Ronald Reagan serait pour le moins surpris de découvrir que le nouvel « Empire du mal » de Donald Trump, son lointain successeur, est l’Union européenne et non pas la Russie de Poutine. Après avoir pronostiqué sa disparition rapide, à la veille de son investiture, le président américain a répété devant la Première ministre Theresa May, vendredi, que le Brexit était une « chose merveilleuse » qui va permettre à la Grande-Bretagne « d’avoir sa propre identité » face au « consortium ». « Un mieux », commente ironique un diplomate français, après que son ambassadeur pressenti à Bruxelles, Ted Malloch, ait comparé, jeudi, sur la BBC, l’Union européenne à l’URSS : « J’ai déjà eu des postes diplomatiques dans le passé qui m’ont permis d’aider à abattre l’URSS. Alors, peut-être qu’une autre Union a aussi besoin d’être domptée », a froidement lâché ce proche de Trump qui a confirmé que son président « n’aimait pas cette organisation supranationale, non élue, mal dirigée par des bureaucrates et qui n’est franchement pas une vraie démocratie ». Ambiance.
Face à ces attaques d’une rare virulence, surtout de la part d’un allié de toujours, l’Union est restée sans voix, surprise par la brutalité de ce revirement. « Il faut reconnaître que c’est totalement incompréhensible, car on ne comprend pas quel est l’intérêt des Etats-Unis dans l’éclatement de l’Union et de son marché unique ou dans l’isolationnisme commercial », s’interroge ainsi Anthony Gardner, l’ambassadeur américain à Bruxelles jusqu’au 20 janvier. Les institutions communautaires espéraient donc encore la semaine dernière que l’administration et le Congrès allaient finir par faire entendre raison à ce président hors norme. « Il y a plusieurs cercles dans son entourage, il y a des gens raisonnables qui vont finir par peser sur sa politique », confiait un proche de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission. « Au lendemain de l’élection de Trump, on entendait encore des commissaires comme Cecilia Malmström, la libérale suédoise chargée du commerce, nous dire qu’il ne fallait pas s’inquiéter, que les Américains ne renonceraient pas au libre échange », se moque le diplomate français déjà cité. Mais plus les jours ont passé, plus il a fallu se rendre à l’évidence : Trump est déterminé à passer par dessus bord 70 ans de diplomatie américaine. S’adaptant à la communication par tweet inaugurée par le président américain, Juncker est précautionneusement sorti de son silence dimanche : « en 2017, nous devrons choisir entre l’isolationnisme, l’inégalité et l’égoïsme nationaliste et l’ouverture, l’égalité sociale et la solidarité qui nous renforcera ». Pour Bruxelles, l’Empire du mal est manifestement à Washington…
A Paris et à Berlin, on a compris depuis longtemps que l’élection de Trump était un tsunami menaçant la stabilité du monde et de l’Europe. Le couple Angela Merkel/François Hollande n’a jamais aussi bien fonctionné qu’en ce moment. Leurs réactions, au lendemain de l’élection de novembre, ont été soigneusement coordonnées afin qu’il n’y ait pas l’épaisseur de papier à cigarette entre les deux rives du Rhin : l’Europe continuera à être l’allié des Etats-Unis, mais pas au prix de ses valeurs fondamentales. Vendredi, les deux dirigeants se sont à nouveau rencontré à Berlin pour délivrer le même message : Trump représente un « défi » pour l’Union, tant « par rapport aux règles commerciales (que) par rapport à ce que doit être notre position pour régler les conflits dans le monde », a expliqué le chef de l’Etat français. La chancelière allemande a ajouté à ces « défis », « la défense d’une société libre »… Samedi, à Lisbonne, François Hollande est monté un peu plus dans les aigües : « lorsqu’il y a des déclarations qui viennent du président des Etats-Unis sur l’Europe et lorsqu’il parle du modèle du Brexit pour d’autres pays, je crois que nous devons lui répondre ». « On doit affirmer nos positions et engager un dialogue avec fermeté sur ce que nous pensons ». Pour le président français, « l’Europe est devant l’épreuve de vérité, devant l’heure des choix ». Il est passé aux travaux pratiques lors d’un entretien téléphonique avec Trump, samedi après-midi, au cours de laquelle il lui a expliqué que « le repli sur soi est une réponse sans issue ».
Le couple franco-allemand fait le pari que les autres pays européens vont s’agréger autour de lui. C’est déjà le cas non seulement des pays d’Europe du sud, mais aussi des Pays-Bas, le pays le plus atlantiste d’Europe. Ainsi, Jeroen Dijsselbloem, le ministre des finances et président de l’Eurogroupe, a reconnu, jeudi, « que nous serons seuls au cours des prochaines années, ce qui peut être une bonne chose. Peut-être est-ce ce dont l’Europe a besoin pour véritablement travailler ensemble ». « L’avenir n’est pas écrit », met cependant en garde un diplomate français : « mais on peut très bien se diviser. Par exemple, sur la sécurité, les pays de l’Est peuvent nous dire que la défense européenne risque d’affaiblir l’Otan, car Trump peut en tirer argument pour s’en débarrasser. Sur le libre échange, il y a des gens qui vont estimer que puisque les Américains n’en veulent plus, il faut en profiter pour faire marche arrière. Sur les réfugiés et les migrants, beaucoup vont se retrouver dans sa politique, notamment à l’Est, mais pas seulement ». Les semaines qui viennent vont être déterminante pour l’avenir de l’Union.
N.B.: version longue de mon article paru le 30 janvier.