Aucune mesure européenne ne vient ériger une quelconque protection des sols au sein de l’Union. Or, conserver des sols sains constitue un enjeu central et transversal qui n’est pourtant que très peu abordé par les mesures européennes. De ce fait, afin de pouvoir faire face au mieux à la pollution grandissante et à l’appauvrissement des sols, une action citoyenne a été lancée et soutenue via la Fond Social Européen (FSE). S’est ainsi constitué un réseau européen centré sur cette problématique rassemblant plus de 400 ONG, fonds de recherche, fondations et firmes soucieux de respecter l’environnement et particulièrement attachés à la protection des sols dans l’usage qu’ils en font, que ce soit au sein de l’Union ou ailleurs dans le monde puisqu’il s’agit là d’une problématique globale.
« Without healthy, alive soil, there is no future »
Les travaux menés par People4Soil ont ainsi pour objectif, avec le soutien du FSE, de sensibiliser les institutions européennes et les autres acteurs à la protection des sols avec notamment pour objectif de pouvoir les qualifier juridiquement de « biens communs ». Le réseau pointe des lacunes dans la législation européenne et a déposé une proposition de directive qui n’a cependant pas abouti en mai 2014. Pourtant, comme il le rappelle « Without healthy, alive soil, there is no future ». Face au manque d’action de l’Union dans ce domaine, une pétition a donc été lancée et introduite dans le cadre des initiatives citoyennes européennes et doit, pour être prise en compte par les institutions, recueillir plus d’un million de signatures de citoyens européens originaires d’au moins sept Etats membres différents en moins de 12 mois.
En offrant un soutien financier ainsi qu’une visibilité accrue à des projets préalablement sélectionnés, le FSE permet à des citoyens européens de sensibiliser leurs concitoyens mais aussi les institutions européennes à des problématiques auxquelles l’Union n’est pas assez sensible en dépit de leur importance. Ce mécanisme permet ainsi aux Européens de pouvoir pleinement s’impliquer dans la politique menée par l’Union, souvent jugée hors d’atteinte, ce qui les appelle de fait à participer directement au projet européen.
Par la pétition qu’ils ont lancée, les membres de People4Soil ont endossé un rôle de lanceurs d’alerte en rappelant le caractère fondamental d’un usage durable des sols.
En effet, des sols négligés et/ou surexploités, tout en devenant un accélérateur du changement climatique, mettent en danger non seulement la sécurité alimentaire de l’Europe mais aussi sa biodiversité. Protéger cet héritage constitue alors un enjeu global dans le sens où sa détérioration engendre des effets qui ne se cantonnent pas aux frontières des Etats. Une législation européenne juridiquement contraignante dans ce domaine permettrait non seulement une protection plus efficace des sols mais mettrait également à porter de main, par l’harmonisation apportée, le respect des objectifs des Nations Unies en matière de développement durable que l’Union européenne s’est attachée à intégrer dans ses politiques.
La pétition de People4Soil est ouverte jusqu’au 12 septembre 2017 et peut être signée en ligne sur leur site.
Emmanuelle GRIS
Pour en savoir plus :
Site du Fond Social Européen:
http://ec.europa.eu/esf/home.jsp?langId=fr
Site de people4soils:
https://www.people4soil.eu/en
Page de la Commission européenne et du FSE dédiée à People4Soils:
http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/ongoing/details/2016/000002?lg=fr
Photo: JQ
Ce lundi, la Chine est officiellement devenue une «économie de marché» comme une autre. En effet, la période de 15 ans convenue lors de son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (0MC) en 2001, pendant laquelle ses partenaires pouvaient la traiter comme une économie en transition, est arrivée à échéance dimanche à minuit. Pourtant, ce pays communiste, qui s’est certes converti au capitalisme à partir de 1978, ne remplit toujours pas les critères d’une économie de marché fonctionnelle, comme l’a admis, le 17 mars dernier, la libérale suédoise, Cecilia Malmström, commissaire européenne chargée du commerce : l’État contrôle et subventionne ses entreprises, fixe les prix sur son marché, s’oppose à toute concurrence étrangère sur son sol, intervient sur les marchés financiers ou encore manipule son taux de change. Ce n’est pas un hasard si la Chine se situe, en 2016, au 144e rang mondial en matière de liberté économique, juste derrière le Libéria et devant la Guinée-Bissau, selon le classement effectué chaque année par le think tank américain Heritage Foundation… Décryptage.
· S’agit-il d’une révolution ?
Pour la Commission, il s’agit d’un « non-événement » qui ne change rien à ce qu’est la Chine. De fait, le vocable « économie de marché » n’impacte que la façon dont les pays importateurs de produits chinois exercent leur défense commerciale par des mesures anti-dumping et anti-subventions. Ainsi, tant qu’un État membre de l’OMC ne bénéficie du « statut d’économie de marché » (SEM), un pays importateur, pour déterminer si des produits importés le sont à un prix anormalement bas, est autorisé à ne pas tenir compte du prix pratiqué sur le marché intérieur de l’État exportateur, ce qui est la procédure normale, puisque celui-ci est, par hypothèse, manipulé. Le prix « réel » est donc reconstitué à partir d’un marché « analogue », mais fonctionnant selon les règles de l’économie de marché, ou en analysant son coût normal de production. Ainsi, si un produit X est importé au prix de 100 €, exactement au prix du marché chinois, mais que ce même produit serait vendu sur un marché analogue 120 €, la marge de dumping sera donc de 20 €.
Cette méthode facilite l’usage des instruments de défense commerciale et donc la lutte contre la concurrence déloyale. Ce n’est pas un hasard si 56 des 73 mesures anti-dumping de l’Union actuellement en vigueur s’appliquent aux importations chinoises et que les droits imposés (43% en moyenne par rapport au prix d’importation) sont plus élevés que pour les pays dotés du SEM (19 % en moyenne). Mieux : selon le CEPII, un centre de recherche sur l’économie mondiale, ces mesures ont un effet sur les prix des produits voisins, mais non directement touchés par les droits de douane punitifs, qui augmentent en moyenne de 4 à 14 %... Des chiffres qu’il faut cependant relativiser, puisque ces droits de douane punitifs ne frappent que moins de 3 % des produis chinois en valeur.
· Quel va être l’impact sur l’économie européenne ?
Le changement de méthode dans le calcul des droits antidumping va paralyser les instruments de défense commerciale de l’Union à l’égard de la Chine puisque, désormais, il faudra tenir compte des seuls prix pratiqués sur le marché chinois qui ne reflètent pas la réalité des coûts de production. En clair, il deviendra extrêmement difficile d’établir un dumping, ce qui revient à laisser les mains libres à Pékin… Selon le CEPII, cela se traduirait, à instruments de défense commerciale inchangé, par une augmentation des importations européennes en provenance de Chine pouvant atteindre 21 % (de 342 milliards à 414 milliards d’euros), ce qui impactera non seulement l’industrie européenne dans les secteurs de la céramique, de l’aluminium et autres métaux, du verre et des machines et appareils électriques, mais aussi les importations des pays tiers. L’effet en termes d’emplois risque d’être catastrophique : une étude de l’Economic Policy Institute de Washington a évalué que les pertes de postes dans l’Union pourraient atteindre entre 1,7 et 3,5 millions (dont jusqu’à 350.000 en France, 416.000 en Italie, 639.000 en Allemagne, etc.).
· L’Union peut-elle refuser de reconnaître le statut d’économie de marché à la Chine ?
Barack Obama, le président américain, a décidé, poussé par son Congrès, de ne pas accorder le statut d’économie de marché à la Chine. Pour les États-Unis, le protocole de 2001 n’a aucun caractère d’automaticité, puisqu’il précise que la Chine doit préalablement remplir les conditions d’une économie de marché. Interrogé par Libération, Pascal Lamy, qui a négocié ce fameux protocole, estime que « les Américains ont tort et ils vont se faire poursuivre devant l’OMC ». Et s’ils perdent, cela risque de leur coûter très cher en mesures de rétorsion… Plus de 80 pays dans le monde ont déjà, sans même attendre l’échéance de dimanche, reconnu le SEM à la Chine, dont le Brésil, l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou encore la Suisse. Ce qui affaiblit la position américaine. L’Union, pour sa part, n’a aucune intention d’entrer en guerre avec la Chine par intérêt bien compris, celle-ci étant l’un des acteurs clefs de son économie: elle est la deuxième partenaire commerciale des Vingt-huit avec des flux commerciaux quotidiens de plus d’un milliard d’euros et le marché chinois est la principale source de profit pour de nombreuses entreprises et marques européennes.
· L’Union va-t-elle rester l’arme au pied ?
Refuser de prendre à rebrousse-poil Pékin ne veut pas dire ne rien faire. Comme l’a récemment martelé Jean-Claude Juncker, le président de la Commission, le temps de la « naïveté » européenne est terminé. L’exécutif européen a donc proposé, le 9 novembre dernier, de resserrer les mailles de sa législation anti-dumping et anti-subventions pour continuer à « lutter contre les distorsions de marché, mais sans désigner spécifiquement la Chine », explique-t-on à Bruxelles. « En fait, on va résoudre la question chinoise sans la traiter spécifiquement », explique un fonctionnaire de la Commission : « Nous allons abandonner la liste noire des pays membres de l’OMC qui ne sont pas des économies de marché et appliquer une nouvelle méthodologie anti-dumping à tout le monde, ce qui va empêcher les Chinois de hurler à la discrimination. Comme dans le Guépard de Visconti, « il faut tout changer pour que rien ne change »». Ainsi, pour analyser les distorsions de concurrence, l’Union ne prendra pas seulement en compte les prix sur le marché intérieur, mais aussi les politiques publiques et l’influence de l’Etat, la prédominance des entreprises publiques, la discrimination en faveur des entreprises nationales ou encore l’indépendance du secteur financier. Et l’administration de la preuve par les entreprises européennes sera facilitée. « Avec cette méthode, le niveau des droits antidumping qui frappe la Chine sera équivalent au niveau actuel », affirme la Commission. En attendant que les vingt-huit Etats et le Parlement européen adopte cette nouvelle législation, sans doute d’ici un an, l’ancien système continuera à s’appliquer : « le 11 décembre est donc bien un non-événement », estime un fonctionnaire européen. Comme pour le souligner, la Commission a ouvert vendredi une enquête anti-dumping contre trois nouveaux produits chinois… En clair, l’Union va continuer à considérer que la Chine n’est pas un pays à économie de marché, mais sans le proclamer et en évitant les foudres de l’OMC.
Autre mauvaise nouvelle pour la Chine, le droits anti-dumping et anti-subventions de l’UE vont fortement augmenter. En effet, la Commission a proposé, en 2013, de modifier le règlement européen du 22 décembre 1995, afin d’abandonner la règle dite « du moindre droit » : « cette règle impose que droit de douane soit proportionnel au dommage subi, ce qui limite son montant entre 20 et 30 % du prix du produit, alors que les États-Unis appliquent des droits punitifs qui peuvent monter jusqu’à 200 % », explique un diplomate français. Cette réforme a été adoptée mardi 13 décembre par le Conseil des ministres et doit encore l’être par le Parlement européen. Seuls les libre-échangistes comme la Grande-Bretagne, la Suède, l’Irlande ou les Pays-Bas ont campé dans une opposition de principe à tout durcissement des instruments de défense commerciale.
N.B. : version longue de mon article paru lundi dans Libération.