Le journal quotidien L’Opinion a publié le 20 juin 2017 un article sur le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2017), dont le dossier est consacré à l’ASEAN.
Les faits – Selon une étude menée en 2015 par le Pew Research Centre, 1 % des Indonésiens, soit environ 2,5 millions de personnes, affirme avoir une bonne opinion de l’État islamique. Cette forte proportion combinée à l’existence confirmée par les autorités de cellules dormantes fait craindre une multiplication des actions dans ce pays à un moment où Daech perd du terrain en Irak et en Syrie.
Entrée dans sa cinquième semaine, la bataille pour la reprise de la ville de Marawi, au sud des Philippines, tombée sous le contrôle du groupe Maute affilié à l’organisation État islamique, continue de mobiliser davantage de moyens militaires. Le président Rodrigo Duterte a décidé d’envoyer de nouveaux renforts, rejetant par la même occasion les offres de médiation faites par des responsables religieux de négocier avec les derniers militants retranchés dans la ville pour obtenir leur reddition. Les troupes régulières ont entamé depuis plusieurs jours une reconquête « centimètre par centimètre » de la cité que plus d’une centaine de rebelles islamistes tiennent en partie dans le but d’établir une « province » de l’État islamique dans cette région de Mindanao dont l’instabilité chronique liée aux activités de différents groupes criminels et terroristes constitue un fardeau pour le pays depuis de nombreuses années.
À l’instar de son prédécesseur, Rodrigo Duterte cherche une solution politique à la question des musulmans à Mindanao. D’ailleurs, les deux principaux groupes armés les représentant – le Front de libération islamique Moro (MILF) et le Front de libération nationale Moro (MNLF) – négocient avec le pouvoir dans le but d’arriver à un accord susceptible de satisfaire les revendications locales. Des représentants du MILF ont rencontré le président philippin pour lui offrir leur aide tandis que ce dernier leur a affirmé que la loi martiale décrétée dans la zone ne se transformerait pas en une chasse contre leurs militants. En effet, le chef de l’État a intérêt de conserver de bons rapports avec ces organisations, ce qui explique aussi pourquoi il entend écraser le groupe Maute. Il veut faire un exemple comme pour sa lutte sanglante contre le trafic de drogue qu’il a lancée depuis son arrivée au pouvoir l’an dernier.
Rien ne dit qu’il y parviendra car le combat contre les mouvements terroristes comme Maute demande une approche qui dépasse le cadre purement national. « Qu’il s’agisse des défis internes, régionaux ou systémiques, les menaces concrètes interrogent la vulnérabilité des États membres » de l’Association des nations du sud-est asiatique (ASEAN), rappelle Sophie Boisseau du Rocher dans la dernière livraison de Politique étrangère consacrée aux 50 ans de l’organisation régionale. Car la Communauté de sécurité que souhaite mettre en place l’ASEAN est loin d’être fonctionnelle et « les principes qui ont jusqu’ici fonctionné pourraient se révéler inadaptés pour répondre aux enjeux à venir », confirme le chercheur associé au Centre Asie de l’Ifri.
Menace terroriste. Ceux-ci ne concernent pas seulement la menace terroriste, mais il s’agit aujourd’hui de l’urgence comme le montre la situation à Marawi qui doit servir de base de réflexion pour les responsables philippins, indonésiens et malaisiens directement concernés par la poussée de l’islamisme radical dans leurs pays et par l’affiliation d’un nombre croissant de leurs ressortissants à des organisations proches de Daech.
Les services de police indonésiens ont récemment révélé qu’au moins 600 Indonésiens ont rejoint les rangs de l’État islamique en 2016 et que 38 d’entre eux avaient participé à la prise de Marawi et aux combats avec l’armée philippine. La mise en place de patrouilles maritimes conjointes en mer de Sulu et en mer des Célèbes est une première réponse qui devra être complétée par d’autres mesures.
Décidées il y a plus d’un an, ces opérations communes de contrôle n’avaient pas été effectives pour des questions territoriales, mais la prise de Marawi par le groupe Maute semble avoir enfin décidé les dirigeants des trois pays à mettre de côté leurs petites rivalités. Reste que cela ne suffira pas, compte tenu de l’immensité du territoire à surveiller. Les gouvernements concernés doivent aussi renforcer les contrôles dans les ports et s’appuyer sur des échanges de renseignements avec l’aide des États-Unis notamment, lesquels disposent de moyens technologiques dont ils sont dépourvus.
La présence de soldats des forces spéciales américaines auprès des militaires philippins à Marawi dans une mission de soutien technique et de renseignement indique aussi que le dossier est pris au sérieux par Washington malgré les relations moins cordiales qu’entretiennent les États-Unis et les Philippines depuis l’entrée en fonction de Rodrigo Duterte. Les militaires philippins devraient parvenir à déloger les extrémistes de Marawi. Ils y consacrent de gros moyens, mais cette victoire annoncée devrait être prolongée par un plan à long terme à l’échelle régionale pour lutter contre la montée en puissance de l’islam radical dans cette partie du monde où vivent quelque 400 millions de personnes. Faute de quoi, d’autres cités pourraient connaître le même sort que Marawi.
* * *
Retrouvez le sommaire complet du numéro d’été, ainsi qu’en libre lecture les articles de Françoise Nicolas, « La Communauté économique de l’ASEAN : un modèle d’intégration original » et de Catherine Iffly, « Quelles perspectives pour la Crimée ? ».
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Qu'est-ce que c'est que cette histoire de « Brexit » ?
En 2016, la troupe de comédiens irlandais Foil Arms and Hog ironisait sur le flou entourant les multiples espaces du monde britannique.
— Tu as vu l'agenda pour le meeting ?
— Oui ! Dis donc, c'est quoi ces histoires de « Brexit » et de « Rue » ?
— « Rue » ? Tu veux dire « RU » ?
— Ah voilà. C'est quoi ce truc ?
— C'est le Royaume-Uni. Tu sais, l'Écosse, l'Angleterre, le Pays de Galles, l'Irlande du Nord.
— Mais non, ça ce sont des pays distincts.
— Oui, mais ensemble, ils forment le RU.
— Attends. Si tu viens de l'un de ces pays, qui est-ce que tu représentes aux Jeux olympiques ?
— « L'équipe GB ».
— L'équipe quoi ?
— L'équipe Grande-Bretagne. (…)
— Et pour le championnat d'Europe de football, ils jouent aussi sous le nom d'« équipe GB » ?
— Non, ils jouent chacun de leur côté.
— Une seule personne par équipe ?
— Non, chaque pays de son côté : Écosse, Angleterre, Pays de Galles, Irlande du Nord.
— Pourquoi ?
— Ça ne serait pas juste s'ils mettaient toutes leurs ressources à contribution !
— Mais pour les Jeux olympiques, ça ne pose pas de problème ! Et pour le rugby, ça donne quoi ? Angleterre, Écosse, Irlande du Nord et Pays de Galles ?
— Non, en rugby, l'Irlande du Nord joue avec la République d'Irlande, sous le nom d'« Irlande ».
— Quoi ? Un instant, reprenons tout ça : le RU se trouve en Europe…
— Oui.
— … donc ils utilisent l'euro.
— Non.
— D'accord, ça veut dire qu'il ne font pas partie de l'UE.
— Si, si : ils font partie de l'UE.
— Quoi ?
— Pour l'instant.
— Qu'est ce que ça veut dire « pour l'instant » ?
— Brexit.
— C'est quoi ça, « Brexit » ?
— La sortie britannique de l'UE.
— Donc la Grande-Bretagne veut quitter l'UE. (…)
— Enfin, juste le Pays de Galles et l'Angleterre.
— Et les deux autres alors ? Ce n'est pas juste.
— Eh bien, quand le RU quittera l'UE, alors l'Écosse pourrait sortir du RU et rejoindre l'UE.
— Et l'Angleterre ?
— Elle va se rapprocher du Commonwealth.
— C'est quoi ça, le « Commonwealth » ?
— Les anciens territoires de l'Empire britannique.
— Et maintenant, ils ont un empire ! (…)
Foil Arms and Hog, « WTF is Brexit ? », 30 juin 2016.
« Approchez votre œil... Merci de votre collaboration. » La voix métallique provient d'un boîtier luminescent accroché à un bras articulé. Elle s'adresse directement aux réfugiés syriens. Dans ce supermarché implanté au milieu du camp de Zaatari, en Jordanie (lire « Les réfugiés, une bonne affaire »), chacun doit dorénavant faire scanner son œil à la caisse pour payer ses achats. Mis en place en février 2016 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), le dispositif vérifie, grâce au balayage de l'iris, l'identité du réfugié, puis la solvabilité de son compte virtuel, crédité de 50 dollars par mois et domicilié dans une banque locale, la Jordan Ahli Bank. Cette opération se déroule « en un clin d'œil », selon la communication enthousiaste du HCR, et permet d'« éviter les fraudes ». Le système a également été mis en œuvre quelques mois plus tard à Azrak, l'autre grand camp de réfugiés syriens, dans le nord du pays.
Qu'ils viennent de franchir la frontière pour fuir les combats ou qu'ils séjournent depuis plusieurs années dans le camp, nombre de réfugiés ne placent pas la question de la biométrie au premier rang de leurs préoccupations. « D'une certaine manière, c'est plus pratique, on ne peut pas perdre la carte », commente laconiquement une femme dans les allées du magasin. Tout au plus cette mère de famille regrette-t-elle de ne plus pouvoir envoyer ses enfants faire les courses à sa place. À Amman, la capitale du pays, M. Hani Maoued, ancien journaliste syrien passé par le camp de Zaatari, affirme pourtant que de nombreux réfugiés s'inquiètent en privé : « Pour eux, ce sujet est considérable. Ils vivent déjà dans des camps, c'est-à-dire que tout leur environnement est fondé sur la contrainte ; tout leur est imposé. Ils voient ce système comme une forme d'obligation supplémentaire. »
Domiciliée depuis 2003 dans les îles Caïmans, l'un des paradis fiscaux les plus opaques de la planète, l'entreprise IrisGuard avait jusque-là implanté son outil de reconnaissance de l'iris dans les prisons américaines, aux postes-frontières des Émirats arabes unis ou dans les unités antidrogues de la police jordanienne. À son conseil de surveillance siègent M. Richard Dearlove, directeur jusqu'en 2004 du Secret Intelligence Service, le service de renseignement extérieur du gouvernement britannique, et Mme Frances Townsend, conseillère spéciale du président américain George W. Bush pour la sécurité intérieure et le contre-terrorisme de 2004 à 2008. « Une simple expertise de qualité » pour le fondateur et directeur général, M. Imad Malhas, qui assume parfaitement les objectifs sécuritaires de son entreprise. « Je suis fasciné par cette technologie. Vous savez, aucun être humain n'a le même iris, et, de plus, c'est la seule partie du corps qui reste la même tout au long de la vie. C'est beaucoup plus fiable que les empreintes digitales. » Un marché d'avenir pour sa société, qui a « offert » ses machines au HCR. En échange, elle perçoit 1 % de chaque paiement effectué par les réfugiés. « Tout cela coûte 20 % moins cher au HCR que l'ancien système de distribution des colis alimentaires. Nous cherchons maintenant à nous étendre à deux niveaux : horizontalement, c'est-à-dire au sein des Nations unies, et géographiquement, avec la Turquie, qui est aujourd'hui le pays qui accueille le plus de réfugiés syriens (1). (...) Nous espérons obtenir de nouveaux marchés très rapidement. »
Dès 2002, soit plus de trois ans avant l'introduction du passeport biométrique dans l'Union européenne, le HCR lançait en Afghanistan la « première mise en pratique dans le monde de la technologie par reconnaissance d'iris » : un programme d'enregistrement « expérimental » destiné à la vérification de l'identité des réfugiés afghans de retour des camps situés au Pakistan voisin (2). Quinze ans plus tard, le gouvernement procédait à l'identification biométrique de l'ensemble de la population afghane, faisant de ce pays l'un des plus avancés en la matière (3). Un paradoxe pour une nation régulièrement classée comme l'une des plus pauvres de la planète. « Dans tous ces camps de réfugiés, les populations marginalisées servent de cobayes pour les nouvelles applications biométriques », affirme M. Paul Currion, consultant indépendant sur les questions humanitaires après avoir travaillé notamment en Irak et en Afghanistan pour diverses organisations non gouvernementales (ONG). « Pour les entreprises qui développent ces technologies, les camps de réfugiés sont une formidable aubaine. Cela leur permet d'associer leur image à celle de l'humanitaire, de tester leurs outils à large échelle, et enfin d'approcher les gouvernements occidentaux pour essayer de les leur vendre. » Les entreprises trouvent là une population docile et peu encline à se mobiliser politiquement.
Depuis 2002, le HCR a implanté le système d'enregistrement biométrique dans près de dix pays, de la Malaisie au Kenya. En 2008, il a mandaté M. Simon Davies, fondateur de l'association Privacy International et spécialiste de la protection des données personnelles, pour évaluer dans plusieurs camps ce nouveau dispositif : « Ce que nous avons découvert était très inquiétant. Dans cet environnement, tout le monde est désespéré, de sorte que les réfugiés sont prêts à accepter n'importe quoi. En Éthiopie, par exemple, ils exprimaient de grandes inquiétudes à propos des empreintes digitales ; ils disaient qu'on prenait leur identité, quelque chose d'eux (...). Nous avons découvert des ordinateurs non chiffrés avec des informations confidentielles, des arrangements avec les gouvernements d'accueil sur les données, notamment en Malaisie. Et impossible d'avoir des informations sur les accords passés avec les entreprises. En Europe, obtenir et conserver ainsi de telles données serait totalement illégal. » Transmis à la direction du HCR, le rapport a été enterré par l'agence et n'a jamais été publié. L'organisation a balayé la question du consentement des réfugiés.
Neuf ans après ces mises en garde, elle n'a pas modifié ses pratiques de collecte des données. Professeure au centre d'études militaires de l'université de Copenhague, Katja Lindskov Jacobsen dénonce la création inutile et dangereuse par le HCR d'un « réfugié numérique ». « Paradoxalement, nous explique-t-elle, l'introduction de la biométrie à large échelle au cours des dix dernières années a rendu les réfugiés encore plus vulnérables. Les politiques de protection des données sont très floues. Celles-ci peuvent être échangées avec des États, comme cela a été le cas avec le Kenya, qui a pu croiser la base des réfugiés avec celle de ses citoyens. Dans les appels d'offres des entreprises, il est même stipulé que les informations pourront être partagées “à la discrétion du HCR”. » Précieuses informations dont l'utilisation commerciale et politique semble promise à un bel avenir.
(1) Actuellement, on compte en Turquie 2,7 millions de réfugiés syriens, selon le HCR (janvier 2017). Ce dernier ne gère pas de camps dans le pays, car le gouvernement turc refuse toute ingérence.
(2) Peter Kessler, « Iris testing of returning Afghans passes 200,000 mark », HCR, New York, 10 octobre 2003.
(3) Cf. Paul Currion, « Les enjeux de la biométrie dans l'humanitaire », Irin News, Genève, 26 août 2015.
Hubert Truxler a passé plus de trente ans sur les chaînes d'assemblage des usines Peugeot, de 1972 à 2003. Dans « Grain de sable sous le capot », écrit sous le pseudonyme de Marcel Durand afin ne pas s'approprier une mémoire collective, il décrit son quotidien, la solidarité ouvrière, les plaisanteries potaches, les grèves, la fragmentation du travail…
Boris SéméniakoLes fayots sont toujours collés au cul du chef. Comme les mouches à la merde. Heureusement qu'il y a quelques copains sympas. Casquette travaille depuis quinze ans en France, dont douze chez Peugeot. Il n'a pas perdu son accent slave et ça pimente ses histoires. Et puis, un beau jour, il annonce : « Moi retourner Yougoslavie. Ici trop bordel. Travail comme esclave et pis pas beaucoup paie. »
Il est retourné au pays, mais son anecdote la plus piquante est encore inscrite dans nos mémoires : un jour, il va faire des courses, avec un ami fraîchement débarqué en France. Son ami a repéré une fille. Il l'aborde : « Toi connais moi ? Moi connais toi ! Moi niquer toi ? »
Chaque fois qu'on croisait Casquette, la question rituelle revenait : « Toi connais moi ? » Et lui de répondre : « Oui, moi niquer toi ! »
C'est débile et c'est fort. C'est rien et c'est tout. Cette complicité verbale ramène la bonne humeur, redonne la pêche. Au-delà de ces quelques mots dérisoires, on sent une complicité, un courant qui passe. On s'est compris.
(…)
La force productive a vieilli. Il faut du sang jeune. Le voilà. La cuvée 1987 est arrivée. La direction prend prétexte du lancement de la 405 pour embaucher des intérimaires. Elle venait de débaucher mille cinq cents ouvriers (préretraites, renvoi des immigrés, licenciement des malades). Manœuvre préfectorale pour faire baisser le taux de chômage, mais surtout maints avantages pour Peugeot.
Un intérimaire, c'est jeune et plein de santé. Ça sort de mois (ou d'années) de chômage, donc ça travaille dur. Ça apprend un poste en quelques heures alors qu'un ancien met plusieurs jours. Ça n'est jamais malade. Ça fait pas grève. Un, parce que c'est un personnel scrupuleusement trié. Deux, parce que le statut d'intérimaire le leur interdit. (...) Les intérimaires sont donc la nouvelle race des exploités, les immigrés de l'intérieur. Mais ça a beau être jeune et bosser dur, ça n'en pense pas moins, un intérimaire. Suffit parfois d'une étincelle. Si vous saviez, les copains, c'te trouille qu'y zont, les patrons. Qu'on s'unisse. Une seule force qui les balaie, tchak !
(…)
La production repart plein pot. Jusqu'ici, les intérimaires étaient recrutés dans d'autres régions, à quelques exceptions près. Cette fois, la main-d'œuvre jetable vient des quartiers avoisinants. Le tri est moins sélectif. Plus de délit de faciès, de visage basané pour décrocher un emploi (temporaire) chez Pijo.
Les petits chefs ras du crâne ne l'ont pas compris tout de suite, cette nuance autour du faciès. Qu'est-ce qu'elle a, ma gueule ? Entre le chef et l'intérimaire immigré se noue une véritable histoire d'amour.
On vous l'a expliqué, l'arrogance de certains chefaillons est proportionnelle à la docilité des ouvriers. Même les anciens s'habituent à ce qu'on leur crie dessus comme s'ils étaient encore des gamins. Cause ou plutôt bave toujours...
Les chefs hargneux ne modifient pas leurs façons de diriger une équipe. Des invectives vexantes, des menaces et des propos ouvertement racistes, sauf que les intérimaires de la troisième génération (d'immigrés) changent la donne. Des gosses, la plupart le sont encore, mais pas timorés. Du répondant verbal et le réflexe vif des poings. Et pan ! dans la tronche du chef derechef. De toute façon, Karim projetait de se tirer au plus vite de ce cirque. Le cas Karim n'est pas isolé. Sans parler du cassage de gueule hors de l'usine. Voili qui remet les pendules à l'heure. Dans une des réunions mensuelles délégués-direction, la CGC [Confédération générale des cadres] demande davantage de protection pour le personnel d'encadrement. Et pourquoi pas un garde du corps derrière chaque chef ? Le respect. Voilà le mot juste dans la bouche des jeunes de cité.
Grain de sable sous le capot. Résistance & contre-culture ouvrière : les chaînes de montage de Peugeot (1972-2003), Agone, Marseille, 2006.