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Diplomacy & Crisis News

Top Congolese Official Blasts Washington for Pulling Embassy Staff’s Family Members

Foreign Policy - Fri, 30/09/2016 - 21:44
A top aide to President Joseph Kabila told FP there is no tension in Congo and that Americans should feel safe there.

Ban to set up probe into deadly attack on UN-Syrian Arab Red Crescent aid convoy in Western Aleppo

UN News Centre - Fri, 30/09/2016 - 21:44
Secretary-General Ban Ki-moon will establish an internal United Nations Board of Inquiry to investigate the deadly 19 September incident involving a UN–Syrian Arab Red Crescent (SARC) relief operation to Urum al-Kubra, a town in western Aleppo Governorate.

UNICEF completes mobile health campaign aimed at children and women in Yemen

UN News Centre - Fri, 30/09/2016 - 20:40
The United Nations Children’s Fund (UNICEF) has reported that, along with its partners, the agency has completed a drive reaching more than 600,000 children under five years old and some 180,000 pregnant and breastfeeding women in conflict-torn Yemen with critical health and nutrition services.

UN refugee agency urges better measures for people crossing contact line in eastern Ukraine

UN News Centre - Fri, 30/09/2016 - 20:36
The United Nations refugee agency today called on authorities in Ukraine to help ease the plight of some 26,000 people who cross the dividing line between Government-controlled and non-Government-controlled areas of the crisis-gripped country daily.

‘SNL’ Debuts New Season Skewering 2016

Foreign Policy - Fri, 30/09/2016 - 20:22
The legendary comedy program prepares to take on an election some are already calling farcical.

As carbon dioxide levels hit 15 million year high, UN urges action to curb greenhouse gas emissions

UN News Centre - Fri, 30/09/2016 - 20:20
The United Nations Office for Disaster Risk Reduction (UNISDR) urged world leaders to take note of the profound implications of record-high carbon dioxide readings this month and appealed for their increased commitment to reducing greenhouse gas emissions.

Why the India-Pakistan War Over Water Is So Dangerous

Foreign Policy - Fri, 30/09/2016 - 20:13
As New Delhi and Islamabad trade nuclear threats and deadly attacks, a brewing war over shared water resources threatens to turn up the violence.

Why Colombia’s Government Compromised for Peace

Foreign Policy - Fri, 30/09/2016 - 18:51
The government in Bogotá was winning the war. So why did it decide to give concessions to the rebels anyway?

Inside FARC’s Postwar Jungle Camp Finishing School

Foreign Policy - Fri, 30/09/2016 - 18:24
Leftist guerillas have been trekking across Colombia for classes on Marxist economics, cultural history, and how to run for office.

« Je veux Mossoul », dit Lloyd George

Le Monde Diplomatique - Fri, 30/09/2016 - 09:53

En 1916, en pleine guerre mondiale, Paris et Londres négocient le démembrement de l'Empire ottoman. Un premier schéma est entériné par les diplomates François Georges-Picot et Mark Sykes. Les frontières du Proche-Orient tracées par les vainqueurs après la fin du conflit seront finalement différentes. Mais ce partage restera connu sous le nom d'« accords Sykes-Picot ». Extraits.

Dans son journal, le 11 décembre 1920, Maurice Hankey, secrétaire du gouvernement britannique, notera : « Clemenceau et Foch ont traversé [la mer] après l'armistice, et on leur a donné une grande réception militaire et publique. Lloyd George et Clemenceau ont été conduits à l'ambassade de France… Quand ils furent seuls, Clemenceau dit : “Bien. De quoi devons-nous discuter ?” “De la Mésopotamie et de la Palestine”, répondit Lloyd George. “Dites-moi ce que vous voulez”, demanda Clemenceau. “Je veux Mossoul”, dit Lloyd George. “Vous l'aurez”, a dit Clemenceau. “Rien d'autre ?” “Si, je veux aussi Jérusalem”, a continué Lloyd George. “Vous l'aurez”, a dit Clemenceau. » (…)

La division du Proche-Orient en plusieurs Etats (…) s'est opérée contre la volonté des populations et en utilisant une rhétorique libérale que le recours à la force rendait vide de sens. Par rapport à l'évolution politique de la dernière décennie ottomane, où la cooptation des notables et l'établissement d'un système électoral, certes très imparfait, avaient tracé la voie à une vraie représentation politique, l'autoritarisme franco-anglais constitue une régression durable.

En tant que découpage territorial, le partage a duré, essentiellement parce que les nouvelles capitales et leurs classes dirigeantes ont su imposer leur autorité sur le nouveau pays. Mais les événements de 1919-1920 furent ressentis comme une trahison des engagements pris (en premier lieu, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes). Ils dépossédèrent surtout les élites locales de leur destin. Quand le nationalisme arabe reviendra en force, il ne reconnaîtra pas la légitimité de ce découpage et appellera à la constitution d'un Etat unitaire, panacée à tous les maux de la région. Les Etats réels seront ainsi frappés d'illégitimité et durablement fragilisés. La constitution du Foyer national juif entraînera la région dans un cycle de conflits qui semble loin de se terminer. (…)

Tiré de nos archives en ligne (« Comment l'Empire ottoman fut dépecé »).

Three Years New Global Policymaking

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Fri, 30/09/2016 - 00:00
(Own report) - At this years German "Unification" celebrations in Dresden - three years after his first public appeal for an extensive German global policy - German President Joachim Gauck can look back on a successfully concluded phase. October 3, 2013, Gauck first called on Germany to become more involved - also militarily - in international affairs. The campaign initiated with his speech had been carefully prepared and was aimed at incorporating members of the German elite, such as university professors and journalists from leading media organs. The Bundeswehr's recently adopted new White Paper is somewhat the official crowning of this campaign. In this paper, Berlin explicitly announced its commitment to global leadership, and, if necessary, to its enforcement by military means. At the same time, Berlin is pushing for the Bundeswehr's arms build-up and the militarization of the EU. Germany is increasing its military involvement in the "Arc of Crisis," as it is often called, meaning the arc of countries ranging from Mali, to Libya, Syria and Iraq.

Changer d'ère

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 16:56

On ne présente plus Internet, ce réseau électronique qui permet de relier tous les ordinateurs de la planète. Pratiquement inconnu du grand public il y a à peine deux ans, Internet est devenu un phénomène social mondial qui suscite enthousiasmes et controverses. Comme souvent lorsque fait irruption une innovation technologique accompagnée d'un effet de mode, beaucoup s'extasient, d'autres sont effrayés.

Si les origines du réseau remontent à la fin des années 60, sa véritable naissance date de 1974, quand, répondant à un souhait du Pentagone, un professeur de l'université de Californie à Los Angeles, M. Vint Cerf, mit au point la norme commune permettant de fédérer tous les ordinateurs et lui donna son nom : Internet. M. Vint Cerf avait découvert que les ordinateurs, comme les hommes, sont grégaires, et qu'ils ne sont jamais aussi efficaces que lorsqu'ils sont reliés à d'autres ordinateurs.

Mais le développement massif de la galaxie Internet est beaucoup plus récent, il date en fait de 1989 lorsque, à Genève, des chercheurs du CERN mirent au point le World Wide Web, la « Toile », fondé sur une conception hypertexte qui a transformé Internet en réseau plus convivial. Grâce au Web, le nombre d'ordinateurs connectés dans le monde double chaque année, et le nombre de sites Web tous les trois mois. On estime que, en l'an 2000, il y aura environ 300 millions d'utilisateurs d'Internet ; et le temps passé devant un écran d'ordinateur sera supérieur, dans les pays développés, à celui passé devant l'écran de télévision. Courrier électronique, forums de discussion et consultation d'archives sont les utilisations les plus fréquentes ; elles sont rapides, faciles, interactives et peu onéreuses.

Structuré en mailles de filet, Internet est très résistant (il a été conçu, au moment de la guerre froide, pour survivre à une agression nucléaire). On dit qu'il est « aussi difficile à détruire qu'une toile d'araignée avec une balle de fusil ». Son protocole est du domaine public et n'appartient à aucune firme commerciale. Indestructible, décentralisé, propriété de tous, Internet - utilisé surtout, dans les premières années, par les professeurs universitaires et les milieux de la contre-culture américaine - a fait renaître le rêve utopique d'une communauté humaine harmonieuse, planétaire, où chacun s'appuie sur d'autres pour perfectionner ses connaissances et aiguiser son intelligence.

Ces caractéristiques, indiscutables, ne doivent pas nous empêcher de réfléchir aux dangers qui planent sur Internet. D'une part, sectes, négationnistes et autres pornographes envahissent déjà le réseau ; d'autre part, les entreprises commerciales songent à en prendre le contrôle, alors que les deux tiers de l'humanité sont, de fait, exclus d'Internet. Une foule de problèmes nouveaux se posent, juridiques, éthiques, politiques, culturels. Internet parviendra-t-il à demeurer longtemps un espace de communication libre, peu cher, ouvert aux citoyens, et à l'abri des grands prédateurs du multimédia ?

Autre interrogation : Internet favorisera-t-il l'avancée vers la « démocratie directe » ? Certains théoriciens expriment cette idée sans précaution, et prédisent que, dans un futur proche, nous pourrons voter en pianotant tout simplement sur le clavier de notre ordinateur personnel. Une telle possibilité électronique, affirment-ils, permettrait aux citoyens d'intervenir directement, en temps réel et sans intermédiaire dans la prise de décisions politiques, et, surtout, leur fournirait la possibilité de contourner l'influence de groupes de pression (lobbies) qui confisquent pour leur seul profit la démocratie.

Evidemment, cette idée du cybervote ne manque pas d'attrait. Mais, outre qu'elle suppose un équipement des foyers en matériel informatique fort coûteux, elle comporte de graves dangers. En premier lieu, celui de réintroduire le principe de la passion dans le champ politique. Imaginons un référendum sur la peine de mort organisé quelques jours après la découverte d'un assassinat particulièrement monstrueux et largement médiatisé. Le résultat serait évident. La démocratie électronique peut ainsi conduire, directement, au lynchage électronique. L'interactivité immédiate peut devenir une sorte de multiplicateur du cybercrétinisme. Et ce qui, aux yeux de certains, pouvait apparaître comme un progrès civique se transformer en régression politique.

Car, contrairement à ce que la vogue actuelle de l'instantanéité et du temps réel tente d'imposer, la démocratie suppose une distance entre les faits et les décisions ; un recul consacré à la réflexion, au débat, au dialogue afin que, même sur Internet, la raison l'emporte toujours sur les passions.

Par ailleurs, ce qui menace en effet Internet, c'est la tentation, de plus en plus manifeste, des grands mastodontes de la communication de s'emparer commercialement du « réseau des réseaux ». Les marchands se lancent à l'assaut d'Internet. Une féroce bataille oppose actuellement les fabricants d'ordinateurs personnels et les partisans des ordinateurs de réseaux, appareils moins chers (environ 2 500 F) et spécialisés dans la consultation d'Internet. Le géant Microsoft, quelques mois après avoir lancé dans le cyberespace Slate un magazine d'actualités sophistiqué et original, a fait un nouveau pas vers l'offre de contenu en s'associant à la chaîne de télévision américaine National Broadcasting Company (NBC, qui appartient à General Electric), dont les journaux télévisés obtiennent la plus forte audience aux Etats-Unis.

Ensemble, ces deux géants de la communication ont investi près d'un milliard de dollars pour mettre au point un réseau d'information en continu de type nouveau qui, pour la première fois, marie télévision et ordinateur. Ce réseau futuriste, baptisé MSNBC (Microsoft-National Broadcasting Company), diffuse des informations que l'on peut, à la fois, voir sur son téléviseur (par câble), lire en télétexte sur l'écran informatique, mais aussi regarder en images et sons sur un site Web (http://www.msnbc.com) d'Internet. Bref, on peut désormais recevoir des informations télévisées sur son ordinateur.

MSNBC a commencé à émettre le 15 juillet 1996 en diffusant un entretien avec le président Clinton, alors en campagne électorale, qui répondait aux questions du présentateur vedette Tom Brokaw. Certaines des questions avaient été préalablement formulées par des citoyens sur Internet par courrier électronique, ce qui a fait dire à des commentateurs que c'était le premier « entretien interactif » du président..

Ce réseau d'information en continu via télévision et ordinateur cherche directement à concurrencer la chaîne CNN, et témoigne de l'âpreté de la guerre pour le contrôle de l'information que se livrent les grandes firmes industrielles.

La volonté de Microsoft de dominer le réseau Internet est confirmée par l'annonce faite en juillet 1996 par M. Bill Gates de lancer un nouveau journal en ligne sur la Toile, Cityscape qui proposera tous les renseignements utiles des grandes villes américaines, des informations routières et, surtout, des petites annonces d'emplois de cadres. Ces rubriques constituent environ 35 % des recettes des grands quotidiens des Etats-Unis, qui voient ainsi surgir une nouvelle menace pour leur survie. Et, comme le redoutent beaucoup de citoyens, un nouveau danger pour la pluralité de l'information.

A cet égard, d'ailleurs, l'essor d'Internet crée une nouvelle inégalité entre les « inforiches » et les « infopauvres ». Non seulement au Nord, dans les pays développés, où seule une minorité dispose d'ordinateur personnel, mais surtout au Sud, où le manque d'équipements minimaux marginalise des millions de personnes. Il y a, par exemple, davantage de lignes téléphoniques installées dans la seule île de Manhattan (New York) que dans toute l'Afrique noire, et, on le sait, sans un téléphone connecté à un ordinateur, impossible d'accéder à Internet. Et ne parlons pas du sous-équipement en matière d'électricité (plus de deux milliards de personnes ne disposent pas d'électricité sur la planète) ni de la désastreuse situation en matière d'alphabétisation.

Il ne fait pas de doute qu'avec Internet, média désormais aussi banal que le téléphone, nous entrons dans une nouvelle ère de la communication. Beaucoup estiment, non sans ingénuité, que plus il y aura de communication dans nos sociétés, plus l'harmonie sociale y régnera. Ils se trompent. La communication, en soi, ne constitue pas un progrès social. Et encore moins quand elle est contrôlée par les grandes firmes commerciales du multimédia. Ou quand elle contribue à creuser le fossé des inégalités entre citoyens d'un même pays ou habitants d'une même planète.

Changer d'ère ? Le phénomène Internet y contribue à sa manière. Mais, pour que cette ère nouvelle voie l'essor des cultures, des solidarités et des libertés, les citoyens doivent s'approprier sans tarder Internet, avant que, une fois encore, l'aristocratie des finances, des médias et des loisirs ne s'en empare définitivement. Pour son seul profit.

Le réel, l'exact et le vrai

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Dans son essai Bertolt Brecht et Fritz Lang (1), traitant de la seule œuvre — le film Les bourreaux meurent aussi (1943) — qui ait vu collaborer deux des plus célèbres artistes allemands en exil à Hollywood (trois, si l'on ajoute le musicien Hanns Eisler), la sociologue Danielle Bleitrach s'interroge : pourquoi, pour raconter l'histoire de l'assassinat bien réel du Reichsprotektor Reinhard Heydrich en 1942 par les partisans tchécoslovaques, les auteurs ont-ils eu besoin de s'éloigner de la vérité en inventant un complot ourdi par tout un peuple afin de charger un « faux coupable », par ailleurs authentique collaborateur nazi ?

Dès sa sortie, la censure américaine avait signalé que le film de Lang faisait l'apologie du mensonge. Plus tard, la commission McCarthy lira Les bourreaux meurent aussi comme un pur exemple de propagande communiste, puisqu'il n'y a pas véritablement de héros.

Selon l'analyse de Danielle Bleitrach, en construisant une machination à la limite de la vraisemblance, Brecht et Lang s'éloignaient de la simple reconstitution historique pour vanter la nécessité d'une action collective, car seule une fiction pouvait expliquer que, pour vraiment éradiquer le national-socialisme, il fallait que le peuple tout entier agisse — et non pas simplement quelques combattants déterminés.

Ce passage par la fiction, on le retrouve dans J'ai survécu à ma mort (1960) (2), film tchécoslovaque de Vojtěch Jasný contant le parcours d'un boxeur déporté à Mauthausen. Contemporaine de Kapò, le film de Gillo Pontecorvo mettant en scène une jeune Juive qui se fait passer pour une prisonnière de droit commun et devient kapo, cette puissante immersion dans le camp de concentration ne suscite pas les mêmes polémiques esthétiques et morales, le récit s'appuyant sur une reconstitution documentaire d'une grande force. Si le film avait été vu à l'époque, il aurait pu échapper à la fameuse polémique lancée par Jacques Rivette dans les Cahiers du cinéma sur le « travelling, affaire de morale » et nuancer les débats tranchés sur la possibilité de « fictionner » les camps à l'écran. Car qui verra les scènes où les détenus empruntent le cauchemardesque escalier de 186 marches les conduisant à la carrière de Mauthausen comprendra l'importance de cette représentation clinique de la barbarie nazie. Sortie de l'oubli par l'Amicale de Mauthausen, cette œuvre a pris, pour les anciens déportés du camp, valeur de témoignage exceptionnel.

Pour Roberto Rossellini, la question ne souffre pas de discussion : s'il va, en 1947, tourner Allemagne année zéro (3) dans les ruines de Berlin pour conclure son triptyque « néoréaliste » commencé avec Rome, ville ouverte (1945) et poursuivi par Païsa (1946), ce sera forcément par le biais d'une fiction, et elle contera le sort des « perdants » en prenant pour héros un enfant devant survivre aux temps nouveaux et aux relents mortifères de l'époque hitlérienne.

Mais cette fiction se nourrira de tout un travail documentaire préparé par son collaborateur Carlo Lizzani et du vécu de ses personnages, interprétés par des acteurs non professionnels. Si Allemagne année zéro est une plongée fictive dans l'âme d'un peuple par l'intermédiaire d'un enfant pour savoir si la « bête immonde » a vraiment été anéantie, elle se nourrit aussi du deuil de Rossellini, qui perd alors son fils âgé de 9 ans et trouve, pour interpréter son héros principal, un jeune garçon qui n'est pas sans ressemblance avec le disparu.

Ainsi, l'un des films fondateurs du cinéma moderne est d'abord une fiction, presque une autofiction. Et, si ce qu'il décrit touche encore aujourd'hui, c'est parce que Rossellini ne se contente pas de retranscrire le réel de l'Allemagne vaincue, mais le transgresse en imaginant comme fin le suicide d'un enfant. Comme l'anticipaient Lang et Brecht, pour le meilleur comme pour le pire, c'est désormais le mensonge du cinéma qui sera porteur de vérité.

(1) Danielle Bleitrach et Richard Gehrke (avec la collaboration de Nicole Amphoux), Bertolt Brecht et Fritz Lang. Le nazisme n'a jamais été éradiqué, LettMotif, La Madeleine, 2015, 410 pages, 29 euros.

(2) Vojtěch Jasný, J'ai survécu à ma mort, DVD Mille et Une Productions, 2016, 93 minutes, prix conseillé 22,90 euros.

(3) Roberto Rossellini, Allemagne année zéro, DVD Rimini Éditions, 2016, 104 minutes avec bonus, prix conseillé 14,99 euros.

Fukushima, mon amour

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Cinq ans après l'accident de Fukushima au Japon, le 11 mars 2011, plusieurs livres décryptent les mécanismes qui l'ont rendu possible. Avec un essai court mais très documenté, Mathieu Gaulène (1) analyse le développement accéléré du secteur nucléaire japonais dans les années 1970, sous l'effet de la forte croissance et des crises pétrolières. Encouragé par des financements américains, Tokyo met en service son premier réacteur en dix ans (il en avait fallu presque vingt à la France). Puis construit dix-huit réacteurs en une décennie, dont ceux de Fukushima-Daiichi. Pour soutenir ce développement à marche forcée, tout un système se met en place. C'est le fameux « village nucléaire », fait de liens étroits entre médias, personnel politique et monde économique, et encadré par une autorité de régulation qui n'est pas indépendante. L'auteur examine comment se construit cette coalition d'intérêts, les individus et les méthodes sur lesquels elle repose, et surtout la persistance des dysfonctionnements.

L'opacité du secteur nucléaire japonais est également exposée par Arnaud Vaulerin (2). Le journaliste a interrogé quelques-uns des sept mille à dix mille liquidateurs qui se relaient chaque jour sur le site de la centrale accidentée. Il raconte les salaires souvent misérables, les nombreuses pressions et infractions, la loi du silence qui est imposée à une large majorité d'entre eux. Il décrit aussi ce chantier où planent encore de nombreuses incertitudes, notamment concernant la récupération des cœurs des réacteurs entrés en fusion, dont la facture ne cesse d'augmenter. Une étude parue en 2014 estimait ainsi à 81 milliards d'euros le coût global de la catastrophe — un chiffre qui devrait être majoré par le traitement des éléments radioactifs issus du démantèlement et par l'évolution des indemnisations (3).

Emblématique, le cas du Japon est loin d'être isolé dans une Asie en pleine croissance qui concentre l'essentiel des perspectives de développement du secteur. Mathieu Gaulène montre dans la seconde partie de son livre que la logique mise en œuvre au Japon se retrouve en Corée du Sud comme en Chine. Elle y produit de nouveaux dysfonctionnements, notamment via l'exportation de centrales à bas prix vers les pays émergents. Les pays les moins solvables sont également incités à l'achat par des systèmes de crédits octroyés par les pays exportateurs ou dans le cadre de l'aide au développement (4). Les puissances occidentales ne sont pas exonérées de leurs responsabilités. L'auteur rappelle leur rôle dans le développement des filières nucléaires asiatiques et certains de leurs reniements, en particulier sur leurs engagements de non-prolifération.

Il montre enfin un continent divisé face aux choix énergétiques et des populations de plus en plus opposées au nucléaire. Si ces mouvements ont remporté quelques beaux succès dans certains pays, si des efforts en matière de développement des énergies renouvelables ont été faits, ces initiatives pèsent encore peu face aux impératifs de croissance, aux lobbys industriels et à la répression des opposants. Dans ces pays exposés aux catastrophes naturelles, où se concentrent les densités de population les plus élevées au monde et qui ont déjà connu pour certains des catastrophes industrielles majeures, un débat public serait pourtant le minimum.

(1) Mathieu Gaulène, Le Nucléaire en Asie. Fukushima, et après ?, Philippe Picquier, Arles, 2016, 208 pages, 13 euros.

(2) Arnaud Vaulerin, La Désolation. Les humains jetables de Fukushima, Grasset, Paris, 2016, 224 pages, 20 euros.

(3) Cf. Philippe Messmer, « La catastrophe de Fukushima plus coûteuse que prévu », Le Monde, 30 août 2014.

(4) Cf. Françoise Nicolas, Céline Pajon et John Seaman, « La nouvelle diplomatie économique asiatique : Chine, Japon, Corée comme exportateurs d'infrastructures », Asie. Visions, no 68, Institut français des relations internationales (IFRI), mai 2014.

De Léopold II à Joseph Kabila

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Au moment où s'expriment sans fard des velléités de réhabiliter la colonisation, L'Afrique belge aux XIXe et XXe siècles (1), publiée en 2014, fait le point sur les recherches récentes des historiens. Il s'agit de déconstruire les clichés et les légendes qui continuent d'obscurcir l'intelligence du passé de la République démocratique du Congo (RDC). Les auteurs de cet ouvrage collectif réévaluent en particulier la portée des savoirs produits par les acteurs de la colonisation belge : administrateurs, géographes, sociétés scientifiques et aussi bien interprètes et porteurs congolais. L'un des intérêts majeurs de cette lecture méticuleuse des événements est de décortiquer les contradictions engendrées par la rencontre brutale entre les apports coloniaux et l'organisation socio-économique locale préexistante. La violence de ce qui s'appela l'État indépendant du Congo (1885-1908) — territoire sur lequel le roi Léopold II exerça une souveraineté de fait, prélude à ce qui sera le Congo belge (1908-1960) — fait l'objet d'une étude remarquable. Tel Janus, il présentait deux faces : l'État colonisateur et « civilisateur », paré de bonnes intentions, et l'État capitaliste, exploiteur des richesses, indifférent aux horreurs subies par les Congolais.

L'éclairage historique donne sens à l'apparente irrationalité des drames que traverse la RDC depuis plusieurs décennies. En effet, l'incompréhension provient en partie de l'énorme hiatus entre les catastrophes qui s'enchaînent depuis 1990 et l'extrême pauvreté des outils conceptuels utilisés pour en appréhender correctement les origines et les contradictions. On tirera donc profit de la lecture du numéro spécial des Cahiers africains intitulé « Conjonctures congolaises 2015 » (2), dont le sous-titre « Entre incertitudes politiques et transformation économique » souligne les enjeux d'une période particulièrement tendue alors que la colère contre le pouvoir de M. Joseph Kabila s'étend dans le pays. « Une année électorale en perdition », selon l'expression des politistes Paule Bouvier et Jean Omasombo Tshonda pour qualifier 2015, marquée par le report contesté de la présidentielle ainsi que par la violence politique et sociale : les autorités se montrent incapables de pacifier le territoire et la « compétition électorale ». Analysant minutieusement l'organisation de l'État, le sociologue Gauthier de Villers décrit la répression politique, les violations des droits humains, l'appropriation de la décentralisation en cours à des fins politiciennes.

Héritage colonial récupéré par Joseph Mobutu (1930-1997) et recyclé par M. Kabila, cette violence annihile la portée de certains projets économiques conçus sans vision globale d'un pays aux immenses ressources minières et sans prise en compte du point de vue des partenaires locaux. C'est dans ce contexte que le Musée royal de l'Afrique centrale à Tervuren (Belgique) continue à publier une série de monographies consacrées aux provinces de la RDC (3). Les deux plus récentes présentent la décentralisation de l'État à partir des exemples des provinces de l'Équateur et de Mongala. Mal conçue et confisquée à des desseins politiques par le gouvernement, la réforme entamée en 2006 n'a fait que régionaliser le patrimonialisme et la prédation des ressources économiques. Comme les précédents, ces deux ouvrages collectifs retracent l'histoire de chacune des provinces : leur démographie, les ressources naturelles, les soubresauts politiques et les changements administratifs.

(1) Patricia Van Schuylenbergh, Catherine Lanneau et Pierre-Luc Plasman (sous la dir. de), L'Afrique belge aux XIXe et XXe siècles. Nouvelles recherches et perspectives en histoire coloniale, Peter Lang, Bruxelles, 2014, 281 pages, 43,90 euros.

(2) Stefaan Marysse et Jean Omasombo Tshonda (sous la dir. de), « Conjonctures congolaises 2015 », Cahiers africains, no 87, L'Harmattan, Paris, 2016, 342 pages, 35 euros.

(3) Équateur. Au cœur de la cuvette congolaise (2016, 496 pages, 29 euros) et Mongala. Jonction des territoires et bastion d'une identité supra-ethnique (372 pages, 2015, 29 euros), Musée royal de l'Afrique centrale, coll. « Monographies des provinces de la République démocratique du Congo », Tervuren. Disponibles gratuitement en ligne sur www.africamuseum.be

Une Ève féministe

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

En 1972, la sonde spatiale Pioneer 10 emportait à son bord des informations à l'intention d'éventuelles créatures extraterrestres. Sur une plaque en aluminium figurait un dessin des habitants de la Planète bleue. L'anatomie masculine était fidèlement reproduite ; mais l'entrejambe de la femme ne présentait qu'un renflement lisse, comme sur une poupée. La dessinatrice suédoise Liv Strömquist imagine les réactions que la National Aeronautics and Space Administration (NASA) craignait de provoquer chez des créatures à quatre bras ou deux pinces si elle leur envoyait un dessin réaliste : « Beurk ! On va pas répondre à ça ! Si un jour ils nous le demandent, on dira qu'on l'a jamais reçu ! » (1).

Son précédent album, Les Sentiments du prince Charles (2012), dissection jubilatoire de l'institution du couple hétérosexuel, renvoyait dans les cordes deux siècles de courrier du cœur et d'articles de magazines féminins. Consacré à la représentation de la différence des sexes et du corps des femmes à travers l'histoire, L'Origine du monde remplacerait avantageusement bien des manuels d'éducation sexuelle.

Lors d'une soirée, un confrère de Strömquist lui avait déclaré ne pas aimer les dessinatrices parce qu'elles « ne parlaient que des règles (2)  ». Il n'en fallait pas plus pour lui donner des idées. Avec sa splendide réinterprétation de La Belle au bois dormant, son chapitre sur le sujet réussit à susciter une émotion inattendue.

(1) Liv Strömquist, L'Origine du monde, Rackham, Paris, 2016, 144 pages, 20 euros.

(2) Entretien à Libération, Paris, 29 mai 2016.

Se relever d'entre les morts

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Quatre-vingt-treize ans après l'envol du Voleur de Bagdad, d'Achmed Abdullah (1881-1945), Ahmed Saadawi choisit d'insuffler de la magie dans sa ville pour en dire la vérité quotidienne. Ancien correspondant de la British Broadcasting Corporation (BBC) en arabe, journaliste de terrain entre 2006 et 2008, et aujourd'hui producteur de films documentaires, il a fait en 2013, avec Frankenstein à Bagdad, le pari de confier à la fiction le soin d'exprimer les violences subies par ses concitoyens. Salué par l'International Prize for Arabic Fiction 2014, le livre a été tragiquement rattrapé par les événements. Le 3 juillet dernier, un attentat a causé la mort de deux cents personnes dans la capitale irakienne. Les Bagdadis ont alors exprimé leur colère, le premier ministre Haïdar Al-Abadi réagissant en prenant des mesures qualifiées de sécuritaires, dont l'exécution de tous les condamnés à mort pour terrorisme encore incarcérés.

Les tueries à répétition qui frappent cet État sans tête viennent comme confirmer l'intuition qu'eut Ahmed Saadawi lorsqu'il imagina un être vengeur créé dans une ruelle du quartier de Batawin par un vieux brocanteur, à partir des restes des victimes déchiquetées par les bombes des kamikazes. Mais la créature, tout comme celle du Dr Frankenstein, va échapper à tout contrôle, car elle est conduite par un destin intraitable qui la pousse à venger les hommes dont les fragments la constituent. Elle exécute sans hésiter leurs assassins et les commanditaires des attentats, et devient ainsi l'incarnation de la justice pour une partie de la population, une source de terreur pour les assassins… et un mystère à éclaircir pour la brigade de surveillance et d'intervention, une branche de la police secrète dirigée par un militaire versé dans l'ésotérisme qu'appuie une équipe de gros bras et de mages barbichus. Celui qui devient vite une légende, « le Sans-Nom », constate que ses membres se décomposent dès lors que les êtres à qui ils appartenaient ont été vengés. Il lui faut donc trouver toujours plus de responsables pour ne pas disparaître…

Le récit d'Ahmed Saadawi ne sombre à aucun moment dans le gore ou le gothique frelaté. Avec beaucoup de finesse et de grâce, il conjugue le conte et la fable réaliste en peignant, tout autant que son « monstre », la vie d'une vieille femme inconsolable de la mort de son fils durant la guerre contre l'Iran, celle d'un vigile lecteur de Badr Chakir Al-Sayyab — le grand poète, membre du Parti communiste irakien, qui influença Mahmoud Darwich — ou encore d'un marchand immobilier bien placé pour profiter de la situation, d'un tenancier d'hôtel las, d'un jeune journaliste... et de beaucoup d'autres qui tentent de survivre dans les décombres, au milieu des luttes de clans et des tirs de kalachnikov. Cette vie bigarrée de Batawin rappelle beaucoup celle que décrivait si bien l'Égyptien Naguib Mahfouz, et parfois même évoque La Maison de la mort certaine (1945), d'Albert Cossery, où logent dans des conditions lamentables des pauvres qui n'osent pas se révolter contre le propriétaire… Ahmed Saadawi, avec cette fantasmagorie remarquable, sait étonnamment évoquer la souffrance du « corps » de la nation, tout en maintenant de la tendresse pour les ressources imprévues des vivants.

Frankenstein à Bagdad, d'Ahmed Saadawi, traduit de l'arabe (Irak) par France Meyer, Piranha, Paris, 2016, 400 pages, 22,90 euros.

Rire sous l'orage

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Lorsqu'il publie ces trois contes, en 1905, 1907 et 1911, Sholem-Aleikhem (1859-1916), un pseudonyme qui signifie « La paix soit avec vous », n'est plus un inconnu dans la société juive de Russie. Après avoir commencé à écrire en russe et en hébreu, il est l'un des premiers à choisir le yiddish. Sous une forme d'« oralité écrite » qui prolonge l'héritage des conteurs, il propose de nombreuses histoires souvent désopilantes décrivant une communauté tiraillée entre désir d'assimilation dans un empire absolutiste, largement antisémite, et volonté de bousculer les féodalités, y compris celles établies en son sein. L'un de ses personnages est devenu emblématique du conflit des générations dans les shtetls (quartiers ou villages juifs) : le laitier Tévyè, dont les aventures inspireront la célèbre comédie musicale Un violon sur le toit. Les trois « histoires » présentées ici tiennent à la fois du conte et du monologue. Elles favorisent une proximité immédiate entre auteur, personnages et lecteur. Mais Sholem-Aleikhem les a écrites après l'échec de la révolution de 1905. Pogroms, rafles, persécutions l'ont amené à quitter la Russie, et sans doute à radicaliser son propos.

Si personnages et situations mis en scène restent ancrés dans la communauté juive, avec son lot de cocasseries, de tendresse, d'humeurs vagabondant au gré du cheminement de chacun, tous ces petits « héros dépités » sont, cette fois-ci, confrontés à un système politique en pleine décomposition donc peu enclin à la tolérance : la différence est qu'ils en ont pris conscience et vont, chacun à sa minuscule mesure, s'y confronter. Comme cette veuve entre deux âges, Guitel, dont le fils unique est appelé à accomplir son service militaire. Au terme d'un périple oscillant de rebuffades administratives en indifférence hostile, elle ira jusqu'à la Douma, où les deux seuls députés juifs l'accueilleront sans hâte excessive. Son obstination lui vaut d'être surnommée par sa propre communauté Guitel Pourishkevitsh, du nom d'un député connu pour son antisémitisme… Double ironie puisque c'est paradoxalement ce dernier qui, par son discours fallacieux prétendant qu'aucun Juif ne fait de service militaire, déclenchera en pleine Assemblée l'ire de la veuve et la « libération » de son fils.

Bien différent est le deuxième conte. Un jeune homme aisé — « Un rouble ne vaut pas tripette pour moi » — tombe amoureux d'une jeune fille dont la mère tient une gargote kasher. Mais la jeune fille en aime un autre, un certain Joseph, qui fait partie d'un groupe de gens bizarres, plus ou moins étudiants, révolutionnaires et conspirateurs. Et le narrateur, plutôt conservateur, va les côtoyer et même être peut-être ébranlé. D'autant plus que l'histoire se termine mal : l'arrestation puis l'exécution de Joseph et de ses camarades le touchent quasiment au cœur…

Et, si le troisième conte se place sous le signe farfelu d'un homme qui aime successivement une femme, puis sa fille, puis la fille de celle-ci, toutes devenues veuves les unes après les autres, c'est une fois de plus le champ politique qui joue le rôle de deus ex machina. Est-ce à cause de cette attention aux petites gens que l'auteur, établi aux États-Unis, fut surnommé « le Mark Twain juif » ? Sans doute — et Twain répliqua qu'il était « le Sholem-Aleikhem américain ».

Guitel Pourishkevitsh et autres héros dépités, de Sholem-Aleikhem, traduit du yiddish par Nadia Déhan-Rostchild, L'Antilope, Paris, 2016, 154 pages, 15 euros.

Lumières sur le chaos syrien

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 15:22

Alors que la situation en Syrie est souvent présentée comme si chaotique qu'on ne saurait même plus l'expliquer, plusieurs livres permettent d'en saisir les enjeux. Le recueil d'articles précis, détaillés et vifs de Yassin Al-Haj Saleh en est un bon exemple (1). L'auteur, né en 1961, a passé seize ans dans les prisons syriennes sous Hafez Al-Assad pour appartenance au Parti communiste, et vit aujourd'hui en Turquie, après avoir gagné la clandestinité pendant le soulèvement. Il pose sur le processus en cours le regard d'un militant. Le premier texte (2011), « La révolution des gens ordinaires », célèbre « une insurrection contre soi et une révolution contre ce qui est », dans une tonalité optimiste. Plus tard, il va décrire avec des accents bien plus sombres l'origine et le rôle des chabiha (miliciens), qui représentent selon lui « l'inconscient du régime » et dont la grossièreté serait un moyen de briser symboliquement la dignité dont les manifestants se sont réclamés au premier jour. Un des traducteurs de ces articles, Ziad Majed, éditorialiste et chercheur, a quant à lui signé dans la même collection (« Sindbad »), dirigée par le Syrien Farouk Mardam-Bey, un texte emporté, allant de l'apologie de l'insurrection à la dénonciation des puissances étrangères et offrant une série d'arguments opposés aux propos de ceux qui peignent le régime syrien en héraut de l'anti-impérialisme ou en défenseur de la laïcité (2).

À côté de ces ouvrages militants, les travaux des chercheurs ne sont pas en reste. Un premier livre collectif paru en 2013 (3) avait abordé les raisons démographiques et économiques de la colère, entre exode rural et désengagement de l'État social (Samir Aïta), tandis que Nicolas Dot-Pouillard, lui, sondait l'impact de la crise sur les gauches dans le monde arabe. Plus récente, une enquête de terrain commencée avec le soulèvement et nourrie par de nombreux entretiens permet d'analyser des thématiques inédites (4) : la création de nouveaux marchés régionaux, la naissance d'institutions et la mise en place de systèmes de taxes par les rebelles, ou encore les usages du « capital social révolutionnaire ». Dans cette publication parfois ardue (les auteurs s'attardant sur des questions de méthodologie), ce sont les engrenages en cours qui sont traités plus que les raisons initiales du soulèvement.

Ces essais, pour divers qu'ils soient, ont des vertus semblables. Tout en éclairant la dynamique confessionnelle, ils rappellent avec clarté que le conflit n'est pas sous-tendu uniquement par le fait religieux. Tandis que Al-Haj Saleh revient ainsi sur les sources sociales de la confessionnalisation de la société, les chercheurs examinent le rôle des étrangers dans les groupes islamistes, la remise en question de l'autorité des oulémas sunnites par la révolution, les différences entre les mouvements salafistes ou encore les usages très pragmatiques d'un discours religieux qui peut être autant une simple réponse à l'omniprésence de la mort qu'un moyen d'attirer des financements étrangers.

(1) Yassin Al-Haj Saleh, La Question syrienne, Actes Sud, Arles, 2016, 240 pages, 22 euros. Cf. aussi Récits d'une Syrie oubliée. Sortir la mémoire des prisons, Les Prairies ordinaires, Paris, 2015.

(2) Ziad Majed, Syrie. La révolution orpheline, Actes Sud, Arles, 2014, 176 pages, 19,80 euros.

(3) François Burgat et Bruno Paoli (sous la dir. de), Pas de printemps pour la Syrie, La Découverte, Paris, 2013, 240 pages, 23 euros.

(4) Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie. Anatomie d'une guerre civile, CNRS Éditions, Paris, 2016, 416 pages, 25 euros.

Riposte culturelle au Cachemire

Le Monde Diplomatique - Thu, 29/09/2016 - 14:33

Depuis 1947, trois guerres ont opposé l'Inde et le Pakistan sur le Cachemire. La partie administrée par New Delhi vit sous un régime d'exception. Le 8 juillet, Buhrhan Muzaffar Wani, chef d'un groupe séparatiste, a été tué par des militaires indiens. Il était devenu un symbole de la résistance armée grâce aux réseaux sociaux. Une partie des opposants continuent à se battre en utilisant toutes les ressources de la culture.

Un jeune Cachemiri masqué crie des slogans hostiles à l'Inde pendant une manifestation, le 31 juillet 2016, pour protester contre la répression par les forces indiennes, qui a fait cinquante morts. Syed Shahriyar

Une galerie d'art contemporain dans une ville en pleine occupation. Le 12 janvier 2015, pour la première fois de son histoire, l'État du Jammu-et-Cachemire voyait naître un lieu culturel. Située à Srinagar, la capitale d'été (1) de cette région administrée par l'Inde, Gallerie One se voulait un endroit où les artistes pourraient exposer leurs œuvres et les étudiants, observer et apprendre. « Ce sera enfin un espace permanent pour l'art, ici, au Cachemire », déclarait alors Syed Mujtaba Rizvi. Comme plus de 96 % des habitants de la vallée du Cachemire, ce jeune homme est musulman (2). Il a été à l'origine de cette initiative, surprenante dans une zone de conflit où groupes rebelles et soldats de l'armée indienne s'affrontent depuis plus de soixante ans. L'art peine à exister face aux quelque 700 000 soldats déployés dans cette vallée de l'Himalaya, auxquels une loi spéciale, votée en 1990, accorde l'impunité ainsi que le droit de tuer des suspects et de saisir leurs biens. À force de persévérance, Rizvi a pourtant rassemblé la somme nécessaire à la création d'un tel espace. Les autorités locales chargées du tourisme ont mis à sa disposition un bâtiment de 460 mètres carrés.

Le 23 février 2015, ces mêmes autorités ont décidé de fermer Gallerie One, sans préavis et en recourant à la force, allant jusqu'à vandaliser certaines œuvres. « L'occupation est aussi culturelle, lance Rizvi. L'art permet une élévation sociale et culturelle. Il est évident qu'un régime oppressif n'en veut pas dans une zone qu'il occupe. »

« Les médias ne peuvent plus raconter ce qu'ils veulent »

Aujourd'hui, il tient un café à Srinagar. Cet espace permet à des artistes cachemiris de toutes les générations de lire de la poésie, de chanter, de jouer de la musique, selon des pratiques traditionnelles ou modernes, politiquement engagées ou pas. L'art cachemiri peut exister tant qu'il ne se revendique pas comme tel, constate amèrement le maître des lieux. Après la destruction de la faculté d'art de Srinagar lors des grandes inondations de 2014, « le département a été relogé dans un endroit encore plus exigu que le précédent. C'est un vieux bâtiment abandonné situé dans le complexe universitaire de Srinagar ».

Enseignant d'histoire de l'art dans cette université, Showkat Kathjoo explique que certaines formes d'expression sont tolérées, d'autres exclues. Traditionnellement, « l'artisanat est très important pour l'économie cachemirie. Mais, pour l'art contemporain, rien n'est fait ». Et pour cause. « Les artistes peuvent exprimer leur rébellion à travers leur travail. Ils ont donc très peu de chances d'obtenir un endroit pour exposer. » Pour le pouvoir, cet étouffement de la création est stratégique : « Nous [les Cachemiris musulmans], on veut toujours nous représenter comme des personnes violentes, qui prennent les armes et tuent des gens, constate Rizvi. Les poètes, les artistes et les écrivains sont toujours relégués au second plan. »

Ce que confirme le spécialiste du Jammu-et-Cachemire Dibyesh Anand, qui dirige le département des sciences politiques et des relations internationales à l'université de Westminster. « Le conflit est utilisé pour alimenter le nationalisme indien, explique-t-il. Quand quelqu'un est tué au Cachemire, les médias indiens s'en emparent afin d'en faire un problème national. De cette façon, ils déshumanisent les Cachemiris en les représentant comme violents. »

Les forces paramilitaires et la police indienne près de leur camp de base, après la levée du couvre-feu, dans la vieille ville de Srinagar, le 8 août 2016. Syed Shahriyar

Quant aux médias occidentaux, ils restent silencieux, ou presque. « Pendant la guerre froide, les États-Unis et le Royaume-Uni n'étaient pas opposés aux revendications d'indépendance des Cachemiris face à l'Inde prosoviétique. Les États-Unis étaient alors alliés au Pakistan, qui les aidait contre l'Union soviétique en Afghanistan, et soutenaient les rebelles cachemiris. Après la fin de l'URSS, l'Inde est devenue un marché potentiel pour l'Occident. » À partir de 1998, la France se pose en partenaire privilégiée de New Delhi, notamment dans le domaine de l'armement aéronautique. « Le Cachemire a occupé de moins en moins de place dans les médias occidentaux, conclut Anand. L'idée que l'Inde est la plus grande démocratie du monde convient à la communauté internationale, qui préfère ignorer ce qui s'y passe. »

Depuis le début de l'insurrection armée au Jammu-et-Cachemire, dans les années 1990 (entre cinq mille et dix mille recrues estimées en 1996 (3)), les médias indiens ont le champ libre pour représenter les Cachemiris à leur convenance. « Les soutiens aux talibans ou, plus récemment, à l'Organisation de l'État islamique sont mis en avant, même s'ils se réduisent à quelques graffitis — par exemple “Welcome talibans”ou encore à quatre individus masqués agitant un drapeau noir dans une manifestation comptant des milliers de personnes. Selon moi, ces groupes-là n'existent pas au Cachemire indien, même s'il y a d'autres forces islamiques », assure le professeur.

Parmi les principaux groupes rebelles, on trouve l'organisation islamique Hizbul Mujahideen, qui souhaite s'unir au Pakistan, ainsi que le Front de libération du Jammu-et-Cachemire (Jammu and Kashmir Liberation Front, JKLF), laïque, qui milite pour l'indépendance (4). Aujourd'hui, la lutte armée attire beaucoup moins que dans les années 1990 (5). Selon Anand, les Cachemiris sont divisés sur cette question, mais la majorité veut l'azadi (la liberté). De ce fait, il leur est presque devenu habituel d'encourager ceux qui tiennent tête à l'Inde. En avril 2016, quand l'équipe de cricket des Indes occidentales (Caraïbes) a gagné contre l'Inde, certains Cachemiris ont manifesté leur joie dans les rues de Srinagar, ce qui a donné lieu à des agressions et à des arrestations. En juillet, la mort du chef de Hizbul Mujahideen, Buhrhan Muzaffar Wani, 22 ans, abattu par l'armée, a donné lieu à des manifestations massives, lourdement réprimées : au moins cinquante civils ont été tués, huit mille blessés, les journaux interdits, les réseaux sociaux suspendus.

Une femme musulmane devant le mémorial Indira-Gandhi à Srinagar, le plus grand jardin de tulipes d'Asie, 2016. Syed Shahriyar

Pour le Parti du peuple indien (Bharatiya Janata Party, BJP), le parti nationaliste du premier ministre Narendra Modi, « le Cachemire est un moyen de museler l'opposition en Inde, explique Anand. Tous ceux qui s'aventurent à parler des exactions des militaires indiens sont rangés dans la case “antinationaux”, et leur discours progressiste est automatiquement décrédibilisé. Il n'y a aucun musulman ou chrétien élu dans la majorité gouvernementale au Parlement » — alors que l'Inde compte officiellement 14,2 % de musulmans.

Fahad Shah, journaliste natif de la vallée, a créé en 2011 The Kashmir Walla, premier journal en ligne du Jammu-et-Cachemire. Il le conçoit comme une autre voix face aux puissants médias indiens, dans lesquels « il est extrêmement difficile de bien couvrir le conflit. Des sujets sont censurés ». Les événements de juillet en ont fourni la démonstration. En avril 2015 déjà, New Delhi avait suspendu la diffusion d'Al-Jazeera English pendant cinq jours parce que la chaîne avait montré une carte du Cachemire où la zone contrôlée par le Pakistan n'était pas distincte du territoire administré par l'Inde.

Un jeune garçon attend sa visite médicale à l'hôpital après des rumeurs de morts d'enfants liées à une campagne de vaccination contre la poliomyélite, 2016. Syed Shahriyar

Shah concède que son journal touche principalement les jeunes anglophones de la vallée et des lecteurs en Inde ou à l'étranger. Mais, pour lui, il reste un rempart face à la désinformation : « Les médias traditionnels ont créé des mythes sur le Cachemire, et le journalisme numérique ainsi que les réseaux sociaux peuvent les briser. Internet est devenu une sentinelle pour tout ce qui est publié sur le conflit. Les médias ne peuvent plus raconter ce qu'ils veulent sans qu'il y ait de réactions. »

Les difficultés viennent aussi de la société cachemirie elle-même. En 2013, Fahad Shah a subi un violent lynchage sur les réseaux sociaux après avoir défendu Pragash, un groupe de rock composé exclusivement de filles de la vallée. Alors que le grand mufti (l'autorité religieuse) avait émis une fatwa contre elles en déclarant que la musique était anti-islamique, le journaliste a rappelé la tradition musicale féminine soufie de la vallée. Les attaques qui ont suivi ne l'ont pas découragé : « Il faut que nous apprenions à critiquer notre société. C'est là le rôle des médias. Quand nous avons parlé de ces filles qui faisaient de la musique, on m'a appelé plusieurs fois pour me dire d'arrêter mes activités. Une fois, à la suite d'un article sur la liberté d'expression au Cachemire, un de nos journalistes a été menacé par téléphone : “Ta famille est au Cachemire, arrête de travailler avec Fahad.” » Il préfère ne pas s'étendre sur l'origine de ces intimidations. The Kashmir Walla continue, mais les filles de Pragash, elles, ont arrêté leurs activités.

Sur cet érable abattu, des artistes locaux ont représenté des scènes de la culture cachemirie, 2016. Syed Shahriyar

Pour Fahad Shah, les choses pourraient s'améliorer si le conflit trouvait un écho international. « La situation au Cachemire est proche de celle qui prévaut en Palestine. Rien ne pourra changer tant que des personnalités influentes n'en parleront pas. C'est important que des gens du monde entier puissent désormais lire des choses sur le Cachemire, voir de l'art ou écouter de la musique qui vient d'ici. » Le gouvernement indien cherche au contraire à démontrer que le Cachemire fait partie intégrante du pays. Les journalistes étrangers n'ont d'ailleurs pas besoin de visa pour s‘y rendre. Cependant, quand la ligne éditoriale est clairement critique envers la politique de l'Inde, cela ne reste pas sans conséquence. En 2011, David Barsamian, journaliste américain connu pour dénoncer les violations des droits humains commises par l'armée au Cachemire, s'est vu refuser l'accès au pays (6).

D'autres initiatives viennent s'ajouter à celles de Fahad Shah ou de Syed Mujtaba Rizvi. Le morceau I protest (Remembrance) (Je proteste [souvenir]) de MC Kash — pour « Kashmir » —, le premier rappeur de la vallée, a été étroitement associé aux manifestations de 2010. Déclenchées par l'assassinat de trois civils cachemiris, celles-ci ont été violemment réprimées : cent douze manifestants ont été tués (7). Dans sa chanson propulsée par Internet, Roushan Illahi (son vrai nom) qualifie l'occupation de « régime meurtrier ». Pour lui, « l'art traditionnel cachemiri ne suit plus l'évolution de la société et ne parle pas des problèmes qui touchent notre génération. La souffrance des gens, les meurtres, les viols n'y sont pas abordés. C'est pour cela que nous nous ouvrons à d'autres formes d'art. L'émergence du rap, du graffiti, de la culture hip-hop en est un exemple. » MC Kash affirme que son studio a été perquisitionné plusieurs fois et que son téléphone est sur écoute.

Désormais, refuser l'occupation « devient la norme »

Pourtant, selon M. Khurram Parvez, militant de l'association de défense des droits humains Jammu Kashmir Coalition of Civil Society, une nouvelle tendance émerge au sein de la société. De la même manière que la génération précédente avait pris les armes dans les années 1990, celle d'aujourd'hui prend position contre l'Inde par l'écriture et par l'art. À l'époque, les Cachemiris ne voulaient déjà pas de l'occupation. Mais, à cause « des violences et des dogmes qui lui étaient associés, la résistance faisait peur, explique M. Parvez. Maintenant, l'occupation n'est plus acceptée. La refuser devient la norme ». C'est pour cela qu'une musique contestataire comme le rap a explosé dans la vallée : « Il y a aujourd'hui des centaines de rappeurs », assure MC Kash. Quant aux plates-formes en ligne qui dénoncent le conflit, Shah assure qu'elles fleurissent.

Cette nouvelle génération se rassemble autour de projets. En témoigne le documentaire Bring Him Back (Ramenez-le). Sorti en 2015, il raconte la lutte de la mère de Maqbool Bhat, figure emblématique du JKLF, qui essaye de faire rapatrier la dépouille de son fils, pendu dans la prison de Tihar, en Inde. Le film a été réalisé par Fahad Shah, l'affiche par Syed Mujtaba Rizvi, et MC Kash a donné une de ses chansons dédiées au résistant. Plus qu'une simple collaboration, ce film montre l'unité idéologique de cette génération, qui mêle l'art, la culture et l'information pour combattre l'occupation. En 2015, la première bande dessinée de la vallée voyait le jour : Munnu : A Boy from Kashmir. Son auteur, Malik Sajad, un ami de Rizvi, y retrace son enfance tumultueuse, en prise quotidienne avec le conflit.

Depuis 2010, la résistance numérique et culturelle connaît une vraie effervescence, parce qu'elle permet d'échapper à la répression physique violente et au contrôle, omniprésents.

(1) La capitale d'hiver est Jammu.

(2) Dans le Jammu-et-Cachemire (1,254 million d'habitants), on compte 68,3 % de musulmans, 28,4 % d'hindous, 2,4 % de sikhs et 0,9 % de bouddhistes, selon le recensement de 2011.

(3) « India's secret army in Kashmir », Human Rights Watch, mai 1996.

(4) « Who are the Kashmir militants ? », BBC News, 1er août 2012.

(5) Cf. Fahad Shah, « Kashmir's young rebels », The Diplomat, 22 août 2015.

(6) Rajesh Joshi, « “In free India I was denied entry” », Outlook, New Delhi, 26 septembre 2011.

(7) Bilal Ahmad Shah et Dr P. Chinnathurai, « Violence's against the unarmed protestors in Kashmir : a disguised brutality » (PDF), Asia Pacific Journal of Research, vol. 1, no 35, Bangalore, janvier 2016.

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