« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur », estime le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL). Pourtant le sujet est à l’agenda européen, notamment, depuis longtemps, depuis les attentats de Londres : la nouveauté de cette forme de terrorisme avait alors dérouté les esprits qui n’arrivaient pas à expliquer que des personnes nées et éduquées au Royaume-Uni aient pu perpétrer de tels actes. A l’autre bout de la chaine chronologique, la commission d’enquête sur les attentats du 13 novembre 2015 qui vient de rendre son rapport (rapport du député Fénech),a polarisé son attention sur « le renseignement pénitentiaire » pour reprendre la nouvelle terminologie, renseignement pénitentiaire qu’il « convient de réveiller» Résultat : le renseignement pénitentiaire a végété.
Au cours de ces derniers mois le gouvernement Vals a doté les agents des prisons de moyens et de droits nouveaux. Mais c’est l’échec constate le rapport. Le nouveau ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas précise que depuis sa nomination en mai dernier « il n’avait été destinataire d’aucun élément portant sur le renseignement pénitentiaire et ce malgré un effectif de 380 personnes désormais rattachées à cette mission ». Il a même déclaré « que le système était en panne, inopérant et ne faisait pas remonter les informations concernant les radicalisations en prison ».Difficile d’être plus clair ! Mais à peine rendu public, il est vigoureusement critiqué sur ce point.
Un autre bilan vient d’être rendu public et selon ce bilan dressé par Adeline Hazan, contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), le regroupement des détenus islamistes dans les prisons françaises constitue une réponse « insatisfaisante » à un « phénomène sans précédent ». Ce projet, mis en place au lendemain des attentats de janvier 2015, avait déjà été critiqué par un rapport publié l’année dernière.
Pour établir un bilan des premiers mois d’expérimentation de ce dispositif, trois contrôleurs ont visité les établissements pénitentiaires de Fresnes (Val-de-Marne), Lille-Annoeullin (Nord), Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne). Ils y ont rencontré la majorité des 64 détenus présents (117 places disponibles) ainsi que des personnes chargées de leur prise en charge et leur surveillance.
Adeline Hazan ne juge « pas réaliste (…)l’extension de ce modèle expérimental » dans le contexte « d’une surpopulation carcérale structurelle ».
« Le ministère de la Justice se trouve aujourd’hui confronté à un phénomène dont il n’avait mesuré ni la nature ni l’ampleur (…) La modicité des structures ne paraît pas correspondre au changement d’échelle » du phénomène au regard de la « hausse spectaculaire » du nombre de détenus concernés, observe la CGLPL, qui regrette des mesures mises en place « dans l’urgence ».
« Nous affirmons que ce dispositif présente plus d’inconvénients que d’avantages », a-t-elle ajouté devant les journalistes, estimant « fondamental qu’une évaluation précise » soit entreprise par l’autorité judiciaire dans les plus brefs délais.
« Cet avis » de Adeline Hazan a été transmis au Premier ministre, à la ministre de la justice ainsi qu’au ministre de l’intérieur auxquels un délai de deux semaines a été donné pour formuler des observations.
De son côté le Gouvernement a souhaité apporter ses observations en une réponse unique, adressée par la ministre de la justice au CGLPL, également publiée au Journal Officiel.
Afin d’étudier la question de la prise en charge de la radicalisation islamiste en milieu carcéral, le contrôle général s’est rendu aux centres pénitentiaires de Fresnes et Réau, ainsi qu’aux maisons d’arrêt d’Osny et Bois-d’Arcy. De nombreux échanges ont également eu lieu avec l’ensemble des acteurs concernés. Ces constats et entretiens ont donné lieu à la rédaction d’un rapport d’enquête, également transmis aux ministres.Un rapport qui peut se résumer en quelques points :
Il y a eu des failles dans les services de renseignement, nous sommes sur des schémas qui datent de 1980 a conclu le rapport . Il faut une ambition plus importante et coordonner véritablement au niveau européen. Du temps a été perdu et le renseignement pénitentiaire n’a pas été à la hauteur de l’enjeu. Les textes de lois et les moyens juridiques sont là mais il faut que l’administration s’en empare. Les lois sur le renseignement de 2014 et 2015 n’ont pas suffi. Il convient avant tout d’opérer une refonte du renseignement territorial de proximité.
Pour en avoir plus :sources principales d’information
Avec mise à jour du 5 juillet
La Commission veut-elle faire ratifier l’accord commercial conclu entre l’Union européenne et le Canada (« CETA ») en contournant les parlements nationaux ? La question sera tranchée, ce mardi, par le collège des vingt-huit commissaires, une bonne partie d’entre eux estimant qu’il suffit d’une approbation du conseil des ministres (là où siègent les États membres) et du Parlement européen. Une position juridiquement défendable, mais politiquement extrêmement risquée à l’heure où l’opposition au CETA et surtout au TTIP, le projet d’accord de libre-échange avec les États-Unis, ne cesse de s’amplifier, comme en a convenu Jean-Claude Juncker, le président de l’exécutif européen : « si les États membres pensent qu’une analyse juridique ne compte pour rien dès lors que le sujet devient trop politique, alors je serais la dernière personne à essayer de les stopper », a-t-il lancé le 29 juin, en marge du sommet de Bruxelles.
Comme toujours dans le domaine européen, l’affaire est d’une rare complexité, les Etats n’acceptant de partager leur souveraineté qu’à reculons, ce qui aboutit à des procédures byzantines. Accrochez-vous donc, le voyage commence.
Compétence exclusive
Depuis l’origine de la construction communautaire, le commerce international est une « compétence exclusive » de l’Union. Et ce, pour deux raisons. D’une part, il est difficile qu’il en soit autrement à partir du moment où il existe un marché unique et que les marchandises, les capitaux et les services qui entrent dans un pays circulent librement dans l’espace commun. D’autre part, pris ensemble, les États membres sont la première puissance commerciale du monde, ce qui leur permet d’imposer leurs priorités à leurs partenaires commerciaux soucieux d’accéder au grand marché.
Jusqu’au traité de Lisbonne, ces accords, négociés par la Commission sur mandat des États membres, étaient simplement adoptés par le Conseil des ministres à la majorité qualifiée, après une simple consultation du Parlement européen, et ce, sans aucune ratification des parlements nationaux. Sauf pour les accords dits « mixtes », c’est-à-dire qui touchent des compétences nationales, comme les services et la propriété intellectuelle, les investissements étrangers directs, les services culturels, audiovisuels sociaux, de santé et d’éducation, etc. Là, il faut en passer par la ratification nationale. Cela a été, par exemple, le cas de l’accord de Marrakech créant l’Organisation mondiale du commerce. Le Traité de Nice de 2001 a un peu modifié la règle du jeu pour les services et les aspects commerciaux de la propriété intellectuelle : un vote à l’unanimité du Conseil suffisait, sans passer par la case nationale.
Contrôle du Parlement européen
Le traité de Lisbonne, entré en vigueur en novembre 2009, a introduit le Parlement européen dans la boucle afin de démocratiser la politique commerciale (article 207 du traité sur le fonctionnement de l’UE) : le conseil des ministres ratifie toujours à la majorité qualifiée (55 % des États membres représentant 65 % de la population), mais avec l’approbation du Parlement européen. Ensuite, le conseil statue toujours à l’unanimité pour les accords « mixtes », mais cette fois avec l’approbation du Parlement européen en plus de celle des Parlements nationaux : « Lisbonne n’a pas modifié la répartition des compétences entre l’Union et les États, comme le prévoit expressément l’article 207 §6 », souligne Jean-Luc Sauron, conseiller d’État et spécialiste des questions européennes. « Il s’agissait simplement de donner plus de pouvoir au Parlement européen ».
Autrement dit, c’est la qualification de l’accord qui va déterminer le processus de ratification. S’il n’est pas « mixte », les Parlements nationaux n’ont pas leur mot à dire, seul le Parlement européen étant impliqué ; s’il est « mixte », on entre dans une procédure de ratification à rallonge puisqu’il faudra passer par le Parlement européen, les vingt-huit parlements nationaux et les parlements régionaux dans les États fédéraux (Belgique, Espagne, Allemagne). Ce qui peut prendre du temps : la ratification de l’accord de libre-échange avec la Corée du Sud a duré quatre ans…
Sentant la contestation contre le CETA monter, une partie de la Commission, emmenée par la commissaire chargée du commerce, Cécilia Malmström, est donc tentée de qualifier le CETA d’accord purement européen, afin de court-circuiter les parlements nationaux. Mais cela fait hurler ceux qui s’opposent au TTIP, le CETA étant désormais perçu comme un « cheval de Troie » des intérêts américains en Europe. Cette démarche « risque d’ouvrir un boulevard aux europhobes en empêchant les Parlements nationaux d’avoir réellement leur mot à dire sur ce type de traité. Tout est fait pour empêcher un véritable débat public et ainsi accroitre la défiance à l’égard des institutions européennes », jugent ainsi Les Amis de la Terre. Il faut dire que le moment choisi est particulièrement malheureux : en plein Brexit et après que les Parlements wallon et néerlandais aient estimé, en avril dernier, que le CETA ne pouvait être ratifié en l’état…
Un boulevard pour les europhobes
À la Commission on se défend de telles arrières pensées : « c’est un problème plus général. Il ne s’agit pas d’éviter le contrôle parlementaire puisque le Parlement européen se prononcera », explique un fonctionnaire européen. Une bonne partie des eurodéputés n’apprécient guère qu’on mette en cause la qualité de leur contrôle : « la ratification de l’accord sera démocratique puisque le Parlement européen ainsi que les États membres devront le ratifier », ce qui est loin d’être « antidémocratique » comme « certains, notamment des députés européens, osent déjà qualifier cette décision », tempête Franck Proust du PPE. Jean-Claude Juncker fait aussi remarquer que les gouvernements « peuvent demander à leur parlement comment ils doivent voter » à Bruxelles… On fait enfin remarquer au sein de l’exécutif européen que « si l’on met des années à ratifier des accords conclus à la demande et par nos États membres et que l’on prend le risque d’un rejet par un seul pays voire un seul parlement subnational, notre politique commerciale commune va devenir de moins en moins crédible ».
Surtout, la Commission fait valoir qu’elle n’hésite pas à qualifier un accord de mixte si tel est le cas : « par exemple, nous venons de conclure un accord avec les pays du sud de l’Afrique. Il comporte des aspects d’aide au développement et cela relève clairement des compétences nationales. On l’a immédiatement qualifié de mixte », souligne un fonctionnaire. Il arrive aussi que la Commission, sous la pression des Etats, change son fusil d’épaule, requalifiant de mixtes des accords qu’elle considérait comme Européen (avec le Pérou, par exemple). Reste que si la Commission estime que le CETA n’est pas mixte, il faudra que les États décident du contraire à l’unanimité, comme le prévoient les traités. Or l’Italie considère déjà que tel est le cas… Cela étant, même si le CETA est considéré comme mixte, il devra être adopté à l’unanimité des Etats et à la majorité du Parlement européen.
Reste que l’affaire est tellement complexe, comme vous venez de le lire, que le message envoyé par la Commission et les États membres risque d’être celui d’une confiscation du débat démocratique même si cela n’est absolument pas le cas. Jean-Claude Juncker, fin politique, le sait : le simplisme l’emporte toujours sur le complexe. C’est pourquoi il a lancé, le 29 juin : « Je ne suis pas prêt à mourir sur l’autel d’une question juridique ».
Mise à jour le 5 juillet à 16h: La Commission a tranché: elle admet que le CETA est un accord mixte qui devra donc être approuvé à l’unanimité du Conseil des ministres, par le Parlement européen et par l’ensemble des Parlements nationaux et subnationaux dans le cas des Etats fédéraux. Il sera signé formellement en octobre , lors du sommet UE-Canada. Les parties purement commerciales de l’accord (par exemple la baisse des droits de douane ou la protection des appellations géographiques contrôlées) entreront en vigueur provisoirement dès que le Conseil des ministres et le Parlement européen auront donné leur feu vert.
Une décision purement politique comme la Commission le reconnait elle-même : «La situation politique au sein du conseil est clair et nous comprenons la nécessité de décider qu’il s’agit d’un accord mixte», a ainsi déclaré Cecilia Malsmtröm. Mais la Commission rappelle qu’elle défend toujours le fait que les accords commerciaux de la nouvelle génération ne sont pas des accords mixtes et elle attend que la Cour de justice européenne tranche, sans doute début 2017, la contestation qui l’oppose sur ce point à certains Etats membres dans le cas de l’accord UE-Singapour. On ne peut, en tout cas, que se féliciter que Jean-Claude Juncker ait pris la mesure des risques politiques qu’aurait fait peser sur l’Union une attitude rigidement juridique.