You are here

Le Monde Diplomatique

Subscribe to Le Monde Diplomatique feed
Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 15 hours 53 min ago

Toni Erdmann

Thu, 03/11/2016 - 13:28

L'événement marquant du Festival de Cannes 2016 restera l'emballement de la critique française pour Toni Erdmann, de Maren Ade. Film allemand le plus drôle depuis les comédies (hollywoodiennes) d'Ernst Lubitsch pour Les Cahiers du cinéma, proposition « pour chacun d'entre nous de se réinventer » « contre l'ordre économique mondialisé, contre l'industrialisation de la culture, contre la fatalité généalogique » pour Le Monde, cette comédie qui s'étire sur cent soixante-deux minutes n'a pourtant pas figuré au palmarès final, qui a préféré couronner Moi, Daniel Blake, de Ken Loach. Les pitreries du personnage de Toni Erdmann — d'ailleurs démarqué du comique américain Andy Kaufman —, qui vient gentiment perturber la vie de sa carriériste de fille, la vision convenue d'une multinationale où l'on peut être poussé à se mettre littéralement à nu pour « le bien de l'entreprise » ont rendu dithyrambique la critique, fâchée ensuite qu'on ait pu préférer un film démontrant par la force d'un récit humaniste les ravages de l'ultralibéralisme. George Miller, président du jury, a donc été renvoyé à son indignité, celui d'être le père de Mad Max…

2016, 162 minutes, sorti en salles le 16 août 2016.

L'Histoire officielle

Thu, 03/11/2016 - 13:28

Trois ans après la fin de la dictature argentine, Luis Puenzo construit en 1985, dans L'Histoire officielle, une fiction qui décrit l'époque de transition du gouvernement de Raúl Alfonsín, lorsque les langues vont se délier sur les années noires. Alicia est professeure d'histoire, mais « ne sait pas son histoire ». Elle cherche à la connaître et entre dans ce que Puenzo nomme une tragédie : « Quand tout ce que tu fais va à l'encontre de tes intérêts, mais que tu ne peux pas faire autrement. » En découvrant les liens de son mari, homme d'affaires, avec le pouvoir militaire, l'origine de sa fille adoptive, les tortures subies par une amie, elle peut enfin comprendre ce que lui explique un collègue : « C'est toujours plus facile de croire que c'est impossible. Parce que si c'était possible, il faudrait des complices, et beaucoup de gens qui ne veulent pas croire ce qu'ils ont vu. » Cette œuvre majeure, en montrant les mécanismes qui entretiennent l'oppression plutôt que l'oppression elle-même, rappelle qu'une dictature est avant tout une « maladie collective ».

DVD de 152 minutes + livret de 40 pages, distribution Pyramide Vidéo, 25 euros.

Te souviens-tu de Wei ?

Thu, 03/11/2016 - 13:28

Fruit de la collaboration entre Gwenaëlle Abolivier (scénario) et Zaü (dessin), cet album retrace l'histoire méconnue des travailleurs chinois envoyés en France entre 1916 et 1918. Pauvres, souvent illettrés, ces jeunes partaient joyeux, avec l'idée de travailler dans de lointaines contrées pour revenir riches dans leurs provinces du nord-est de la Chine. Ils se retrouvèrent à construire des tranchées, à ramasser les morts pour les enterrer, à trimer dans les mines de charbon ou les usines d'armement. En deux ans, ils furent cent quarante mille à débarquer et à vivre dans des campements. Dix mille furent regroupés dans le nord de la France et dans le « corps des travailleurs chinois » sous autorité britannique ; les autres furent répartis sous autorité française sur le territoire national. Beaucoup moururent d'épuisement ou de misère — et sous les bombardements. Dans les années 1920-1930, la France connaîtra une autre vague d'immigration d'ouvriers et d'intellectuels. Destiné aux enfants, cet album vaut d'être lu par les adultes.

Hongfei, Paris, 2016, 50 pages, 15,50 euros.

Le syndrome de 1940. Un trou noir mémoriel ?

Thu, 03/11/2016 - 13:28

Fruit d'un colloque organisé à Lyon, au Centre d'histoire de la Résistance et de la déportation, cet ouvrage collectif témoigne du « trou noir mémoriel » constitué par la défaite de mai-juin 1940. Dans leur avant-propos, les artisans de ce volume soulignent que cette mémoire « peu chargée d'histoire » est « restée largement configurée autour de topoï [stéréotypes] », dont certains « cultivés par le cinéma “populaire” français » — la série des Septième Compagnie, par exemple. On y lira avec intérêt combien cette mémoire a habité la vie politique française, aussi bien chez les communistes, les socialistes ou les trotskistes (contribution de Philippe Buton) que chez des personnalités comme M. Valéry Giscard d'Estaing (Gilles Vergnon). Combien, aussi, la présentation des archives en France et en Union soviétique a joué « un rôle-clé dans l'élaboration de mémoires collectives du conflit » (Sophie Cœuré). La richesse des contributions permet d'ouvrir, enfin, les pages d'une histoire de ce « syndrome de 1940 ».

Riveneuve Éditions, Paris, 2015, 301 pages, 24 euros.

Dérangées ou dérangeantes ?

Thu, 03/11/2016 - 13:28

Au fil des siècles, fugueuses, vagabondes, mères célibataires, prostituées, délinquantes, garçons manqués… toutes se sont heurtées à des dispositifs de préservation ou de correction spécifiquement pensés pour elles : justice, religion, psychiatrie se sont disputé le contrôle ou le traitement des comportements transgressifs des unes, de la soif d'indépendance des autres.

Indociles et rebelles, ces « mauvaises filles », dérangeantes et dites dérangées pour être sorties du rang, ont également annexé l'espace public et des territoires estimés virils. Inquiétantes, déviantes, rivalisant avec les « mauvais garçons », elles ont bousculé l'ordre sexué auquel elles ont sans cesse été rappelées par les institutions qui leur étaient consacrées — internats, prisons, couvents, etc. Lié à une exposition présentée par l'Association pour l'histoire de la protection judiciaire des mineurs, cet ouvrage, préfacé par Michelle Perrot, présente vingt portraits de « mauvaises filles », entre 1840 et 2000 (1). On y voit aussi bien Augustine, l'une des patientes « hystériques » du professeur Jean-Martin Charcot, qu'Albertine Sarrazin, l'auteure de L'Astragale. Une riche iconographie et des pièces d'archives éclairent la destinée de femmes qui ont dérogé, tantôt malgré elles, tantôt à dessein, à la condition qui leur était imposée comme une fatalité.

(1) Véronique Blanchard et David Niget, Mauvaises filles. Incorrigibles et rebelles, Textuel, Paris, 2016, 192 pages, 39 euros.

Yanis Varoufakis, l'Europe malgré tout

Thu, 03/11/2016 - 13:28

Connu du public comme le flamboyant ministre des finances qui tint tête aux créanciers de la Grèce de janvier à juillet 2015, Yanis Varoufakis est d'abord un universitaire, auteur de nombreux ouvrages sur l'économie et la théorie des jeux. Dans un essai au titre évocateur (1), il met en perspective la crise de l'euro et ses implications.

Il évoque ainsi la fin, en 1971, du système monétaire dit « de Bretton Woods », instauré en 1944, qui reposait sur une convertibilité directe du dollar en or, la valeur des autres devises s'exprimant en dollars. Puis il rappelle les tentatives des pays européens pour lier leurs monnaies, qui aboutiront à l'introduction de la monnaie unique. Il insiste sur la nécessité de mécanismes de « recyclage politique de l'excédent », de formes de transferts financiers institutionnalisés permettant de pallier les aléas monétaires associés notamment aux déséquilibres commerciaux entre États. Or l'euro souffre de l'absence de mécanismes de ce type. Si la monnaie unique a mis un terme à la spéculation sur les variations de taux de change, les États se trouvent désormais confrontés à d'autres attaques portant sur le financement de leur dette. Ce que Varoufakis ne relie jamais aux processus structurels comme la libéralisation et la déréglementation financière.

Il montre en revanche que l'union économique et monétaire repose sur une série de dogmes sujets à interprétations et contournements. Lors de la crise de 2008, les États membres ont ainsi redoublé d'ingéniosité — et d'hypocrisie — pour venir en aide aux banques privées tout en faisant mine de respecter le cadre de la concurrence libre et non faussée. Les subterfuges de la Banque centrale européenne (BCE), destinés à contourner l'interdiction qui lui est faite de prêter directement aux États, indignent tout particulièrement l'auteur. Ainsi, des reconnaissances de dettes garanties par les États permettent à des banques parfois insolvables d'obtenir des liquidités. « À tout moment, explique l'ancien ministre, mes signatures garantissaient plus de 50 milliards d'euros de dettes des banques privées, alors que notre État ne pouvait gratter quelques centaines de millions d'euros pour financer nos hôpitaux publics, nos écoles ou les pensions des retraités. »

Il relate comment toute remise en question des orientations de l'Eurogroupe par le gouvernement de M. Alexis Tsipras se heurtait à des fins de non-recevoir. Commentant le chantage à l'embargo financier exercé par la BCE, il explique, dans un autre ouvrage adressé plus spécifiquement à la gauche française : « Il ne s'agit pas d'économie, mais bien de pouvoir politique (2).  » L'opération visait en l'occurrence à « humilier » le gouvernement grec, afin que son échec serve d'exemple. Le récit de cette expérience apparaît riche d'enseignements pour les formations progressistes du continent désireuses de conquérir le pouvoir. Elles méditeront sans doute la description d'un appareil gouvernemental grec « englouti par la “troïka” [BCE, Commission européenne, Fonds monétaire international], lui répondant directement, sans rendre compte aux ministres, ni même au Parlement ». Varoufakis se heurtait à une résistance passive au sein de l'administration, au point de ne pas même pouvoir accéder aux documents de son choix.

S'appuyant sur une vision très optimiste de la construction européenne, il estime que « les peuples européens qui s'unissaient magnifiquement ont été divisés par la monnaie unique ». Mais il s'oppose à tout projet de sortie de l'euro, « retour en arrière » dangereux pouvant conduire à la fragmentation. « Européiste », voulant croire à l'existence d'un « peuple souverain européen », il se donne pour objectif de « démocratiser l'Europe ». Objectif doublement herculéen, car il suppose que la lutte pour la démocratisation des institutions bruxelloises et celle pour la démocratie économique ne forment qu'un seul et même combat.

(1) Yanis Varoufakis, Et les faibles subissent ce qu'ils doivent ? Comment l'Europe de l'austérité menace la stabilité du monde, Les Liens qui libèrent, Paris, 2016, 432 pages, 24 euros.

(2) Yanis Varoufakis, Notre printemps d'Athènes, Les Liens qui libèrent, 2015, 112 pages, 10 euros.

Les embarras de Paris. Ou l'illusion techniciste de la politique parisienne des déplacements

Thu, 03/11/2016 - 13:27

En vingt-cinq ans, la moitié des voitures qui circulaient dans Paris s'en sont retirées, tandis que le métro se remplissait au-delà de ses capacités et que les vélos se multipliaient, s'enchante Julien Demade, chercheur au Centre national de la recherche scientifique. La saturation des transports en commun ne pourra d'après lui jamais être résolue, ne serait-ce que pour des raisons de budget. En revanche, encourager la pratique du vélo exigerait peu de nouveaux aménagements, et ce pour des bénéfices en cascade : un air moins pollué, une ville propice aux cheminements piétonniers, des citoyens protégés des maux de la sédentarité… Mais les pouvoirs publics ne facilitent pas cette évolution. L'auteur démonte les mécanismes politiques, les habitudes de pensée et les semblants de solutions par lesquels les décideurs maintiendraient un statu quo. Un abord ardu, une lecture ébouriffante.

L'Harmattan, coll. « Questions contemporaines », Paris, 2015, 278 pages, 29 euros.

Cinema Hermetica

Thu, 03/11/2016 - 13:27

S'appuyant sur une érudition hétéroclite communément qualifiée de pop culture et sur une connaissance profonde du Corpus hermeticum (recueil grec de traités mystico-philosophiques), Pacôme Thiellement se livre à une exégèse parfois déstabilisante, mais enthousiasmante, de quelques films-cultes — principalement du cinéma de genre. Nostalgique de la très ancienne cité de Harran, qui fut assyrienne, grecque, chrétienne, musulmane…, il estime que le cinéma, monde de l'âme, théâtre d'ombres succédant au carnaval, s'offrait à ses débuts comme un nouveau temple. Mais sa conception est également politique : le septième art donnerait à voir l'histoire et anticiperait les temps futurs. Ainsi Freaks, de Tod Browning (1932), annoncerait-il la disparition des monstres et le désir de normalité préludant à l'eugénisme. L'analyse du film de Roman Polanski Le Locataire (1976), évocation d'un monde impossible à habiter, le conduit à affirmer que, comme en une parodie de cet univers, c'est sous l'« État policier » instauré par le trio composé de MM. Alain Bauer, Nicolas Sarkozy et Manuel Valls que les Roms auraient le plus souffert en France.

Super 8 Éditions, Paris, 2016, 297 pages, 20 euros.

Personnages secondaires

Thu, 03/11/2016 - 13:27

Née dans une famille de la petite bourgeoisie juive new-yorkaise, Joyce Johnson refusa dès l'adolescence le destin qui l'attendait pour fréquenter des artistes et des marginaux dont le quotidien était un pied de nez à l'American way of life de l'immédiat après-guerre. Alternant autobiographie et évocation du milieu qui vit naître la beat generation, elle raconte la vie des femmes et des hommes extraordinaires qu'elle a alors croisés, ainsi que la sienne, celle d'un « personnage secondaire », car elle était femme dans un monde masculin, puis fut oubliée par la mythologie beat. Elle évoque sa rencontre avec Jack Kerouac, dont elle devint la compagne peu de temps avant la publication de Sur la route. Selon elle, l'écrivain-culte n'avait pire ennemi que lui-même. Les mirages de la célébrité détruisirent le « clochard céleste », avant tout avide d'intériorité et de solitude. « C'était une époque où l'on prenait encore les livres au sérieux », écrit-elle en préambule. Joyce Johnson perpétue cette tradition désuète avec cet ouvrage au ton juste, qui éclaire de l'intérieur un épisode majeur de l'histoire de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle.

Cambourakis, Paris, 2016, 278 pages, 22 euros.

Un destin

Thu, 03/11/2016 - 13:27

Ne pas être juif et être traité comme un Juif : c'est dans ce hiatus qu'a grandi Georges-Arthur Goldschmidt, écrivain et traducteur. En 1937, il a 9 ans ; il vit près de Hambourg avec ses parents et son frère. Il est protestant, comme toute sa famille, convertie dès avant 1869. Mais le régime hitlérien décrète juif tout individu ayant des parents, grands-parents ou arrière-grands-parents juifs. Et c'est ainsi que le petit protestant devient doublement étranger : à la communauté juive à laquelle il n'appartient pas et au monde chrétien auquel il croyait appartenir. Mais il devient surtout étranger à lui-même, par la perte de tout repère. À partir de cette expérience d'enfant, de ce désarroi initial, de cette impression d'être « en flagrant délit d'on ne sait quoi », Goldschmidt s'interroge sur la judéité, la culpabilité, la liberté, mais aussi sur le langage, instrument idéal du mensonge, et sur son absence, instrument de la découverte de soi. C'est un livre captivant, juste et chaleureux, et d'une grande virtuosité chaque fois qu'il s'agit de rendre compte de cette partie insaisissable de notre être que l'on appelle l'identité.

Éditions de l'Éclat, Paris, 2016, 128 pages, 12 euros.

Oiseaux et changement global. Menace ou aubaine ?

Thu, 03/11/2016 - 13:27

Reconnus comme des témoins du changement global par les directives-cadres européennes, les oiseaux sont pris comme modèles pour analyser l'érosion d'une biodiversité soumise à la pollution des écosystèmes, à la surexploitation des réserves forestières ou maritimes et à un changement climatique trop rapide pour permettre l'adaptation. Depuis 1600, plus d'une centaine de ces espèces descendant des dinosaures ont disparu, parmi lesquelles le dodo, le pingouin arctique, le pigeon migrateur américain, l'eider du Labrador, l'ara glauque… Superbement illustré par le photographe Jonathan Lhoir, le propos du biologiste Jacques Blondel, directeur de recherche émérite au Centre national de la recherche scientifique, est de vulgariser les conséquences avérées de l'empreinte humaine sur la distribution ainsi que sur les mécanismes démographiques, physiologiques et comportementaux de ces « sentinelles » de l'environnement — conséquences qui sont certes souvent négatives, mais pas toujours.

Quae, Versailles, 2015, 144 pages, 26 euros.

J'ai suivi mon propre chemin. Un parcours dans le siècle, suivi de « Respect et critique »

Thu, 03/11/2016 - 13:27

« Quand la foudre a frappé quelque part, on a besoin d'une théorie de l'orage. » Ce bref recueil conjugue avec clarté propos autobiographiques et éclaircissements théoriques. Dans l'entretien de 1987 qui constitue la première partie de l'ouvrage, Norbert Elias (1897-1990) revient à la fois sur la genèse de sa réflexion sociologique et sur les événements qui l'ont marqué — notamment la montée du nazisme. Faisant de l'histoire son « laboratoire » favori, il perçoit une très ancienne « réceptivité » de la société allemande à l'autoritarisme, ce qui rendait l'ascension d'Adolf Hitler moins surprenante. Il plaide ainsi pour des sciences sociales « réalistes », susceptibles de décrire la société telle qu'elle est, et non telle que les chercheurs la rêvent. Une idée qu'approfondit la seconde partie : le discours qu'il a prononcé à l'occasion de la réception du prix Adorno, en 1977. Contre les « pensées figées », Elias défend l'« esprit de la course au flambeau » : reprendre la recherche intellectuelle là où l'a laissée la génération précédente, et continuer…

Éditions sociales, Paris, 2016, 128 pages, 10 euros.

Petit traité de hasardologie

Thu, 03/11/2016 - 13:27

Si le concept de hasard est omniprésent, sa signification fait débat entre les tenants d'un déterminisme strict et ceux qui croient à une volonté divine — le hasard ne résultant alors que de notre ignorance du dessein qui nous régit. Qu'est-ce donc que ce hasard ? La rencontre inopinée de facteurs indépendants (chute du pot de fleurs sur un passant infortuné) ? la complexité de l'agitation des atomes ? l'incertitude de l'avenir ? Le physicien Hubert Krivine expose avec pédagogie — et humour — les principes du calcul des probabilités et les questions qu'il soulève, celles du chaos déterministe ou de la physique quantique, par exemple. Il met en garde contre des applications fallacieuses dans lesquelles il est aisé de se faire piéger par des raisonnements à l'allure scientifique, et invite à se méfier de la tendance à mobiliser des statistiques pour justifier de simples préjugés. Il tord le cou à la pseudo-loi des séries et montre combien notre « intuition » de ce qui est véritablement aléatoire est en fait un guide trompeur.

Cassini, Paris, 2016, 256 pages, 14 euros.

Jeunesse d'une ouvrière

Thu, 03/11/2016 - 13:27

Publié en 1909 et préfacé par le dirigeant de la IIe Internationale August Bebel, ce récit autobiographique raconte l'enfance, l'adolescence et la jeunesse d'Adelheid Dworak (1869-1939), issue d'une famille pauvre de Vienne originaire de Bohême, qui épousera le dirigeant social-démocrate Julius Popp en 1894. Elle connaît une enfance marquée par la faim et les humiliations liées à la misère et doit travailler dès 13 ans, après la mort de son père. Confrontée à une mère aimante mais confite en religion, elle n'en va pas moins devenir une oratrice, une journaliste et une organisatrice de premier plan pour les luttes des ouvrières en faveur de l'égalité politique et sociale. Elle sera aussi l'une des dirigeantes du mouvement socialiste autrichien et international et, après la première guerre mondiale, une élue au conseil municipal de Vienne, ainsi que l'une des sept premières femmes de l'Assemblée nationale constituante. Aux origines de cet itinéraire, on trouve deux facteurs : une volonté farouche d'instruction et de savoir grâce aux livres, et un refus radical de céder aux sirènes de la religion.

Les Bons Caractères, Pantin, 2016, 128 pages, 10 euros.

Daech, le cinéma et la mort

Thu, 03/11/2016 - 13:27

« J'ai voulu comprendre ce qu'il arrive au cinéma que j'ai connu enfant. » Ce qu'il lui arrive, c'est d'être utilisé par l'Organisation de l'État islamique (OEI, ou Daech). Cinéma ? « Toutes sortes d'images enregistrées, cadrées et montrées… », exhibées dans toute leur obscénité. Filmer et tuer, tuer pour filmer. Les nazis masquaient leurs crimes ; l'OEI, elle, exploite toutes les techniques du numérique pour que tout soit visible immédiatement et partout. « Tel est l'apport de Daech à la cinématographie générale. » Industrialiser non pas le processus meurtrier, mais la multiplication des images qui vont en témoigner. Les clips macabres s'enchaînent avec une efficacité de spots publicitaires renforcée par l'ubiquité propre au numérique. Avec leurs techniques éprouvées, à l'instar du gros plan, qui contraint le spectateur à ne voir le meurtre que d'une seule manière, « comme il n'y a qu'une façon de croire en Dieu pour Daech ». Sapant ainsi jusqu'aux fondements intimes du cinéma : celui qui triomphait de la mort et redonnait vie à des êtres disparus place ici le spectateur face à la victime et à son bourreau, et le condamne à n'avoir d'autre point de vue que celui de la caméra.

Verdier, Lagrasse, 2016, 128 pages, 13,50 euros.

Sensibilités

Thu, 03/11/2016 - 12:10

Cette nouvelle revue d'histoire, critique et sciences sociales consacre son numéro inaugural au charisme, ce mode de domination qui passe par un « enchantement affectif ». Une maquette inventive et joliment illustrée. (N° 1, octobre, semestriel, 22 euros. — Anamosa, Paris.)

http://anamosa.fr

La Revue du Comptoir

Thu, 03/11/2016 - 12:05

« Le comptoir, ce Parlement du peuple ». Cette expression d'Honoré de Balzac indique la ligne de cette nouvelle revue, qui entend œuvrer à un socialisme vraiment populaire, au nom de « valeurs sociales, morales ou culturelles prémodernes, ou précapitalistes ». (N° 1, septembre, périodicité non indiquée, 12 euros. — Bagnolet.)

https://comptoir.org/notre-revue/

Public Eye

Thu, 03/11/2016 - 11:59

Le nouveau magazine de l'organisation non gouvernementale suisse (ex-Déclaration de Berne) est consacré aux mélanges d'essence et de diesel néfastes pour la santé et l'environnement que des négociants de pétrole helvètes distribuent en Afrique, en profitant de normes moins restrictives. (N° 1, septembre, bimestriel, 8 francs suisses. — Lausanne, Suisse.)

https://www.publiceye.ch/fr/

Direction des Ressources Heureuses

Thu, 03/11/2016 - 10:33
Gaston Chaissac. – « Balai », circa 1953 © ADAGP, Paris, 2016 - Photo : Galerie Louis Carré / Adam Rzepka

Les patrons n'exagèrent-ils pas un peu dans leur souci de faire le bonheur de leurs salariés ? Aux forçats du travail qui rament pour des queues de cerise et n'auraient peut-être pas songé à se poser pareille question, l'émission « Envoyé spécial », sur la chaîne publique France 2, vient d'administrer une édifiante leçon de rattrapage. Dans un reportage diffusé le 1er septembre, elle nous emmène sur les pas de Sophie, chief happiness officer dans une start-up parisienne spécialisée dans la vente en ligne d'articles de mode faits main. Inventé aux États-Unis, ce nouveau métier, que l'on pourrait traduire par « chef du service bonheur », consiste à « créer une bonne ambiance au bureau » en égayant le personnel par des repas, des soirées ou des sorties propres à souder le groupe et à galvaniser son ardeur à la tâche. Après le petit déjeuner offert aux salariés, la journée de Sophie « se poursuit à la supérette du coin, où elle fait les courses pour préparer un barbecue que l'équipe va déguster », indiquent les auteurs du reportage, apparemment subjugués, eux aussi, par le bain d'allégresse managériale où trempent les cinquante employés de l'entreprise.

Plus les conditions de travail se délabrent pour la grande masse des travailleurs, plus les médias se passionnent pour la débauche de faveurs réservées aux plus chanceux d'entre eux. Le 4 avril dernier, par exemple, en pleine mobilisation contre la « loi travail », alors que l'exaspération face aux ravages de la précarité et à l'épidémie des « boulots de merde » enflait dans la rue, l'émission « Happy boulot » sur la chaîne BFM Business — « tous nos conseils pour bien démarrer votre journée de travail » — choisissait un traitement décalé de l'actualité sociale en s'inquiétant des excès de générosité auxquels en sont réduits les employeurs.

« Aujourd'hui, on parle de cette mode du bien-être au travail, lance la journaliste de plateau, sourire en faïence blanche suspendu aux pommettes. Est-ce que vous connaissez le “chief happiness officer” ? Sa mission, c'est d'éclater (sic) les salariés, de s'occuper de leur bonheur au travail. Le nombre d'offres pour ce poste en France a explosé de près de 1 000 % en deux ans sur le site d'annonces Qapa ! (…) Aujourd'hui, un cadre qui a un haut potentiel dans le digital, la finance, la compta, quand il se met sur le marché, il a le choix entre minimum trois offres. Ce qui va lui faire choisir une offre plutôt qu'une autre, eh bien, c'est justement ce qui vient en plus de l'intérêt du job, de son salaire et de ses primes, c'est la cerise sur le gâteau. Et si c'est une pastèque, c'est encore mieux ! (…) Le risque, en fait, c'est la surenchère. Souvenez-vous, il y a quelques mois, c'était Facebook, Google et Yahoo qui rivalisaient sur le congé maternité. Il y en a un qui proposait six mois, l'autre qui proposait un an, le dernier qui disait : tout le temps que vous voulez [rire du présentateur sur le plateau, incrédule devant tant de magnificence], et après ils sont passés au congé paternité, alors c'est quoi, l'étape suivante ? (…) Les gens s'habituent au confort, même s'il est exceptionnel, ils en demandent toujours plus. Donc le risque, à terme, c'est d'être à court d'idées de gentillesses. » Voilà un angle d'attaque que les syndicalistes utilisent trop rarement : cette tendance lourde du patronat à gâter ses employés.

La mode du bien-être au travail ne profite pas exclusivement aux poulains de course élevés dans les écoles de commerce. Elle ruisselle parfois au compte-gouttes sur les échelons inférieurs de la hiérarchie, comme l'explique M. Christian Barqui, président de l'Association progrès du management (APM) et par ailleurs patron des salades en sachet Florette (1 500 salariés, six usines, 200 millions d'euros de chiffre d'affaires). Dans un récent entretien au Figaro (12 septembre 2016), cet adepte du lean management — une doctrine d'optimisation du rendement élaborée au Japon par le groupe Toyota et peaufinée ensuite dans les éprouvettes néolibérales du Massachusetts Institute of Technology (MIT) — clame son attachement aux « théories qui encouragent les salariés à travailler avec beaucoup de liberté ». « Il faut tout faire pour que les collaborateurs puissent utiliser leur intelligence et trouver leur équilibre », plaide l'industriel de la laitue prélavée, qui tient néanmoins à rappeler que « l'entreprise ne peut pas être une démocratie ». Quand on lui demande s'il a pris des « mesures pour encourager le bien-être au travail dans les usines de Florette », il répond : « Oui. J'ai, par exemple, ouvert une salle de sieste équipée de poufs Fatboy. J'en ai aussi un dans mon bureau. » Aux vingt minutes de sieste quotidienne consenties aux ouvriers en échange d'une productivité accrue s'ajoutent des « cours de yoga chaque lundi soir » et, un vendredi sur deux, des séances individuelles de « réflexologie plantaire ». Prestations assurément utiles à l'entretien de la force de travail, mais pas gratuites pour autant — « le salarié paie 75 % de la séance », précise M. Barqui. Ici, pas de « happy » barbecue ni de concierge pour les sorties théâtre. On a beau être généreux, les petites mains qui ensachent les feuilles de salade ne sauraient prétendre aux mêmes largesses que les petits génies des start-up.

Cette surexposition médiatique des gâteries patronales ne relève pas seulement d'un aimable dérivatif inspiré de la maxime de M. Pierre Gattaz, « Les chefs d'entreprise sont des héros » : elle consacre aussi la ligne de démarcation qui structure le monde du travail. D'un côté, une aristocratie laborieuse dotée de bons revenus et de menus avantages qui cimentent son esprit de corps. S'y blottit le dernier carré des salariés vraiment protégés : ceux qui jouissent d'un rapport de forces favorable à leurs intérêts et ne connaissent pas la peur du lendemain. De l'autre côté, les millions de sujets d'un marché du travail qu'en toute rigueur l'on ne saurait même plus qualifier de salariat, tant y prolifèrent les statuts au rabais qui amputent le travailleur de sa qualité et de ses droits de salarié : stages, intérim, vacations, autoentrepreneuriat, contrats de formation en alternance, contrats d'usage, contrats à horaires modulés, contrats à durée déterminée à temps partiel, emplois « d'avenir », service civique, etc. La condition des trimardeurs de l'industrie des services se dégrade au même rythme que celle des salariés « statutaires », en principe mieux lotis mais pour lesquels le « bien-être au travail » se résume souvent à l'espoir de ne pas sortir trop abîmés des techniques managériales mises en place pour les essorer. Dans les entreprises et les services publics qui l'ont adopté, le lean management vanté par le patron de Florette s'illustre moins par des massages de pieds que par des burn-out en série. C'est le cas notamment à La Poste et dans les hôpitaux. Au centre hospitalier universitaire (CHU) de Toulouse, où le souci de rentabiliser les soins a conduit la direction à se convertir au « toyotisme », quatre membres du personnel infirmier se sont donné la mort au cours de cet été.

La ritournelle du bien-être signale une autre fracture. Dans La Griffe du chien, son roman sur l'économie de la cocaïne, l'auteur américain Don Winslow décrit la mise en place, au tournant des années 1980 et 1990, d'une nouvelle organisation du travail au sein d'un puissant cartel de la drogue mexicain. Son chef, double fictionnel de Joaquín Guzmán Loera, dit « El Chapo », leader du cartel de Sinaloa, est présenté dans le livre comme un pionnier du néolibéralisme. Il aurait apporté sa propre touche à la doctrine reaganienne en décidant de transformer son armée de truands rémunérés au mois en un réseau de petits entrepreneurs autonomes, liés à lui par un simple — mais inviolable — serment d'allégeance. « Nous voulons des entrepreneurs, pas des employés. Les employés coûtent de l'argent, les entrepreneurs en font », explique-t-il à l'un de ses lieutenants. On ignore le degré de véracité historique de ce passage (Winslow dit s'être appuyé sur des recherches solides), mais on retient volontiers l'hypothèse que l'un des narcotrafiquants les plus sanguinaires de l'histoire soit aussi l'un des précurseurs de l'autoentrepreneuriat. Le gouvernement français s'abreuve à bonne source, lui qui a favorisé l'extension de ce régime à près d'un million de travailleurs. Tenus de payer eux-mêmes leurs cotisations sociales et livrés au bon vouloir d'employeurs « clients » qui n'ont pas à répondre de leur sort, les autoentrepreneurs se trouvent aux avant-postes d'un salariat de plus en plus fragmenté, atomisé, où chacun cavale pour sa survie. Dans ce modèle, entraide et solidarité ne subsistent plus qu'en contrebande. A contrario, la poignée de « cols blancs » gavés de pilules du bonheur monopolisent, semble-t-il, les valeurs de camaraderie, d'appartenance de classe et d'esprit d'équipe. Peut-être préfigurent-ils un monde où la notion même de collectif de travail n'existera plus que sous la baguette scintillante des chief happiness officers.

Les journalistes ne savent-ils poser que des questions de droite ? 

Thu, 03/11/2016 - 09:43
Tenez à droite cc Jimmy Kortrijk

Lors de leur premier débat télévisé sur une chaîne privée, TF1, le 13 octobre 2016, les sept candidats de la primaire organisée par la droite et le centre ont tenté d'incarner une droite « enfin » décomplexée. Trop timidement au goût des journalistes qui les interrogeaient, tous salariés de médias privés appartenant à des grands groupes, et même pour l'un d'entre eux au moins — Alexis Brézet (Le Figaro) —, militant de la droite dure. Ses deux confrères ce soir là étaient Gilles Bouleau (TF1) et Elizabeth Martichoux (RTL).

Alexis Brézet (Le Figaro) :

— Est-ce que vous ne sous-estimez pas le ras-le-bol fiscal des Français ?

— Tous vos concurrents sur ce plateau veulent repousser l'âge de la retraite jusqu'à 65 ans, et vous vous dites 63 ans en 2020, 64 ans en 2025, c'est à dire moins, pourquoi cette prudence ? »

Elizabeth Martichoux (RTL) :

— Avec vous, rien ne change pour le système d'assurance chômage. (…) Ce n'est pas là que vous ferez des économies !

— On va parler des impôts. La France est championne d'Europe des prélèvements obligatoires...

— On va maintenant évoquer le déficit, parce que jamais dans notre histoire le pays n'a été aussi endetté.

Gilles Bouleau (TF1) :

— Vous ne proposez pas clairement d'abroger [les 35 heures] ?

— Alléger le fardeau fiscal des ménages français, ce ne serait pas une bonne idée ?

— Qui parmi vous, peut s'engager à respecter enfin la règle des 3 % de déficit public ? (…) Alain Juppé, oui ou non le respect, enfin, de la parole donnée par la France. (…) Mme Kosciusko-Morizet, vous présidente, réduirez vous le déficit, tant promis, à 3 %, oui ou non ? (…) Nicolas Sarkozy, le retour à l'équilibre, oui et quand ?

— Que ferez-vous si la CGT bloque les rues pendant plusieurs jours ?

Faute de temps, sans doute, aucun des trois journalistes n'a demandé aux candidats s'il était raisonnable de durcir encore des orientations dont même le Fonds monétaire international (FMI) et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) admettent l'échec. S'il ne serait pas préférable d'augmenter les salaires ? Et s'il ne risquait pas de sembler paradoxal que certains d'entre eux se réclament de Margaret Thatcher au moment précis où même les conservateurs britanniques tournent le dos à ses principales recommandations économiques et sociales ?

Pluralisme oblige, les journalistes vont, à n'en pas douter, rétablir l'équilibre ce jeudi soir.

En tout cas, les candidats de droite vont à nouveau être interrogés par des journalistes travaillant dans des médias privés, cette fois BFM TV et i-Télé, l'un et l'autre détenus par des milliardaires. La situation sera d'autant plus intéressante que, depuis plus de deux semaines, i-Télé est le théâtre d'une grève des journalistes, reconduite chaque jour à une très large majorité. Ces derniers protestent contre le fait que le propriétaire de la chaîne, M. Vincent Bolloré — également propriétaire de Canal Plus, du quotidien « gratuit » Direct Matin et de Havas (le principal groupe publicitaire de France) — a imposé la présence à l'antenne d'un animateur graveleux.

Lire aussi Serge Halimi, « Indépendance, au-delà d'un mot creux », Le Monde diplomatique, novembre 2016. MM. Juppé, Lemaire, Sarkozy, Fillon, etc. seront-ils interrogés jeudi soir sur ce que ce conflit social révèle de l'état des médias en France depuis que, avec leur concours politique, des grandes fortunes ont mis la main sur l'audiovisuel (BFM TV appartient à M. Patrick Drahi, par ailleurs propriétaire de Libération et de L'Express) ? Or non seulement aucun d'entre eux ne propose de remédier à cet état des choses, mais l'ancien président de la République, ami de M. Bolloré, vient même de réclamer une… plus grande concentration des médias.

Jeudi soir, les journalistes de BFM TV et d'i-Télé devraient avoir à l'esprit que les téléspectateurs ne sont pas tous des militants de droite. Et que les candidats qu'ils vont interroger ne concourent pas pour la direction du Medef, ni pour celle de la gendarmerie nationale, mais pour la présidence de la République.

Dans « Le Monde diplomatique » Toujours disponible

Pages