. Two weeks later, Buhari notified the National Assembly that he was extending his leave for medical reasons. It’s approaching seven weeks, and Buhari is still on leave. With the exception of calling into a live show on February 23, he has not yet been seen in public. According to a leading online news outlet, Buhari had a prostate flare up and is also undergoing treatment for Crohn’s Disease.
Several Nigerian politicians have made a pilgrimage to the UK—potentially at taxpayers’ expense—and released photos with a seemingly jovial Buhari. U.S. President Donald J. Trump called Buhari in mid-February to discuss shared security concerns and the provision of weapons to the Nigerian Army to combat terrorism. Buhari’s press aides have also routinely tweeted good wishes to the Nigerian people supposedly from the ailing president. However, they have yet to arrange for Buhari to make a physical appearance, leaving Nigerians to draw their own conclusions about Buhari’s health and if and when he will return.
The silence around Buhari’s disappearance furthers a narrative that Nigeria’s political elites refuse to provide critical information to the public because it’s against their own self-interest. While lawmakers have jumped on a plane to visit the ailing president, none have chosen to share his medical state or call on his government to disclose the gravity of his health condition with the nation. Also, no one has shared the cost that the nation is incurring while maintaining an ill president in the U.K. and an acting president in Nigeria.
Many Nigerians who initially decried the elected president’s absence have begun celebrating the acting president for doing many things they wish President Buhari had done. In his six weeks leading Nigeria, Osinbajo has visited the Niger Delta, injected U.S. dollars into the Nigerian forex market to ease exchange rate pressure, and requested that the Senate approve the acting chief justice. President Buhari refused to make these decisions, much to the chagrin of his citizens.
It’s easy to view Osinbajo’s short stint as a success given how it has injected renewed momentum into governing the country. It’s also true that Buhari naming Osinbajo as acting president was a win for Nigeria’s constitutional democracy—unlike in 2009 when in an eerily similar situation, as the then-president, Umaru Musa Yar’Adua, lay dying in Saudi Arabia, the ruling People’s Democratic Party (PDP) refused to acknowledge his inability to govern. The Senate had to use a parliamentary maneuver to name the VP as acting president. After three months overseas, Yar’Adua returned to the country and died shortly thereafter. And if Buhari is in fact significantly ill and unlikely to return, it will be the second time that the North has lost the presidency due to such circumstance.
In a country where politics and ethnic identity are so fraught, one might assume Buhari and the now ruling party, All Progressives Congress (APC), are intentionally refusing to show the president live or discuss the gravity of his condition. While much of the country is decrying the cost of keeping Buhari in the U.K. and wondering whether he’s still fit to govern, several prayer vigils are taking place in the North. As one would expect, Northerners are hoping to not lose their grip on power once again.
Beyond ethnicity, many of the elite likely are convinced Buhari’s departure would be to their detriment. In his two years in office, Nigerian civil society leaders have criticized Buhari’s reticence to address the allegations of corruption from those in his inner circle. Most notably in January, he refused to dismiss the Secretary General of the Federation whom the Senate recommended be removed and prosecuted. Buhari’s chief of staff has also been accused of diverting funds from the Nigerian High Commission in the UK to pay his own medical bill. Yet, at the very least, a rebalancing of power creates enough uncertainty for elites that maintaining the status quo may be their preferred option.
However, irrespective of Osinbajo’s great work as acting president, Buhari’s absence and the silence around it is a problem because of the many troubling issues that the elected head of state would ideally be healthy enough to manage. The country is suffering from drastic economic decline, slumping oil prices, ongoing Boko Haram attacks that have led to a humanitarian crisis, and internal strife between farmers and herdsmen in the nation’s middle belt—any one of which would ordinarily require the unhindered attention of a head of state. The acting president can try to address all of these problems in his temporary tenure, but Nigerian voters elected Buhari because they trusted him—not necessarily his deputized president—to play this role.
And with every passing day, the progress from a democratic transition is buried deeper. Buhari became president after a much celebrated concession from the incumbent—the first in the country’s history. It’s ironic then that a president who benefitted from his predecessor doing the right thing is now refusing to grant Nigerians the same display of putting country first.
For his part, Osinbajo might very well become the best acting president Nigeria has ever had. However, by enabling his boss and their party to keep withholding critical information from Nigerians, he’s now complicit in a regression of democratic ideals—ideals that appeared to be headed on the right trajectory when he and Buhari were duly elected in 2015.
Hopefully, President Buhari is alive and recovers. But for now, he should have the courage to share his prognosis with Nigerians. He should appear in public physically and demonstrate to Nigerians that in a short while he will be able to undertake the grueling task of governing again. For its part, the National Assembly should debate the severity of Buhari’s health and determine if it’s time for him to resign and let Osinbajo govern full-time. The nation’s psyche and fiscal health require nothing less.
Kehinde A. Togun is a senior director at The Arkin Group and a Truman National Security Fellow. He was previously the deputy director of PartnersGlobal’s Sub-Saharan Africa program. During Nigeria’s 2011 elections, he trained and advised civil society as they monitored the electoral process. Views expressed are his own. You can follow him on Twitter @kehindetogun.
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Recently, McMaster’s reason and education led him to tell his staff that Muslims who commit terrorist acts are perverting their religion, in sharp contrast to other senior Trump advisers who promote a more black and white approach. At a meeting of the staff of the National Security Council, he opined that the label “radical Islamic terrorism” was not helpful because terrorists are “un-Islamic”.
But what does McMaster think concerning another major threat perhaps not on the minds of most Americans—that of Chinese expansionism in the East and South China Seas eventually leading to a Third World War? On China, McMaster seems to take the same reasonable and educated approach, if we take his comments at face value which he made during a military strategy forum hosted by the Center for Strategic and International Studies in May 2016.
During that forum, McMaster drew parallels between Russia’s activities on its borders with similar Chinese activities in the South China Sea, declaring China was “challenging U.S. interests at the far reaches of American power” in an effort to “expand territory and expand their influence at the expense of U.S. interests and the security of our partners in the region”—comparing China’s assertiveness as “militarily analogous to what Russia’s done in Ukraine”.
McMaster characterized China’s land grab in the South China Sea as an effort to “project power outward from land into the maritime and aerospace domains, to restrict freedom of movement and action in those domains, and to—and to secure Chinese influence across those domains”. McMaster argues that China, in the same way Russia has established air supremacy over Ukraine from the ground, will use “cyberattacks, information warfare, [and] a sophisticated economic effort to undermine the post-World War II economic order in the region”.
The general concluded by stating that while the Chinese have “engaged in the largest theft of intellectual property in history”, implying that some of the thefts benefit the Chinese military, the U.S. military currently maintains a technological advantage, and will need to invest in “joint synergy” and “cohesive well-trained teams” to adapt technology to the U.S. military in the future to maintain its competitive advantage. No doubt the Chinese will continue to also pursue advanced technologies for their military in their own fashion, and McMaster is reasonable in focusing on technology as a primary concern in maintaining national security as well as projecting power overseas.
With seasoned and informed generals such as McMaster and Mattis on board, the Trump administration should have a fighting chance at keeping the U.S. military at the top of its game.
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Le respect par l'Iran de l'accord sur la non-prolifération nucléaire entraîne progressivement la levée des sanctions internationales. L'ouverture des échanges et ses répercussions politiques influeront sur les élections législatives prévues fin février. Attentives aux changements, les femmes occupent une place croissante dans la République islamique, et mesurent le chemin qui reste à parcourir.
Newsha Tavakolian. – « Quand j'avais 20 ans », 2011 Magnum PhotosUne grappe d'adolescentes entre en riant dans la rame et s'installe gaiement par terre, faute de sièges libres. Au gré des secousses, leurs voiles glissent sur leurs épaules, découvrant leurs cheveux. Peu importe : ici, il n'y a que des passagères. Dans le métro de Téhéran, inauguré à la fin des années 1990, les voitures de tête et de queue sont réservées aux femmes. Elles y montent « pour être tranquilles », disent-elles. L'atmosphère est détendue. Les autres voitures sont mixtes. Les jeunes couples s'y tiennent par la main, sans problème.
Moderne et propre, le métro de Téhéran permet seul d'échapper aux embouteillages et à la pollution. Pour l'heure, cinq lignes sont en service. Les stations défilent, baptisées des noms de « martyrs » de la guerre contre l'Irak (1980-1988). Voilà vingt-sept ans que le conflit, qui a fait au bas mot un demi-million de morts, s'est achevé, mais le pouvoir n'a pas fini d'en cultiver la mémoire.
Le métro illustre les contradictions de la République islamique. S'y côtoient des tenues élégantes, aux couleurs vives, et d'autres passe-partout, élimées. En moyenne, cinq tchadors noirs et stricts — l'habillement de rigueur des employées de l'administration — pour deux voiles colorés. Pas de figures hermétiquement couvertes. Et puis des scènes inattendues : des marchandes ambulantes proposent soutiens-gorge, petites culottes, sacs à main…
Trente-six ans après la révolution islamique, en dépit d'une législation qui leur accorde moins de droits qu'aux hommes, les femmes jouent un rôle majeur en Iran. Elles se font une place dans tous les secteurs, même si la plupart des hauts postes de l'administration leur sont encore fermés. En vertu d'un hadith (parole de Mahomet) à l'authenticité pourtant contestée, elles ne peuvent pas être juges à part entière ; la possibilité d'interpréter des textes sacrés leur est déniée par une partie du clergé, et cela même si elles accèdent au rang d'ayatollah (le plus haut grade dans le clergé chiite). Mais elles peuvent être architectes, chefs d'entreprise, ministres… Le Parlement compte neuf députées (toutes conservatrices), et une première ambassadrice vient d'être désignée : Mme Marzieh Afkham a pris son poste à Kuala Lumpur en novembre 2015. Toutefois, rien n'est facile : les femmes doivent lutter pour s'imposer. Et pour faire reconnaître leurs droits, surtout, dans un pays où elles souffrent de discriminations à tous les niveaux.
Pour se marier, travailler, voyager, hériter (1), elles sont soumises à des lois iniques et dépendent du bon vouloir du chef de famille. Pour divorcer, par exemple, une épouse, contrairement à son mari, devra motiver sa décision devant le juge et attendre son autorisation. Les enfants lui seront confiés jusqu'à l'âge de 2 ans pour un garçon, 7 ans pour une fille. Ensuite, c'est le père qui en aura la garde, sauf s'il la refuse. Quant à l'autorité parentale, elle revient au père, même si les enfants vivent avec leur mère. « L'homme est roi dans la loi », résume Azadeh Kian, professeure de sociologie politique à l'université Paris-VII.
La scolarisation, principal acquis de la révolution islamiqueLes chiffres officiels sous-estiment le travail des femmes : seules 14 % d'entre elles auraient un emploi. En réalité, entre le travail au noir et l'agriculture, 20 à 30 % exercent une activité régulière. Et ce n'est qu'un début. Le nombre de candidates à l'entrée sur le marché du travail augmente très vite. Dans les universités, 60 % des étudiants sont des étudiantes. « Elles ont gagné la bataille de la licence et du master. Bientôt, elles gagneront celle du doctorat », prédit l'anthropologue Amir Nikpey. Pour lui, les Iraniennes se trouvent à peu près dans la situation des Françaises des années 1940 ou 1950 : présentes partout dans l'espace public, mais sans réel pouvoir, à quelques exceptions près, et souvent au bas de l'échelle économique.
D'année en année, elles conquièrent de nouveaux bastions. « C'est le pays qui forme le plus d'ingénieures », souligne Kian, avant de rappeler que la première femme à avoir obtenu, en 2014, la médaille Fields (équivalent du prix Nobel pour les mathématiques), Maryam Mirzakhani, est iranienne. « Dans les provinces du Sud, notamment au Baloutchistan, à dominante sunnite [alors que l'Iran est chiite à 90 %], la culture arabe, plus machiste, prédomine. Il y a d'ailleurs de nombreux cas de polygamie, alors que partout ailleurs les Iraniens sont monogames. Mais, là aussi, le rôle des femmes va croissant. C'est une évolution globale de la société », indique Thierry Coville, économiste. « Le changement le plus notable en Iran, c'est la prise de conscience de l'importance de l'éducation comme moyen d'accéder à l'indépendance », confirme Kian.
On l'ignore souvent, mais la scolarisation des filles est sans doute le principal acquis de la révolution islamique. « Paradoxalement, les familles traditionnelles ont accepté parce que c'était la République islamique ! Quand je vais dans les villages reculés, les hommes me disent : “L'ayatollah Khomeiny a envoyé les femmes au front et les petites filles à l'école. Je fais pareil !” », explique la sociologue des religions Sara Shariati, enseignante à l'université de Téhéran.
Newsha Tavakolian. – Katayoun Khosrowyar, brillante entraîneuse de l'équipe nationale de football des moins de 14 ans, 2015 Magnum PhotosPremière conséquence : les femmes se marient plus tard ; surtout, elles n'ont en moyenne que deux enfants, contre sept au cours des premières années de la révolution islamique, marquées par une politique nataliste. A intervalles réguliers, les autorités rappellent que 100 millions d'Iraniens seraient préférables aux 78 millions actuels, mais elles font la sourde oreille.
« Même pendant les années Ahmadinejad (2), nous n'avons pas reculé. Nous avons continué à avancer, comme une voiture qui roule tous feux éteints dans la nuit », plaisante Shahla Sherkat, directrice du magazine féminin Zanân Emrouz. Sa publication sort d'une suspension de six mois pour avoir consacré un numéro à un sujet « chaud » : l'union libre. Ils seraient plusieurs dizaines de milliers à Téhéran à vivre en concubinage. L'union libre diffère du « mariage temporaire », permis par le chiisme mais mal vu et peu pratiqué en Iran. « On a évité tout jugement dans notre dossier ; on n'a pas du tout incité à l'union libre, on a même alerté sur ses risques », plaide Sherkat. Pourtant, les conservateurs ont protesté, et la sanction est tombée.
Quand la directrice de Zanân Emrouz a été convoquée par la justice, elle s'est d'abord entendu reprocher d'être « féministe » — une injure en Iran. Pour se défendre, elle a clamé qu'elle ne faisait que « refléter la réalité » de la société iranienne. En vain. « Le problème, c'est que les institutions et les hommes pensent que, si nous réclamons nos droits, nous allons négliger nos rôles de mère et d'épouse », soupire-t-elle.
Art Up Man est un café branché du centre-ville de Téhéran. La capitale compte de nombreux lieux à la mode où les jeunes viennent « se défouler », comme le dit une étudiante en droit en montrant sa cigarette. Garçons et filles discutent autour de petites tables, tout en pianotant sur leurs smartphones. En fond sonore, des chansons d'Elvis Presley. Yeganeh K., étudiante en microbiologie, rouge à lèvres framboise et ongles peints en noir, déclare haut et fort que le régime n'est « pas digne de confiance » et qu'il faut « tout changer, à commencer par le nom de “République islamique” ». Le double scrutin du 26 février (lire « Un pays grippé ») ne lui inspire que du dédain. « Ailleurs, on peut choisir ses représentants. Ici, non. Il y a toujours quelqu'un qui a un droit de regard sur tout et qui nous “guide” ! Pour moi, on ressemble à la Corée du Nord ! », maugrée-t-elle.
Ses deux amis sursautent. Rahil H., coiffure punk, proteste : « Pas du tout ! Ici, les gens sont libres, malgré l'aspect policier du régime. On n'a pas trop de liberté de parole ni de liberté vestimentaire, mais pour le reste, on fait ce qu'on veut ! » Sorrosh T., lunettes de soleil calées sur son voile pour le maintenir en place, intervient : « Ce n'est pas drôle, tous ces interdits. Chaque fois que je sors, mes parents me disent : “Fais attention !” Non pas qu'ils approuvent, mais, pour eux, il faut tenir compte de la société, du système. » Une chose agace cette jeune fille plus que tout : « Ici, les gens observent toujours ce que vous faites. »
Le voile est loin d'être la préoccupation première des Iraniennes. « On fait avec », disent-elles, convaincues qu'il ne vaut pas la peine de s'attirer de graves ennuis pour si peu. Le chômage, l'inflation ou le concours d'entrée à l'université les préoccupent davantage.
Newsha Tavakolian. – Listen, 2011 Magnum Photos. Dans les photographies de la série « Listen » (2011) sont mises en scène des chanteuses professionnelles, qui n'ont pas le droit de se produire en public. « Faire taire la voix des femmes, c'est déséquilibrer la société. Le projet “Listen” fait entendre les voix de ces femmes réduites au silence. »Chaque jour, Yeganeh s'amuse avec ses amies à contourner les règles imposées par le pouvoir, comme dans un jeu du chat et de la souris. L'été, elle porte des sandales qui laissent voir ses pieds et ses chevilles, et surtout ses ongles peints de couleur vive, toutes choses strictement interdites. L'hiver, elle met un sapport, un collant épais, sur lequel elle enfile une jupe courte. Si elle y ajoute de hautes bottes, elle risque de sérieux rappels à l'ordre de la police des mœurs qui patrouille aux carrefours et dans les centres commerciaux du nord de la capitale, où la jeunesse dorée aime déambuler. « Un jour, j'ai été amenée au commissariat. On m'a photographiée, on a relevé mon identité et on m'a prévenue : “Si tu recommences dans les deux mois, tu seras fichée !” », raconte-t-elle dans un éclat de rire. Elle rêve d'échapper à cette atmosphère étouffante. A la première occasion, elle partira pour l'Europe ou les Etats-Unis.
Mme Behnaz Shafie, elle, a choisi de « rester et agir ». Petite, menue, très féminine et très maquillée sous son voile, elle est, à 26 ans, la première femme à avoir obtenu l'autorisation de faire de la moto de façon professionnelle. Alors que les femmes ne sont pas admises dans les stades pour assister à des compétitions de football disputées par des hommes, elle a reçu le droit de s'entraîner au stade Azadi de Téhéran sur sa moto de 1000 cm3. « Behnaz éblouit le monde ! », titrait un journal conservateur l'automne dernier à son retour de Milan, où elle avait été l'invitée d'honneur d'un rassemblement de motardes. Mais la jeune fille le sait : rien n'est acquis. Demain, un religieux conservateur peut exiger qu'elle cesse de se conduire comme un homme dans un milieu d'hommes. En attendant, elle « ouvre la voie pour les femmes », sans brusquer, en restant dans la légalité. « Et je suis fière d'être iranienne », ajoute-t-elle. A Karaj, la banlieue de Téhéran où elle réside, il lui arrive de circuler sur sa moto. Quand les hommes s'aperçoivent qu'elle est une fille, soit ils klaxonnent pour la féliciter, soit ils lui crient : « Retourne donc à ta machine à laver ! »
En cette veille d'élections, le climat est particulièrement pesant à Téhéran. Chaque soir ou presque, le Guide suprême apparaît à la télévision pour donner ses consignes. Des mises en garde adressées à la population afin qu'elle veille à « ne pas se laisser contaminer » par l'Occident. « Evitez le contact avec les étrangers », conseille l'ayatollah Ali Khamenei. Depuis l'accord sur le nucléaire, les avertissements du Guide et des radicaux se multiplient, signe de leur inquiétude à l'idée que, avec la levée des sanctions et l'ouverture à venir, la situation puisse leur échapper. Il y a quelques mois, l'ayatollah Ahmad Jannati, président du Conseil des gardiens, un pur et dur de 89 ans, a averti que l'accord sur le nucléaire ne devait pas ouvrir la voie à d'autres revendications : « Attention à ce que la question des femmes et de l'égalité des sexes ne soit pas posée demain ! »
Fariba Hachtroudi est de celles qui ne se laissent pas intimider. « Je ne fais pas de provocation, mais je dis tout haut ce que je pense », résume cette écrivaine connue (3), qui avoue en riant « porter dans [son] ADN la folie de cette terre ». Se partageant entre son pays de naissance et la France, où elle s'est expatriée dès l'adolescence, elle a renoncé à faire de la politique et opté pour la résistance par la plume. A chacun de ses retours, elle constate que les femmes ont gagné du terrain. « Dans un village du Baloutchistan, le conseil de mairie, entièrement masculin, vient d'élire une maire. Des exemples comme celui-là, il y en a partout ! », s'exclame-t-elle.
Une société dominée par le souci des apparencesLa répression brutale du « mouvement vert », né lors de la réélection contestée du président Ahmadinejad, en 2009, a-t-elle anéanti tout militantisme, comme beaucoup le pensent ? Hachtroudi le conteste. « Les femmes sont toujours là, en première ligne, et elles continuent de se battre, malgré les résistances. Elles ne lâchent pas ! », dit-elle, en soulignant que les organisations non gouvernementales créées par elles fleurissent de toutes parts. Dans la banlieue de Téhéran, des lieux d'accueil pour enfants des rues ou pour malades du sida, ou encore des centres de désintoxication pour alcooliques, ont ainsi vu le jour, en accord avec le gouvernement. Un tournant, car, jusque-là, le pouvoir niait l'existence du sida et de l'alcoolisme.
Si la lutte des femmes se poursuit, elle est désorganisée et, bien souvent, individuelle. Trop occupées à s'en sortir dans leur vie de tous les jours, les Iraniennes oublient, pour la plupart, la répression subie par des figures à l'avant-garde de leur combat : l'avocate dissidente Nasrin Sotoudeh, la réalisatrice Rakhshan Bani-Etemad, toutes deux sous haute surveillance, ou encore la militante des droits humains Narges Mohammadi, condamnée à huit ans de prison pour « propagande contre le régime ».
Newsha Tavakolian. – Listen, 2011 Magnum Photos« On ne peut pas expliquer pourquoi nous ne sommes pas heureux, soupire cette mère au foyer de 40 ans que l'on appellera Farah. C'est l'ambiance qui ne va pas. On aime notre pays, mais ce qui nous manque, c'est tout simplement de l'air ! » A l'université des sciences et des technologies Elm-o-Sanat, où étudie son fils, des haut-parleurs déversent chaque jour des versets du Coran et des consignes moralisatrices. Les étudiants ont droit à plusieurs semaines de commémorations : il y a la semaine de la guerre, la semaine des bassidji, la semaine des « martyrs »… « C'est du lavage de cerveaux ! On en a marre ! », peste Farah.
Mme Mahboubeh Djavid Pour, elle, n'aurait pas l'idée de se plaindre de cette atmosphère de deuil perpétuel. Elle est bassidji — membre du Bassidj, la « force de mobilisation de la résistance » jadis créée par l'ayatollah Rouhollah Khomeiny. Ces volontaires sont en quelque sorte des supplétifs des gardiens de la révolution. On estime aujourd'hui leur nombre à dix millions. Leur statut leur vaut de nombreux avantages, tels que bourses, emplois, entrées à l'université. Ils sont craints, voire détestés, par la population. Les classes aisées les méprisent.
Membre de l'administration de la mosquée Imam Reza de Téhéran, Mme Djavid Pour se déplace en serrant étroitement son long tchador noir autour d'elle, ce qui lui donne une allure de mère supérieure. Cette femme de 54 ans, mère de trois enfants, est fière d'être bassidji. Elle voit dans cette fonction « une forme d'application de l'islam ». L'accord sur le nucléaire ne lui déplaît pas, mais elle reste méfiante à l'égard des Etats-Unis. Ils vont, selon elle, continuer leur campagne de dénigrement de la République islamique, mais de façon plus sournoise. « Heureusement, nous sommes désormais très instruits et mieux aptes à résister aux manœuvres américaines », dit-elle, avant d'ajouter avec gratitude : « Et puis le Guide est là, il nous éclaire et nous montre la voie. »
Farah, mère au foyer qui se dit athée, s'inquiète de ce qu'elle appelle une « religiosité d'apparence ». La marque sur le front que les hommes acquièrent à force de se prosterner ou qu'ils se fabriquent pour paraître pieux, le chapelet ostensiblement tenu entre les mains, tout cela l'exaspère. « Nous sommes une société malade, dominée par le souci des apparences et l'hypocrisie. Je ne sais pas où cela va nous conduire . »
Confirmation paradoxale de son pessimisme : le nombre stupéfiant d'opérations esthétiques demandées par les Iraniennes. Le nez, la bouche, les pommettes, les arcades sourcilières… En guise de cadeau, une bachelière de 18 ans se verra offrir par ses parents une rhinoplastie. A Téhéran, des petits nez en trompette, des visages de poupée Barbie, par ailleurs exagérément maquillés, émergent des voiles. Un désastre, parfois. D'où vient ce phénomène, qui explose depuis cinq ou six ans et touche toutes les couches sociales ? Personne ne se l'explique vraiment. Obsession des femmes pour leur visage, puisqu'on leur interdit de montrer leur corps et leur chevelure ?
« Que l'image du pays soit réhabilitée »A Qom, ville sainte d'Iran, on respire mieux qu'à Téhéran. On est en plein désert. Ici, pas de pollution, mais un climat sec, étouffant l'été. Située à 150 kilomètres au sud-ouest de la capitale, cette ville d'un million d'habitants est le premier centre d'enseignement théologique du pays — 5 000 femmes étudient ici la religion — et un lieu de pèlerinage important. C'est là qu'est enterrée Fatima Masoumeh, sœur du huitième imam chiite Reza, dans un bel et immense mausolée. Sur les façades des immeubles, quelques fresques géantes représentant l'ayatollah Khomeiny rappellent que l'initiateur de la révolution islamique a longtemps vécu à Qom. Ici, pas de tenues colorées : toutes les femmes, sans exception, portent le tchador. Elles se déplacent souvent en cyclomoteur, en croupe derrière leur mari, tous voiles dehors.
Quatre-vingt mille femmes formées à la théologie diffusent aujourd'hui la bonne parole. Mme Fariba Alasvand a atteint le plus haut degré d'études en théologie. Elle enseigne au Centre de recherche sur la famille et les femmes à des étudiants des deux sexes. « Les femmes d'Iran sont très différentes de celles du monde arabe. Nous attachons une grande importance à notre liberté. Cela tient à la culture iranienne et au chiisme », souligne-t-elle d'entrée de jeu. Sur le port obligatoire du hidjab, elle hésite une seconde, trop familière, sans doute, des questions faussement innocentes. « Un verset du Coran nous dit : “Portez le hidjab.” Il protège les femmes. Si nous abandonnons cette règle de l'islam, nous en abandonnerons d'autres », finit-elle par lâcher.
Il arrive à cette mère de famille d'une soixantaine d'années, conservatrice, de voyager en Europe et aux Etats-Unis pour participer à des conférences religieuses. Chaque fois, elle sent « le regard négatif des Occidentaux » et elle en souffre, comme tous les Iraniens. Pour elle, les médias sont responsables de cette incompréhension. Sa crainte : que la levée des sanctions, « souhaitée par toute la population comme par le Guide », ne provoque à terme un asservissement de l'Iran. « L'Occident veut bien pénétrer l'Iran, mais refuse la réciproque », regrette-t-elle. Son vœu est que son pays garde ses spécificités. « Notre religion nous donne une culture et un cadre. Notre liberté à nous doit s'exercer dans le cadre du Coran. »
Newsha Tavakolian. – Listen, 2011Plus jeune, mais tout aussi ferme sur les principes, Mme Zahra Aminmajd est également diplômée de droit islamique et enseignante à Qom. Souriante, naturelle, elle pense que le christianisme et l'islam « ont beaucoup de points communs » et regrette qu'à l'Ouest on ait « une aussi mauvaise perception de l'islam, en particulier en ce qui concerne les femmes ». Ce qui l'inquiète le plus ? Le consumérisme à l'occidentale, dont rêvent, dit-elle, les Iraniens. « Plutôt que de tout attendre de la levée des sanctions, ils feraient mieux de travailler davantage », énonce-t-elle.
Si le retour de l'Iran sur la scène internationale l'enthousiasme, Mme Sanaz Minai attend surtout une chose : « Que l'image de l'Iran soit réhabilitée. Que sa valeur perdue soit enfin restaurée. » En jeans, talons aiguilles et foulard souple, elle est un modèle de réussite. Elle a écrit plus de vingt ouvrages sur la cuisine et la culture iraniennes, lancé une école consacrée à l'art de recevoir, le Culinary Club, et fondé SanazSania, qui caracole en tête des ventes de magazines culinaires. La levée des sanctions lui ouvre des perspectives infinies. De l'Iran elle veut faire « un pôle culinaire », à la fois « à la mode et chic ! ».
Rien ne semble pouvoir arrêter une autre entrepreneuse à succès : Mme Faranak Askari. En juin 2013, la jeune femme était à Londres, où elle a grandi, quand elle a entendu l'appel du nouveau président Hassan Rohani : « Venez en Iran ! » Deux mois plus tard, elle débarquait à Téhéran et lançait Toiran (« To Iran »), une société de services pour touristes VIP et hommes d'affaires. En parallèle, elle montait un site Internet recensant toutes les informations possibles sur une cinquantaine de villes iraniennes. Succès immédiat.
« La plus grande menace pour le régime »Depuis l'accord du 14 juillet 2015, Toiran voit ses réservations doubler chaque mois. La clientèle est majoritairement européenne. Une urgence pour Mme Askari : que les transactions bancaires entre l'Iran et les pays étrangers, interdites ces dernières années en raison des sanctions occidentales, soient rétablies. Toiran, comme de nombreuses entreprises iraniennes, a ses recettes bloquées à Dubaï. « On manque de liquidités. Pour s'en sortir, on en est réduit à faire du troc ! Mais ça ne pourra pas durer : il nous faut lever des fonds, investir… »
Connue pour son franc-parler, Mme Shahindokht Molaverdi s'en tient ce jour-là à une parfaite langue de bois. Il faut dire que le contexte est difficile pour elle. Nommée il y a deux ans par le président Rohani vice-présidente de la République chargée des femmes et de la famille, cette juriste de 50 ans reste sur ses gardes. « Il faut qu'il y ait plus de femmes dans les assemblées », dit-elle. Ou : « Nous devons faire entrer les femmes dans toutes les sphères du pouvoir. » Pas un mot plus haut que l'autre. On la comprend : entre la proximité des élections du 26 février, la prochaine levée des sanctions et la crise ouverte avec l'Arabie saoudite, elle ne peut se permettre le moindre écart. Parce qu'elle est considérée comme proche des réformateurs et féministe, les ultraconservateurs la haïssent. L'un de leurs journaux, Yalasarat, a été suspendu début janvier. Depuis des mois, ce titre radical ne cessait d'insulter Mme Molaverdi, l'accusant notamment d'être laxiste en matière de tenue vestimentaire des femmes, et surtout d'être proche des « dissidentes » (une insulte équivalant à « prostituée »).
Les femmes, un enjeu majeur en Iran ? Sans aucun doute. « Le régime a peur d'elles. Elles représentent pour lui la plus grande menace, assure un universitaire sous couvert d'anonymat. Il ne sait pas comment s'y prendre avec elles, comment les combattre, les empêcher d'ouvrir sans cesse de nouvelles brèches… » Et la question du voile, sans grande importance sur le fond, est un symbole. Comme le disent les théologiennes de Qom, « si on lâche là-dessus, on lâche sur le reste »…
(1) « Ouvrir un compte bancaire » apparaissait dans cette liste, dans la version papier. Il s'agit d'une erreur : les femmes d'Iran, mariées ou non, ont la possibilité d'ouvrir un compte bancaire.
(2) M. Mahmoud Ahmadinejad, président de la République islamique de 2005 à 2013, conservateur.
(3) Auteure notamment d'Iran, les rives du sang (Seuil, coll. « Points », Paris, 2001) et d'A mon retour d'Iran (Seuil, 2008).