« Après quarante-six années d'occupation et deux décennies ambiguës de transition, la Hongrie a retrouvé son droit et sa capacité à l'autodétermination », affirme le programme « de coopération nationale » de l'Alliance civique hongroise (Fidesz). Dominant la scène politique depuis 2010, le national-conservatisme du premier ministre Viktor Orbán (1) prétend ainsi reconnecter la Hongrie au supposé cours naturel des choses et rejeter la gauche, qu'elle soit postcommuniste ou libérale, dans le camp des partisans d'une histoire honnie. Les rues portant une référence au communisme ou à des penseurs comme Karl Marx et Friedrich Engels ont été débaptisées, la place de la République étant quant à elle renommée « place Jean Paul-II ».
Pour donner à sa vision des choses une légitimité scientifique, le gouvernement a fondé en 2014 l'institut Veritas, composé de vingt-six spécialistes missionnés pour « réévaluer les recherches historiques ». Ils sont dirigés par Sándor Szakály, un historien invité dans les conférences organisées par le parti d'extrême droite Jobbik et considéré comme révisionniste par les médias de gauche. L'une de ses recherches l'a conduit à qualifier d'« opération de police contre des étrangers » la déportation de plusieurs milliers de Juifs vers l'Ukraine en 1941. Veritas concentre ses efforts sur l'entre-deux-guerres, période de référence pour le camp nationaliste, marquée par la régence autoritaire, conservatrice et irrédentiste de Miklós Horthy, qui avait maté la République des conseils de Béla Kun en 1919. Mais, en raison de sa collaboration avec l'Allemagne nazie et de sa responsabilité dans le génocide des Juifs, le Fidesz ne peut entreprendre pleinement la réhabilitation de ce régime.
Lors de son premier passage au pouvoir (1998-2002), le Fidesz avait lancé son entreprise de réécriture d'un passé plus désirable en inaugurant la Maison de la Terreur, sorte de musée postmoderne dont la vocation est de mettre en lumière les crimes des « totalitarismes nazi et communiste »… mais surtout communiste. En érigeant sur la place de la Liberté de Budapest, à l'été 2014, un Mémorial aux victimes de l'occupation allemande, le pouvoir a tenté de présenter la Hongrie (symbolisée par l'archange Gabriel) comme une victime de l'Allemagne nazie, et non comme son alliée au sein de l'Axe (de 1941 à 1944). À cinquante mètres de ce monument, sur le parvis d'un temple calviniste, trône un buste de Horthy dévoilé en novembre 2013 par des députés du parti Jobbik. S'ajoute à cet imbroglio, sur la même place, un imposant Mémorial aux héros soviétiques, lui-même pointé d'un doigt menaçant par un Ronald Reagan en bronze inauguré par M. Orbán à l'été 2011 afin d'honorer la mémoire de « l'homme qui a vaincu le communisme ».
Ce récit national taillé sur mesure par et pour la droite est imprimé dans les nouveaux manuels scolaires, dont l'édition a été reprise en main par l'État. Plusieurs écrivains antisémites et pronazis de l'entre-deux-guerres ont ainsi trouvé leur place au programme de littérature, comme József Nyírő, dont les cendres ont été rapatriées d'Espagne au printemps 2012 puis inhumées par le président du Parlement, M. László Kövér. Le pouvoir dispose de moyens illimités pour tenter de faire adhérer à son projet national-chrétien une société hongroise pourtant fermement engagée sur la voie de la déchristianisation et de l'émancipation. Face à lui, tout contre-récit antifasciste est quasiment inexistant.
(1) Lire « Le national-conservatisme s'ancre dans la société hongroise », Le Monde diplomatique, avril 2014.
Elue triomphalement, Mme Tsai Ing-wen, issue du Parti démocrate progressiste (indépendantiste), prend ses fonctions de présidente de la République de Chine (Taïwan) à la fin du mois. Inutile de dire que Pékin voit son arrivée sans enthousiasme, si ce n'est avec une certaine hostilité. La nouvelle présidente devra également faire face aux aspirations sociales des Taïwanais.
Chang Ling. – « A Drifting Mind » (Un esprit flottant), 2013L'éclatante victoire de Mme Tsai Ing-wen et du Parti démocrate progressiste (PDP) aux élections du 16 janvier 2016 marque un tournant dans l'histoire politique de Taïwan. S'il avait perdu la présidence entre 2000 et 2008, le Kuomintang (KMT) était toujours parvenu à conserver une majorité de sièges au Parlement. Il s'agit donc de la première véritable alternance depuis la levée de la loi martiale et la démocratisation, en 1987.
Elue avec 56,1 % des voix, Mme Tsai dispose d'un solide mandat populaire et d'une confortable majorité parlementaire (68 sièges sur 113) pour mettre en œuvre son programme et répondre aux inquiétudes de ceux pour qui la politique de rapprochement des deux rives du détroit de Formose, engagée par le gouvernement KMT sortant, a mis en péril la souveraineté et la sécurité de l'île. L'hostilité de Pékin pourrait néanmoins compliquer la tâche de la future présidente, qui prend ses fonctions le 20 mai.
Plusieurs facteurs ont contribué au succès de Mme Tsai et de son parti. Le plus important est indéniablement le mécontentement social et l'espoir d'un nouveau souffle. A deux reprises, en 2008 puis en 2012, le KMT avait remporté les élections en agitant le spectre de la marginalisation économique en cas de victoire du PDP, mais aussi en mettant en avant les retombées positives d'une « relation privilégiée » avec la Chine. Durant ses deux mandats, le président Ma Ying-jeou a en effet signé une vingtaine d'accords qui ont permis l'ouverture de liaisons aériennes et maritimes directes, le développement du tourisme chinois de masse, ainsi qu'un accord-cadre de coopération économique (Economic Cooperation Framework Agreement, ECFA), premier jalon d'une zone de libre-échange entre les deux rives. Cette libéralisation du commerce a entraîné un accroissement considérable des investissements taïwanais en Chine : entre 1991 et 2015, ils se sont élevés à 154,9 milliards de dollars (136,7 milliards d'euros), dont 90 milliards au cours des cinq dernières années (1). En 2009, Taipei a autorisé les investissements chinois dans certains secteurs ; ils atteignaient 1,45 milliard de dollars (1,28 milliard d'euros) à la fin janvier 2016 (2).
« Mouvement des tournesols »En dépit de toutes ces mesures, la croissance a fortement ralenti. Sur la période 2008-2013, le produit intérieur brut (PIB) a crû à un rythme de 3,3 % par an, contre 6,7 % entre 2000 et 2008. Et en 2015, il est tombé à 0,75 %, le pays entrant même en récession au cours des deux derniers trimestres. Si le taux de chômage est resté autour de 4 %, les critiques portent surtout sur la détérioration des conditions de travail et de vie. La croissance profite essentiellement aux plus riches, alors que le revenu mensuel moyen stagne : selon les chiffres du gouvernement, en 2013, il était au niveau de 1998 (respectivement 44 739 et 44 798 dollars taïwanais, soit environ 1 225 euros).
Pourtant, Taïwan est l'un des pays où le temps de travail est le plus long : 2 124 heures par an en moyenne pour un employé en 2013, contre 1 474 heures en France, d'après l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Et ces chiffres ne prennent pas en compte les heures non payées. Selon une enquête menée en 2011 par l'agence d'emploi Yes 123, 85,3 % des employés interrogés travaillaient plus de dix heures par jour, et 70 % n'étaient pas payés pour les heures supplémentaires (3). Dans le même temps, les prix de l'immobilier se sont envolés — la part de leurs revenus que les habitants de Taipei consacrent au logement est la plus élevée du monde (4).
Le rapprochement avec la Chine n'est pas seulement un échec économique. Il a aussi engendré de nouvelles formes de danger pour la démocratie taïwanaise. Les médias se retrouvent exposés à une triple pression chinoise : rachat par des entrepreneurs taïwanais de groupes de presse comme China Times, pour rendre la ligne éditoriale favorable à Pékin ; autocensure pour vendre les programmes sur le marché chinois ; recours à des prête-noms pour contourner l'interdiction faite à Pékin de publier à Taïwan (5). L'expérience hongkongaise de la censure et de la répression chinoise à l'encontre de la presse et des mouvements étudiants a joué un rôle important dans la sensibilisation aux risques d'une poursuite effrénée de l'intégration des deux rives.
Par ailleurs, le manque de transparence dans les négociations avec Pékin et la volonté répétée d'outrepasser les mécanismes de contrôle parlementaire ont accru la méfiance vis-à-vis du pouvoir. Pour une partie croissante de l'électorat, M. Ma a trahi sa promesse de défendre la souveraineté et la démocratie pour s'engager sur la voie de l'unification.
Tous ces mécontentements se sont cristallisés dans le « mouvement des tournesols », lorsque les étudiants ont occupé le Parlement pendant plus de trois semaines, en mars-avril 2014, pour protester contre la tentative de passage en force d'un accord de libéralisation des services (6). Inquiets de l'influence néfaste du régime autoritaire en place de l'autre côté du détroit, ils ont réaffirmé que Taïwan n'était pas une province chinoise, mais un Etat souverain.
Cette jeunesse, qui a grandi après les réformes démocratiques et qui rejette massivement le scénario d'unification tout comme la formule chinoise « Un pays, deux systèmes », a été l'un des facteurs-clés des défaites électorales du KMT. Deux sondages postélectoraux montrent que les 20-29 ans, qui représentent 17 % de l'électorat, se sont fortement mobilisés lors de l'élection présidentielle : 74,5 % d'entre eux ont voté, contre 66,2 % pour l'ensemble du corps électoral ; 71 % des primo-votants (20-23 ans) et 80 % des 24-29 ans ont choisi Mme Tsai (7).
Au total, si la Chine reste un voisin difficile à ignorer, elle ne représente plus la solution miracle pour l'île. Dans ses discours de campagne, Mme Tsai a fait valoir que Taïwan ne maîtrisait plus suffisamment sa trajectoire économique et politique. Elle souhaite donc réduire les facteurs de dépendance. Trois grands dossiers attendent l'administration PDP, à commencer par la relance de l'économie, qui souffre de problèmes structurels majeurs. La croissance est essentiellement tirée par les exportations, dont 40 % filent vers la Chine (et Hongkong), selon un schéma établi depuis plus de vingt ans : les produits sont fabriqués en Chine par des entreprises taïwanaises et exportés vers le reste du monde (« made in China by Taiwan for the world »).
Très peu d'entreprises sont parvenues à développer des marques internationalement reconnues. Le gros du tissu industriel reste dépendant de contrats de sous-traitance pour les grandes sociétés internationales, ce qui le rend vulnérable aux fluctuations de l'économie mondiale. Jusqu'ici, les délocalisations en Chine des usines d'assemblage (comme Foxconn) se sont accompagnées d'une balance commerciale fortement excédentaire. En 2010, Taïwan enregistrait un excédent record de 41,7 milliards de dollars avec la Chine. Mais les économies des deux rives, qui étaient complémentaires, entrent désormais en concurrence.
Les entreprises taïwanaises sont progressivement exclues de la mise en place d'une chaîne de production et d'approvisionnement chinoise rassemblant des grands groupes (Lenovo, Huawei, Tsinghua Unigroup, etc.) et des petites et moyennes entreprises (PME) devenues fournisseurs. Cela explique en grande partie la baisse des exportations, qui, couplée à l'augmentation des importations de produits chinois, a fait chuter l'excédent commercial à 28,1 milliards de dollars en 2015.
Pour donner un second souffle à l'économie et pour rééquilibrer le commerce extérieur, Mme Tsai veut renforcer les liens avec les autres acteurs de la région, plus particulièrement le Japon (6 % des exportations en 2014) et les Etats-Unis (11 %) (8). Elle ne remet pas en cause la libéralisation des échanges, mais elle souhaite réduire sa dépendance vis-à-vis de la Chine et propose que Taïwan rejoigne le partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), l'accord de libre-échange négocié à l'initiative de Washington. Parallèlement, elle a annoncé la mise en place d'une « nouvelle politique en direction du sud », en référence à l'initiative lancée dans les années 1990 pour encourager les entreprises à investir et à trouver des débouchés en Asie du Sud-Est. Enfin, l'Inde a été désignée comme un partenaire à privilégier (9).
Le futur gouvernement a en outre l'intention d'encourager le développement d'une industrie tournée vers les technologies de nouvelle génération à forte valeur ajoutée. Il a désigné cinq secteurs : les énergies vertes, les biotechnologies, les objets connectés, les machines intelligentes et la défense nationale.
Certains experts estiment que l'Etat ne devrait pas hésiter à intervenir pour planifier et centraliser les ressources afin de créer un environnement favorable aux activités de recherche-développement et aux investissements dans ces secteurs. Des fonds publics pourraient être investis dans des instituts de recherche ou des entreprises, comme ce fut le cas avec la création de l'Institut de recherche sur la technologie industrielle, le parc industriel de Hsinchu ou l'entreprise United Microelectronics Corp. (UMC) dans les années 1970-1980, au moment où l'île a réorienté son industrie vers les technologies de l'information (10).
Si elle est tenue, la promesse électorale d'un « pays libéré du nucléaire » d'ici à 2025 — alors qu'il en dépend actuellement pour près de 20 % de sa production d'électricité — pourrait stimuler le développement des énergies vertes.
Durant sa campagne, Mme Tsai a également fait miroiter une meilleure répartition des richesses et l'amélioration des conditions de vie de la population par une série de mesures sociales. Cela passerait notamment par l'augmentation du revenu minimum (actuellement de 20 008 dollars taïwanais, soit 540 euros, ce qui ne permet pas de subvenir aux besoins fondamentaux) et par la baisse du plafond légal des heures de travail, qui, de quatre-vingt-quatre heures pour deux semaines actuellement, serait ramené à quarante heures hebdomadaires. La présidente s'est aussi engagée à construire 200 000 logements à des prix abordables et à fluidifier le marché de la location. Enfin, elle a promis d'améliorer, en coopération avec les collectivités locales, le système de sécurité sociale, en particulier pour les personnes âgées.
Relance de l'industrie de défenseMadame Tsai veut aussi renforcer l'industrie de défense et lui donner de nouveaux moyens. Cela devrait contribuer à relancer la croissance, selon la nouvelle équipe, qui promet la création de huit mille emplois et une moindre dépendance à l'égard des Etats-Unis pour les achats d'armements (11).
Lors de sa visite à Washington, en juin 2015, Mme Tsai a déclaré vouloir accroître les capacités de la défense taïwanaise. Celle-ci serait ainsi en mesure d'infliger suffisamment de dégâts à l'Armée populaire pour que Pékin hésite à la lancer contre l'île. On peut penser que la poursuite des programmes de missiles occupera une place prépondérante dans cette stratégie. Enfin, la création d'une « cyberarmée » vise à faire face aux nouveaux défis posés par la Chine en termes d'espionnage et de cyberattaques, qui sont déjà une réalité en dépit du réchauffement des relations avec Pékin sous la présidence de M. Ma.
Maintenir la stabilité de ces relations : c'est là le troisième dossier épineux auquel le PDP devra s'attaquer. C'est aussi celui sur lequel Mme Tsai aura le moins de prise, compte tenu de l'hostilité affichée par Pékin à l'encontre d'un parti dont la charte contient toujours une clause relative à l'indépendance — même s'il est peu probable qu'elle soit mise en œuvre. Tout en se présentant comme la présidente d'un « nouveau Taïwan » qui entend faire preuve de fermeté sur la question de la souveraineté, la présidente s'est engagée à promouvoir des relations « pacifiques, stables, sereines et durables » avec son voisin.
Elle a également assuré qu'elle ne reviendrait pas sur les accords signés, à l'exception de celui sur les services, qui n'est pas encore ratifié (12). Elle devrait donc s'en tenir à la position de la résolution sur l'avenir de Taïwan , adoptée par le PDP en 1999, selon laquelle il n'est pas nécessaire de proclamer l'indépendance car Taïwan est déjà un Etat indépendant et souverain. C'est certainement le sens qu'elle donne au « statu quo » qu'elle a affirmé vouloir maintenir tout au long de sa campagne pour rassurer l'électorat. Se disant ouverte au dialogue s'il s'engage sans conditions préalables, elle place la balle dans le camp de Pékin.
(1) « Cross-strait economic statistics monthly », no 275, Mainland Affairs Council, Taipei, février 2016.
(2) Ce chiffre inclut les projets annoncés mais non encore réalisés. « Cross-strait economic statistics monthly », op. cit.
(3) « Office workers' lives “deprived” », Taipei Times, 2 mai 2011.
(4) « Taiwan's economy amid political transition » (PDF), US-China Economic and Security Review Commission, Washington, DC, 6 janvier 2016.
(5) Hsu Chien-Jung, « China's influence on Taiwan's media », Asian Survey, vol. 54, no 3, Berkeley, mai-juin 2014.
(6) Jérôme Lanche, « A Taïwan, les étudiants en lutte pour la démocratie », Les blogs du Diplo, Lettres de…, 28 mars 2014.
(7) Enquêtes réalisées par Taiwan Thinktank, 17 et 18 janvier 2016, et TVBS Poll Center, 18 et 19 janvier 2016.
(8) Statistiques du ministère des affaires étrangères, Taipei, avril 2015.
(9) « Tsai debuts plan to bolster India, Asean relations », Taipei Times, 23 septembre 2015.
(10) « New industries call for new methodologies », Taipei Times, 4 avril 2016.
(11) « Tsai unveils ambitious national defense policy », Taipei Times, 30 octobre 2015.
(12) Signé en juin 2013, cet accord fait suite à l'ECFA. Il prévoit la réduction des barrières tarifaires dans 64 secteurs taïwanais et 80 secteurs chinois de services (finance, transport, édition et contenus culturels, tourisme et hôtellerie, loisirs…).
Soixante-trois ans après la fin de la guerre qui a divisé la Corée en deux, aucun traité de paix n'a été signé pour normaliser les relations entre les deux pays. Au Sud, les dirigeants conservateurs imaginent une absorption du Nord sur le modèle de la réunification allemande. L'histoire coréenne ne présente pourtant que peu de points communs avec celle de l'Allemagne.
Lee Gap Chul. – Dans le quartier de Sanbokdoro à Busan (Corée du Sud), 2014 Ses photographies sont exposées à La Maison de la Chine, place Saint-Sulpice à Paris jusqu'au 26 février 2016.Emouvantes retrouvailles entre Coréens du Nord et du Sud dans la célèbre station du mont Kumgang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC). Larmes et sourires mêlés, des hommes et des femmes, souvent très âgés, ont revu un frère, une sœur, une mère, un père, un fils ou une fille pour la première fois depuis la cassure de la péninsule, en 1953. En vertu de l'accord de l'été dernier entre les deux gouvernements, 400 Sud-Coréens, tirés au sort parmi les 66 488 personnes qui en avaient fait la demande auprès des autorités de Séoul, ont été autorisés à franchir la frontière, le 20 octobre 2015 (1). Quand ces rencontres cesseront-elles de faire l'événement pour appartenir à la vie quotidienne ? Nul ne le sait.
Certes, on trouve au Nord de formidables fresques saluant l'unification et, au Sud, un ministère du même nom. De chaque côté, on assure rechercher les voies de l'indispensable réunion « du » peuple coréen. Mais, dans les faits, le rapprochement n'avance guère. Pour la plupart des commentateurs, la faute en revient aux dirigeants nord-coréens et à leurs lubies provocatrices. Celles-ci apparaissent d'autant plus dangereuses que Pyongyang affirme détenir l'arme nucléaire. Pour autant, nombre d'observateurs, en Corée du Sud, refusent de lui faire porter le chapeau. Ils soulignent la responsabilité des gouvernements de Séoul, notamment depuis 2008. Beaucoup pointent également du doigt les Etats-Unis.
Pour comprendre les peurs qui agitent les deux Corées, il faut se replonger dans une histoire lourde de drames. Dès 1910, la péninsule est occupée par le Japon, qui impose un régime d'une cruauté extrême — une occupation, avec son lot de résistances (plutôt au Nord, industrialisé) et son cortège de collaborateurs. Libéré des Japonais, le territoire se retrouve livré aux « forces de paix » : au Nord, les troupes soviétiques, Kim Il-sung prenant la tête du pays ; et au Sud, les Etats-Unis, qui installent un pouvoir autoritaire en s'appuyant sur des forces ayant collaboré avec Tokyo. Jouant du dépit des progressistes, le Nord envahit le Sud, avant d'être repoussé par l'armée américaine, mandatée par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), alors boycottée par l'URSS. S'ensuivra un déluge de feu auquel participera — au moins symboliquement — la France. Le général Douglas MacArthur, qui dirige les opérations, menace à plusieurs reprises d'utiliser l'arme atomique (2). Seule l'entrée en guerre des troupes chinoises évitera à la Corée du Nord l'éradication totale et à la Chine le stationnement de l'armée américaine à ses frontières.
Quand le Nord dépassait le SudLe 27 juillet 1953, un armistice est signé à Panmunjeom, sur le 38e parallèle, ligne de démarcation d'avant l'offensive militaire. Une guerre pour rien, en quelque sorte. Aujourd'hui encore, deux baraquements bleus, séparés par des dalles en béton au sol, matérialisent la frontière dans la « zone démilitarisée » (demilitarized zone, DMZ), avec d'un côté des soldats américains (estampillés ONU) et sud-coréens et de l'autre des militaires nord-coréens, figés dans un invraisemblable face-à-face.
A rebours des idées reçues, l'ancien ministre sud-coréen de l'unification (2002-2004) Jeong Se-hyun, rencontré à Séoul quelques semaines avant le voyage des familles de l'autre côté de la frontière, rappelle qu'il fut un temps où « c'est le Sud qui craignait une réunification sous l'égide du Nord ». Ce dernier, malgré les dévastations, affichait alors un produit intérieur brut (PIB) deux fois plus élevé. Mais, au milieu des années 1960, le Sud décolle tandis que le Nord régresse. La peur change de camp, mais la méfiance s'installe de part et d'autre.
Ce septuagénaire qui a vu alterner des périodes d'ouverture et de complète fermeture raconte avec moult détails la saga des deux frères ennemis, où le plus inconstant n'est pas celui qu'on croit : « La politique du Sud vis-à-vis de la Corée du Nord change au rythme des présidents de la République. Elle varie en fonction de leur sentiment anticommuniste (ou non) ainsi que de leur croyance (ou non) dans l'effondrement rapide du Nord. »
Dès 1972, une première « déclaration commune » envisage une possible « réunification ». Mais c'est après la fin de la dictature au Sud, et surtout après la chute du mur de Berlin, que Séoul change de braquet. « Le président Roh Tae-woo [1988-1993] a senti que le monde bougeait. Il avait beau être un militaire, il n'était pas obsédé par l'anticommunisme, et il a jeté les bases d'un accord avec Pyongyang », explique M. Jeong. Le 21 septembre 1991, les deux Corées intègrent officiellement l'ONU. Trois mois plus tard, elles signent un « accord de réconciliation, de non-agression, d'échanges et de coopération » — une énumération de grands principes. Mais, à défaut d'entrer dans l'état de paix, on est sorti de l'état de guerre.
Selon M. Jeong, les dirigeants nord-coréens veulent en profiter pour normaliser leurs rapports avec les Etats-Unis ; d'autant que les aides soviétiques se sont volatilisées avec l'URSS. En janvier 1992, assure-t-il, « Kim Il-sung envoie son propre secrétaire au siège de l'ONU à New York pour une rencontre secrète avec un émissaire américain, porteur d'un seul message : “Nous renonçons à réclamer le retrait des troupes américaines du Sud ; en contrepartie, vous garantissez que vous ne remettrez pas en cause l'existence de notre pays.” George Bush père répondra à l'offre par le silence. C'est à ce moment que Kim Il-sung lance sa politique nucléaire, convaincu que Washington veut rayer la RPDC de la carte ». Ce qui n'était pas entièrement faux. Comme tout Sud-Coréen, M. Jeong désapprouve ce recours au nucléaire, mais il insiste sur l'ordre des responsabilités, contredisant l'histoire officielle : Washington jette de l'huile sur le feu ; Pyongyang réagit.
A Séoul, le successeur de M. Roh, Kim Young-sam, est persuadé, à l'instar du président américain, que le Nord communiste va s'effondrer, comme l'Allemagne de l'Est en son temps. Il cadenasse toutes les issues afin de précipiter sa perte. La RPDC, elle, connaît une période de famine dans la seconde moitié de la décennie 1990, qui fait près d'un million de morts et dont les séquelles se font sentir jusqu'aujourd'hui (3). Mais la dure répression et les réflexes nationalistes de sa population l'empêcheront de voler en éclats.
La légende assure que le blocus a été brisé en 1998, quand Chung Ju-yung, le fondateur de Hyundai, l'un des plus puissants chaebol (conglomérats) sud-coréens, franchit la frontière à la tête d'un troupeau de mille vaches, symbole de l'aide humanitaire, avant de rencontrer le président nord-coréen. Mais la grande percée sera la poignée de main historique entre Kim Jong-il (Nord) et Kim Dae-jung (Sud), en juin 2000. S'ouvre alors une décennie de dialogue et d'échanges : ouverture d'un site touristique au mont Kumgang (2003) et d'une zone industrielle à Kaesong, en territoire nord-coréen, avec des entreprises sud-coréennes (2004) ; reconnexion, sous surveillance, de quelques liaisons ferroviaires et routières (2007), etc.
Cette sunshine policy (« politique du rayon de soleil »), ainsi baptisée par Kim Dae-jung en référence à la fable d'Esope Le Soleil et le Vent, a connu bien des orages, alimentés par les surenchères nucléaires de Pyongyang (trois essais depuis 2006), les intransigeances américaines, l'ambiguïté chinoise. Elle a complètement sombré avec l'arrivée en 2008 du président conservateur sud-coréen Lee Myung-bak, qui fait le choix de la confrontation. Seul vestige de cette décennie prometteuse : le complexe de Kaesong.
Faut-il pour autant tirer un trait sur tout espoir de paix, voire de réunification ? Bien que conservatrice comme M. Lee, la présidente Park Geun-hye avait promis en arrivant au pouvoir, en 2013, de bâtir une « politique de confiance » (trust policy), à mi-chemin entre la « politique du rayon de soleil » et la fermeture totale de son prédécesseur. Mais, si l'on excepte les rencontres familiales d'octobre dernier, rien ne semble bouger. « Mme Park appuie sur le frein et sur l'accélérateur en même temps, lance M. Jeong. Cela fait beaucoup de bruit, mais on reste sur place. »
Washington, le grand obstacleDirecteur du Centre des études nord-coréennes à l'institut Sejong à Séoul, Paik Hak-soon n'est guère plus tendre avec la présidente, qu'il accuse de manipuler la question nord-coréenne pour de sombres raisons de politique intérieure (lire « Virage autoritaire à Séoul »). Dans son bureau à l'entrée du campus, il insiste sur l'impressionnante parade militaire organisée par le président du Nord, M. Kim Jong-un, le 10 octobre 2015 ; un tournant dont le plus marquant n'est pas le déploiement des forces armées, mais sa signification politique : le dictateur affirme ainsi son « contrôle sur les affaires militaires et économiques, sur l'Etat et le parti ». Dommage que, se focalisant sur les tares du régime, la presse « ignore ce qui change », ajoute-t-il : « L'économie nord-coréenne se porte mieux. Kim Jong-un a consolidé son pouvoir. Il a amélioré ses relations avec le Japon, qui, depuis mai 2014, a levé certaines sanctions [comme l'interdiction des transferts d'argent liquide] et avec lequel il a entamé des négociations sur la question des citoyens japonais kidnappés (4). Il a réglé le contentieux avec la Russie sur la dette (5) [11 milliards d'euros datant de la période soviétique, que M. Vladimir Poutine a effacés à 90 %]. Et Moscou a rouvert en septembre 2015 une portion de voie ferrée reliant la ville russe de Khassan à la ville nord-coréenne de Rajin. »
Autre spécialiste reconnu, Koh Yu-hwan estime lui aussi que la période est favorable. « Kim Jong-un essaie d'améliorer les relations avec la Corée du Sud et aimerait apaiser les tensions avec les Etats-Unis. Ce n'est que si le dialogue ne marche pas qu'il se lancera dans de nouvelles provocations. » Ce directeur de l'autre grand institut d'études nord-coréennes de Séoul — à l'université de Dongguk, celui-là — est l'un des rares chercheurs à pouvoir franchir la frontière dans le cadre des échanges entre son université (bouddhiste) et le temple rénové du mont Kumgang. Il participe à la commission présidentielle pour la préparation de l'unification, placée sous l'autorité directe de Mme Park, sans contrôle, et très critiquée par les milieux progressistes et pacifistes. Il y apparaît comme une voix singulière prônant le dialogue dans un océan de préjugés.
Lee Gap Chul. – Jeunes filles célestes sur le mont Mari pendant le rituel d'adoration du ciel, île de Ganghwa (Corée du Sud), 1992Pour la majorité des responsables sud-coréens, en effet, le régime de Pyongyang ne peut que s'effondrer. Le 25 octobre dernier, le journal conservateur Chosun Ilbo, le plus lu du pays, posait en « une » une question purement rhétorique : « Les jours du régime nord-coréen sont-ils comptés ? » Et l'éditorialiste de citer la « désaffection croissante des élites » : 8 hauts cadres du régime ont trouvé refuge au Sud en 2013 et 18 en 2014, sur un total de réfugiés en baisse (2 600 par an entre 2008 et 2012, 1 596 en 2014). En attendant le grand soir, les études comparatives avec l'Allemagne se multiplient. Et c'est à Dresde, le 28 mars 2014, que Mme Park a proposé une « initiative pour la réunification pacifique de la péninsule » (6). Avec toujours l'idée du triomphe d'une Corée capitaliste et démocratique sur toute la péninsule.
Toutefois, la comparaison avec les deux Allemagnes des années 1970-1980 n'apparaît guère pertinente, notamment parce que les deux Corées se sont affrontées militairement au cours d'une guerre civile. Malgré une histoire et une culture communes, de profondes haines demeurent. De plus, les divergences sont bien plus fortes : si l'économie ouest-allemande était quatre fois plus forte que l'est-allemande, dans le cas des deux Corées, le rapport est de 1 à 60. Pas étonnant que la nouvelle génération sud-coréenne, qui a déjà du mal à trouver sa place dans une société en crise, ne manifeste pas un grand enthousiasme à l'idée de payer pour accueillir un voisin qu'elle ne connaît qu'à travers les caricatures. C'est si vrai que les réfugiés nord-coréens demeurent maltraités, condamnés aux petits boulots et le plus souvent discriminés (7).
Personne ne peut dire si le régime de Pyongyang perdurera ; mais tabler sur son effondrement empêche toute réflexion pour sortir d'une politique de la confrontation. Au contraire, « si l'on part de l'idée que la Corée du Nord va continuer à exister, assure Koh Yu-hwan, alors il faut trouver des voies pour le dialogue et la négociation. Tout le monde a intérêt à ce qu'elle s'intègre au capitalisme mondial ». Comme la plupart des experts rencontrés, il prône une politique des petits pas. Tel M. Choi Jin-wook, président du très officiel Institut de Corée pour l'unification nationale (Korea Institute for National Unification) à Séoul : « Les relations entre les deux pays ayant connu une série de progrès et de régressions, la confiance est très largement entamée. Il faut donc commencer par de petites choses et avancer pas à pas. »
Sur le principe, tout le monde semble d'accord. Quant aux actes… Park Sun-song, enseignant et chercheur à l'Institut des études nord-coréennes de l'université Dongguk, met en cause l'ordre des priorités martelé par la présidente Park : l'abandon de l'arme nucléaire par Pyongyang en contrepartie d'une aide humanitaire et de négociations. « Bien sûr, la dénucléarisation reste un objectif-clé ; mais, compte tenu de la densité des armes accumulées dans la péninsule, traiter cette question sous son aspect purement militaire ne peut être vécu par Pyongyang que comme une pression. »
Il faut rappeler que, si la Corée du Nord n'a rien d'un ange de la paix et brandit régulièrement la menace militaire, la Corée du Sud possède des armes ultramodernes, avec des systèmes antimissiles américains, et que les Etats-Unis y maintiennent près de 29 000 soldats. Le nucléaire, poursuit Park Sun-song, « n'est que l'un des problèmes à résoudre. C'est en œuvrant au processus de paix et de coopération que l'on obtiendra la dénucléarisation, et non l'inverse. Cela concerne le Nord, le Sud, mais aussi l'ensemble de l'Asie du Nord-Est » — et, bien sûr, les Etats-Unis : « Aujourd'hui comme hier, explique l'ex-ministre de l'unification Jeong, ils représentent l'obstacle le plus important à une normalisation entre les deux Corées. »
Non seulement Washington refuse tout dialogue bilatéral avec Pyongyang, mais les exercices militaires conjoints avec l'armée sud-coréenne exacerbent les peurs. Il s'agissait à l'origine d'« entraîner les troupes américaines et sud-coréennes à lutter contre une infiltration des forces spéciales nord-coréennes au cœur du territoire sud-coréen, rappelle Moon Chung-in, professeur de sciences politiques à l'université Yonsei à Séoul. Puis, en 2013, l'objectif a été modifié, et les Etats-Unis ont déployé des armes tactiques : outre des sous-marins nucléaires, des bombardiers B-52 et des bombardiers furtifs B-2, capables d'embarquer des armes nucléaires, ainsi que des chasseurs furtifs F-22 et des destroyers équipés du système antimissile Aegis (8) ». Moon Chung-in ne minimise pas le « comportement belliqueux » de Pyongyang ; mais, dit-il, « c'est bien un accroissement des menaces américaines qui a conduit le pouvoir nord-coréen à adopter une telle posture ».
La réaction de la RPDC — menace nucléaire, lancement de missiles — ne lui a cependant pas permis d'obtenir la négociation réclamée avec Washington. En octobre dernier, la télévision d'Etat nord-coréenne a enfin appelé à sortir de « l'escalade de la tension » : « Si les Etats-Unis tournent courageusement le dos à leur politique actuelle [et négocient un traité de paix], nous serons heureux de répondre par un comportement constructif. Nous avons déjà envoyé un message par des canaux officiels pour des pourparlers de paix, et nous attendons la réponse (9). » Sans doute Pyongyang espère-t-il des négociations comme avec l'Iran. Mais, rappelle Koh Yu-hwan lors de notre rencontre à Dongguk, « l'Iran n'a pas la Chine à ses côtés ». Or « les Etats-Unis ont aussi Pékin dans leur viseur ».
Idylle avec la ChineCertes, après le dernier essai nucléaire, la Chine a fini par voter les sanctions contre la RPDC. Mais elle continue à lui fournir de l'aide alimentaire et du pétrole — entre autres — afin de prévenir tout choc fatal. Toutefois, le président Xi Jinping n'a jamais rencontré son jeune homologue nord-coréen, alors qu'il s'est rendu en voyage officiel à Séoul et que Mme Park a assisté à Pékin au défilé militaire commémorant la fin de la guerre contre le Japon. Politiquement, le geste est spectaculaire, et le rapprochement sensible au moment où les deux pays sont en délicatesse avec Tokyo. Economiquement, la Chine est devenue le premier partenaire de la Corée du Sud, qui est son troisième fournisseur.
A Séoul, les amis conservateurs de Mme Park ne voient pas d'un très bon œil cette idylle à l'heure où les relations sino-américaines ne sont pas au beau fixe. Ils rappellent que, si la Chine est le premier partenaire commercial, les Etats-Unis demeurent l'unique partenaire en matière de sécurité. « Il y a dans le ciel de l'Asie de l'Est deux soleils levants [la Chine et les Etats-Unis], remarque un diplomate sud-coréen. La Corée du Sud devra faire un choix (10). » Pour l'heure, la présidente Park joue des deux soleils. Mais elle hésite toujours à entamer et à imposer des négociations sérieuses avec Pyongyang. La proposition nord-coréenne d'une confédération ou celle des progressistes sud-coréens d'une union fédérale à la manière de l'Union européenne restent de vagues hypothèses.
Quant à la France, qui ne reconnaît pas la RPDC, elle apparaît figée dans une autre époque. « Au lieu de traiter la Corée du Nord comme un paria, de l'isoler toujours plus, de l'enfermer dans ses murs idéologiques, mieux vaudrait essayer de l'entraîner vers la communauté internationale et d'aider à l'ouverture », plaide Koh Yue-hwan. A moins que Paris, comme certains conservateurs sud-coréens, n'attende qu'elle s'effondre…
(1) Selon le ministère de l'unification à Séoul, 53,9 % de ces candidats aux retrouvailles ont plus de 80 ans et 11,7 % plus de 90 ans.
(2) Lire Bruce Cumings, « Mémoire de feu en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, décembre 2004.
(3) Lire « Voyage sous bonne garde en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, août 2015.
(4) Durant la guerre froide, le gouvernement nord-coréen a kidnappé des Japonais pour former ses espions. Il en resterait treize selon Pyongyang, qui en a libéré cinq, et dix-sept selon Tokyo.
(5) Lire Philippe Pons, « La Russie appelée à la rescousse », Le Monde diplomatique, mars 2015.
(6) « La présidente fait une proposition en trois volets à Pyongyang », Korea.net, 31 mars 2014.
(7) Lire « Rééducation capitaliste en Corée du Sud », Le Monde diplomatique, août 2013.
(8) Interview réalisée par Antoine Bondaz, Korea Analysis, no 1, Paris, janvier 2014.
(9) « N. Korea proposes talks on peace treaty with US », NK News.org, Séoul, 9 octobre 2015.
(10) « La politique sud-coréenne n'a pas à choisir entre deux soleils », interview de Yun Duk-min, Korea Analysis, no 7, juillet 2015.
Ours d'or à Berlin en 2016, Fuocoammare, par-delà Lampedusa, de Gianfranco Rosi, est en salles depuis le 28 septembre. Ta'ang, un peuple en exil entre Chine et Birmanie, de Wang Bing, est sorti le 26 octobre. Le 11 janvier prochain, ce sera au tour d'Entre les frontières, d'Avi Mograbi. Trois documentaristes parmi les plus grands ont décidé de filmer la même figure : celle du réfugié.
Rosi dresse le portrait d'un petit groupe d'habitants de l'île de Lampedusa, qu'il commence par isoler pour ensuite entrecroiser leurs vies, jusqu'à évoquer un cliché des années 1950 : les femmes font le ménage, les maris pêchent, les enfants jouent dans les prés, tandis que la radio berce tout le monde avec des chansonnettes d'autrefois. Nous sommes pourtant bien en 2016 : chaque nuit, la marine militaire recueille en pleine mer des centaines de migrants qui préfèrent risquer leur vie sur des rafiots plutôt que passer un jour de plus en Libye. Cette réalité-là est filmée dans le style rude de l'enquête documentaire : images rapides qui, tout en s'attardant sur les procédés d'identification de la police, ne parviennent à identifier personne… Ce que Rosi montre, voire dénonce, c'est la séparation de deux mondes voisins et imperméables. Filmer Lampedusa revient alors moins à montrer le réfugié qu'à pointer l'aveuglement de la population européenne, retranchée derrière des murs dont le plus haut est sans doute son illusion de pouvoir se couper du reste du monde. Fort, séduisant, impeccable dans sa mise en scène, le film risque cependant à tout moment de tomber dans le piège de sa propre métaphore en ne se donnant pas les moyens d'accueillir lui-même celui qui cherche refuge.
Ta'ang emprunte le chemin opposé. Une fois de plus, le cinéma de Wang Bing affiche la volonté d'accorder un nom, une existence, une voix aux silencieux. Les Ta'ang sont un peuple frontalier. Ils vivent en Birmanie, et la guerre civile qui oppose des armées rebelles au gouvernement en a fait des réfugiés oscillant sans cesse entre Birmanie et Chine. Les précédents films du réalisateur, appuyés sur une structure (l'usine d'À l'ouest des rails, l'asile d'À la folie) ou sur un personnage (l'écrivaine de Fengming, chronique d'une femme chinoise, l'aînée des Trois Sœurs du Yunnan), affirmaient un cinéma arc-bouté sur des frontières nettes. Comment alors saisir l'image d'un peuple errant ? Double difficulté — montrer un lieu, montrer une identité — là où règne l'entre-deux : deux territoires, deux langues, deux frontières. Contraint de filmer surtout la nuit afin d'échapper aux contrôles de l'armée, le cinéaste va devoir installer sa caméra près d'un feu, là où de petits groupes s'assoient pour partager un repas, échanger quelques mots et tenter de dormir. C'est ainsi, en déjouant un problème pratique, qu'il saisit l'image de ce peuple : moins celle, attendue, d'une errance que celle d'une installation, même éphémère. Faut-il donc que le cinéma se trouve dans la position de chercher un abri pour que la langue des réfugiés lui devienne compréhensible ? Wang Bing finit par trouver son film en rusant avec les contraintes imposées par l'armée et n'en filme que le résultat : les bivouacs qui enflamment les nuits de Ta'ang.
À l'inverse, Mograbi ne documente que la fabrication d'un film qui finalement ne sera pas tourné. L'intention du cinéaste israélien était d'abord de proposer à des demandeurs d'asile africains, assignés à résidence dans un camp au milieu du désert à la frontière d'Israël, d'interpréter d'anciens récits de réfugiés juifs. Et de rappeler par là au public israélien que son pays a été fondé par un peuple de réfugiés. L'idée est belle. Son échec — ou comment les demandeurs d'asile ont pris possession du film et l'ont transformé en leur propre récit — est encore plus beau.
Les moments les plus forts de ces trois films sont moins ceux où le cinéaste offre un refuge que ceux où il prend le risque de perdre le sien. Alors, des hommes et des femmes que le cinéma approche avec la prétention de leur sauver la vie parviennent à pénétrer le film, à s'y installer et à lui redonner le cap initial.
Historien de l'art et philosophe, attaché à travailler la représentation des peuples et à réhabiliter le pouvoir actif des émotions, Georges Didi-Huberman décline dans cette exposition — et dans le catalogue qui la prolonge — (1) le répertoire des signes de la révolte.
Des mille façons d'« encorporer » la colère, il dresse quelques typologies, selon que l'expression passe par le geste, le mot, etc. Division artificielle, sans doute, pour qui manifeste au pied levé et au pied du mur son courroux. Pour autant, se dégage au fil de ces deux cent cinquante images (dessins, photographies, peintures, de Francisco de Goya au cinéma contemporain en passant par Henri Michaux et Sigmar Polke) une gestuelle de l'émeutier. Ses équations corporelles — jambes instables, poings levés, corps en déséquilibre — sont autant de figures esthétiques de ce qui nous soulève, forces psychiques, sociales, physiques. Et il apparaît alors que, peut-être, inventer des images contribue « ici modestement, là puissamment, à réinventer nos espoirs politiques ».
(1) « Soulèvements », exposition au Jeu de Paume, Paris, 18 octobre 2016 - 15 janvier 2017. Georges Didi-Huberman (sous la dir. de), Soulèvements, Gallimard - Jeu de Paume, Paris, 2016, 420 pages, 49 euros.
« Plus que jamais il faut, pour sauver le projet européen, le libérer du dogme européiste et le repenser », écrit Hubert Védrine dans un petit livre nerveux, à la fois critique et programmatique (1). L'ancien ministre des affaires étrangères français formule à son tour le verdict d'une « crise existentielle » de la construction européenne, menacée de dislocation. Cet homme du sérail, partisan du « oui » au traité constitutionnel européen en 2005, s'en prend moins aux ennemis mortels du projet communautaire (marginaux, selon lui) qu'à ceux qui sont supposés le promouvoir. Leur arrogance susciterait en effet le rejet par les peuples d'une Union devenue objet d'exécration. « Les élites et les dirigeants européistes, qui n'ont jusqu'ici jamais envisagé un quelconque droit d'inventaire sur leur bilan et réagissent sur un ton outragé à la moindre critique, (…) doivent admettre un compromis historique avec les peuples, d'autant [qu'il] n'y a pas de chemin démocratique vers le fédéralisme, ni par référendum ni par les parlements. »
Védrine plaide ainsi pour une pause dans l'intégration et propose que les États souhaitant poursuivre l'aventure se réunissent pour effectuer un bilan et envisager l'avenir. Ce sont donc les gouvernements qui sont appelés à la manœuvre, et non les institutions de Bruxelles, avec en ligne de mire une nouvelle répartition des compétences entre l'Union et les pays membres. En effet, « il s'est construit avec le temps, écrit l'ancien conseiller du président François Mitterrand, un “complexe” juridico-bureaucratique Commission / Parlement européen / Cour de justice qui fait tourner un engrenage, avec effet de cliquet n'ayant plus qu'un rapport lointain avec la légitimité démocratique ».
Si Védrine enterre (provisoirement ?) le fédéralisme, il réaffirme le rôle de l'Alliance atlantique dans la défense du Vieux Continent et soutient les orientations économiques de la zone euro. Un choix que ne partagent pas le député grec Costas Lapavitsas et l'économiste allemand Heiner Flassbeck, qui, à partir du cas de la Grèce, constatent « l'échec de l'Union économique et monétaire [UEM] ». Dans un ouvrage collectif (2), ils proposent pour Athènes des scénarios de sortie de l'euro et, plus largement, de l'idéologie qui, selon eux, sous-tend les politiques de réduction obsessionnelle de la dette publique. Les auteurs appuient leur raisonnement sur de nombreuses données chiffrées et sur un véritable programme de « régénération sociale et nationale ». Frédéric Lordon replace ainsi le cas grec dans une réflexion plus large : « Pourquoi l'euro ? », « l'Europe peut-elle devenir une communauté politique démocratique ? ». L'ouvrage met en accusation « l'idiosyncrasie monétaire » (Lordon) de Berlin, dont les intérêts dirigent la conception et la vie de l'UEM. Védrine rejoint les auteurs d'Euro, plan B sur la nécessité de soumettre à référendum la refondation des accords européens.
Professeur de relations internationales à l'Université libre de Bruxelles, Mario Telò étudie la crise de l'Union européenne au prisme des évolutions récentes du régionalisme, c'est-à-dire des accords régionaux conclus sur tous les continents par des groupes plus ou moins vastes d'États (3). Dans une nouvelle configuration géopolitique marquée par l'émergence d'un monde multipolaire et par la crise financière de 2008, la coopération régionale deviendrait « instable, controversée, plus politique, plus compétitive, ambiguë aussi ». Outre l'Union européenne, l'auteur ausculte l'Union africaine, l'Association des nations d'Asie du Sud-Est, le Mercosur… Le devenir de ces organisations dépendrait des recompositions hégémoniques (pour l'Union européenne, quels rapports avec Washington ?) et de la construction d'une « légitimité démocratique internationale ». Si la réflexion comparée est stimulante et souligne le caractère « hautement politique » de la période contemporaine, l'auteur limite le rôle des peuples à une « participation » qui n'implique aucune reconquête du pouvoir perdu au profit des marchés et des technocraties qui les confortent.
(1) Hubert Védrine, Sauver l'Europe !, Liana Levi, Paris, 2016, 96 pages, 10 euros.
(2) Costas Lapavitsas, Heiner Flassbeck, Cédric Durand, Guillaume Étiévant et Frédéric Lordon, Euro, plan B. Sortir de la crise en Grèce, en France et en Europe, Éditions du Croquant, Vulaines-sur-Seine, 2016, 176 pages, 10 euros.
(3) Mario Telò, L'Europe en crise et le monde, Éditions de l'université de Bruxelles, coll. « UBlire Poche », Bruxelles, 2016, 224 pages, 9 euros.
Dans l'ordre intellectuel, André Gorz (1923-2007) n'a jamais guigné les premières places, ni cherché la pleine lumière. Le philosophe, qui se décrivait lui-même comme un « bricoleur », un « maverick » (un franc-tireur), ne s'exposait pas volontiers. Dans Le Traître (1), autoanalyse impitoyable publiée en 1958, il se dépeignait déjà comme un bloody intellectual (un « satané intellectuel ») qui cherchait à « exister le moins possible » et tentait de « se protéger du monde » en dressant autour de lui un rideau de mots et de concepts. Le contentieux avec le monde s'apaisa. Mais, de cette tendance précoce au retrait, Gorz ne se débarrassa jamais tout à fait. Il s'entoura de pseudonymes ; se plaça souvent dans l'ombre de penseurs plus fameux ; privilégia toujours résolument l'écrit à l'oral (2) ; et abandonna sans regret l'agitation parisienne pour le calme austère d'un village de l'Aube.
Pourtant, ce n'est pas la vie d'un ermite que Willy Gianinazzi retrace dans son livre (3). Ni solitaire ni renonçant, André Gorz a su tisser dès 1969, à partir de sa vigie des Temps modernes, des liens avec des militants, des théoriciens, des syndicalistes de tous pays — de Herbert Marcuse à Bruno Trentin et Ivan Illich, du Parti socialiste unifié (PSU) à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), des révolutionnaires cubains aux opéraïstes italiens. Suivre Gorz dans ces échanges intellectuels, c'est notamment voir reparaître toute une « deuxième gauche » européenne qui, dans les années 1960 et 1970, voulait révolutionner le travail, approfondir la démocratie, défendre l'environnement. Cette gauche alternative, inventive et revendicative, est ressortie des années 1980 anémiée, assagie, convertie. Mais Gorz, lui, a continué sans rien abdiquer.
En lisant sa biographie, on mesure à quel point cet intellectuel de haut vol — à qui Jean-Paul Sartre, lors de leur première rencontre, avait reproché de « mépriser un peu le concret » — a su rester attentif au réel. Comme journaliste à L'Express, puis au Nouvel Observateur (1964-1982), il prit longtemps en charge, sous le nom de Michel Bosquet, les questions économiques et écologiques, défrichant des dossiers que la plupart de ses collègues jugeaient rébarbatifs. Comme théoricien, il s'efforça de suivre au plus près les métamorphoses du travail, les changements de la structure sociale, les mutations de la technique.
Le livre de Gianinazzi permet de suivre les étapes de ce parcours, qui reste habité par quelques références fondatrices (Edmund Husserl, Karl Marx, Sartre) et par une question lancinante : comment dépasser l'aliénation, comment défendre et conquérir l'autonomie ? Gorz n'a cependant cessé d'évoluer, procédant par ajouts, ruptures et mises à jour. Cette liberté d'allure a pu désorienter certains lecteurs ; mais elle lui a permis d'explorer des voies peu fréquentées et d'ouvrir des chemins nouveaux. Critique de la société de consommation et de croissance, Gorz prôna l'autolimitation des besoins et tenta de définir les contours d'une écologie politique émancipatrice, ni capitalisme vert ni réconciliation New Age avec la nature.
Après avoir exploré les formes que pourrait prendre l'autogestion ouvrière, il fit ses « adieux au prolétariat (4) » d'usine, qui, dans une société industrielle en plein délitement, ne pouvait plus selon lui tenir lieu de « sujet historique » unique. Il prêta attention aux précaires, intérimaires, chômeurs et autres « prolétaires postindustriels » qui commençaient à proliférer. À son projet initial de « libération dans le travail » il substitua l'idée d'une « libération du travail » qui ferait la part belle au « temps libéré » et aux « activités autodéterminées » (5). Prenant acte de la fin du modèle fordiste, il envisagea le dépassement du salariat et finit par se rallier à l'idée d'une allocation universelle. Prévenu de bonne heure contre le « système technique » et les « technologies-verrous », il n'en tenta pas moins de dégager ce qui, dans les nouvelles technologies, pourrait être utilisé à des fins libératrices. Autant de « sentiers d'émancipation » qu'il arpenta en éclaireur. C'est dire que ce pionnier discret mérite encore qu'on le lise — et qu'on le discute.
(1) André Gorz, Le Traître, suivi de Le Vieillissement, Gallimard, coll. « Folio Essais », Paris, 2005 (1re éd. : 1958).
(2) Jusque dans sa pratique de l'entretien, comme on peut le voir dans André Gorz, Le Fil rouge de l'écologie, Éditions de l'EHESS, Paris, 2015, 109 pages, 9 euros.
(3) Willy Gianinazzi, André Gorz. Une vie, La Découverte, Paris, 2016, 384 pages, 23 euros.
(4) André Gorz, Adieux au prolétariat. Au-delà du socialisme, Galilée, Paris, 1980.
(5) André Gorz, Métamorphoses du travail. Critique de la raison économique, Gallimard, coll. « Folio Essais », 2004 (1re éd. : 1988).
Cette biographie rend compte de la trajectoire du fils de Chiang Kaï-chek, Chiang Ching-kuo, né en Chine en 1910, à la toute fin de l'empire, et mort à Taïwan en 1988. Elle s'appuie sur un important recueil de sources écrites (agendas et fonds d'archives), ainsi que sur des entretiens menés avec sa famille, ses plus proches collaborateurs ou d'anciens opposants. Proche de la mouvance trotskiste, le jeune Chiang part étudier en Union soviétique, où il est contraint de rester douze ans, « retenu » par Joseph Staline après que son père eut écrasé ses alliés communistes. Quand le régime nationaliste se replie à Taïwan, en 1949, Chiang Ching-kuo devient responsable du renseignement et, par là même, de la « terreur blanche » qui décime l'élite insulaire. Néanmoins, en tant que premier ministre (1972-1978), puis président de la République (1978-1988), il prend ses distances avec l'anticommunisme forcené de son père pour engager de vastes réformes économiques ainsi qu'un début de libéralisation du régime, jetant ainsi les bases de sa future démocratisation.
Éditions René Viénet, Belaye, 2016, 606 pages, 30 euros.
Ouvrier relieur à Paris, Eugène Varlin (1839-1871) fait ses armes de militant dès 1857, dans l'organisation corporative de sa profession. À partir de 1864, les ouvriers pouvant désormais s'organiser au grand jour, il joue un rôle de premier plan dans les grèves des relieurs de 1864-1865, dans la création de leur Société de solidarité, puis dans celle de la Fédération parisienne des sociétés ouvrières. Parallèlement, il adhère à l'Association internationale des travailleurs (AIT), dont il sera l'un des principaux animateurs français. Exilé pour échapper à la répression, il revient après la chute de l'Empire et devient membre du comité central de la Garde nationale. Lors de la Commune de Paris, il est nommé à la commission des finances. Il appartient à la minorité pour laquelle la Commune représente la « négation absolue de la dictature » et non une « dictature au nom du peuple ». Il est fusillé par les Versaillais le 28 mai. Cette biographie souligne l'importance de ce symbole de « l'indéniable continuité entre le collectivisme révolutionnaire [de l'AIT], la fondation du Parti ouvrier et, au-delà, le syndicalisme révolutionnaire ».
Spartacus, Paris, 2016, 236 pages, 13 euros.
L'année 2017 marquera le centième anniversaire de la révolution d'Octobre en Russie. Le mérite de l'historien américain Alexander Rabinowitch est de rendre à cette insurrection, dont Petrograd (Saint-Pétersbourg) fut l'épicentre, sa dimension concrète, humaine et politique, loin des poncifs. Il raconte les événements et les mobilisations qui amenèrent les bolcheviks à renverser le gouvernement d'Alexandre Kerenski par un travail systématique et efficace dans la classe ouvrière et dans l'armée. Si l'on ne peut sous-estimer le rôle personnel de Lénine, l'ouvrage montre que le parti bolchevique, loin d'être monolithique, était traversé à tous les niveaux par des contradictions et des débats. Ses différentes instances disposaient d'une autonomie d'action grâce à laquelle elles pouvaient mesurer au plus près le degré de mobilisation politique dans la ville et éviter l'aventurisme. Cette souplesse et cette diversité leur permirent de traduire les aspirations populaires — la terre aux paysans, la fin de la guerre —, ce qui rendit possible leur victoire.
La Fabrique, Paris, 2016, 530 pages, 28 euros.
Tous les sondages donnaient le « oui » gagnant avec une marge confortable. Le 2 octobre, les Colombiens ont pourtant rejeté l'accord de paix entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), qui orchestrait la fin d'un conflit vieux de plus d'un demi-siècle. Tout aussi étrange, la participation n'a atteint que 37,4 %. Le pays préférerait-il la guerre à la paix ?
Comprendre le rejet de l'accord entre le gouvernement et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) lors du référendum du 2 octobre dernier implique de saisir les raisons qui ont conduit les deux parties à engager des pourpalers et, surtout, d'analyser le contexte dans lequel ceux-ci se sont déroulés. Le pays est en effet engourdi par cinquante-deux ans de conflit, et quatre années de négociations n'ont pas suffi à le sortir d'une torpeur politique entretenue par les grands médias.
Si les FARC et le gouvernement ont entamé ces discussions, c'est parce que les deux parties avaient compris qu'une solution militaire était impossible (1). Les FARC ont essuyé de lourdes pertes, notamment du fait de la surenchère répressive de l'ancien président Álvaro Uribe (2002-2010), qui avait mobilisé toutes les ressources de l'État pour anéantir les mouvements de guérilla. À l'époque, M. Juan Manuel Santos, l'actuel président, occupait le poste de ministre de la défense. Il était parvenu à faire exécuter plusieurs grandes figures des FARC, tandis que diverses mesures d'accompagnement invitaient les guérilleros à déposer les armes. Leurs rangs s'étaient éclaircis, mais ils n'avaient pas disparu.
L'État a compris que ses offensives ne suffiraient pas. Depuis la politique d'« ouverture économique » amorcée par le président César Gaviria (1990-1994), la Colombie entend participer davantage aux échanges mondiaux en rendant son économie plus « attractive » : réduction des droits de douane, déréglementation, privatisation, libéralisation des échanges et production destinée à l'exportation (2). Ce tournant néolibéral a cependant été contrarié par la guerre civile : les FARC et les autres acteurs du conflit ont imposé des taxes aux propriétaires terriens ; les enlèvements avec demande de rançon se sont multipliés ; les entreprises ont dépensé des fortunes pour assurer leur sécurité…
Autre facteur déterminant : la création, au début des années 1990, de forces paramilitaires d'extrême droite, notamment les Autodéfenses unies de Colombie (AUC). Leur objectif affiché était d'aider l'État à combattre les guérillas. Mais elles ont également mené une violente campagne d'assassinats politiques et œuvré au déplacement de millions de personnes qui dérangeaient l'oligarchie foncière et freinaient l'extension de l'exploitation agricole et minière tournée vers l'exportation. De sorte que paramilitarisme et néolibéralisme ont longtemps marché main dans la main.
Ce binôme s'est révélé si efficace qu'il a fini par perdre de son utilité. Au début des années 2010, l'élection de M. Santos, incarnation de l'élite néolibérale cosmopolite, suggérait que cette dernière souhaitait « moderniser » le régime d'accumulation colombien. L'heure était venue d'entamer des pourparlers avec les FARC.
Les arrière-pensées d'Álvaro UribeLes négociations, qui se sont ouvertes en septembre 2012 à La Havane, visaient six grands objectifs (3) : fixer les modalités d'un cessez-le-feu et d'un dépôt des armes ; rendre justice aux victimes de la guerre civile, qui a fait 220 000 morts ; résoudre le problème du trafic de drogue ; soutenir le développement rural, la pauvreté dans les campagnes étant l'un des principaux facteurs déclencheurs du conflit ; permettre aux anciens combattants de s'engager dans la vie politique et, plus largement, favoriser la participation de la population ; enfin, assurer la mise en place et le suivi de l'ensemble des accords. Soucieux d'en renforcer la légitimité, M. Santos a tenu à organiser un référendum national au sujet du document final — une proposition que les FARC, surmontant leurs réticences initiales, ont fini par accepter. Il s'en mord sans doute les doigts.
L'accord ne prévoit ni la transformation du système économique ni la résorption des inégalités foncières, dans un pays où 1 % de la population possède plus de 50 % des terres. Autrement dit, il ne traite aucun des problèmes qui sont à l'origine du conflit : il se borne à favoriser le statu quo, sans toutefois prétendre rétablir la situation d'avant-guerre. Compte tenu du nombre de Colombiens que le conflit a déplacés, les négociateurs ont convenu que la récupération des terres serait un processus délicat à mettre en œuvre.
D'emblée, la campagne en faveur des accords de paix s'est trouvée confrontée à une difficulté majeure : il fallait synthétiser un document de trois cents pages en très peu de temps, car six semaines seulement séparaient la fin des négociations (24 août) du référendum (2 octobre). Le camp du « oui » a également souffert d'une autre faiblesse : l'impopularité du président Santos, liée aux difficultés économiques du pays, où le chômage atteint 9 % et l'inflation, 7 %. Quelques semaines avant le scrutin, sa cote de popularité dépassait à peine les 20 %. Enfin, au vu des sondages, qui donnaient le « oui » largement gagnant, ses partisans ont cru leur victoire acquise et n'ont pas pris l'opposition suffisamment au sérieux.
Les handicaps de la campagne du « oui » ont rendu celle de l'autre camp d'autant plus facile. Lors d'un entretien accordé quelques jours après le référendum au quotidien La República, M. Juan Carlos Vélez, le responsable de la campagne du « non », en a révélé — accidentellement, peut-être — les dessous avec force détails (4). L'une des principales stratégies consistait à susciter « l'indignation » en diffusant des informations partielles ou fallacieuses. Les partisans du « non » ont par exemple attiré l'attention sur l'aide financière que recevraient les membres des FARC tant qu'ils n'auraient pas d'autres sources de revenus. Ils n'ont cessé de rappeler le montant de l'allocation — 212 dollars par mois, soit 90 % du salaire minimum —, jugé excessif pour un pays pauvre.
Des allégations plus pernicieuses prétendaient que les accords incluaient des clauses visant à renforcer la légalisation du mariage homosexuel en Colombie (5), pays où 30 % de la population appartient à une Église évangélique. En réalité, le texte ne mentionne ni le mariage ni l'homosexualité. Ses détracteurs ont par ailleurs proclamé qu'il transformerait la Colombie en un pays « castro-chaviste », c'est-à-dire semblable à Cuba ou au Venezuela. Enfin, l'un de leurs arguments les plus efficaces portait sur le programme de justice transitionnelle, grâce auquel les membres des FARC pourraient bénéficier de remises ou de commutations de peine s'ils avouaient leurs crimes. Cette disposition a particulièrement scandalisé une population dont la perception du conflit a été biaisée par les médias.
Une étude de la chercheuse Alexandra García (6) portant sur plus de cinq cents articles publiés dans les grands journaux (El Tiempo, El Colombiano, El Heraldo, etc.) entre 1998 et 2006 a montré que le terme « paramilitaire » ou le nom des organisations d'extrême droite n'apparaissait pas dans 75 % des articles se référant à des violences qui leur étaient imputables ; il était seulement question d'« hommes armés » ou d'« hommes encagoulés ». Dans le cas d'actes de violence impliquant la guérilla, en revanche, 60 % des articles la mentionnaient explicitement. De sorte que, pour 32 % de la population, les FARC sont les principales instigatrices de la violence en Colombie, alors que toutes les études s'entendent pour établir une autre hiérarchie des responsabilités : l'État ; la population en général ; les paramilitaires ; les narcotrafiquants ; et enfin la guérilla (7).
Tout au long de la campagne, le principal représentant du camp du « non », M. Uribe, a martelé son opposition aux dispositions en matière de justice transitionnelle. Human Rights Watch (HRW) a soutenu le camp du « non » pour les mêmes motifs. Les membres des FARC qui avouent avoir commis des crimes pendant la guerre civile ne devraient pas pouvoir commuer leurs peines de prison en simples travaux d'intérêt général ou en assignation à résidence, disent-ils tous. Pourtant, la plupart des accords de paix — par exemple ceux signés au Salvador ou en Afrique du Sud — prévoient de tels dispositifs de justice réparatrice.
L'hostilité de M. Uribe envers les accords de paix a probablement des motivations différentes de celles de HRW. Son bilan en matière de droits humains pendant son mandat de gouverneur de l'Antioquia, puis de président, laisse penser que la justice ne figure pas au nombre de ses priorités. En outre, en 2005, lorsqu'il était chef de l'État, n'avait-il pas fait en sorte que les paramilitaires bénéficient de mécanismes de justice transitionnelle encore plus généreux que ceux prévus pour les FARC ?
Ce qui le préoccupe est plus probablement la question de la restitution des terres. M. Uribe entretient en effet des liens étroits avec l'oligarchie, qui craint de devoir rendre leurs terres aux paysans déplacés. Après le résultat du référendum, il a présenté des propositions de modification du texte, et la principale porte sur ce sujet : « Les accords doivent reconnaître l'existence d'une production commerciale à grande échelle, son importance dans le développement rural et l'économie nationale et l'obligation de l'État de la promouvoir (8). » Selon lui, il faudrait renoncer à la saisie de terres privées en friche qui appartenaient auparavant à des paysans déplacés. On ne devrait pas obliger ceux qui les ont achetées « de bonne foi » à les rendre à leurs anciens propriétaires, même si ces derniers avaient été contraints de fuir par des incursions de paramilitaires ou par la guerre civile.
Néanmoins, le rejet de l'accord s'explique surtout par le faible taux de participation : 18 % des électeurs ont voté « non », tandis que 63 % n'ont pas voté du tout. Les intempéries du 2 octobre dans les régions côtières ont sans aucun doute joué un rôle dans cette abstention massive, qui a atteint 75 % dans le département de Magdalena et 80 % dans celui de La Guajira. Mais elle résulte sans doute également de la dépolitisation de la société, fruit de la répression et de la manipulation médiatique qui caractérisent l'histoire récente du pays. Les « escadrons de la mort » des paramilitaires ont pratiquement éliminé toute une génération de militants et de défenseurs des droits sociaux. Dans ces conditions, il n'est guère étonnant que la Colombie présente l'un des taux de participation électorale les plus faibles d'Amérique latine...
La victoire du « non » place les deux camps dans une situation inconfortable. Les FARC avaient déclaré qu'elles seraient prêtes à retourner à la table des négociations, en précisant toutefois qu'elles ne reviendraient pas sur le volet de la justice transitionnelle, un point crucial pour les opposants. Ces derniers marchent également sur des œufs. Si M. Uribe a fait campagne contre la justice transitionnelle, il visait en réalité la restitution des terres. M. Santos pourrait peut-être sauver l'accord en apportant des rectifications sans conséquence à la partie consacrée à la justice, et en obtenant des FARC des concessions plus importantes sur la question agricole. Les guérilleros devraient alors accepter de concentrer leurs efforts sur la mise en œuvre de la loi sur la restitution des terres votée en 2011.
Pendant ce temps, dans toute la Colombie, les mouvements sociaux se sont mobilisés en faveur de l'application des accords de paix tels qu'ils ont été signés. Ils ont commencé à occuper l'une des plus grandes places de Bogotá et entrepris de contester le référendum auprès de la Cour suprême en arguant du caractère malhonnête de la campagne du « non ». Mais le recours risque de ne pas avoir le temps d'aboutir : l'attribution du prix Nobel de la paix 2016 à M. Santos lui confère une légitimité supplémentaire pour conclure rapidement le processus. Et un autre facteur pourrait ajouter à l'urgence : l'ouverture de négociations avec une autre guérilla, l'Armée de libération nationale (Ejército de Liberación Nacional, ELN), prévue pour le 27 octobre, à Quito, sous les auspices du gouvernement équatorien.
(1) Lire « Pourquoi la Colombie peut croire à la paix », Le Monde diplomatique, octobre 2012.
(2) Cf. Forrest Hylton, « Peace in Colombia : A new growth strategy », NACLA Report on the Americas, vol. 48, no 3, New York, 2016.
(3) Lire Maurice Lemoine, « En Colombie, “pas de justice, pas de paix” », Le Monde diplomatique, février 2013.
(4) « El No ha sido la campaña más barata y más efectiva de la historia », La República, Bogotá, 5 octobre 2016.
(5) En avril 2016, la Cour suprême colombienne a légalisé le mariage homosexuel, arguant qu'il était inconstitutionnel de réserver le mariage aux couples hétérosexuels.
(6) Auteure du blog La Perorata, http://laperorata.wordpress.com
(7) Adriaan Alsema, « How Colombia's newspapers consistently misinformed the public on the armed conflict », Colombia Reports, 18 octobre 2016, www.colombiareports.com
(8) Adriaan Alsema, « Uribe formally presents proposals to revive Colombia peace deal », Colombia Reports, 13 octobre 2016.
Puisqu'il n'est jamais trop tôt pour s'initier à la politique, l'édition de novembre 2016 du magazine « Moi je lis » (Milan Presse), destiné aux enfants de 8 à 11 ans, proposait à ses lecteurs un test tout en nuances sur l'élection américaine.
Fais le test ! Et si tu te présentais, toi, quel genre de candidat serais-tu ? Plutôt Donald ou Hillary ?
La couche d'ozone, c'est :
♠ Ce qui nous protège des rayons ultraviolets♦ Une marque de couches pour bébé, un truc de filles, quoi…
Ton activité préférée après l'école :
♠ Faire tes devoirs♦ Regarder une émission de télé-réalité
Ta petite sœur veut emprunter ta 3DS [console de jeu portative] :
♦ « Ça va pas, non ? Va jouer à la poupée… »♠ Pas de souci tant qu'elle y fait attention
Au foot, à la récré, l'un de tes équipiers tombe par terre :
♦ « Mais relève-toi, empoté ! On va perdre à cause de toi ! »♠ « Ça va ? Tu n'as rien de cassé ? »
Quand tu seras grand(e), tu feras :
♠ Un métier intéressant, qui te plaît vraiment♦ Peu importe, tant que tu gagnes de l'argent
Il y a un nouveau dans la classe :
♦ « C'est qui, lui ? D'où il vient ? »♠ « Super, un futur copain ! »
Si tu as plus de ♠, tu serais Hillary Clinton.
Si tu as plus de ♦, tu serais Donald Trump.
Au Canada, les mesures de justice réparatrice ont largement dépassé le stade expérimental. Depuis plus de trente ans, le service correctionnel chargé des personnes condamnées à des peines de prison supérieures à deux ans dispose d'une division spécifique. Il reçoit chaque année entre cent cinquante et deux cents demandes de médiation directe entre un délinquant et une victime. Cependant, le dispositif reste essentiellement porté par la société civile. Ce n'est pas un hasard : l'histoire de ce mouvement doit beaucoup à son ancrage communautaire et aux contestations du système judiciaire.
Dans les années 1970, les peuples autochtones revendiquent leur droit à réhabiliter certaines pratiques de leur justice traditionnelle. Les cercles de sentence et les cercles de guérison plaçant la communauté au cœur de la résolution des conflits sont réactualisés et adoptés. Au même moment, la justice institutionnelle s'attire les critiques les plus vives. Les premières mesures de déjudiciarisation voient le jour pour les adolescents contrevenants. Les programmes restauratifs se développent rapidement, jusqu'à devenir l'essentiel des réponses alternatives proposées aux mineurs délinquants.
Aujourd'hui, si ces programmes reçoivent l'appui des gouvernements provinciaux et fédéral, la plupart restent mis en œuvre par des organismes communautaires ou confessionnels. Ainsi, les rencontres détenus-victimes (de substitution) semblables à celles organisées en France dépendent entièrement de l'investissement de bénévoles du milieu associatif. Un impératif qui ne constitue pas un frein, car, au Canada, la justice est l'affaire de tous. « Neuf mille bénévoles interviennent auprès des personnes condamnées, pour une population carcérale totale d'environ treize mille détenus, indique Catherine Rossi. La dizaine de sessions organisées chaque année au Québec, par exemple, font partie des nombreuses actions portées par le monde associatif. » Professeure de criminologie à l'université Laval de Québec, elle-même donne chaque semaine près de quinze heures de son temps dans le milieu carcéral et judiciaire.
1947. Le Royaume-Uni préside à la partition de son empire indien sur des bases confessionnelles. Fondé le 14 août, le Pakistan comprend le Pakistan occidental et le Pakistan oriental, séparés par 1 600 kilomètres de territoire indien.
1949. Création de la Ligue Awami par Mujibur Rahman, qui prône l'indépendance du Pakistan oriental.
1970. La Ligue Awami remporte les élections législatives. Les dirigeants pakistanais refusent de reconnaître les résultats.
Mars 1971. Mujibur Rahman est arrêté et le Pakistan occidental lance une violente attaque militaire.
Décembre 1971. Les indépendantistes, aidés par l'armée indienne, battent les forces du Pakistan occidental. Fondation de la République populaire du Bangladesh.
1975-1990. Succession de coups d'État militaires.
Mars 1991. Mme Khaleda Zia mène le Parti nationaliste du Bangladesh (BNP) à la victoire.
1996. La Ligue Awami gagne les élections et porte au pouvoir Mme Sheikh Hasina.
2001. Le BNP remporte les élections.
6 janvier 2006. La Ligue Awami revient au pouvoir.
22 avril 2013. Élection de M. Abdul Hamid (Ligue Awami), seul candidat, à la présidence de la République.
24 avril 2013. L'effondrement du Rana Plaza, usine textile près de Dacca, tue plus d'un millier de personnes.
5 janvier 2014. La Ligue Awami remporte les élections législatives, marquées par une féroce répression.
Janvier 2016. Deux étudiants sont condamnés à mort pour le meurtre en 2013 du blogueur athée Ahmed Rajib Haider.
1er juillet 2016. Un attentat revendiqué par l'Organisation de l'État islamique fait vingt-quatre morts à Dacca.
En avril 1995, l'Organisation des États américains (OEA) organisait un colloque sur les missions de sécurité et de paix à Washington. Le principal intervenant était un général américain qui venait de diriger l'opération « Restaurer la démocratie » en Haïti (1), laquelle avait renversé le régime militaire installé après le coup d'État contre le président élu Bertrand Aristide. Tandis que le général vantait la coopération avec les organisation non gouvernementales (ONG) locales, des militaires vénézuéliens ironisaient dans la salle : « Ah, ces Yankees ! Éternels libérateurs des petits pays opprimés. »
L'anecdote illustre le ressentiment qu'éprouve encore à ce jour l'armée vénézuélienne envers les États-Unis. Comme en Bolivie, en Équateur et au Pérou, elle recrute essentiellement parmi la classe ouvrière ou la frange basse de la classe moyenne. La formation militaire inculque aux soldats un nationalisme fervent qui mêle bien souvent patriotisme et notions de justice sociale.
Depuis la guerre froide, les armées latino-américaines ont laissé dans les mémoires collectives l'image de juntes militaires persécutant les ennemis de l'État derrière des lunettes noires. Mais un courant militaire nationaliste progressiste moins connu contredit l'idée selon laquelle toutes les armées seraient de droite. Dans les années 1920, le mouvement de la Jeunesse militaire (en espagnol, Juventud militar) fomente des rebellions au Brésil, au Chili et en Équateur, et participe à des révoltes pour réclamer des réformes en Amérique centrale. En 1960 au Guatemala, de jeunes lieutenants progressistes essaient — sans succès — de renverser une dictature militaire avant de mettre en place les premiers groupes de guérilla dans ce pays. Des militaires de rang intermédiaire provoquent la chute de deux dictateurs guatémaltèques, les généraux Lucas García et Ríos Montt. En 1979, dans la république du Salvador, des membres de la Jeunesse militaire tentent un putsch dans un effort désespéré pour empêcher la guerre civile qui éclate malgré tout l'année suivante.
Les militaires nationalistes de gauche ont parfois eu recours à la force pour mettre en œuvre des nationalisations antioligarchiques et anti-impérialistes, ainsi que des programmes de réforme sociale en faveur des plus défavorisés. Nombre d'entre eux, à l'image de ceux qui sont sous leurs ordres, viennent de milieux modestes. Arrivés au pouvoir par la force ou par les urnes, ils cherchent à renforcer leur légitimité à travers des élections et des organisations de masse. Le colonel Jacobo Arbenz, élu président du Guatemala en 1950, en est le premier exemple, mais un coup d'État piloté par la Central Intelligence Agency (CIA) met prématurément fin à son mandat en 1954. Ses héritiers politiques, les généraux Juan Velasco au Pérou et Omar Torrijos au Panamá mènent tous deux un putsch dans leur pays respectif en 1968. En tant que « réformistes militaires », ils se sentent investis d'une mission patriotique, celle de rompre avec l'élite traditionnelle pour restaurer le contrôle de l'État sur l'économie et introduire des réformes sociales dont l'exécution serait confiée aux forces armées. Dans la même veine, des chefs militaires instaurent des programmes progressistes, quoique moins ambitieux, en Bolivie (1969-1971) et en Équateur (1972). Des militaires retraités fondent une ONG composée d'anciens officiers progressistes, qui sera présidée au milieu des années 1990 par un ancien lieutenant-colonel vénézuélien, un certain Hugo Chávez.
En 1983 au Venezuela, des officiers appartenant au groupe Comacate (acronyme pour : comandantes, mayores, capitanes y tenientes [commandants, majors, capitaines et lieutenants]), conspirent contre le président civil Luis Herrera, sous la houlette de William Izarra, qui va solliciter l'aide de Fidel Castro. Dès lors, l'ambassade cubaine tisse des relations confidentielles avec les courants militaires de gauche au Venezuela. Chávez, fils de cordonnier devenu lieutenant-colonel, dirige l'un de ces groupes militaires d'opposition. En 1992, ce fervent admirateur de Simón Bolívar, du général et président péruvien Juan Velasco et du Panaméen Omar Torrijos, entreprend un coup d'État qui lui vaut deux ans de prison. Quelques années après sa libération, il fonde un mouvement politique et fait campagne dans les bidonvilles et les villages ruraux, sous l'œil attentif des diplomates cubains, impressionnés par son ascension et l'adhésion massive qu'il suscite. Quand ils entendent les villageois l'accueillir comme le Messie, ils sont convaincus qu'il sera le prochain président du Venezuela (2). Lors de sa première visite à Cuba en 2001, Fidel Castro le reçoit comme s'il était déjà chef de l'État. Commence alors une histoire particulière entre Fidel Castro, le vieux sage, et Hugo Chávez, son jeune successeur révolutionnaire et futur collègue.
Mais Chávez n'est pas le premier président révolutionnaire du Venezuela. En 1958, après avoir chassé le dictateur Marcos Pérez Jiménez, l'amiral Wolfgang Larrazábal devient président intérimaire. En décembre de la même année, il envoie sept tonnes d'armes à l'armée rebelle de Cuba, une aide militaire décisive qui hâte leur victoire. Mais Chávez s'inscrit également dans la lignée de Torrijos et Velasco, imprégnés de la mystique révolutionnaire militaire qui suppose une unité indivisible entre le peuple et l'armée. Pour illustrer le rôle de l'armée comme avant-garde, l'ancien président du Venezuela emploie la métaphore suivante : « Prenez la formule chimique de l'eau : H2O. Le peuple représente l'oxygène, et les forces armées l'hydrogène. Il n'y a pas d'eau sans hydrogène (3). »
Au cours de ses quinze années au pouvoir (1999-2013), la trajectoire politique de Chávez révèle un radicalisme croissant. Lors de sa visite en 2001, Fidel Castro lui fait comprendre qu'il ne pourra pas « être le maire de tout le Venezuela » et le convainc que pour réaliser son projet de transformation du pays et de lutte contre la pauvreté, il aura besoin d'un parti politique doté d'une vision à long terme et d'organisations de masse, d'où la nécessité d'une équipe expérimentée. Le nouveau président décide alors de faire confiance à ses loyaux compagnons d'armes et à d'autres hauts responsables militaires.
Chávez survit à une tentative de coup d'État en 2002 et à une grève générale manquée, organisée par des alliances hétérogènes de militaires et d'hommes politiques de l'opposition. Fidel Castro l'encourage à créer des milices populaires au plus vite pour prévenir les troubles civils ou contrer une éventuelle invasion de mercenaires ou de soldats étrangers. Au cours des années qui suivent, les appareils de sécurité de Cuba et du Venezuela passent un pacte de coopération mutuelle concernant l'espionnage et d'autres opérations réalisées sur les deux territoires.
Au milieu des années 2000, Hugo Chávez commence à développer son projet en se posant comme le champion du « socialisme du XXIe siècle ». Il lance alors un ensemble de « missions » sociales et économiques au niveau national, menées par des militaires et des civils de confiance. Il en résulte un système de ministres et membres de cabinet directement soumis aux ordres du président, qui finit d'ailleurs par créer son propre parti politique, le Partido socialista unido de Venezuela (PSUV).
L'armée du Venezuela, rebaptisée Forces armées nationales bolivariennes (Fuerza Armada Nacional Bolivariana, FANB) devient progressivement l'organe exécutif du charismatique président-comandante, qui a rassemblé ses partisans dans un parti politique, des milices, ainsi que des syndicats et des associations. Les officiers et sous-officiers font désormais partie d'une institution chargée de renforcer l'État et de gouverner la patrie. Leur fierté institutionnelle s'appuie ainsi sur l'idéologie nationaliste de gauche qui considère les militaires comme des « gardiens de la nation » œuvrant dans l'intérêt du peuple, en particulier les plus démunis.
La nomination de militaires à des postes de responsabilité dans le cadre des nouvelles missions sociales, de l'administration publique et de l'économie nationalisée a renforcé leur loyauté envers ce président patriote qui se veut l'héritier de Bolívar. L'augmentation des soldes militaires et l'élargissement du recrutement dans l'armée et les milices y ont probablement contribué. En 1999, la nouvelle Constitution donne le droit de vote aux militaires. Entre 2008 et 2015, le budget des forces armées passe de 1,06 % à 4,61 % du PIB. Entre 2010 et 2014, les effectifs militaires passent de 117 400 à 197 744 personnes (soit une proportion de 40 à 63 pour 10 000 citoyens). En 2015, le pays compte 365 046 miliciens, répartis dans cent « zones de défense intégrales » (4). L'étroite collaboration entre La Havane et Caracas dans les domaines des services secrets et de la sécurité d'État se resserre davantage.
Sous Chávez, la FANB constitue déjà un puissant instrument, qui sert au président à la fois de bras droit militaire (pour la défense et la sécurité intérieure) et de bras gauche politique (chargé des ministères, des « missions » et de la gestion économique). Auparavant, les ministres de la défense vénézuéliens pouvaient être des civils ou des hauts gradés de l'armée, mais Chávez a nommé douze loyaux militaires au ministère de la défense, après les avoir promus chefs de l'état-major. Sous sa présidence, l'armée a aussi pénétré dans un univers administratif qui restait jusque-là essentiellement civil.
Depuis quelques années, on observe une généralisation de ce phénomène : contrairement à Cuba, au Venezuela les ministères civils et les postes à responsabilité passent de plus en plus aux mains des militaires, qu'ils soient en service ou retraités (5). En 2015, ils détiennent la vice-présidence, les ministères de l'intérieur, de la sécurité publique, de l'économie et des finances, des travaux publics, de la santé, de l'alimentation, des transports, de l'énergie électrique, de la « participation populaire », sans oublier l'influent ministère du bureau de la présidence et du suivi du gouvernement. En outre, tous les « vice-ministres » de ces grands ministères font partie de l'armée de terre, de l'air ou de la marine.
Pour illustrer la militarisation actuelle du gouvernement et de l'administration publique, voici quelques chiffres : en 2015, les personnes issues de l'armée représentent 88 % des ministres, 38 % des gouverneurs, 70 % des maires et 85 % des ambassadeurs (souvent d'anciens ministres). De même, les militaires sont responsables de secteurs importants et d'instruments publics stratégiques comme la collecte des impôts, le budget, les marchés publics et les appels d'offre, achats et acquisitions du secteur public, la direction des banques publiques et la surveillance des banques privées.
Le président vénézuélien Nicolas Maduro a généralisé ce système en ne s'entourant que de militaires purs et durs. Le général Vladimir Padrino López, nommé chef de l'état-major en 2013, devient ministre de la défense l'année suivante. Face au tumulte politique et au désastre économique, M. Maduro décrète l'« état d'urgence économique » en juillet 2016, créant une « super-mission pour l'approvisionnement souverain », encadrée par le ministre de la défense. Actuellement, le général Padrino gère non seulement la défense nationale et l'économie du pays, mais aussi tous les autres programmes sociaux, jouant ainsi un rôle de premier ministre. Ainsi, l'état-major est étroitement lié au parti socialiste et au président, à tel point que l'avenir de ce dernier dépend avant tout de la loyauté des militaires.
Certes, pour l'instant l'armée soutient le président et s'occupe en grande partie de gouverner un pays parcouru de divisions et de gérer une économie exsangue, mais pour combien de temps encore ? Les institutions militaires tendent à survivre aux partis et aux carrières politiques. Si la crise venait à s'enliser et la contestation à s'intensifier, alors les forces armées, au lieu de défendre l'État, pourraient-bien éprouver le besoin de s'attribuer le rôle d'arbitre national.
(1) Intervention menée à Haïti en 1994 par des soldats américains mandatés par le Conseil de sécurité de l'ONU.
(2) Entretien avec Carlos Antelo Pérez (24 et 27 octobre 2011), conseiller à l'ambassade cubaine à Caracas.
(3) Cf. Bilbao, Luis. Chávez y la Revolución Bolivariana. Conversaciones con Luis Bilbao, Santiago du Chili : Capital Intelectual S.A. et LOM, 2002.
(4) Cf. RESDAL, Atlas comparativo de la defensa en América Latina y Caribe, Buenos Aires : Red de Defensa y Seguridad de América Latina, 2016. Cf. aussi Francine Jácome, Fuerza Armada, estado y sociedad civil en Venezuela, Caracas : Instituto Latinoamericano de Investigaciones Sociales (ILDIS). Les analystes fournissent des informations très différentes sur le nombre de miliciens, leur entraînement et leur armement.
(5) Cf. Carlos Tablante, Elgran saqueo. Caracas : Editorial Cinglar, 2016.
Difficile de peindre un tableau enthousiasmant du Venezuela à l'heure actuelle. Difficile, à moins qu'on ne s'intéresse aux réalisations du processus bolivarien dans la création d'un « nouvel État » reposant sur la participation populaire. En 2006, Hugo Chávez imagine les conseils communaux, des structures de base vouées à gérer de façon autonome des budgets autrefois alloués aux municipalités. En 2010, Caracas va plus loin avec le lancement des communes : des regroupements de conseils communaux dont les prérogatives, plus larges, visent à gommer la dichotomie entre politique et économie. Certaines communes s'impliquent dans la production agricole ; d'autres récupèrent des entreprises ou gèrent des transports en commun. L'auteur y voit une forme de « territorialisation du socialisme » échappant à la fois au localisme béat et à la soumission à l'État. Il existe aujourd'hui plus de 45 000 conseils communaux et environ 1 500 communes. On n'imagine pas que le chavisme puisse sortir de sa crise actuelle par la gauche sans s'appuyer sur ces structures.
Verso, Londres, 2016, 144 pages, 6,29 livres sterling.
— Contrairement à ce qu'indiquait l'article « Le Maghreb entre autoritarisme et espérance démocratique » (novembre), avec 31 % de sièges occupés par des femmes au Parlement, la Tunisie n'a pas la proportion d'élues la plus forte du continent africain. Cette proportion est de 42 % au Sénégal et de 64 % au Rwanda.
— Dans le graphique représentant la « La spirale de l'intégration » (novembre), l'Irlande apparaissait à tort comme étant membre de l'espace Schengen.
— Le mauvais placement d'une virgule dans une note de l'article « Riposte culturelle au Cachemire » (septembre) nous a conduits à diviser la population du Jammu-et-Cachemire par dix. Il compte en réalité 12,54 millions d'habitants.
— Régent du royaume de Hongrie entre 1920 et 1944, Miklós Horthy était amiral et non maréchal, comme nous l'avons écrit par erreur dans « Le beau Danube noir » (novembre).
Délégué interministériel à la sécurité routière, M. Emmanuel Barbe conteste les conclusions de l'article « Des accidents de la route pas si accidentels » (août) sur les disparités sociales en matière d'accidents et sur la politique de prévention.
L'accidentalité d'un pays est déterminée par la somme des risques individuels pris par chaque usager de la route (du piéton au chauffeur de poids lourd). La sécurité routière doit donc, par définition, s'adresser à tous, ce qui en fait d'ailleurs une politique de santé publique plus que de sécurité. Au reste, l'auteur ne prétend tout de même pas que seuls les ouvriers meurent sur les routes. Il indique leur surreprésentation parmi les victimes. En imposant le port de la ceinture à l'avant et à l'arrière, l'équipement de série des véhicules de systèmes de sécurité passive et active, des seuils en matière d'alcoolémie comme la prohibition de la conduite sous l'empire de la drogue ou téléphone à la main, en développant le système du permis à points comme les radars automatiques, la politique de la Sécurité routière s'adresse bel et bien à tous. Il a d'ailleurs souvent été souligné combien ses stages de sensibilisation (que l'on réduit trop souvent à des sessions de récupération de points) constituent désormais l'un des derniers lieux de véritable mixité sociale, le PDG y croisant l'ouvrier, comme le montre l'excellent film de Coline Serreau Tout est permis !
Aucune des campagnes diffusées à la télévision depuis au moins ces dix dernières années ne montre le moindre « passager en costume trois-pièces ». Pas même, d'ailleurs, l'ombre d'une cravate chez nos protagonistes. C'est que notre communication attache au contraire la plus grande importance au fait que les acteurs choisis dans ses films et la façon dont ils sont habillés permettent l'identification la plus large possible des publics visés.
Reprocher à la communication de la Sécurité routière la représentation de « familles avec enfants » est un peu surprenant, à moins que l'on puisse démontrer que la famille serait l'apanage des plus riches. En revanche, la famille est un vecteur d'émotion puissant, à même de faire évoluer les comportements, et c'est pourquoi elle est largement représentée dans nos films, qui cherchent précisément à provoquer une émotion, une indignation, une réaction.
Quant aux jeunes, ils sont plus que présents dans nos campagnes : ils constituent même, depuis bien des années, une cible majeure de sa communication, notamment avec la campagne SAM (« Sans accident mortel ») : « Celui qui conduit, c'est celui qui ne boit pas. » La Sécurité routière y consacre 20 % de son budget. Cohérent là encore avec les statistiques, puisque les 18-25 ans représentent 9 % de la population et 21 % des personnes tuées sur la route. Soit la première cause de mortalité de cette classe d'âge. Et si les ouvriers sont surreprésentés parmi les jeunes tués sur la route, cet investissement massif devrait leur être bénéfique.
Après l'enquête de Juan Branco « Aux sources du scandale UraMin » (novembre), M. Christophe Neugnot, directeur de la communication de l'entreprise publique, souhaite préciser les conditions de suspension de l'exploration sur le site de Bakouma.
Fin 2011, Areva a notifié aux autorités centrafricaines la suspension des activités d'exploration sur le site de Bakouma, compte tenu de la forte chute des cours de l'uranium (— 40 % depuis l'accident de Fukushima en mars 2011). Ces travaux d'exploration visaient à mieux caractériser le gisement et aucune mine n'a jamais été en activité. En juin 2012, le camp de Bakouma a été attaqué et pillé par des bandes armées, en présence de certains employés. Areva a alors évacué tout son personnel, ne laissant sur place qu'une équipe réduite de maintenance ainsi qu'un gardiennage continu, assuré par une société privée.
Cette attaque a clairement démontré que la sécurité n'était plus assurée sur la zone de Bakouma où intervenait le personnel d'Areva, que ce soit sur le camp, dans le village ou sur les secteurs d'exploration. En conséquence, Areva a notifié en avril 2013 aux autorités centrafricaines une situation de « force majeure », en application des termes de la convention minière, compte tenu du fait que la sécurité de ses employés n'était plus assurée. Areva n'avait plus de possibilités de se rendre sur le site, plus aucun cadre d'Areva n'y ayant eu accès depuis décembre 2012.
En ce qui concerne le réaménagement du site, dans la période de responsabilité d'Areva et ce jusqu'à notification du cas de « force majeure », Areva s'est acquittée de toutes ses obligations en la matière, nonobstant la situation de guerre qui régnait alors localement.
À fin 2012, 95 % des travaux de réaménagement avaient été réalisés. L'objectif de ces travaux était une mise en sécurité et une remise en état des terrains dans une configuration aussi proche que raisonnablement possible de leur état initial avant le lancement des travaux d'exploration. En mars 2013, Areva a soumis à l'Agence nationale de radioprotection (ANR), l'équivalent local de l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en France, les résultats des travaux de réaménagement menés à fin 2012, ainsi que des rapports de suivi radiologique du site et des travailleurs, et convenu avec elle du restant des travaux à réaliser. La fin des travaux a fait l'objet, en juillet 2013, d'un rapport déposé par Areva au ministère des mines en août 2013 aux fins de délivrance d'un quitus.
Les contrôles radiologiques réalisés en fin de travaux ont montré des valeurs du même niveau que la radioactivité naturelle de cette zone. Nous tenons à signaler qu'une partie de ces terrains recèlent une radioactivité naturelle significative en raison de la présence d'indice d'uranium naturel en surface. (...)
Nous ne pouvons que regretter que le site de Bakouma ait été pillé. En ce qui concerne la sécurité et la santé des travailleurs, il est important de souligner que nos activités étaient des activités d'exploration. Tous les employés du site avaient des tenues de travail adaptées et bénéficiaient d'une sensibilisation régulière aux enjeux de sécurité au travail et de radioprotection. Areva avait mis en place un suivi radiologique des salariés et, conformément à la réglementation, le médecin disposait des résultats de ce suivi. Les doses moyennes reçues par les salariés entre 2009 et 2011 étaient comprises entre 0,18 et 0,85 mSv par an avec une dose maximale de 2,28 mSv. Ces doses sont largement inférieures à la limite réglementaire centrafricaine et internationale de 20 mSv par an.
Tous les résultats ont été transmis à l'ANR. Dans un rapport de mars 2013, l'ANR centrafricaine « confirme que les doses reçues par le personnel sont faibles et largement au-dessous des seuils réglementaires ». Entre 2008 et 2012, Areva a noué de nombreux partenariats avec la République centrafricaine, et a déployé une politique sociétale ambitieuse pour un montant de plus de 600 000 euros investis en faveur de l'accès aux soins, de l'éducation et du développement local. (...)
De plus, la Fondation Areva a apporté son soutien dans un projet de lutte contre le paludisme, mené dans l'agglomération de Bangui, à Bambari et Soda à partir de 2015 par l'association française Guira et en partenariat avec le gouvernement centrafricain qui a notamment assuré la sécurisation des opérations. Ce projet comprend une campagne de sensibilisation, la mise à disposition d'antiseptiques, antihistaminiques, antispasmodiques et petit matériel médical, et de 4 000 moustiquaires imprégnées.
Évoquant une initiative américaine destinée à superviser les essais cliniques (dont dépend la mise sur le marché des médicaments), l'hebdomadaire britannique The Economist rappelle que dans ce domaine le vernis scientifique dissimule parfois les acrobaties statistiques les plus douteuses.
La moitié des essais cliniques n'ont pas réellement obtenu les résultats publiés. (...) Proportionnellement, les pires fraudeurs sont les gouvernements et les universités. En termes absolus, les coupables du plus grand nombre d'écarts sont deux géants du secteur pharmaceutique : Sanofi et Novartis, suivis du National Cancer Institute, une structure fédérale américaine.« Tested, and found wanting », 5 novembre.
MenaceUn mois après un discours remarqué dans lequel elle promettait de faire du Parti conservateur « le parti des travailleurs », la première ministre britannique Theresa May a annoncé vouloir offrir aux entreprises le taux d'imposition sur les sociétés le plus faible du G20, suscitant l'alarme en Irlande.
Prenant la parole devant la CBI, l'une des principales organisations patronales britanniques, [Mme Theresa May] a affirmé que son objectif « n'était pas seulement d'afficher le taux d'imposition des sociétés le plus bas des pays du G20, mais également de proposer un système fiscal qui récompense l'innovation ». Les experts estiment qu'elle pourrait réduire l'impôt sur les sociétés à moins de 15 % [il était passé de 20 à 17 % début 2016], dans l'optique de protéger l'économie de son pays des soubresauts liés à une sortie de l'Union européenne. Réduire l'impôt sur les sociétés pourrait attirer des entreprises et remettre en cause le statut de l'Irlande comme destination favorite des grandes transnationales.Joe Brennan, « Theresa May's retreat from Brexit ‘cliff edge' may cushion Ireland », Irish Times, 21 novembre.
Marche arrièreLe 14 novembre, Bogotá et la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont rendu public un nouvel accord de paix après le rejet du premier lors du référendum du 2 octobre. Pour l'hebdomadaire communiste Voz, le document marque un recul considérable.
Le président [Juan Manuel] Santos et le chef de la délégation officielle à La Havane, Humberto de la Calle, ont déclaré que le nouvel accord était « meilleur que le précédent », mais les secteurs démocratiques avancent une autre analyse. Il s'agit en fait d'un pas en arrière, nécessaire pour sauver le processus de paix mis à mal par le résultat négatif du 2 octobre. (...) Désormais, l'accord ne bénéficie d'aucune garantie constitutionnelle, de sorte qu'il sera exposé aux contre-réformes que pourraient mettre en œuvre les prochains gouvernements. (...) Le nouveau texte mentionne par ailleurs le concept de « soutenabilité budgétaire » pour le financement de l'accord, mettant son application en danger si un jour le pouvoir exécutif alléguait un manque de ressources, réel ou non.Carlos A. Lozano Guillén, « El “nuevo acuerdo” : El turno es para la implementación », 18 novembre.
Film d'horreurInflexibles défenseurs de la propriété privée contre les réquisitions d'appartements en Union soviétique, les pères fondateurs de l'Union européenne auraient-ils frémi à la lecture de cet article du New York Times ?
Comptable à la retraite, M. Michalis Hanis a fidèlement remboursé le crédit immobilier de sa petite maison de la banlieue d'Athènes, où il vit depuis vingt-trois ans. Du moins jusqu'à l'éclatement de la crise grecque, il y a quelques années. Conformément aux mesures d'austérité exigées par les créanciers, le gouvernement a amputé sa retraite de 35 %. Et, comme celle du pays, sa dette gonfle. Il a désormais rejoint les rangs des dizaines de milliers de Grecs qui luttent pour sauver leur logement au moment où déferle une nouvelle vague d'expulsions et de manifestations. « C'est comme dans un film d'horreur, témoigne M. Hanis, 63 ans, qui tient grâce aux antidépresseurs et aux somnifères. La pression ne baisse jamais. Je veux juste protéger ma maison. » Les créanciers du pays [au premier rang desquels la Banque centrale et la Commission européenne] ont mis en demeure le gouvernement d'autoriser la vente aux enchères des biens appartenant aux débiteurs qui ne paient pas, et ce afin de collecter des milliards d'euros qui pourraient servir à renflouer les banques grecques chancelantes.Niki Kitsantonis, « Greek Homeowners Scramble as Repossession Looms : ‘It's Like a Horror Movie' », 29 octobre.