Reporter de guerre indépendante, Anne Nivat a sillonné les terrains dangereux au péril de sa vie. Auteur d’une dizaine d’ouvrages dont « Chienne de guerre » (prix Albert-Londres 2000), elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage : « Dans quelle France on vit », aux éditions Fayard.
Vous décrivez des Français qui souffrent mais qui luttent. Votre voyage auprès des gens à qui on ne donne jamais la parole ne vous conduit pourtant pas au pessimisme le plus noir. Pourquoi ?
Mais pourquoi serais-je pessimiste ? Parce que tout le monde l’est ? Mon travail d’enquête de deux années, fidèle à la méthode qui est la mienne depuis 17 ans – seule à sillonner des pays en guerre, dans des sociétés détruites – ne démontre en rien qu’il faille être pessimiste pour l’avenir de la France, un pays moderne et riche, et qui, justement, n’a pas à souffrir de la guerre. La France a été attaquée sur son sol par des terroristes français mais elle n’est pas un théâtre d’opérations de guerre. Je crois en l’humain et en ses ressources, et c’est cela que montre —sans démontrer— inlassablement, mon travail de terrain, où que je pose mon regard : même si la plupart des Français rencontrés à Laon, Lons-le-Saunier, Laval, Montluçon, Evreux ou Ajaccio restent très critiques envers les différentes politiques menées en leur pays ; même si, parfois, ils ont du mal à joindre les deux bouts et à s’estimer « heureux », ce sont des femmes et des hommes qui ont de la ressource, et surtout, une capacité à vivre les yeux ouverts, sans déni. Ils font de plus preuve d’une finesse d’analyse sur leur propre situation personnelle ainsi que, plus largement, celle de leur pays, qui les honore.
Nous avons les hommes politiques que nous méritons et ce livre n’est pas une analyse politique de ceux qui nous gouvernent : c’est une résonance, une expression, sourde et profonde, de ceux qui vivent ici, en France, et qui ne s’expriment d’habitude pas ou peu, parce qu’on ne leur donne habituellement pas la parole, ou alors, dans des circonstances bien particulières : un angle médiatique précis, ou une campagne électorale. Je pars du principe qu’avant de juger, mieux vaut s’informer sur une situation, à travers ses moindres paradoxes et jusque dans ses détails les moins reluisants et parfois, les moins attirants. C’est ce que j’ai fait en me rendant sur ce terrain à la fois proche et lointain : la France, qui n’a rien de différent, finalement, de mes précédents terrains de guerre, en ce sens que nous autres, humains, avons finalement tous les mêmes préoccupations : vivre sereinement, avoir une activité qui nous permet de nous « réaliser », et de donner un avenir à nos enfants.
Vous racontez le cas terrible d’une femme qui s’est défenestrée : « maintenant, ma souffrance on la verra », dit-elle.
Cette histoire abominable, d’une violence crue et démente illustre bien, à mon sens, la société qui est la nôtre aujourd’hui. Elle m’a été rapportée par une de mes interlocutrices à Laon, une ville-chapitre dans laquelle je tente de narrer le « sentiment de déclassement ». La personne qui me raconte l’histoire s’appelle Maryline, a 37 ans, est infirmière en milieu psychiatrique dans la région de l’Aisne. Ancienne foraine, Maryline a passé sa vie entière à aider les autres, notamment dans cet hôpital psychiatrique départemental de Prémontré où elle m’emmène. C’est là qu’elle a vécu ce moment atroce : la défenestration d’une femme tétraplégique qui lui avait confié, juste après son acte : « au moins, ma souffrance, maintenant, elle se voit ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Que certains d’entre nous n’en peuvent plus de souffrir en silence, qu’ils veulent s’exprimer sur cette souffrance mais aussi être considérés. Cette volonté d’exister est ici paradoxalement portée à son summum. Je l’ai constatée à plusieurs reprises au cours de ce « tour de France ». Ainsi, de ces adolescents de 18 et 20 ans, deux garçons de bonne famille à Laval, catholiques pratiquants, comme leurs parents, dont je comprends, au détour de notre conversation après la messe dominicale, qu’ils se sentent « jaloux » des jeunes garçons musulmans de leur âge, parce que ces derniers sont, à leurs yeux, plus « visibles » dans les médias, « existent davantage » à leurs yeux.
Ecouter les doléances de chacun, quelles que soit leurs convictions politiques ou religieuses, a été une constante de cette enquête, afin de les retransmettre, pour que nous puissions chacun, en notre fort intérieur, « digérer » l’information et nous rendre compte de ce que notre « vivre-ensemble » est devenu. Pour moi, il ne faut fermer les yeux et les oreilles sur rien, tout écouter, prêter attention à tous les discours, afin de pouvoir les connaître, en débattre, et, éventuellement, les circonscrire.
De la question du voile présente dans chaque ville visitée à un lieu de culte musulman incendié à Ajaccio sans réelle réaction des pouvoirs publics (qui avaient été avertis du risque), pensez-vous que la France règlera la question de sa relation difficile avec l’islam ?
La question du voile et, plus largement, celle de la cohabitation en France entre différents cultes, à l’heure où le religieux semble être devenu le refuge privé de beaucoup de nos compatriotes, reste épineuse. Il n’y a pas qu’à Laval, lors de conversations avec des jeunes catholiques, que le religieux a montré son importance : à Ajaccio, où des événements inquiétants se sont produits au lendemain du caillassage d’un véhicule de pompiers dans la nuit du 24 au 25 décembre 2015, plusieurs de mes interlocuteurs m’ont avoué être souvent « désemparés », parfois « agacés » par la visibilité des femmes voilées qui résident dans certains quartiers. Ils sont aussi surpris par leur nombre, dont chacun assure – sans aucun fondement statistique —, qu’il a augmenté. C’est un discours que j’ai entendu dans toutes les villes « moyennes » où j’avais décidé d’enquêter. En affirmant leur identité, ces « Belphégors du 21ème siècle », comme les qualifie une de mes interlocutrices, font très peur, quelles que soient leurs motivations personnelles, « alors que nous, on a peur de perdre la nôtre, d’identité », n’hésitait pas à accuser une institutrice locale.
Mon choix, à Evreux, d’écrire quelques pages, en fin de chapitre, à propos de femmes voilées par leur propre souhait, et heureuses de l’être —la conseillère Pôle Emploi de l’une d’elle affirme même qu’elle est « la joie de vivre personnifiée » ! —, a même choqué jusqu’à certains de mes collègues journalistes, qui m’en ont fait la réflexion, comme si cela n’avait pas lieu d’être mis en avant ! Voilà bien la preuve de la puissance des stéréotypes et des idées reçues sur un sujet qui reste l’objet, si je puis dire, de tous les fantasmes. Avant de pouvoir prétendre régler cette question touchant aux identités multiples de la France d’aujourd’hui, encore faudrait-il être parvenu à montrer, dans toute la richesse de leur diversité, ces identités multiples et les revendications qui en découlent.
Matteo Renzi avait successivement démissionné de son poste de président du Conseil italien, à la suite du rejet de son projet de réforme constitutionnelle ; puis de celui de secrétaire du Parti démocrate (PD). Il a réussi un premier retour dimanche 30 avril 2017 en remportant encore plus largement qu’attendu (70 %) les primaires de la formation de centre-gauche.
Le 4 décembre 2016, en effet, les Italiens avaient largement voté « non » à la réforme de la Constitution entrée en vigueur en 1948. Outre leur attachement à un texte issu de la lutte contre le fascisme, ils avaient plus généralement condamné l’exercice de M. Renzi, président du Conseil depuis février 2014, ainsi que son style politique et sa logique de personnalisation du pouvoir. « Mère de toutes les batailles », le projet visait à réduire les pouvoirs du Sénat pour mettre fin au système de bicamérisme égalitaire et à recentraliser certaines prérogatives régionales. Il devait consacrer un processus plus large de réformes, qui n’ont toutefois pas eu les effets escomptés. Celle de l’enseignement, par exemple, a été très impopulaire. Et urtout, celle du marché du travail, le « Jobs Act », s’est rapidement essoufflée, ne parvenant pas à incarner une réponse sérieuse à la crise et à la précarité croissante. Le chômage a même progressé entre fin 2015 et fin 2016, alors que les exonérations de charges pour les employeurs prévues par la loi étaient revues à la baisse.
Un point de départ et un point d’arrivée
Le départ de M. Renzi de la direction du Parti démocrate, en février 2017, s’est inscrit dans la séquence ouverte par cet échec référendaire. Le président du Conseil avait très tôt déclaré qu’il démissionnerait en cas de rejet de son projet de réforme constitutionnelle, contribuant à personnaliser le scrutin. Au cours de la campagne, il a suscité une importante opposition, jusque dans les rangs de sa formation politique. En effet, certains parlementaires démocrates se sont prononcés en faveur du « non », après avoir pourtant voté le texte lors de son examen au Parlement. Finalement, la réforme a été rejetée par 59 % des suffrages exprimés, avec une participation significative (65 %) en comparaison des dynamiques électorales précédentes. M. Renzi a donc démissionné et c’est l’un de ses proches, Paolo Gentiloni, jusque-là ministre des Affaires étrangères, qui a été nommé pour assurer la suite de la législature. Gentiloni s’appuie ainsi sur une majorité identique et quasiment la même équipe gouvernementale.
La campagne référendaire avait donc exacerbé les fractures internes au Parti démocrate, certains accusant M. Renzi d’avoir vidé la formation de son contenu démocratique. Ce dernier a fini par également démissionner de son poste de secrétaire national ; cela dans le but de provoquer l’organisation d’un congrès extraordinaire et la tenue d’élections primaires, au cours desquelles il comptait reprendre fermement la main sur le parti. Parallèlement, certaines figures ont fait scission, comme Pier Luigi Bersani – ancien secrétaire national du PD qui avait mené la campagne des élections générales de 2013 – et Massimo D’Alema, président du Conseil entre 1998 et 2000. Ils ont entraîné dans leur sillage une cinquantaine de parlementaires pour créer un Mouvement démocrate et progressiste (Articolo 1 – Movimento Democratico e Progressista, la première partie de l’appellation étant une référence explicite à la Constitution).
En cela, la large victoire de M. Renzi est tout d’abord importante car elle lui permet, après l’échec de décembre 2016, de se remettre en selle. Il importe également de rappeler que M. Renzi est un responsable politique qui n’a jamais été élu au niveau national, à l’exception donc des primaires de son parti. Il n’a effectivement jamais été parlementaire et était devenu président du Conseil après avoir remporté les primaires de 2013, poussant Enrico Letta à la démission à la suite d’une manœuvre interne au PD. Dès lors, chaque consultation électorale apparaissait comme un test de légitimité. En mai 2014, il triomphait aux élections européennes, le PD obtenant les meilleurs résultats de son histoire. En avril 2016, il semblait percevoir une sorte de consensus politique dans l’abstention des Italiens, à laquelle il avait appelé, dans le cadre d’un référendum abrogatif – qui n’avait finalement pas obtenu le quorum de participation nécessaire à sa validité – sur les forages pétroliers et gaziers en Méditerranée et en Adriatique.
M. Renzi parvient donc à reprendre la main sur son parti avec un soutien populaire significatif : il a obtenu 70 % des voix face à son ancien ministre de la Justice, Andrea Orlando (20,5 %), et au président de la région des Pouilles, Michele Emiliano (9,5 %). La participation constitue aussi un signal positif pour lui : 1,85 million de personnes se sont rendues aux urnes, ce qui est certes largement inférieur aux primaires précédentes mais au-delà des prévisions du parti. En outre, beaucoup d’observateurs considèrent qu’il s’agit d’un score important dans un contexte national marqué par une désaffection croissante à l’égard de la politique
Le premier objectif de M. Renzi est donc rempli. Le secrétaire du Parti étant celui qui mène la bataille législative, l’objectif, à terme, est bien de redevenir président du Conseil à la suite des prochaines élections générales. Ces dernières doivent normalement se tenir début 2018. Voilà donc, pour l’heure, un point de départ et un point d’arrivée. Dans cet entre-deux, toutefois, c’est bien le flou qui semble dominer.
Une course incertaine
La première incertitude – et le premier défi pour M. Renzi – est d’ordre technique : il s’agit de trouver un accord avec les autres formations politiques sur une loi électorale et un mode de scrutin acceptable. En effet, la loi électorale dont est issu le Parlement actuel, élu en 2013, a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle la même année. Cette Cour a aussi en partie invalidé la loi qui s’inscrivait dans le cadre de la réforme constitutionnelle proposée par M. Renzi, qui par ailleurs ne concernait pas le Sénat, amené à être réduit à un rôle d’assemblée consultative. Désormais, le Parti démocrate travaille sur un système proportionnel inspiré de l’Allemagne, avec un seuil électoral de 5 %.
La deuxième incertitude est d’ordre tactique : si la législature actuelle arrive à son terme en février 2018, M. Renzi n’a toutefois pas totalement renoncé à la tenue d’élections anticipées. Il faudrait pour cela que le président de la République, Sergio Mattarella, procède à la dissolution des deux chambres parlementaires. Dans cette perspective, il pourrait s’agir de voter dès cet automne ; une tentation qui renvoie à plusieurs dynamiques. À l’étranger, M. Renzi compte sur le phénomène Emmanuel Macron en France, avec qui il partage l’idée du « réformisme » comme rempart contre le « populisme » et réponse à la crise. D’un point de vue interne, il espère pouvoir s’appuyer sur sa « base électorale » des élections européennes de 2014 et du référendum de 2016 – 41 % des voix à chaque fois –, dont il semble craindre que le temps n’érode. En effet, le gouvernement Gentiloni est confronté à un grand nombre de dossiers complexes, parmi lesquels une menace européenne de procédure de déficit excessif ; la mise sous administration extraordinaire de la compagnie aérienne Alitalia ; ou le plan de sauvetage de la banque Monte dei Paschi di Siena. Surtout, à l’automne doit être approuvée la loi de finances : des élections anticipées pourraient alors permettre de voter avant que ne se fassent sentir les effets de nouvelles mesures d’austérité. Par ailleurs, le Parti démocrate pourrait enregistrer un nouveau recul à l’occasion des élections administratives qui se tiendront en juin dans certaines villes, provinces et régions.
Car là apparaît la troisième incertitude, celle-ci d’ordre politique : le Mouvement 5 étoiles, sorti renforcé du référendum de décembre 2016, est désormais le premier parti de la péninsule dans les intentions de vote. Il a également démontré l’an passé qu’il était capable de remporter des scrutins significatifs, ainsi des municipales à Rome et, plus surprenant, à Turin – au-delà d’expériences de gestion pour le moins contrastées. Le mouvement devrait faire connaître son programme de gouvernement d’ici le mois de juillet et élire les personnalités de sa potentielle équipe gouvernementale en septembre. Enfin, M. Renzi devra opérer un travail de rassemblement au sein du Parti démocrate. À gauche, il devrait également probablement être concurrencé par le Mouvement des démocrates et progressistes. Ce dernier a encore besoin de temps pour s’organiser – et donc n’aurait pas forcément intérêt à la tenue d’élections anticipées – mais ne brille pas pour le moment par son dynamisme.
Au cours de la campagne présidentielle de 2017, Marine Le Pen a tenté d’inscrire sa politique étrangère dans les pas du général de Gaulle. Se réclamer d’une lignée gaulliste peut paraître étonnant de la part de la candidate du Front national, dans la mesure où l’extrême droite – notamment son père – a toujours combattu de Gaulle, allant même jusqu’à tenter de commettre un attentat à son encontre.
Marine Le Pen évoque le gaullisme et non pas le gaullo-mitterandisme, la référence à un président de gauche lui étant sûrement insupportable. Néanmoins, peut-elle réellement se réclamer d’une lignée gaulliste ?
S’allier avec la Russie et s’opposer aux États-Unis ne suffit pas à caractériser le gaullisme. Certes, de Gaulle a entretenu des relations avec l’Union soviétique, qu’il qualifiait de « Russie éternelle ». Cependant, il s’agissait davantage pour lui de donner plus de marge de manœuvre à la France, afin de desserrer l’étau étroit de l’alliance américaine. Ceci étant, de Gaulle n’a jamais hésité à soutenir fortement les États-Unis dans les pires moments de crise, comme la construction du mur de Berlin en 1961 ou la crise de Cuba en 1962. Pour le général, la Russie n’était qu’une carte à jouer parmi d’autres, en aucun cas une relation unique, encore moins une relation de dépendance. S’il s’est fortement opposé à Washington à de nombreuses reprises, rejetant notamment l’idée d’une Europe purement états-unienne, il ne s’en est jamais désolidarisé. Le gaullisme ne se résume donc pas au schéma systématique d’opposition aux États-Unis d’une part et d’alliance avec Moscou d’autre part.
De même, François Mitterrand s’est inscrit dans cette tradition gaulliste. S’il a notamment soutenu les États-Unis lors de la crise des euromissiles en 1983, il s’est également opposé frontalement à eux, par exemple lors de la livraison d’armes au Nicaragua – contre lequel Washington était en guerre larvée – et surtout lors de la « guerre des étoiles » souhaitée par Ronald Reagan.
Il est donc historiquement exagéré de la part de Marine Le Pen de se réclamer d’une lignée gaulliste. Cette dernière ne signifie en aucun cas détruire l’Europe ou en sortir. Le général était un partisan convaincu de l’Europe, même s’il estimait qu’elle n’en faisait pas assez. Il a toujours défendu les intérêts français en faisant pression sur les autres pays européens. À l’époque, le poids de la France était plus fort puisqu’elle faisait partie des six membres fondateurs de la Communauté économique européenne et que la relation bilatérale avec l’Allemagne lui était plus favorable qu’aujourd’hui. Or, même en position de force, de Gaulle n’a jamais donné l’impression de vouloir détruire la construction européenne. Ses différends avec l’Allemagne – par exemple au sujet de la clause du traité franco-allemand de 1963 rendant l’OTAN incontournable – ne se sont jamais transformés en hostilité à l’égard de Berlin, comme l’a déclaré Marine Le Pen.
En outre, le gaullisme ne correspond ni au repli sur soi, ni à la fermeture des frontières et à l’isolement international. Au contraire, de Gaulle était partisan d’alliances tous azimut, notamment avec le Tiers-Monde. Il a notamment mis fin à la guerre d’Algérie, alors que Marine Le Pen semble bien loin d’une telle conception. Le discours général de la candidate du FN sur l’islam et les musulmans est aussi bien éloigné de la politique de réconciliation avec les pays arabes entamée par de Gaulle.
Pour de Gaulle comme pour Mitterrand, il était nécessaire d’accroître la marge de manœuvre française au sein de l’OTAN. Le général a ainsi quitté les organes militaires intégrés de l’organisation après que Washington ait refusé ses réformes. Cependant, de Gaulle a tout de même entretenu des relations avec l’OTAN, en signant des accords entre chefs d’états-majors (Ailleret-Lemnitzer) dans l’éventualité d’un conflit avec l’URSS. Il ne faut donc pas caricaturer le gaullisme avec l’image d’une relation franco-américaine uniquement conflictuelle. Tant pour Mitterrand que pour de Gaulle, les États-Unis restent un allié de la France, même s’il est parfois encombrant : il est nécessaire pour la France d’affirmer sa différence, son absence de soumission, ce qui ne signifie pas pour autant une opposition systématique. Encore une fois, Marine Le Pen fait preuve de contradiction : elle dit vouloir quitter l’OTAN et s’opposer aux États-Unis mais dans le même temps, elle a attendu – vainement – une rencontre avec Donald Trump. Sa politique envers Washington est donc très contingente, oscillant entre hostilité envers Barack Obama et offre de service à Trump. « Imagine-t-on le général de Gaulle » attendre en vain à la table d’une cafétéria une éventuelle photo opportunity ? Hormis le repli sur soi général, aux antipodes du gaullisme réclamé par Marine Le Pen, la politique étrangère du FN ne présente donc pas de fil directeur.
Lors du débat d’entre-deux tours, Emmanuel Macron a de nouveau fait référence au gaullo-mitterrandisme ; ce n’est pas la première qu’il emploie cette expression. Il a précisé sa pensée en expliquant vouloir une alliance avec les États-Unis, tout en s’y opposant si nécessaire, comme ce fut le cas pour la guerre en Irak en 2003. Il est peu probable que Macron demande la sortie des organes militaires intégrés de l’OTAN. Néanmoins, la France peut très bien rester dans l’OTAN tout en étant plus active et plus exigeante envers les États-Unis. Reste l’épineuse question de la défense anti-missile que Washington souhaite déployer en Europe et en Corée ; braquant de la sorte Moscou et Pékin, qui risquent de renforcer leur coopération au détriment des Occidentaux. La France peut jouer un rôle important en s’opposant à ce système anti-missile en Europe, qu’elle a jusqu’alors accepté. Mitterrand était lui-même isolé en s’opposant à la guerre des étoiles de Reagan mais l’Histoire lui a donné raison.
Toute référence au gaullo-mitterandisme est bienvenue lorsque l’on considère – comme moi – qu’il s’agit de la meilleure diplomatie que Paris peut conduire. En se référant de nouveau à cette lignée, Macron a envoyé un signal, plutôt de bon augure. Espérons que cet engagement soit tenu et confirmé par la diplomatie qu’il mettra en place s’il est élu président.
Le célèbre Agent 007, personnage inventé de toute pièce par l’auteur Ian Fleming après son expérience en tant qu’agent du renseignement pendant la Seconde Guerre mondiale, arrive en tête des figures les plus populaires au Royaume-Uni. Si l’on demande à l’homme de la rue ce que lui évoque la “Grande-Bretagne”, que cela soit en Europe, en Amérique du Nord ou sur le continent asiatique, James Bond arrive largement en tête, aux cotés de la Reine, du whisky Écossais et même devant Harry Potter.
L’agent du MI6 est tellement connu de tous que l’on oublie souvent ses origines, sans même oser questionner son affiliation à la Couronne. La question semble cependant d’actualité avec le référendum sur l’indépendance de l’Écosse. En effet, en cas d’indépendance, l’agent secret devra choisir entre entrer dans les futures services secrets écossais ou bien revenir dans son pays maternel, la Suisse. Une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne.
La personne de Ian Fleming est en effet pleine de contradiction. Le père de James Bond remonte à 1953, quand il apparaît pour la première fois dans le roman Casino Royal. Son père “Andrew Bond” est un écossais originaire de Glen Coe, lieu où – non sans une certaine ironie – 38 membres du clan MacDonald furent tués en refusant de prêter allégeance à Guillaume II d’Angleterre en 1692. Le film Skyfall se déroule dans cette même région. Ce dernier rappelle lui-même les origines de l’agent 007, qui même s’il affirme ne “jamais avoir aimé cet endroit”, y a passé son enfance. Tout dépendra naturellement des conditions du futur gouvernement écossais sur l’obtention de la citoyenneté et des négociations avec ce qui restera du gouvernement à Londres. Mais si celles-ci déterminent l’appartenance à l’Écosse avec le droit du sang ou le droit du sol, Bond deviendra immédiatement Écossais. D’une manière assez paradoxale, il pourrait demander la citoyenneté britannique et refuser ou cumuler la citoyenneté écossaise. Malheureusement pour Bond, cela dépendra de son temps de résidence en Angleterre, qui est probablement inférieur à 6 mois par an du fait de ses nombreux voyages ; ce qui l’empêcherait possiblement de clamer son obtention.
Cette spéculation d’une demande de 007 pour rester “Britannique” et refuser d’être “Écossais” part du principe qu’il ne souhaite pas rejoindre les futurs Services secrets écossais ; ce qui n’a rien d’une certitude dans la mesure où l’on ignore encore les avantages que ces derniers proposeront par rapport à ce qui restera du MI6. Il semble important de noter qu’à ce jour, le MI5 et MI6 sont parmi les services de renseignement les moins flexibles en termes de nationalité ; et obtenir un travail implique souvent de renoncer à la double citoyenneté, ce qui s’avérerait être un problème majeur pour l’ensemble des personnes qui y travaillent. À l’inverse, l’Écosse indépendante pourra décider ou non, comme le font beaucoup d’autres pays d’Europe, d’accepter la double nationalité dans ses services. Les origines de Bond se retrouvent dans les premiers films, dans lesquels l’Écossais Sean Connery joue le rôle du personnage avec un accent prononcé.
La mère de Bond est pour sa part originaire de Suisse, Fleming s’inspirant de sa propre fiancée Monique Panchaud de Bottens, probablement francophone. Cela explique les nombreuses aventures et séjours de 007 en Suisse, le fait qu’il parle parfaitement français et qu’il perde tragiquement à l’âge de 11 ans ses deux parents, dans un accident d’alpinisme à Chamonix-Mont-Blanc. Bond a également étudié à l’Université de Genève, probablement en français à une époque où les cours en anglais étaient plutôt rares. 007 pourrait donc probablement réclamer la double citoyenneté Suisse et envisager de rejoindre les Services secrets de la Confédération, avec un salaire bien plus conséquent ; d’autant plus qu’il parle le français mais aussi l’allemand, deux des quatre langues officielles du pays.
Il reste donc difficile de dire si l’agent secret le plus connu au monde pourra et décidera de rester dans un Royaume-Uni sans Écosse ; le Brexit jetant également une incertitude sur ses avoirs et sa capacité à voyager librement dans toute l’Europe, où il apprécie notamment de faire du ski. À ce propos, rappelons que 007 fut brièvement marié à une française d’origine Corse, qui décèdera tragiquement. Il semble donc fortement apprécier ses séjours en Europe. Les femmes du continent ne sont pas sa seule “préférence”, il apprécie aussi le champagne français Taittinger, le whisky Macallan, la vodka des pays Baltes, et le Bourbon. Ces cigarettes de prédilection sont également les Morland Specials de Macédoine.
En bref, le James Bond de Ian Fleming est “international”. Mais avec la construction de l’Union européenne, il est en réalité l’exemple type de nos jours de l’Européen qui aurait effectué un Erasmus en Suisse, aimerait certaines choses qu’il aurait découvertes lors de ses voyages dans l’espace Schengen, et serait tombé amoureux des femmes qu’il aurait rencontrées lors de ses vacances ; ce que vit actuellement toute une génération de jeunes européens sur le continent.
Sa relation de proximité avec l’Europe ne se limite pas à ses choix dans sa vie privée mais également dans son travail. Impossible de se détacher de son Aston Martin anglaise mais il lui préfère la marque bavaroise BMW, entre 1995 et 2002. Son arme, le Walter PPK, est également le fleuron de l’industrie militaire allemande, même si dans les romans de Fleming il aborde un Beretta 6.35 mm d’origine italienne.
Quelles seraient les conséquences d’une indépendance de l’Écosse pour James Bond ? La figure populaire devrait justifier son affiliation au MI6, ce qui s’avérerait difficile à concevoir sur un plan psychologique, l’agent n’ayant pas ou peu d’attachement émotionnel au pays de son père. Il serait juridiquement contraignant pour 007 de devenir un citoyen britannique au regard de la loi et du manque de flexibilité du processus de recrutement du MI5 et MI6. Cependant, rester dans un MI6 post-Brexit n’apporterait que de nombreux désavantages pour l’agent car cela rejetterait son identité “européenne”, résolument ancrée par Ian Fleming dans ses habitudes quotidiennes.
La possibilité de rejoindre les Services secrets d’Écosse s’avérerait loin d’être improbable. Premièrement car James Bond aurait la possibilité juridique de la faire sans entraves. Deuxièmement car il obtiendrait probablement une promotion au regard de son expérience au sein d’un nouveau Service, ce que ne lui propose pas l’actuel MI6.
Dans le monde réel, cela signifierait une perte nette pour le soft power de ce qui resterait de la Grande-Bretagne, qui devrait renoncer à son drapeau en même temps qu’à l’agent secret le plus connu au monde. En revanche, cela s’avérerait un splendide coup de communication pour l’Écosse, qui aurait à son service une figure populaire de renom et pourrait l’utiliser tant dans ses campagnes de recrutement pour sa future armée, que pour ses services de renseignement. 007 sera-t-il l’apanage du soft power de l’Écosse dans un avenir très proche ? Les Écossais en décideront dans les prochaines années.
Julien Damon présent sa note » Parfaire le paritarisme par l’indépendance financière ».
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Olivier Faron présent sa note : « Former, de plus en plus, de mieux en mieux : l’enjeu de la formation professionnelle ».
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Der nächste G20-Gipfel der Staats- und Regierungschefs findet am 7./8. Juli 2017 in Hamburg statt. Unter chinesischer Präsidentschaft hat sich die G20 der 2030-Agenda für nachhaltige Entwicklung der Vereinten Nationen (VN) samt der 17 Ziele nachhaltiger Entwicklung (SDGs) angenommen und beim 2016er Gipfel in Hangzhou einen entsprechenden Aktionsplan verabschiedet. Die deutsche Präsidentschaft plant nun ein »Update« dieses Aktionsplans. Welche Art von Beiträgen der G20-Staaten würde die Umsetzung der ambitionierten 2030-Agenda voranbringen? Wie können die G20- und VN-Prozesse sinnvoll verzahnt werden, gerade auch hinsichtlich der Rechenschaftslegung?
Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS
Façon puzzle Les économistes s’étripent, les partis se divisent, les intellectuels délirent, l’Eglise catholique s’empêtre, les syndicats esquivent. Des fractures qui seront difficiles à réduire. Mercredi soir, le débat entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron a incarné jusqu’à la caricature une France fragmentée, fracturée. Contrairement à 2002, aucun front républicain ne s’est dressé contre […]
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Le directeur de la Fondation pour l’innovation politique tire les leçons de la présidentielle pour le camp de François Fillon. INTERVIEW de BRUNO JEUDY Paris Match. Les appels à voter pour Macron de Fillon, Juppé ou Sarkozy ne semblent pas empêcher une partie de leur électorat de vouloir voter pour le FN ou de s’abstenir. […]
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Connu pour son engagement en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine, le géopolitologue analyse la place de son pays dans le monde. Et son rôle dans les conflits en cours.
Passé par le Parti socialiste, dont il claqua la porte en 2003, et par divers cabinets ministériels (Jean-Pierre Chevènement, Pierre Joxe), Pascal Boniface (61 ans) est le directeur fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), l’un des rares think tanks français. Mais le grand public le connaît surtout pour ses prises de position propalestiniennes et pour les passes d’armes qui en ont résulté avec des vedettes médiatiques comme Philippe Val, l’ex-patron de Charlie Hebdo, ou le philosophe et polémiste Bernard-Henri Lévy.
Le livre qu’il vient de faire paraître aux éditions Max Milo, Je t’aimais bien tu sais. Le monde et la France : le désamour ?, confirme sa propension à ruer dans les brancards. Il y manifeste une irréductible opposition à l’islamophobie et plaide pour un rapprochement avec la Russie. Parfois un peu trop général, son propos tout en franchise et en conviction ne cède en tout cas ni à la langue de bois ni au copinage
Problème de politique intérieure, l’islamophobie a-t-elle aussi un impact sur l’action diplomatique ?
C’est ce que je constate tous les jours. Les classes moyennes africaines, arabes et maghrébines sont mondialisées et cultivées. Inévitablement, les propos hostiles à l’islam et/ou aux musulmans ternissent donc l’image de la France.
En matière diplomatique, le clivage gauche-droite a-t-il encore un sens ?
Pas depuis longtemps. Il y a plutôt d’un côté un camp « gaullo-mitterrandiste » et de l’autre un camp naguère qualifié d’« atlantiste », et qu’aujourd’hui on dirait plutôt « occidentaliste ». Pour les gaullo-mitterrandiens, la France et ses alliés ne se confondent pas avec l’Occident.
Vous-même êtes plutôt gaullo-mitterrandien ?
Oui, je crois que la France n’est grande que si elle représente autre chose qu’elle-même.
Quelle ligne prévaut actuellement ?
Depuis la fin de l’ère Chirac, c’est la ligne occidentaliste. Après son refus de la guerre en Irak, en 2003, Jacques Chirac lui-même a pris peur et a opéré un virage sur l’aile. Sarkozy a confirmé la tendance et Hollande a, comme d’habitude, tenté une synthèse. Mais il n’a pas tenu parole concernant la reconnaissance de l’État palestinien, bien que ses deux ministres des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault puis Laurent Fabius, y aient été favorables.
Le ministère de la Défense et Jean-Yves Le Drian ont occupé le devant de la scène diplomatique pendant tout le mandat qui s’achève…
C’est indiscutable s’agissant de l’Afrique, en raison des opérations militaires déclenchées en Centrafrique et au Mali. Pour mener à bien ces opérations, la France a été amenée à ne point trop se soucier de la respectabilité de ses alliés africains.
La réintégration au sein de l’Otan a elle aussi contribué à donner une coloration très particulière au mandat de Hollande et à renforcer le rôle du ministère de la Défense.
Vous portez un regard critique sur cette réintégration…
Je ne dis pas qu’il faille sortir de l’Otan, mais fallait-il accepter les programmes de défense antimissiles, qui ont provoqué une inutile et coûteuse course aux armements et suscité des tensions avec la Russie ? Celles-ci influent aujourd’hui négativement sur les discussions qu’il faudrait avoir à propos de la Syrie, par exemple.
Impossible de sortir de la crise syrienne sans dialoguer avec les Russes ?
Il aurait fallu les inclure, dès le départ, dans le traitement du dossier. On sait qu’ils s’étaient sentis floués par les opérations franco-britanniques en Libye. Le renversement de Mouammar Kadhafi s’était vite substitué à l’objectif initial, qui était de protéger Benghazi, ce qui a beaucoup énervé les Russes et nous a privés de partenaires quand la Syrie a basculé dans la guerre.
D’autre part, beaucoup de gens ont cru, en France notamment, que Bachar al-Assad allait être rapidement très affaibli – ce qui ne s’est pas produit. Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est bien sûr ce bombardement américain contre une base aérienne syrienne, probablement décidé à des fins médiatiques et de politique intérieure. Il ne fait que resserrer les liens entre Damas et Moscou et éloigne toute perspective de règlement politique.
La France doit-elle reconnaître les crimes commis pendant la guerre d’Algérie ?
Il est temps de refermer les vieilles blessures. Plutôt que de s’égarer dans des déclarations unilatérales et souvent intempestives, mieux vaudrait engager un travail conjoint des historiens des deux pays. La France l’a fait avec l’Allemagne après la Seconde Guerre mondiale, ce qui a eu des conséquences jusque sur les programmes scolaires.
La Turquie a-t-elle sa place en Europe ?
Plus aujourd’hui. Le problème, ce n’est pas la Turquie elle-même, encore moins, bien sûr, le fait qu’elle soit un pays musulman, ce sont les orientations prises par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan. Elles sont en effet très loin de satisfaire aux conditions d’adhésion à l’UE définies par les fameux « critères de Copenhague », qu’il s’agisse de l’indépendance de la justice ou de son adéquation à la législation européenne.
Comprenez-vous les critiques suscitées en Afrique par la Cour pénale internationale (CPI) ?
La CPI est un progrès, mais je comprends ceux qui s’en méfient. Elle leur apparaît comme un outil « à géométrie variable », qui ne punit que les faibles. Il faut avoir le courage de demander que les ressortissants de grandes nations soient déférés devant elle – je pense par exemple à George W. Bush –, faute de quoi sa légitimité continuera d’être contestée.
Entretien réalisé par Julien Crétois pour Jeune Afrique