L'idéologie dominante s'appuie sur des notions si communément admises qu'elles finissent par se dispenser de toute mise en perspective. Tel est le cas de la « mobilité ». A première vue, le terme rassemble sous la bannière du bon sens les traits saillants d'une époque où tout bouge, tout change, tout se déplace. Analyser ce qu'il recouvre comme on épluche un oignon révèle pourtant bien des surprises.
La mobilité serait, selon les Nations unies, un « moteur du développement humain ». Ici, elle s'affiche sur une publicité : « Hello Bank ! Une banque mobile comme vous » ; là, elle se décline en devise pour la Société nationale des chemins de fer français (SNCF) : « Liberté, égalité, mobilité ». « La mobilité sera également développée pour les élèves, individuellement et collectivement, comme pour les enseignants », explique quant à elle la loi d'orientation et de refondation de l'école de 2013.
La mobilité constelle les discours (1). Elle voisine avec fluidité, créativité, accessibilité pour décrire des projets où il est question de liberté, d'autonomie, d'épanouissement ou de dynamisme. Des chercheurs y voient un nouveau concept, voire un nouveau paradigme. Personnes (étudiants, salariés, immigrés), biens (marchandises transportées d'un bout à l'autre du globe), compétences (agilité, ouverture d'esprit), idées (politiques, scientifiques) ou informations (médias, avoir un « mobile », réseaux), rien ne lui échappe.
D'où vient son évidence ? A peine audible dans les années 1970, de plus en plus appréciée dans les années 1980 et 1990, louée dans les années 2000, elle est devenue un référentiel de l'idéologie dominante. L'analyser revient à décortiquer un millefeuille où auraient sédimenté plusieurs strates. Pour penser en termes de mobilité, il a fallu d'abord concevoir l'individu dans un espace, formuler que sa localisation était source de problèmes ou de difficultés. Puis fournir à cette idée un surcroît de sens et d'affects communs : d'une nécessité biophysique, la mobilité est devenue une caractéristique personnelle nouvelle définie par des choix rationnels en rapport avec la « réalisation de soi ».
Comment se sont organisés ces glissements, dans des domaines aussi variés que les sciences, l'art, la politique et l'administration ? Pitirim Sorokin les inaugure dans les années 1920 avec la « mobilité sociale ». Pour comprendre l'extension de la classe moyenne, ce sociologue s'intéressait à la fluidité de la société américaine, conformément à une conception associant l'individualisme volontariste à une certaine idée du mérite et de la réalisation personnelle. Parallèlement se développait une perspective spatiale des déplacements (pas encore nommés « mobilité » !) dans les sciences techniques de gestion de la ville. L'apparition dans les années 1930 d'ingénieurs du trafic routier favorise celle des statistiques des flux urbains. Il s'agit alors de déduire les besoins de déplacements à une échelle géographique prédéfinie en mesurant leur nombre, leurs horaires, etc.
Un imaginaire nourri par les artistesAu milieu des années 1970, c'est le comportement individuel saisi à travers le motif du déplacement qui préoccupe désormais les ingénieurs. Ces derniers sont progressivement épaulés par des géographes, des économistes et des psychologues qui se penchent sur les dimensions subjectives : comment les individus perçoivent-ils le temps, l'espace ou les coûts des déplacements, et comment prennent-ils leurs décisions ? Dans les années 1980-1990, le flux devient une collection de comportements que les capacités de calcul contribuent progressivement à analyser.
S'opère ensuite un autre glissement : si dans les années 1970 la mobilité se définissait comme la « plus ou moins forte tendance au déplacement », dans les années 2000 elle relève d'une facilité à se mouvoir incluant toute la personne et toute la société — un « ensemble de manifestations liées au mouvement des réalités sociales dans l'espace » (2). La sociologie la consacre comme un fait nouveau et théorise le « capital de mobilité », centré autour de « compétences » qu'il suffirait d'acquérir pour faciliter les « potentiels » de déplacement. Déplacement géographique et évolution professionnelle se fondent dans « la » mobilité.
Cette notion n'a pu s'imposer à partir des seules sciences. Si elle projette autant d'images et de représentations positives, c'est aussi parce que les figures du mouvement (déplacement, voyage, expérience, progrès, etc.) qui la fondent ont été largement mises à l'honneur dans l'univers artistique. Au travers des descriptions, évocations, déambulations et pérégrinations dans les villes qui se modernisent, peinture, littérature et poésie ont convoqué des figures qui glorifient l'instabilité, le changement, la variation. Depuis la figure du flâneur exaltée par Charles Baudelaire ou celle de l'insubmersible Nautilus, « mobilis in mobile », de Jules Verne, jusqu'à Marcel Duchamp et son Nu descendant un escalier en passant par les déambulations parisiennes des dadaïstes, le déplacement libérateur, créateur et même contestataire s'impose comme élément central d'une société en mutation.
Aux alentours de la première guerre mondiale, cette vision du monde trouve un renfort dans l'engouement pour le progrès technique. L'urbanisation nourrit l'espérance de réussite qu'incarnent les phénomènes d'exode. Dans un imaginaire alimenté par l'automobile, le développement du train et de l'aéronautique, l'éloge du mouvement devient un trait commun où fusionnent déplacement et progrès. « Je peins les trams et les trains de ma jeunesse, explique Paul Delvaux, et je crois que de la sorte j'ai pu fixer la fraîcheur de cette époque ». Le futurisme se montre fasciné par « la ville semblable à un immense chantier tumultueux, agile, mobile, dynamique », quand pour le suprématisme « l'âme est réveillée » par « la nouvelle vie métallique, mécanique, le grondement des automobiles, l'éclat des lampes électriques, les ronflements des hélices » (3).
Après la seconde guerre mondiale, contre l'opposition traditionnelle « de la fuite et de la lutte, l'assimilation de la première à une trahison condamnée par les armées comme par les nations (4) », le déplacement prend des traits philosophico-humanistes. Cela est formalisé clairement dans l'éloge du mouvement individuel comme critique d'un corps prisonnier d'un capitalisme aliénant : Henri Laborit écrit un Eloge de la fuite, Guy Debord et les situationnistes explorent la « dérive » urbaine, Gilles Deleuze et Félix Guattari fixent la « déterritorialisation ».
L'imaginaire actuel de la mobilité distille une somme de représentations constamment réactualisées, et se légitime en réinscrivant tous les déplacements à sa mesure. S'appuyant sur le principe selon lequel les populations ont toujours été en mouvement, la notion embrasse d'un même point de vue l'extension géographique à l'aube de l'humanité, les invasions, les migrations de peuplement, les retours à la terre et les déplacements de travail pour en conclure à un « fait total de mobilité ». Lequel donnerait du sens à une remise en cause de la société (5). L'argumentaire est d'autant plus puissant qu'il coordonne en un mot progrès, modernité, économie de marché, mondialisation, multiplication des trajets, kilomètres parcourus...
Avec ces approches de la mobilité se clôt une idée de la politique des transports. Nous en serions déjà « au-delà », affirment ses thuriféraires ; « Nous partageons plus que du transport », affiche la SNCF. L'économie des déplacements se redécouvre sous le signe de la mobilité : « tout le monde (est) mobile » ! Ainsi le passé se trouve-t-il relégué à une forme d'immobilisme, comme si, jadis, avant l'industrialisation, les gens se déplaçaient moins ou pas du tout. Un raisonnement paradoxal, puisque le capitalisme a justement engendré urbanisation et concentration de la main-d'œuvre — autant d'incitations à la sédentarité !
La mobilité assoit aussi son emprise parce que le monde politique s'en saisit pour produire un son nouveau dès les années 1960. Le 9 septembre 1965, dans une des premières déclarations associant mobilité et travailleurs, Charles de Gaulle explique qu'être mobile c'est « apprendre un métier ». Quarante ans plus tard, la même idée s'applique aux salariés que « des mobilités (...) peuvent à un moment toucher (6) ». La mobilité est devenue une caractéristique de l'emploi. Preuve de sa réussite, elle n'est l'apanage ni des partis ni des seuls dirigeants de droite. Le patronat prône « une France qui gagne dans un monde qui bouge ». Selon la Commission européenne, la mobilité est une « opportunité » autant qu'une « bonne pratique ». En estampillant « 2006, année européenne de la mobilité des travailleurs », elle fixait les enjeux de leur « adaptabilité (...) aux mutations structurelles et économiques ». Entre se soumettre ou se démettre, l'injonction à la flexi... mobilité constitue un élément supplémentaire dans la domination du travailleur. « Flexibilité : je n'aime pas beaucoup ce mot. En revanche, la mobilité est tout à fait évidente », précise le président Jacques Chirac à la télévision (10 mars 1997).
Derrière l'injonction, le terme désigne une façon de penser l'Etat. Les fonctionnaires sont touchés selon des modalités particulières. En septembre 1969, le premier ministre Jacques Chaban-Delmas explique que sa « nouvelle société » s'emploiera notamment à « favoriser la mobilité des chercheurs ». « Mobilité des hommes » dans certains discours des premiers ministres de l'après-1981, la notion englobe ensuite les femmes. En avril 1994, François Mitterrand leur octroie « une forme de libération (...) dans la mobilité du travail et dans la mobilité des horaires ». Offrir la mobilité à la population, c'est tenter de faire croire qu'on va en finir avec les inégalités et la dépendance économique. Reste à faire entrer l'étranger dans ce cadre. M. Nicolas Sarkozy s'y emploie en 2006 avec l'immigration choisie, « une grande politique de codéveloppement qui facilitera la mobilité des personnes et la réinstallation volontaire en Afrique de migrants ».
Comme dans la célèbre maxime de Karl Marx où « les idéologues mettent tout sens dessus dessous », l'idéologie mobilitaire ne met en avant, et au-dessus de tout, que des vertus. La mobilité doit ainsi être entendue comme ce qu'elle se défend d'être : une catégorie qui fait croire. Elle projette une représentation du monde conçue par les élites. A partir de faits souvent minoritaires, elle privilégie le monde tel qu'il devra(it) être sur les rapports socio-spatiaux tels qu'ils sont, en déclinant pour cela des chiffres qui donnent l'impression d'un phénomène total. Pourtant, la majorité de la population vit sans cette représentation ou hors d'elle (7). Un pour cent des étudiants européens bénéficient d'Erasmus (devenu Erasmus Mundus) en premier cycle, quand un rapport parlementaire français de mars 2014 salue ce programme comme une « initiative réussie au service d'un large public ». Une discordance analogue entre le discours et la réalité s'observe à propos de la catégorie dite « des grands mobiles » : « Plus de cent soixante-dix mille actifs parcourent plus de quatre-vingts kilomètres pour se rendre à leur lieu de travail situé en Ile-de-France », explique l'Institut d'aménagement et d'urbanisme de la région parisienne, qui estime à « quatre millions neuf cent mille le nombre des déplacements annuels générés par ces actifs » (8). Pourtant, seuls 4 % des actifs sont des « grands navetteurs ».
Derrière cette pluie de performances chiffrées, les enjeux mobilitaires restent méconnus : ils ont partie liée avec le pouvoir sur le corps, forme de domination où l'individu, acteur de sa mobilité (puisque c'est pour son bonheur !), serait « responsable » de son devenir autant que garant de celui de la société. Ce dernier glissement en date instaure un ordre mobilitaire où le capitalisme développe « l'exploitation des immobiles par les mobiles (9) » en alimentant sa capacité à répondre à ses propres contradictions. Car, désormais, cette catégorie réussit le tour de force d'inscrire l'individu dans une respatialisation des rapports sociaux où il est sommé de prendre les places qu'on lui désigne comme étant bénéfiques. Vous n'avez pas encore retiré votre dossier de mobilité ? La « semaine de mobilité » vous aidera à réaliser le « projet global de mobilité », car qui peut refuser l'« écomobilité » ? Vous êtes libres : bougez-vous pour vous en sortir !
(1) Cet article synthétise les travaux des auteurs dans les publications suivantes : « Trois mobilités en une seule ? », octobre 2014, www.espacestemps.net ; « La mobilité serait un capital : doutes et interrogations », décembre 2012, http://fr.forumviesmobiles.org ; « Approches critiques de la mobilité », Regards sociologiques, no 45-46, Paris, 2014.
(2) Pierre George et Fernand Verger (sous la dir. de), Dictionnaire de la géographie, Presses universitaires de France, Paris, 1970 ; Jacques Lévy et Michel Lussault (sous la dir. de), Dictionnaire de la géographie et de l'espace des sociétés, Belin, Paris, 2003.
(3) Cf. Antonio Sant'Elia, « Manifeste de l'architecture futuriste », Lacerba, Florence, 1914, et Kazimir Malevitch, Ecrits, Gérard Lebovici, Paris, 1986.
(4) Cf. Laurent Jeanpierre, « La place de l'exterritorialité », dans Mark Alizart et Christophe Kihm (sous la dir. de), Fresh Théorie, Léo Scheer, Paris, 2005.
(5) Cf. John Urry, Sociologie des mobilités. Une nouvelle frontière pour la sociologie ?, Armand Colin, Paris, 2005.
(6) François Hollande, discours de clôture au congrès de Dijon du Parti socialiste, 18 mai 2003.
(7) Lire Olivier Bailly, Madeleine Guyot, Almos Mihaly et Ahmed Ouamara, « Avec les jeunes de Bruxelles enfermés dans leurs quartiers », Le Monde diplomatique, août 2008.
(8) Rapport « Voyages franciliens » (PDF), Institut d'aménagement et d'urbanisme de l'Ile-de-France, février 2014.
(9) Luc Boltanski et Eve Chiapello, « Inégaux face à la mobilité », Projet, no 271, Saint-Denis, 2002.
Camps de réfugiés ou de déplacés, campements de migrants, zones d'attente pour personnes en instance, camps de transit, centres de rétention ou de détention administrative, centres d'identification et d'expulsion, points de passage frontaliers, centres d'accueil de demandeurs d'asile, « ghettos », « jungles », hotspots... Ces mots occupent l'actualité de tous les pays depuis la fin des années 1990. Les camps ne sont pas seulement des lieux de vie quotidienne pour des millions de personnes ; ils deviennent l'une des composantes majeures de la « société mondiale », l'une des formes de gouvernement du monde : une manière de gérer l'indésirable.
Produit du dérèglement international qui a suivi la fin de la guerre froide, le phénomène d'« encampement » a pris des proportions considérables au XXIe siècle, dans un contexte de bouleversements politiques, écologiques et économiques. On peut désigner par ce terme le fait pour une autorité quelconque (locale, nationale ou internationale), exerçant un pouvoir sur un territoire, de placer des gens dans une forme ou une autre de camp, ou de les contraindre à s'y mettre eux-mêmes, pour une durée variable (1). En 2014, 6 millions de personnes, surtout des peuples en exil — les Karens de Birmanie en Thaïlande, les Sahraouis en Algérie, les Palestiniens au Proche-Orient... —, résidaient dans l'un des 450 camps de réfugiés « officiels », gérés par des agences internationales — tels le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l'agence onusienne pour les réfugiés palestiniens — ou, plus rarement, par des administrations nationales. Souvent établis dans l'urgence, sans que leurs initiateurs aient imaginé et encore moins planifié leur pérennisation, ces camps existent parfois depuis plus de vingt ans (comme au Kenya), trente ans (au Pakistan, en Algérie, en Zambie, au Soudan) ou même soixante ans (au Proche-Orient). Avec le temps, certains se sont mis à ressembler à de vastes zones périurbaines, denses et populaires.
La planète comptait également en 2014 plus de 1 000 camps de déplacés internes, abritant environ 6 millions d'individus, et plusieurs milliers de petits campements autoétablis, les plus éphémères et les moins visibles, qui regroupaient 4 à 5 millions d'occupants, essentiellement des migrants dits « clandestins ». Ces installations provisoires, parfois qualifiées de « sauvages », se retrouvent partout dans le monde, en périphérie des villes ou le long des frontières, sur les terrains vagues ou dans les ruines, les interstices, les immeubles abandonnés. Enfin, au moins 1 million de migrants sont passés par l'un des 1 000 centres de rétention administrative répartis dans le monde (dont 400 en Europe). Au total, en tenant compte des Irakiens et des Syriens qui ont fui leur pays ces trois dernières années, on peut estimer que 17 à 20 millions de personnes sont aujourd'hui « encampées ».
Au-delà de leur diversité, les camps présentent trois traits communs : l'extraterritorialité, l'exception et l'exclusion. Il s'agit tout d'abord d'espaces à part, physiquement délimités, des hors-lieux qui souvent ne figurent pas sur les cartes. Quoique deux à trois fois plus peuplé que le département de Garissa où il se trouve, le camp de réfugiés de Dadaab, au Kenya, n'apparaît pas sur les représentations de ce département. Les camps jouissent également d'un régime d'exception : ils relèvent d'une autre loi que celle de l'État où ils sont établis. Quel que soit leur degré d'ouverture ou de fermeture, ils permettent ainsi d'écarter, de retarder ou de suspendre toute reconnaissance d'une égalité politique entre leurs occupants et les citoyens ordinaires. Enfin, cette forme de regroupement humain exerce une fonction d'exclusion sociale : elle signale en même temps qu'elle dissimule une population en excès, surnuméraire. Le fait d'être ostensiblement différent des autres, de n'être pas intégrable, affirme une altérité qui résulte de la double mise à l'écart juridique et territoriale.
Si chaque type de camp semble accueillir une population particulière — les migrants sans titre de séjour dans les centres de rétention, les réfugiés dans les structures humanitaires, etc. —, on y retrouve en fait un peu les mêmes personnes, qui viennent d'Afrique, d'Asie ou du Proche-Orient. Les catégories institutionnelles d'identification apparaissent comme des masques officiels posés provisoirement sur les visages.
Ainsi, un déplacé interne libérien vivant en 2002-2003 (soit au plus fort de la guerre civile) dans un camp à la périphérie de Monrovia sera un réfugié s'il part s'enregistrer l'année suivante dans un camp du HCR au-delà de la frontière nord de son pays, en Guinée forestière ; puis il sera un clandestin s'il le quitte en 2006 pour chercher du travail à Conakry, où il retrouvera de nombreux compatriotes vivant dans le « quartier des Libériens » de la capitale guinéenne. De là, il tentera peut-être de rejoindre l'Europe, par la mer ou à travers le continent via les routes transsahariennes ; s'il arrive en France, il sera conduit vers l'une des cent zones d'attente pour personnes en instance (ZAPI) que comptent les ports et aéroports. Il sera officiellement considéré comme un maintenu, avant de pouvoir être enregistré comme demandeur d'asile, avec de fortes chances de se voir débouté de sa demande. Il sera alors retenu dans un centre de rétention administrative (CRA) en attendant que les démarches nécessaires à son expulsion soient réglées (lire l'article page 16). S'il n'est pas légalement expulsable, il sera « libéré » puis se retrouvera, à Calais ou dans la banlieue de Rome, migrant clandestin dans un campement ou un squat de migrants africains.
Les camps et campements de réfugiés ne sont plus des réalités confinées aux contrées lointaines des pays du Sud, pas plus qu'ils n'appartiennent au passé. Depuis 2015, l'arrivée de migrants du Proche-Orient a fait émerger une nouvelle logique d'encampement en Europe. En Italie, en Grèce, à la frontière entre la Macédoine et la Serbie ou entre la Hongrie et l'Autriche, divers centres de réception, d'enregistrement et de tri des étrangers sont apparus. À caractère administratif ou policier, ils peuvent être tenus par les autorités nationales, par l'Union européenne ou par des acteurs privés. Installées dans des entrepôts désaffectés, des casernes militaires reconverties ou sur des terrains vagues où des conteneurs ont été empilés, ces structures sont rapidement saturées. Elles s'entourent alors de petits campements qualifiés de « sauvages » ou de « clandestins », ouverts par des organisations non gouvernementales (ONG), par des habitants ou par les migrants eux-mêmes. C'est ce qui s'est produit par exemple autour du camp de Moria, à Lesbos, le premier hotspot (centre de contrôle européen) créé par Bruxelles aux confins de l'espace Schengen en octobre 2015 pour identifier les migrants et prélever leurs empreintes digitales. Ces installations de fortune, qui accueillent généralement quelques dizaines de personnes, peuvent prendre des dimensions considérables, au point de ressembler à de vastes bidonvilles.
En Grèce, à côté du port du Pirée, un campement de tentes abrite entre 4 000 et 5 000 personnes, et jusqu'à 12 000 personnes ont stationné à Idomeni, à la frontière gréco-macédonienne, dans une sorte de vaste zone d'attente (2). En France, également, de nombreux centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et centres d'hébergement d'urgence ont ouvert ces dernières années. Eux aussi souffrent d'un déficit chronique de places et voient se multiplier les installations sauvages à leurs abords. Les migrants refoulés de la structure ouverte par la mairie de Paris à la porte de la Chapelle à l'automne 2016 se retrouvent contraints de dormir dans des tentes, sur le trottoir ou sous le métro aérien.
Quel est l'avenir de ce paysage de camps ? Trois voies existent d'ores et déjà. L'une est la disparition, comme avec la destruction des campements de migrants à Patras, en Grèce, ou à Calais, en France, en 2009 puis en 2016, ou encore avec l'élimination répétée de campements dits « roms » autour de Paris ou de Lyon. S'agissant des camps de réfugiés anciens, leur disparition pure et simple constitue toujours un problème. En témoigne le cas de Maheba, en Zambie. Ce camp ouvert en 1971 doit fermer depuis 2002. À cette date, il comptait 58 000 occupants, dont une grande majorité de réfugiés angolais de la deuxième, voire de la troisième génération. Une autre voie est la transformation, sur la longue durée, qui peut aller jusqu'à la reconnaissance et à un certain « droit à la ville », comme le montrent les camps palestiniens au Proche-Orient, ou la progressive intégration des camps de déplacés du Soudan du Sud dans la périphérie de Khartoum. Enfin, la dernière voie, la plus répandue aujourd'hui, est celle de l'attente.
D'autres scénarios seraient pourtant possibles. L'encampement de l'Europe et du monde n'a rien d'une fatalité. Certes, les flux de réfugiés, syriens principalement, ont beaucoup augmenté depuis 2014 et 2015 ; mais ils étaient prévisibles, annoncés par l'aggravation constante des conflits au Proche-Orient, par l'accroissement des migrations durant les années précédentes, par une situation globale où la « communauté internationale » a échoué à rétablir la paix. Ces flux avaient d'ailleurs été anticipés par les agences des Nations unies et par les organisations humanitaires, qui, depuis 2012, demandaient en vain une mobilisation des États pour accueillir les nouveaux déplacés dans des conditions apaisées et dignes.
Des arrivées massives et apparemment soudaines ont provoqué la panique de nombreux gouvernements impréparés, qui, inquiets, ont transmis cette inquiétude à leurs citoyens. Une instrumentalisation du désastre humain a permis de justifier des interventions musclées et ainsi, par l'expulsion ou le confinement des migrants, de mettre en scène une défense du territoire national. À bien des égards, le démantèlement de la « jungle » de Calais en octobre 2016 a tenu la même fonction symbolique que l'accord de mars 2016 entre l'Union européenne et la Turquie (3) ou que l'érection de murs aux frontières de divers pays (4) : ils doivent faire la démonstration que les États savent répondre à l'impératif sécuritaire, protéger des nations « fragiles » en tenant à l'écart les étrangers indésirables.
En 2016, l'Europe a finalement vu arriver trois fois moins de migrants qu'en 2015. Les plus de six mille morts en Méditerranée et dans les Balkans (5), l'externalisation de la question migratoire (vers la Turquie ou vers des pays d'Afrique du Nord) et l'encampement du continent en ont été le prix.
(1) Cf. Gérer les indésirables. Des camps de réfugiés au gouvernement humanitaire, Flammarion, coll. « Bibliothèque des savoirs », Paris, 2008.
(2) Pour une description plus large des camps en Europe, cf. Migreurop, Atlas des migrants en Europe. Géographie critique des politiques migratoires, Armand Colin, Paris, 2012, et Babels, De Lesbos à Calais. Comment l'Europe fabrique des camps, Le Passager clandestin, coll. « Bibliothèque des frontières », Neuvy-en-Champagne, à paraître ce mois-ci.
(3) Lire Hans Kundnani et Astrid Ziebarth, « Entre l'Allemagne et la Turquie, l'enjeu des réfugiés », Le Monde diplomatique, janvier 2017.
(4) Cf. Wendy Brown, Murs. Les murs de séparation et le déclin de la souveraineté étatique, Les Prairies ordinaires, Paris, 2009.
(5) Cf. Babels, La Mort aux frontières de l'Europe. Retrouver, identifier, commémorer, Le Passager clandestin, coll. « Bibliothèque des frontières », 2017.
Innombrables sont les intellectuels français ayant promis que la mondialisation, nécessairement « heureuse », déverserait ses bienfaits sur l'humanité. Pauvreté, chômage, corruption… trouvaient chez eux une même solution : davantage d'ouverture économique. Mais, comme les inégalités n'ont cessé de croître, une question se pose : tout le monde profite-t-il de la même façon du libre-échange ?
Dessin de Mathieu Colloghan, 2005. © Mathieu Colloghan.Nous sommes en 1993. Les pays européens viennent de ratifier le traité de Maastricht, leurs frontières s'effacent, tout au moins douanières. Un an plus tard, de l'autre côté de l'Atlantique, l'Amérique du Nord s'unifie elle aussi, du Canada jusqu'au Mexique, sous le régime de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena). L'Accord général sur les tarifs et le commerce (GATT) propulse l'agriculture dans la grande valse du libre-échange. L'objectif de toutes ces mesures ? « Notre bonheur à tous ! », répètent en chœur la plupart des économistes néolibéraux, souvent rétribués par les banques (voir « Un foisonnement d'écoles de pensée »).
Certains partisans du libre-échange, de l'« ouverture » des économies les unes aux autres, avancent toutefois d'autres raisons.
Ainsi du lauréat du prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel (lire « Quand une banque distribue des médailles »), l'influent économiste néolibéral américain Gary Becker : « Le droit du travail et la protection de l'environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés. Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en développement » (Business Week, 9 août 1993).
Ainsi du célébrissime Lawrence Summers, alors économiste en chef de la Banque mondiale, dans une note de service intitulée « Bonnes pratiques environnementales » : « Juste entre vous et moi, la Banque mondiale ne devrait-elle pas encourager davantage la migration des industries sales vers les pays moins développés ? » (12 décembre 1991).
« Pink Man Begins n° 7 », de Manit Sriwanichpoom, 1997. © Manit Sriwanichpoom / agence VU.Ainsi, encore, d'Anne Krueger, directrice générale adjointe du Fonds monétaire international : « Plus vite une économie est ouverte, mieux c'est. Parce que plus une économie est ouverte, plus il est difficile de revenir en arrière et de renverser les réformes » (conférence à l'université de Nottingham, septembre 2004).
Et ainsi, bien sûr, de Bernard Arnault, PDG du groupe LVMH et homme le plus riche de France : « Nous évoluons dans un système beaucoup plus mobile qu'il y a une quinzaine d'années. Face à cela, que peuvent faire les États ? Il leur est pratiquement impossible de s'opposer à une mobilité des entreprises à travers l'Europe. » Et d'avertir : « Toute velléité nationaliste est vouée à l'échec. À trop augmenter les charges sociales et imposer les trente-cinq heures à des entreprises qui n'en n'ont pas les moyens, le gouvernement risque d'accélérer le processus de délocalisation d'un certain nombre d'usines. » (La Passion créative, 2000).
Une somme de contraintes internationales qui n'aiguise pas la combativité des salariésLe libre-échange a transformé le monde en un supermarché pour les multinationales et l'oligarchie : législations environnementales laxistes ici, coûts salariaux pressurés plus loin, zones franches pour sièges sociaux là-bas et paradis fiscaux tout au fond… Dans le même temps, moins mobiles, les travailleurs subissent le chômage, la baisse des salaires, des fiscalités injustes, de façon à demeurer « compétitifs ». Une somme de contraintes qui n'aiguise pas leur combativité.
Le courant libre-échangiste estime que l'ouverture internationale entraîne une réduction des inégalités au sein de chaque économie. C'est tout le contraire : la mondialisation étire l'échelle des revenus par les deux bouts. Le plancher s'affaisse tandis que le plafond s'élève toujours davantage.
L'ancien poste-frontière d'Hestrud, entre la France et la Belgique, reconverti en Musée de la douane. Photographie de Nicolas Fussler, 2008. © Nicolas Fussler.Soit, rétorquent certains, mais le tiers-monde en a profité. Vraiment ? En 2003, l'Organisation mondiale du commerce (OMC) évaluait les gains économiques liés à la libéralisation des échanges à 832 milliards de dollars, dont 539 pour les pays moins avancés, les plus pauvres. C'était considérable. Mais, deux ans plus tard, l'OMC ramenait le gain total à 200 milliards et la part des moins bien lotis à… presque rien.
Quelles nations gagnent au libre-échange ? Quelles autres y perdent ? Le débat tend à en masquer un autre, plus facile à trancher : au sein de chaque nation, quelles classes sociales en bénéficient et lesquelles en pâtissent ?
À quoi ressemblent les parcours professionnels des politiciens de l'Assemblée nationale française avant son renouvellement ? De l'autre côté de la Manche, les élections législatives ont bénéficié au Labour, malgré des divergences sur le Brexit — lesquelles étaient déjà sensibles dans les années 1970, comme le rappelle la dernière livraison de « Manière de voir ». En 1985, dans le dossier « Les biotechnologies peuvent-elles changer la société ? », Jean-Pierre Berlan réfléchissait aux conséquences de la mécanisation de la culture de tomates de conserve. Trente ans plus tard, le concentré de tomate est un excellent concentré de capitalisme. Une sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.
Difficile à quantifier par nature, l'économie informelle occupe une place centrale dans toutes les sociétés africaines. Peu de gouvernements s'y attaquent, parce qu'elle fonctionne comme un amortisseur social et correspond à une vision particulière des rapports humains. Cependant, certaines activités font l'objet de tentatives de « formalisation ».
Par définition, le secteur informel — l'autre nom donné au « marché noir » en Afrique et en Asie — échappe à toute statistique. S'il est difficile à mesurer, son importance est indéniable : il représenterait près de 55 % du produit intérieur brut (PIB) cumulé de l'Afrique subsaharienne, selon la Banque africaine de développement (1).
De manière plus détaillée, l'Agence française de développement a relevé en 2006, après enquête sur le terrain, que 90 % des personnes actives exercent dans l'informel au Cameroun et au Sénégal, contre 80 % en Afrique du Sud, 50 % en Ethiopie et moins de 40 % au Maroc (2).
Qui sont-ils ? Commerçants, artisans, couturiers, ferrailleurs, mécaniciens, plombiers, maçons, chauffeurs, taxis… Souvent appris sur le tas, ces métiers représentent une véritable planche de salut pour la majorité. C'est le seul moyen de gagner sa vie, en gérant l'argent frais qui transite de main en main, hors de toute fiscalité.
Autre indicateur de l'importance du secteur informel : le faible taux de bancarisation qui persiste en Afrique subsaharienne (pas plus de 20 % selon la Banque mondiale). Ceux qui n'ont pas de compte gèrent autrement leurs flux financiers, par le biais d'une épargne elle aussi informelle. Il s'agit des fameuses « tontines », ces pots communs dont l'intégralité bénéficie successivement à chacun des participants, sous des formes parfois non financières — avec des biens immobiliers et du bétail.
Comme le relève l'économiste Kako Nubukpo, chercheur invité à Oxford, le secteur informel « n'est pas clairement séparé du secteur formel (3) ». Des entreprises de construction dûment enregistrées ont recours à des sous-traitants non fiscalisés, par exemple. Des fonctionnaires mal payés arrondissent leurs fins de mois en exerçant le soir une autre activité, informelle, zémidjan (taxi-moto) ou épicier…
Le secteur informel n'est pas vraiment combattu par les pouvoirs en place, malgré les nombreuses injonctions des institutions financières internationales, car il sert d'« amortisseur » social. « Il permet d'accuser les chocs externes subis par le secteur formel, le plus souvent un secteur privé de petite taille tourné vers les exportations, nous explique Nubukpo. La vitalité du secteur informel s'explique aussi par l'immersion de ses pratiques dans les aspects socioculturels de chaque pays — proximité, solidarité, liens sociaux forts, sentiment d'appartenance familiale, ethnique, clanique, etc. »
La coexistence d'un immense secteur informel aux côtés d'un secteur formel plus réduit aboutit à une forme de schizophrénie économique, selon Mahamadou Lamine Sagna, ancien professeur d'économie à Princeton (Etats-Unis) et spécialiste du rapport à l'argent dans les sociétés subsahariennes. « On observe une coupure, voire un morcellement du corps social : dans l'économie formelle, on trouve une Afrique moderne, aisée, sophistiquée et mondialisée, qui vit à l'heure du XXIe siècle. Dans le secteur informel, en revanche, se renforcent des logiques traditionnelles parfois féodales, autour d'une solidarité organique que l'on ne retrouve ni dans la logique financière occidentale, ni dans les services des banques classiques (4). »
Très rares sont les pays d'Afrique qui donnent l'exemple en matière de lutte contre le secteur informel. Le Rwanda est l'un des rares à se distinguer dans ce domaine : depuis 2006, les petites et moyennes entreprises sont incitées à tenir des registres comptables et à payer les taxes. Selon une enquête gouvernementale effectuée en 2006, le secteur informel non agricole (14,5 % du PIB) comprend des entreprises opérant dans les mines (0,78 %), les manufactures (13 %), mais surtout les services (86 %). Il concerne 27 % des actifs et est constitué à 72 % de personnes ayant créé leur propre emploi — des hommes, majoritairement (71 %), qui gagnent 40 euros par mois en moyenne, à raison de cinquante heures de travail par semaine.
L'enquête a souligné les fortes réticences de ces opérateurs à aller dans le secteur formel, par crainte de « tracasseries avec les pouvoirs publics » (73 % des réponses). Sur la base de ces informations, des politiques ciblées ont été mises en place pour souligner les avantages du secteur formel, notamment en termes d'accès au crédit.
Ailleurs, c'est plutôt le secteur privé qui prend l'initiative. Au Cameroun, l'homme d'affaires Paul Fokam a monté Afriland First Bank, un empire bancaire à l'échelle de l'Afrique centrale, en commençant par un vaste réseau de microfinance. Au Kenya, le banquier James Mwangi, issu d'une famille rurale très modeste, a été le premier Africain à être désigné entrepreneur de l'année, en 2012, par le cabinet Ernst & Young. En 1993, il a racheté Equity Bank, une société de microfinance qui était au bord de la faillite, et il en a fait, en mettant l'accent sur les relations humaines (rapports avec ses employés et ses clients), la première banque généraliste d'Afrique de l'Est, avec huit millions de comptes au Kenya, au Rwanda, en Ouganda, en Tanzanie et au Soudan du Sud.
Une leçon qu'a bien comprise le jeune banquier ivoirien Jean-Luc Konan, 42 ans, qui a fondé en 2013 la Compagnie financière africaine (Cofina) à Abidjan et Dakar, pour desservir en crédit ce qu'il estime être un immense marché. « C'est là, dans ces 80 % d'opérateurs ignorés par les grandes banques, que se trouvent les multinationales africaines et les champions de demain (5) », explique cet entrepreneur africain qui a financé trois mille dossiers en moins de deux ans, pour un encours de 30 millions d'euros.
(1) Perspectives économiques en Afrique 2014, www.africaneconomicoutlook.org
(2) Voir les rapports d'enquête effectués en Afrique du Sud, en Angola, au Bénin, au Cameroun, au Maroc et au Sénégal, publiés en 2006 par l'Agence française de développement.
(3) Entretien réalisé en 2014. Voir aussi Kako Nubukpo, L'Improvisation économique en Afrique. Du coton au franc CFA, Karthala, coll. « Les Afriques », Paris, 2011.
(4) Mahamadou Lamine Sagna, « Pourquoi l'épargne informelle échappe-t-elle aux banques ? », Géopolitique africaine n° 53-54, Paris, pp. 187-194.
(5) Jean-Luc Konan, « Il faut soutenir les champions de demain », Afrique Méditerranée Business, n° 9, Paris, juillet-août 2015.
En juin 1975, le gouvernement travailliste de Harold Wilson organise un référendum demandant au Britanniques : « Pensez-vous que le Royaume-Uni doive rester membre de la Communauté européenne (le Marché commun) ? » Alors que le premier ministre défend le « oui », son ministre de l'industrie Anthony (« Tony ») Benn, qui incarne l'aile gauche du Parti travailliste, défend le point de vue opposé. En janvier, il s'adresse aux électeurs par voie de presse.
« Voici votre nouveau chef du personnel ». Affiche de la campagne des syndicats anglais contre la loi sur les relations industrielles de 1971. Cette loi, défendue par les conservateurs, visait entre autres à limiter le droit de grève.En 1975, chacun d'entre vous aura la responsabilité de décider, par le biais d'un vote, si le Royaume-Uni doit rester membre du Marché commun ou s'il doit le quitter, afin de rester une nation indépendante et souveraine. Une fois prise, cette décision sera sans doute irréversible. (…)
Je vous écris, non pour vous demander de voter de telle ou telle façon, mais pour vous expliquer — aussi bien que je le peux — l'impact de la participation du Royaume-Uni au Marché commun sur la relation constitutionnelle entre les députés et ceux qu'ils représentent. La démocratie parlementaire que nous avons développée et établie au Royaume-Uni repose non sur la souveraineté d'un Parlement, mais sur celle du peuple qui, en exerçant son droit de vote, prête son pouvoir souverain aux députés ; un pouvoir qui doit être utilisé au nom du peuple, pour la durée d'un mandat unique, un pouvoir qui doit être rendu intact aux électeurs auxquels il appartient, de façon à ce qu'il puisse être transmis à d'autres députés. Cinq droits démocratiques de base découlent de cette relation et tous sont fondamentalement altérés par la participation du Royaume-Uni à la Communauté européenne.
Un : la démocratie parlementaire implique que toute femme et tout homme de plus de 18 ans a le droit d'élire son ou sa représentante à la Chambre des communes. Or cette institution est déterminante car elle peut décider de nouvelles lois ou de nouveaux impôts. La participation à la Communauté européenne nous soumet à des lois et des taxes qui n'ont pas été décidées par nos députés, mais par des autorités que nous n'élisons pas directement et que nous ne pouvons pas renvoyer par les urnes.
Deux : la démocratie parlementaire implique que les membres du Parlement, dont le pouvoir provient directement du peuple britannique, peuvent changer toute loi ou toute mesure fiscale par un vote à la majorité. La participation du Royaume-Uni à la Communauté européenne prive le Parlement britannique de la possibilité de supprimer des lois ou des mesures fiscales : seules des autorités communautaires qui n'ont pas été élues directement par le peuple britannique peuvent le faire.
Trois : la démocratie parlementaire implique que les tribunaux et les juges britanniques ont la responsabilité de défendre les lois votées par le Parlement. Si le Parlement change une loi, les tribunaux doivent s'assurer que sa nouvelle version entre en vigueur puisqu'elle a été décidée par le Parlement, qui a été élu directement par la population. La participation du Royaume-Uni à la Communauté européenne exige des tribunaux britanniques qu'ils fassent respecter des lois communautaires qui n'ont pas été décidées par le Parlement, et que le Parlement ne peut pas modifier ou amender, même lorsque ces lois entrent en conflit avec d'autres (votées, elles, par le Parlement), puisque la hiérarchie des droits place les directives communautaires au-dessus des textes britanniques.
Quatre : la démocratie parlementaire implique que les gouvernements, ministres et fonctionnaires britanniques ne peuvent agir que dans le cadre des lois britanniques et qu'ils sont comptables de leurs décisions devant le Parlement et donc, par Parlement interposé, devant les électeurs. La participation du Royaume-Uni à la Communauté européenne impose aux gouvernements britanniques des contraintes et des devoirs qui n'ont pas été décidés par le Parlement. Les ministres n'ont donc plus à s'expliquer de leurs actions devant le Parlement, ou le peuple britannique qui les a élus.
Cinq : donnant la possibilité aux électeurs de désigner ou de renvoyer les membres du Parlement, la démocratie parlementaire garantit la continuité du devoir de responsabilité des députés face à l'électorat, les obligeant à écouter la population pendant les campagnes électorales, mais également en dehors des campagnes électorales, ce qui impose au Parlement de prendre en compte les besoins de la population. La participation du Royaume-Uni à la Communauté européenne transfère une partie des pouvoirs législatifs et financiers à des autorités communautaires qui n'ont pas été élues directement par les Britanniques, ce qui les isole du contrôle direct des électeurs britanniques. Comme ces derniers ne peuvent pas retirer leur mandat à qui que ce soit, leur point de vue n'importe guère et nul n'est tenu de prendre en compte leurs récriminations.
Aucun doute à avoir sur l'effet de la participation à l'EuropeEn résumé, une partie du pouvoir de l'électorat britannique de faire des lois, de décider de nouveaux impôts, de changer des textes législatifs que les tribunaux doivent faire respecter, de contrôler la mise en œuvre des affaires publiques à travers ses représentants directs au Parlement, a été abandonnée à la Communauté européenne, dont le Conseil des ministres et la Commission ne sont ni collectivement élus ni collectivement révocables par le peuple britannique, ni par aucun des peuples qui forment cette Communauté.
Ici, ces cinq droits nous ont protégés des pires abus du pouvoir ; ils nous ont prémunis des dérives de la bureaucratie ; ils ont défendu nos libertés ; ils nous ont offert la possibilité de changer les choses dans la paix ; ils ont réduit le risque de conflits au sein de notre société ; et ils nous unissent les uns aux autres en créant un cadre national de consensus pour toutes les lois qui nous gouvernent. (…)
Bien entendu, je ne m'intéresse pas ici aux arguments politiques et économiques pour ou contre le Marché commun ; je ne vise pas, non plus, à commenter l'analyse selon laquelle les avantages de la participation effacent la perte de droits démocratiques que je viens de décrire. Mais aucun électeur ne doit entretenir le moindre doute sur l'effet que la participation britannique à la Communauté européenne a eu, et ne manquera pas d'avoir : elle érode la capacité de la population britannique à se gouverner elle-même.
Ayant longtemps fait campagne pour que vous puissiez disposer du droit à un référendum sur cette question, je suis fier de servir dans un gouvernement qui a promis que les électeurs auraient le dernier mot. La nation tout entière, et tous les partis politiques, sont divisés sur la question du Marché commun. Nous devons respecter la sincérité de ceux qui défendent un autre point de vue que le nôtre. Nous devons accepter le verdict du peuple britannique, quel qu'il soit, ce que j'ai bien l'intention de faire.
Source : The Spectator, Londres, 18 janvier 1975.
« Pendant que nous nous préparons à quitter l'Union européenne, nous organisons la prochaine rencontre bisannuelle des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth en 2018, un rappel du réseau unique global dont nous sommes fiers », proclama la première ministre conservatrice Theresa May lors de son discours sur le Brexit, le 17 janvier 2017.
Le British Commonwealth of Nations − une association de pays regroupant le Royaume-Uni et ses anciennes colonies − fut officialisé en 1931 par le statut de Westminster selon lequel « tous les pays du Commonwealth reconnaissent la reine Élisabeth II comme leur chef ». La déclaration de Londres de 1949 prend note de la décolonisation en retirant le mot « British » du nom de l'association. Pour autant, le club de « pays libres et égaux », synonyme de décolonisation douce, fut surtout un moyen pour le Royaume-Uni de maintenir son influence économique et culturelle sur une population de 2,4 milliards d'individus.
Dans les années 1960, la volonté du Royaume-Uni de prendre part à la construction européenne a posé problème aux pays du Commonwealth. En 1929, déjà, Leopold Amery, journaliste et membre du Parti conservateur, expliquait : « Autant est grande ma sympathie pour le mouvement paneuropéen, et profond mon sentiment qu'il est juste en lui-même et propre à faire face aux difficultés de la situation mondiale actuelle, autant je combattrai jusqu'à mon dernier souffle l'idée que la Grande-Bretagne se proclame puissance européenne et non puissance mondiale. » Le Canada et l'Australie s'opposeront ainsi à l'entrée du Royaume-Uni au sein des institutions européennes : ils le feront savoir lors de la conférence du Commonwealth de 1962.
Engagée (mollement) dans la lutte pour le respect des droits humains, organisant les Jeux du Commonwealth, l'organisation renvoie au folklore du passé impérial britannique. Mais le Brexit pourrait changer la donne. Mme May ne vient-elle pas de proposer à un nouveau pays d'intégrer le Commonwealth ? Son nom : les États-Unis…
Premier ministre conservateur de 1940 à 1945, puis de 1951 à 1955, Winston Churchill — qui expliquait : « J'ai été élevé à ce stade de la civilisation où tout le monde se plaisait à admettre que les hommes naissent inégaux » — a inlassablement défendu l'intégrité de l'Empire britannique. En 1953, un journaliste l'interroge sur son éventuelle retraite : « Pas avant que mon état ne se détériore énormément, et que celui de l'Empire ne s'améliore considérablement. »
Profession de foi :
« Je suis un enfant de l'ère victorienne, une époque où notre pays semblait solidement établi dans ses fondements, où notre domination sur le commerce et sur les mers était incontestée, et où ne cessait de se renforcer notre foi en la grandeur de l'Empire et en notre devoir de la préserver. »Discours aux Communes, 17 mars 1914 :
« Nous sommes maîtres de tous les territoires auxquels nous pouvons aspirer, mais lorsque nous revendiquons le droit de profiter sans entraves de ces vastes et splendides possessions, acquises en grande partie par la guerre et conservées en grande partie par la force, cela paraît souvent moins raisonnable à d'autres qu'à nous-mêmes. »Intervention au Parlement, 24 octobre 1935 :
« Les destinées et la gloire de l'Empire britannique sont liées indissociablement aux destinées du monde. Nous prospérerons ou nous périrons ensemble. De fait, si nous survivons aujourd'hui, c'est parce qu'aux temps jadis nos ancêtres ont fait en sorte que, dans l'ensemble, les intérêts particuliers de la Grande-Bretagne coïncident avec les intérêts généraux du monde. »Au sujet de l'Inde, à laquelle conservateurs et travaillistes veulent accorder l'autonomie interne :
« Si la Grande-Bretagne perdait son Empire, l'Inde, sa part du commerce mondial et sa puissance navale, elle serait comme une immense baleine portée par la marée et échouée dans une de vos baies écossaises, pour s'y asphyxier et pourrir sur la grève. Bien sûr, mon idéal est étroit et limité : je veux voir l'Empire britannique préservé dans sa force et sa splendeur, le temps de quelques générations encore. Seuls les plus prodigieux efforts du génie britannique permettront d'y parvenir ! »Au consul américain Kenneth Pendar à Marrakech, le 24 janvier 1943 :
« Il y a toujours de vieilles filles consciencieuses en Pennsylvanie, dans l'Utah, à Édimbourg ou à Dublin qui persistent à écrire des lettres, à signer des pétitions et à dispenser ardemment leurs conseils au gouvernement britannique, pour le presser de rendre l'Inde aux Indiens, l'Afrique du Sud aux Zoulous ou aux Boers, etc., mais aussi longtemps qu'il plaira à Sa Majesté le Roi de faire de moi son premier ministre, je ne prendrai aucune part au démembrement de l'Empire britannique. »Churchill est battu aux élections de juillet 1945, et sous le gouvernement travailliste de son successeur, Clement Attlee, l'Inde accède à l'indépendance, de même que la Birmanie et le Sri Lanka.
« Notre île est envahie par une tribu de philosophes névrosés qui se lèvent chaque matin en se demandant quelle partie de la Grande-Bretagne ils pourraient encore brader, et se couchent chaque soir en regrettant ce qu'ils viennent de faire. »Source : François Kersaudy, Le Monde selon Churchill, Tallandier, Paris, 2011.
Sortie sur les écrans en 1975, la comédie « Monty Python : Sacré Graal ! » narre la légende du roi Arthur et des chevaliers de la Table ronde. Dans cet extrait, le roi, missionné par Dieu, se met en quête de chevaliers suffisamment preux pour se joindre à lui dans sa quête du Graal. Il tente d'obtenir des renseignements auprès d'une personne qu'il croise en chemin.
Roi Arthur : Vieille femme !
Dennis : Homme.
Roi Arthur : Homme, pardon. Quel chevalier vit dans le château que l'on voit là-bas ?
Dennis : J'ai 37 ans.
Roi Arthur : Pardon ?
Dennis : J'ai 37 ans. Je ne suis pas vieux.
Roi Arthur : Enfin, je ne peux pas vous appeler « Homme ».
Dennis : Vous pourriez dire « Dennis ».
Roi Arthur : Je ne savais pas que vous vous appeliez « Dennis ».
Dennis : Vous n'avez pas trop cherché à savoir non plus !
Roi Arthur : J'ai dit que j'étais désolé de vous avoir appelé « Vieille femme » mais, de dos…
Dennis : Ce qui me pose problème, c'est qu'automatiquement vous me traitez en inférieur.
Roi Arthur : En même temps, je suis roi.
Dennis : Roi, rien que ça ! Et comment est-ce que vous êtes arrivé à ça, hein ? En exploitant les travailleurs. En vous accrochant au dogme impérialiste suranné qui perpétue les inégalités économiques et sociales dans notre société. Si on cherche vraiment à améliorer les choses…
Une paysanne [qui fouille la terre un peu plus loin] : Dennis ! Il y a de la belle saleté par ici… [elle voit le roi Arthur] Oh, bonjour.
Roi Arthur : Bonjour, bonne dame. Je suis le roi Arthur, roi des Bretons. À qui appartient ce château ?
Paysanne : Roi des qui ?
Roi Arthur : Des Bretons
Paysanne : Et c'est qui, les « Bretons » ?
Roi Arthur : Eh bien, c'est nous. Nous sommes tous bretons. Et je suis votre roi.
Paysanne : Je ne savais pas qu'on avait un roi. Je pensais que nous étions une collectivité autonome.
Dennis : Tu te voiles la face. Nous vivons en dictature ! Une autocratie qui s'auto-perpétue, dans laquelle la classe ouvrière…
Paysanne : Et voilà que tu remets ça avec tes classes sociales.
Dennis : Mais parce que tout part de là ! Si seulement les gens…
Roi Arthur : S'il vous plaît ! Mes amis, je suis pressé. Qui vit dans ce château ?
Paysanne : Personne.
Roi Arthur : Mais alors qui est votre seigneur ?
Paysanne : Nous n'en avons pas.
Roi Arthur : Quoi ?
Dennis : Je vous l'ai dit. Nous sommes une commune anarcho-syndicaliste. Nous endossons à tour de rôle la fonction de directeur général, pendant une semaine…
Roi Arthur : Oui…
Dennis : … mais toutes les décisions doivent être ratifiées lors d'une réunion qui se tient deux fois par semaine…
Roi Arthur : Je vois…
Dennis : … à la majorité simple dans le cas de dossiers courants…
Roi Arthur : Taisez-vous !
Dennis : …mais à la majorité des deux tiers pour les…
Roi Arthur : Taisez-vous, je vous l'ordonne !
Paysanne : « Ordonne » ? Mais pour qui est-ce qu'il se prend celui-là ?
Roi Arthur : Je suis votre roi.
Paysanne : Eh bien moi, je n'ai pas voté pour vous.
Roi Arthur : On ne vote pas pour les rois.
Paysanne : Et comment est-ce que vous êtes devenu roi, alors ?
Roi Arthur [alors qu'une musique céleste se fait entendre] : La Dame du lac, le bras vêtu du plus pur brocart, jaillit des profondeurs de l'onde, en brandissant Excalibur, indiquant que la grâce divine avait forgé le projet que moi, Arthur, devienne le porteur d'Excalibur. Voilà pourquoi je suis votre roi.
Dennis : Écoutez. Des donzelles qui se dan-dinent dans des mares en distribuant des épées, ça n'a jamais suffi à forger des systèmes de gouvernement. Le pouvoir exécutif suprême provient d'un mandat des masses, pas d'une quelconque farce aquatique.
Roi Arthur : Taisez-vous !
Dennis : Vous ne prétendez tout de même pas vous emparer du pouvoir exécutif suprême juste parce qu'une godiche humide a lancé une épée dans votre direction !
Roi Arthur : Silence !
Dennis : Enfin quoi ? Si je me promenais en expliquant que je suis empereur juste parce qu'une greluche détrempée m'a balancé un cimeterre, on m'enfermerait !
Roi Arthur [qui empoigne Dennis] : Tais-toi ! Mais tais-toi enfin !
Dennis : Ah, voilà la violence inhérente au système !
Roi Arthur : Tais-toi !
Dennis : Oh ! Oh ! Venez, venez tous observer la violence inhérente au système. À l'aide, à l'aide ! On me réprime !
Roi Arthur : Foutus paysans !
Dennis : Oh, eh bien voilà ! Vous avez entendu ? Vous avez entendu ? C'est de ça dont je vous parle ! Vous l'avez vu me réprimer ? Vous l'avez vu, non ?
Monty Python : Sacré Graal !, de Terry Gilliam et Terry Jones, 1975.
Dans ce sketch des Monty Python présenté lors de leur spectacle au Hollywood Bowl, en 1982, un journaliste reçoit quatre illustres invités.
Journaliste : C'est un privilège de recevoir ce soir Karl Marx, le fondateur du socialisme moderne et l'auteur du Manifeste du Parti communiste...
[applaudissements]
... Vladimir Illich Oulianov, mieux connu dans le monde sous le nom de Lénine...
[applaudissements]
... dirigeant de la révolution russe, écrivain, homme d'État et père du socialisme moderne ; Che Guevara, le guérillero bolivien [sic] ;
[applaudissements]
et Mao Zedong, secrétaire général du Parti communiste chinois depuis 1949.
[applaudissements]
La première question est pour vous, Karl Marx : les Hammers. Les Hammers est le surnom de quelle équipe de football anglaise ?
Karl Marx : ...
Journaliste : Non ? Pas de chance, Karl. Il s'agit de West Ham United.
[applaudissements]À vous, Che Guevara. Che, Coventry City a remporté la Coupe anglaise de football pour la dernière fois en quelle année ?
Che Guevara : ...
Journaliste : Non ? On peut élargir au reste de nos invités ? Quelqu'un ? Coventry City a remporté la Coupe anglaise de football pour la dernière fois en quelle année ? Non ? Eh bien je ne suis pas étonné que vous n'ayez pas trouvé : il s'agissait d'une question piège ! Coventry City n'a jamais remporté la Coupe anglaise de football.
[applaudissements]
Et avec, à ce stade, tous nos candidats ex aequo, nous passons à la deuxième série de questions. Et Lénine, c'est à vous de commencer, pour 10 dollars. Jerry Lee Lewis a enregistré plus de dix-sept tubes importants aux États-Unis. Quel est le titre du plus connu ?
Lénine : ...
Journaliste : Le gros succès de Jerry Lee Lewis...
[Mao Zedong appuie sur un buzzer jusque-là dissimulé]
Mao Zedong !
Mao Zedong : Great Balls of Fire ?
Journaliste : Oui, c'est bien ça !
[applaudissements]
Très bien vu. Eh bien, nous en arrivons maintenant à notre troisième série de questions. Et notre candidat ce soir, c'est Karl Marx. Et notre prix spécial : ce magnifique ensemble salon « canapé fauteuil » ![applaudissements]
Karl a choisi la série de questions portant sur le contrôle ouvrier des usines. Alors, on y va, avec la question numéro 1. Nerveux, Karl ?
[Karl Marx fait « oui » de la tête]
Un tout petit peu. Ne vous en faites pas, faites de votre mieux. Le développement du prolétariat industriel est conditionné par quel autre développement ?
Karl Marx : Le développement de la bourgeoisie industrielle.
Journaliste : Très bien !
[applaudissements]
C'est bien cela. Bien joué, Karl ! Si vous continuez comme ça, vous allez repartir avec votre ensemble salon.
Question numéro 2 : la lutte des classes est une lutte comment ?
Karl Marx : Une lutte politique.
Journaliste : Très bien !
[applaudissements]
C'est exactement cela. Super, Karl ! Une dernière question et ce magnifique ensemble salon non matérialiste sera à vous. Vous êtes prêt, Karl ?
La dernière question : qui a gagné la Coupe anglaise de football en 1949 ?
Karl Marx : Les travailleurs doivent contrôler les moyens de production ? La lutte du prolétariat urbain ?
Journaliste : Non, il s'agissait de Wolverhampton Wanderers, qui a battu Leicester 3 à 1.
Karl Marx : Oh, merde !
Monty Python, « Questions pour un communiste », « Live at the Hollywood Bowl », 1982.
Le 14 janvier 1963, le général de Gaulle (alors président de la République française) est interrogé lors d'une conférence de presse sur son opposition à l'entrée du Royaume-Uni dans le Marché commun européen. Voici un extrait de sa réponse.
L'Angleterre est insulaire. Elle est maritime. Elle est liée par ses échanges, ses marchés, ses ravitaillements aux pays les plus divers, et souvent les plus lointains. Elle exerce une activité essentiellement industrielle et commerciale, et très peu agricole. (…) Bref, la nature, la structure qui sont propres à l'Angleterre diffèrent profondément de celles des continentaux.
Comment faire pour que l'Angleterre telle qu'elle vit, telle qu'elle produit, telle qu'elle échange, soit incorporée au Marché commun tel qu'il a été conçu et tel qu'il fonctionne ? Par exemple, les moyens par lesquels se nourrit le peuple de la Grande-Bretagne et qui sont en fait l'importation de denrées alimentaires achetées à bon marché dans les deux Amériques ou dans les anciens dominions, tout en donnant, en accordant des subventions considérables aux agriculteurs anglais. Ce moyen-là est évidemment incompatible avec le système que les Six [États signataires du traité de Rome établissant en 1957 le Marché commun] ont établi tout naturellement pour eux-mêmes. Le système des Six, ça consiste à faire tout avec les produits agricoles de toute la Communauté. À fixer rigoureusement leur prix. À interdire qu'on les subventionne. À organiser leur consommation entre tous les participants. Et à imposer à chacun de ces participants de verser à la Communauté toute économie qu'il ferait en faisant venir du dehors des aliments au lieu de manger ce qu'offre le Marché commun. (…)
On a pu croire parfois que nos amis anglais, en posant leur candidature au Marché commun, acceptaient de se transformer eux-mêmes au point de s'appliquer toutes les conditions qui sont acceptées et pratiquées par les Six. Mais la question est de savoir si la Grande-Bretagne actuellement peut se placer avec le continent et comme lui à l'intérieur d'un tarif qui soit véritablement commun. (…)
Cette question-là, c'est toute la question. On ne peut pas dire qu'elle soit actuellement résolue. Est-ce qu'elle le sera un jour ? Seule évidemment l'Angleterre peut répondre. La question est posée d'autant plus qu'à la suite de l'Angleterre, d'autres États qui sont, je le répète, liés à elle par la zone de libre-échange, pour les mêmes raisons que la Grande-Bretagne voudraient ou voudront entrer dans le Marché commun. Il faut convenir que l'entrée de la Grande-Bretagne d'abord et puis celle de ces États-là changeront complètement l'ensemble des ajustements, des ententes, des compensations, des règles qui ont été établis déjà entre les Six, parce que tous ces États comme l'Angleterre ont de très importantes particularités. (…) D'ailleurs cette Communauté s'accroissant de cette façon verrait se poser à elle tous les problèmes de ces relations économiques avec toutes sortes d'autres États et d'abord avec les États-Unis. Il est à prévoir que la cohésion de tous ses membres qui seraient très nombreux, très divers n'y résisterait pas longtemps. Et qu'en définitive il apparaîtrait une Communauté atlantique colossale sous dépendance et direction américaine, et qui aurait tôt fait d'absorber la Communauté de l'Europe. (…)
Alors il est possible qu'un jour l'Angleterre parvienne à se transformer elle-même suffisamment pour faire partie de la Communauté européenne sans restriction. (…) Il est possible aussi que l'Angleterre n'y soit pas encore disposée et c'est bien là ce qui paraît résulter des longues, si longues, si longues conversations de Bruxelles.
Source : Institut national de l'audiovisuel (INA).
L'administration Trump constitue-t-elle une forme de « néofascisme » ? Retour sur trois décennies de casse de l'école publique aux États-Unis ; un enseignant du City College de San Francisco, durement frappé par l'austérité, analyse les impasses de l'action syndicale dans son établissement. (Vol. 68, n° 11, avril, mensuel, 6 dollars. — New York, États-Unis.)
Une nouvelle revue fermement ancrée dans la critique sociale et le matérialisme. Vivek Chibber réfléchit à la manière de rétablir la prééminence de l'analyse de classe sans en revenir à l'indifférence aux questions culturelles. Pourquoi la photographie d'un bureau du chômage ne montrant aucun chômeur est-elle politique ? (N° 1, mai, trimestriel, 14 euros. — Bruxelles, Belgique.)
Cette revue, appréciée par le nouveau président français et qui l'apprécie, consacre un dossier à « L'Amérique en dissidence ». Également au sommaire, l'État face aux communes du Front national ; les communs numériques et la nouvelle économie politique. (N° 434, mai, mensuel, 20 euros. — Paris.)
La notion d'autorité avant et après le numérique : comment se construit et se légitime une réputation sur Twitter ou dans les forums de discussion en ligne, notamment en matière de santé ? (N° 93, printemps, quadrimestriel, 16 euros. — Charenton-le-Pont.)
Réflexion autour d'une nouvelle grammaire de l'intérêt général, qui permettrait l'émergence d'un « État des stratèges » capable d'orchestrer la controverse, la délibération et en définitive la convergence de la multitude des stratégies individuelles et collectives. (N° 418, mai-juin, bimestriel, 22 euros. — Paris.)
Comment se recomposent et se réorganisent les luttes salariales dans une économie transnationale, et avec quels résultats ? Et pourquoi, malgré l'inflexibilité des actionnaires, la conflictualité continue-t-elle à faire sens pour les travailleurs ? (N° 89, mars, trimestriel, 6 euros. — Bruxelles, Belgique.)
Dans son discours de Zurich, prononcé le 19 septembre 1946, Winston Churchill appelle à la constitution d'« États-Unis d'Europe » auxquels le Royaume-Uni n'appartiendrait pas. « Nous sommes avec l'Europe, mais pas européens », expliquera-t-il en 1953.
J'ai l'honneur aujourd'hui d'être reçu par votre vénérable université et je voudrais vous parler de la tragédie de l'Europe. Ce continent magnifique, qui comprend les parties les plus belles et les plus civilisées de la terre, qui a un climat tempéré et agréable et qui est la patrie de tous les grands peuples apparentés du monde occidental. L'Europe est aussi le berceau du christianisme et de la morale chrétienne. Elle est à l'origine de la plus grande partie de la culture, des arts, de la philosophie et de la science du passé et du présent. Si l'Europe pouvait s'unir pour jouir de cet héritage commun, il n'y aurait pas de limite à son bonheur, à sa prospérité, à sa gloire, dont jouiraient ses 300 ou 400 millions d'habitants. En revanche, c'est aussi d'Europe qu'est partie cette série de guerres nationalistes épouvantables déclenchées par les Allemands dans leur course à la puissance et que nous avons vues au XXe siècle. La paix a été ainsi troublée et les espérances de l'humanité entière réduites à néant.
Mais il y a un remède. (…) Il consiste à reconstituer la famille européenne, ou tout au moins la plus grande partie possible de la famille européenne, puis de dresser un cadre de telle manière qu'elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. Nous devons ériger quelque chose comme les États-Unis d'Europe. (…) On peut y arriver d'une manière fort simple. Il suffit de la résolution des centaines de millions d'hommes et de femmes de faire le bien au lieu du mal, pour récolter alors la bénédiction au lieu de la malédiction. (…)
C'est avec une profonde satisfaction que j'ai lu dans la presse, il y a deux jours, que mon ami le président Truman avait fait part de son intérêt et de sa sympathie pour ce plan grandiose. Il n'y a aucune raison pour que l'organisation de l'Europe entre en conflit d'une manière quelconque avec l'Organisation mondiale des Nations unies. Au contraire, je crois que l'organisation générale ne peut subsister que si elle s'appuie sur des groupements naturellement forgés. Il existe déjà un tel groupement d'États dans l'hémisphère occidental. Nous autres Britanniques, nous avons le Commonwealth. L'organisation du monde ne s'en trouve pas affaiblie, mais au contraire renforcée et elle y trouve en réalité ses maîtres piliers. Et pourquoi n'y aurait-il pas un groupement européen qui donnerait à des peuples éloignés l'un de l'autre le sentiment d'un patriotisme plus large et d'une sorte de nationalité commune ? (…) Afin de pouvoir atteindre ce but, il faut que les millions de familles collaborent sciemment et soient animées de la foi nécessaire, quelle que puisse être la langue de leurs pères. (…)
Le salut de l'homme quelconque de toute race et de tout pays, ainsi que sa préservation de la guerre ou de l'esclavage, ont besoin de fondements solides et de la volonté de tous les hommes et de toutes les femmes de mourir plutôt que de se soumettre à la tyrannie. En vue de cette tâche impérieuse, la France et l'Allemagne doivent se réconcilier ; la Grande-Bretagne, le Commonwealth des nations britanniques, la puissante Amérique, et, je l'espère, la Russie soviétique — car tout serait alors résolu — doivent être les amis et les protecteurs de la nouvelle Europe et défendre son droit à la vie et à la prospérité.
Et c'est dans cet esprit que je vous dis : En avant, l'Europe !
Un premier bilan du pontificat de François montre de réels changements, en particulier sur le terrain de l'engagement social de l'Église, plus concret et plus affirmé. Des progrès restent à effectuer quant à la réforme de la curie et des finances vaticanes. (N° 173, mars-avril, bimestriel, 10,50 euros. — Villeurbanne.)
La revue panafricaine consacre un dossier à la situation en Libye, avec une mise en accusation de la France pour son rôle dans la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011. (Mai, mensuel, 4 euros. — Paris.)