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D’un côté, l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark et les Pays-Bas (ainsi que la Suisse) s’opposent à la venue, parfois manu militari dans le cas d’Amsterdam, de ministres turcs voulant faire campagne auprès de leur communauté émigrée pour le « oui » au référendum constitutionnel d’avril prochain. De l’autre, la France et la Belgique n’y voient aucun problème. La tentation est donc forte de constater que l’Europe est une nouvelle fois divisée. Mais, en l’occurrence, elle n’est absolument pas compétente en la matière : « les décisions relatives à la tenue de réunions et de rassemblements relèvent de l’État membre concerné conformément aux dispositions applicables du droit international et du droit national », ont ainsi rappelé hier, dans un communiqué, Federica Mogherini, la ministre des Affaires étrangères de l’Union, et Johannes Hahn, le commissaire européen chargé de la politique de voisinage.
Surtout, ce n’est pas la première fois que des ministres turcs parcourent l’Union afin d’essayer de gagner les voix de leur diaspora fortes de 5 millions d’âmes, celle-ci disposant du droit de vote. Mais cette fois, le contexte est particulièrement tendu entre le président Recep Tayip Erdogan, qui veut transformer son pays en « démocrature » islamique, et l’Union, inquiète de cette dérive autoritaire. Pour ne rien arranger, plusieurs de ses États membres affrontent des élections difficiles sur fond de crise des réfugiés et de montée de la xénophobie. « Même s’il n’existe aucune compétence européenne dans ce domaine, on aurait peut-être pu attendre une réunion du Conseil des ministres des Affaires étrangères ou en discuter de façon informelle pour adopter une attitude commune », reconnaît un diplomate européen : « mais tout s’est précipité ce week-end avec la décision des autorités néerlandaises de ne pas autoriser l’atterrissage de l’avion du ministre turc des Affaires étrangères, Malvut Cavusoglu, et de refouler la ministre de la Famille, Fatma Betül Sayan Kaya, qui a essayé de forcer le passage par la route ». De fait, normalement, ce genre de visite se négocie à l’avance et s’accompagne généralement de rencontres avec le gouvernement local. Mais les Pays-Bas avaient fait savoir qu’ils ne voulaient pas accueillir de membres du gouvernement turc la veille de leurs élections, ce dont Ankara n’a pas tenu compte. De là à accuser Ankara d’avoir organisé cette crise diplomatique, il n’y a qu’un pas.
L’accueil du ministre des Affaires étrangères turc en France n’a pas posé le même problème, le principe du meeting à Metz ayant été accepté en amont par le gouvernement Cazeneuve. « En l’absence de menace avérée à l’ordre public, il n’y avait pas de raison d’interdire cette réunion qui, au demeurant, ne présentait aucune possibilité d’ingérence dans la vie politique française », s’est justifié Jean-Marc Ayrault, le chef de la diplomatie hexagonale. « On a adopté une approche juridique en dépit du contexte électoral, et non politique », décrypte un diplomate français : « sans les élections néerlandaises et allemandes, il n’y aurait eu aucun problème dans ces pays ». Et de rappeler « qu’il n’y a rien de choquant à ce qu’un gouvernement fasse campagne auprès de ses ressortissants à l’étranger : les Français le font bien, y compris Marine Le Pen » !
La virulence de la réaction d’Erdogan, taxant l’Allemagne (en réalité, ce sont quelques communes qui se sont opposées à des meetings turcs) et les Pays-Bas de « nazisme » et de « fascisme » et les menaçant de leur en faire « payer le prix », va permettre aux États de l’Union de refaire leur unité à bon compte : Federica Mogherini et Johannes Hahn on ainsi appelé Ankara « à s’abstenir de toute déclaration excessive et d’actions qui risqueraient d’exacerber encore la situation ». En écho, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a demandé à « tous les alliés de faire preuve de respect mutuel, à être calmes et à avoir une approche mesurée pour contribuer à une désescalade des tensions ».
N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 14 mars.