Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Rémy Hémez, chercheur au sein du Laboratoire de Recherche sur la Défense (LRD) de l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Arnaud Blin et Gérard Chaliand, Dictionnaire de stratégie (Perrin, 2016, 1120 pages).
La réédition en poche de ce Dictionnaire de stratégie écrit par Arnaud Blin, stratégiste et historien, et Gérard Chaliand stratégiste lui aussi et spécialiste des conflits asymétriques, constitue un petit événement. Il s’agit là d’une nouvelle édition d’un ouvrage de référence paru en 1998 et épuisé depuis longtemps, qui n’est pas une simple réimpression mais une mise à jour, avec l’ajout d’une vingtaine d’entrées inédites, dont : « Daech », « 11 Septembre », « Drone » ou encore « Cyberguerre », échos des évolutions stratégiques de ces vingt dernières années.
On retrouve dans ce dictionnaire les entrées traitant des théories et principes de la stratégie, de la typologie des guerres, des grands capitaines ou des batailles majeures. Chaque article est suivi d’une courte bibliographie. Sont annexées à l’ouvrage une chronologie des grandes batailles de l’histoire, mises en parallèle avec les principaux ouvrages stratégiques et doctrines militaires, ainsi qu’une longue bibliographie qui a été mise à jour.
Dans une nouvelle introduction qui sert de fil directeur à l’ouvrage, les auteurs cherchent à dresser une généalogie mondiale de la stratégie, renouant ainsi avec une vision globale à laquelle Gérard Chaliand nous a habitués au moins depuis son Anthologie mondiale de la stratégie. Cette généalogie est d’abord parcellaire, « les civilisations restant en général murées sur elles-mêmes », mais comprend les classiques militaires chinois, ou encore les écrits byzantins au Moyen Âge. La Renaissance voit les Européens renouer avec l’Antiquité. Au XVIIIe siècle, la pensée stratégique européenne s’épanouit. Les idées révolutionnaires apportent le concept de guerre absolue. Le premier tiers du XIXe siècle et l’industrialisation provoquent de profonds changements, donnant en particulier au feu une puissance redoutable. Cette époque est d’une exceptionnelle fécondité stratégique (Moltke, Ardant du Picq, Mahan, etc.). Au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, les penseurs se familiarisent avec la pensée stratégique, prenant en compte les réflexions sur l’histoire passée, les campagnes militaires, la géographie, la technologie, etc. La fin de la Seconde Guerre mondiale marque une rupture plus importante encore que celle de la Révolution : avec le feu nucléaire, une révolution qualitative et non plus quantitative est en marche, qui oblige la stratégie à se penser en termes nouveaux.
Dans cette même introduction les auteurs reviennent sur l’évolution de la guerre depuis 1998. Au cours de cette période, le fiasco irakien et l’échec relatif en Afghanistan ont souligné la difficulté, pour les États les plus puissants technologiquement, à produire des stratégies efficaces. Par ailleurs, aux conflits idéologiques du XXe siècle ont succédé, non sans surprise, des conflits à caractère religieux. Les progrès technologiques continuent de peser sur les stratégies : révolution informatique, robotisation, cyber, etc. Mais la nature même de la guerre n’a pas changé, et elle reste « l’arbitre final des relations internationales ».
Ce Dictionnaire de stratégie – même si l’on eût aimé une mise à jour plus générale – reste donc une référence incontournable pour tous ceux qui s’intéressent à ce domaine, à la guerre ou aux relations internationales. Son rapport qualité/prix imbattable le rend de plus très attractif.
Rémy Hémez
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Zbigniew Brzezinski vient de disparaître.
L’ancien conseiller à la sécurité nationale du président Jimmy Carter avait écrit plusieurs articles pour la revue Politique étrangère. Ses articles les plus anciens peuvent être consultés sur la plateforme Persée. Sa contribution la plus récente, « Towards a Security Web » (Politique étrangère, n° 5/2009) peut être lue sur Cairn.
La biographie intitulée Zbigniew Brzezinski. Stratège de l’Empire (Odile Jacob, 2015) a par ailleurs fait l’objet d’une recension dans notre revue (Politique étrangère, n°3/2016).
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Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2017). Estelle Zufferey propose une analyse de l’ouvrage de William Andrews, Dissenting Japan: A History of Japanese Radicalism and Counterculture from 1945 to Fukushima (Hurst, 2016, 356 pages).
« Le clou qui dépasse sera enfoncé. » C’est ce célèbre proverbe japonais, souvent utilisé pour souligner le prétendu côté conformiste et conservateur de la société japonaise, que William Andrews, écrivain et traducteur établi à Tokyo, tente de remettre en question, en présentant un historique des mouvements dissidents au Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au lendemain de la triple catastrophe du 11 mars 2011.
L’auteur, à travers une série de chapitres précis et documentés, revient sur la formation et la disparition souvent douloureuse de différents mouvements radicaux d’extrême gauche et d’extrême droite qui ont marqué l’après-guerre japonais, et qui frappent par leur complexité et leur violence. Il évoque ainsi la rage des associations étudiantes lors des manifestations ANPO des années 1960 contre le traité de coopération très contesté entre les États-Unis et le Japon, les dérives sectaires de l’Armée rouge unifiée (Rengô Sekigun) qui a traumatisé le Japon par ses excès autodestructeurs, ou encore les attentats terroristes et détournements d’avion coordonnés par l’Armée rouge japonaise (Nihon Sekigun) dans les années 1970.
L’auteur s’attarde également sur des mouvements plus mineurs et rarement étudiés dans la littérature occidentale, tel le Front armé antijaponais d’Asie de l’Est, à l’origine de plusieurs attentats contre des grandes corporations japonaises, qu’il accusait de soutenir l’impérialisme et le colonialisme japonais ; ou des groupes plus communautaires comme celui de la Yamagishi-kai, qui prônait une vie sans argent et sans hiérarchie où tous travailleraient pour tous, et qui fut dans les années 1970 accusée de tendances sectaires et d’avoir aussi pratiqué le lavage de cerveau.
Cet ouvrage est particulièrement pertinent pour comprendre le contexte post-Fukushima, qui a vu renaître des mouvements contestataires de plus en plus actifs, contre l’énergie nucléaire, mais aussi plus récemment contre la réinterprétation de l’article 9 de la Constitution. Même si ces groupes pacifistes évitent les dérives radicales de leurs prédécesseurs, ils sont volontiers associés aux manifestations étudiantes des années 1960-1970 qui avaient mobilisé la population.
Il est également intéressant de noter que, de même que les manifestations plus anciennes s’inscrivaient dans un mouvement de contestation plus global (comme les manifestations étudiantes en Corée du Sud ou en Hongrie des années 1960), les jeunes leaders japonais des mouvements étudiants des années 2014-2015 s’identifient volontiers à ceux du « mouvement des tournesols » à Taïwan, ou de la « révolution des parapluies » à Hong Kong au printemps et à l’automne 2014.
William Andrews mentionne également le silence obstiné des médias et le mépris des politiques à l’égard de ces mouvements, ainsi que leur répression sévère et systématique par le gouvernement, ce qui rend la formation de groupes de contestation extrêmement difficile. Les mouvements évoqués par l’auteur ont pour la plupart finalement échoué dans leurs objectifs, et été oubliés par la majorité de la population, quand ils n’ont pas été condamnés fermement, en particulier pour leur violence.
Dissenting Japan est un ouvrage très bien documenté et agréable à lire, qui intéressera les japonologues, et plus généralement toute personne attirée par la société japonaise contemporaine et les mouvements de protestation des nouvelles générations.
Estelle Zufferey
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