Qu’attendre des gouvernements européens, ces éternels « intermittents de l’Europe » (Sylvie Goulard). On peut être tenté de répondre à la question pour les gouvernements européens :oui ! ils sont complices ! Probablement à l’insu de leur volonté consciente, si non, comment expliquer leur abandon de l’espace politique, médiatique sociétal, à toutes ces forces obscures rétrogrades qui saturent tout le débat sans que soit organisée une réplique structurée? Une véritable démission des gouvernements qui se sont cachés derrière le Royaume-Uni pour ne rien entreprendre, le Royaume-Uni parti, un nouvel alibi s’est établi années après années : ne pas heurter l’opinion publique supposée gagnée par l’euroscepticisme, l’europhobie, le souverainisme xénophobe.
N’avait-on pas prédit avec un plaisir gourmand qu’en cas de victoire du Brexit , un coup décisif serait porté à la crédibilité de l’Union européenne et à la foi dans le projet européen porté par plusieurs générations de citoyens. Le sondage réalisé par IFOP dans six Etats membres cinq jours après le référendum pour le compte de la Fondation Jean Jaurès indique clairement que le soutien reste élevé(newsletter@jean-jaures.org « les européens et le Brexit, enquête et analyses »). Non seulement il reste élevé, mais il s’est renforcé. Le sondage ne reprend pas les pays nordiques réputés plus eurosceptiques , mais d’autres en quêtes donnent des résultats spectaculaires : d’avant le référendum et après, le soutien à l’appartenance à l’UE est passé de 59% à69% au Danemark, de 56% à 68% en Finlande et de 49% à 52% en Suède. Quant à la Pologne régulièrement présentée comme anti, européenne et qui a porté au pouvoir un parti souverainiste et autoritaire, elle est le plus européen avec un soutien de 89% dans l’enquête IFOP . Ce sondage post Brexit dément une autre prétendue vérité : les européens ne veulent pas entendre parler de plus d’Europe. Surtout pas plus d’Europe ? C’est très précisément le contraire que nous constatons : dans les six pays sondés des majorités consistantes se prononcent en faveur d’une armée européenne, d’un Ministère européen des finances, de l’élection d’un Président européen au suffrage universel etc … L’enquête Eurobaromètre pour le Parlement européen du mois de juin confirme cette tendance : dans une trentaine de secteurs, lutte contre la fraude fiscale, chômage, migration, protection des frontières, sécurité défense, lutte contre le terrorisme, les citoyens de l’UE demandent massivement(de 60 à 70%)plus d’action européenne et non pas moins comme le prétendent chaque jour nombre de chefs d e gouvernement apeurés devant leurs oppositions populistes et europhobes. Et comme le dit de façon excellente Jurek Kuczkiewicz du Journal le Soir dans son éditorial du 15 juillet dernier :« on vient de voir outre-Manche ce qui finit par arriver lorsque plutôt que les combattre, on emprunte les thèses europhobes pour tenter de les déjouer… »Simple politique de Gribouille. « La grande majorité des dirigeants nationaux en Europe sait parfaitement sans oser le dire à leurs opinions publiques, que sur les grands enjeux les solutions ne peuvent qu’être européennes. On voit que les opinions européennes le pensent aussi. Et elles ne demandent que cela et après la décision du Brexit encore plus qu’avant. »
Mais pour que ces prédispositions aient leur effet encore faut-il que les gouvernants s’adressent à leurs opinions avec des idées nouvelles et avec le courage de les proposer et de les défendre. Ce n’est pas la disponibilité des opinions européennes qui fait défaut, comme le prétendent les dirigeants mais les idées et le courage des dirigeants.
Alors que les risques d’un effet domino étaient régulièrement évoqués dans les medias avec un multiplication de référendums partout en Europe, les opinions publiques européennes semblent partagées sur ce scénario et peu tentées de l’appliquer pour leur pays. Et dans l’hypothèse où de telles consultations auraient lieu des majorités encore plus massives se prononceraient pour le maintien dans l’UE. Entre 63% des italiens et jusqu’à 83% des polonais rejetteraient l’exit. Une épidémie de départ n’est pas d’actualité : le Brexit a revalorisé l’appartenance à l’Union et ses bienfaits. Si l’on compare ces résultats au rapport de force observé au moment de Maastricht, le gain du camp pro-européen s’établit à 16 points. Le retour à la monnaie nationale affiche un repli dans la plupart des pays. On note aussi des opinions publiques peu enclines à faire des concessions aux britanniques. Dans tous les pays une très large majorité a plébiscité l’idée selon laquelle le noyau dur des pays fondateurs prenne rapidement l’initiative pour créer autour de la zone euro, une Europe plus intégrée politiquement et économiquement. Les scores sont massifs. Des pays comme l’Espagne ou la Pologne réalisent des scores importants ( 68 à 70 %) même s’ils sont en retrait sur ceux des pays fondateurs ( le plus souvent supérieurs à 80%).L’enquête marque un coup d’arrêt important au processus de l’élargissement. Autre point fort de l’enquête, a priorité marquée en faveur de la consolidation de l’édifice européen, à la suite de la crise ouverte par le Brexit. Principale victime, la Turquie. Le déclin prononcé de la faveur portée à l’élargissement ne constitue pas le seul facteur ayant renforcé les réticences à l’égard de la Turquie. La dégradation de la situation sécuritaire et politique avec la dérive autoritaire, la reprise de la guerre avec les Kurdes, la multiplication des attentats, pèsent également lourdement.
Conclusions : la voie solitaire du Brexit n’est pas la voie royale de la sagesse. Gouvernants et politiques doivent répéter inlassablement que c’est ensemble que nous sommes le plus forts. Souligner davantage et proclamer encore que les Européens partagent une même volonté commune de concilier efficacité économique, cohésion sociale et protection environnementale dans une démocratie pluraliste. C’est à l’Europe que revient de prendre les décisions qui traduiront cette volonté d’équilibre, unique au monde tout en soutenant croissance et emploi dans un nouveau grand plan d’investissement amplifiant le « plan Juncker ». C’est se situer loin du ton désabusé et stérile de ceux qui se complaisent à ressasser sur la crise identitaire. Notre identité est claire comme l’évidence.
Aux gouvernants et politiques d’indiquer fortement que l’Union fait la force lorsque l’Histoire redevient tragique. Promouvoir l’UE comme seule réponse possible à des menaces multiples : terrorisme islamique, chaos syrien et libyen, mouvements migratoires désordonnés, agressivité russe, prétentions turques mégalomanes, finances folles, débridées, dépendance énergétique, changement climatique, volonté de puissance irrépressible de la Chine…Autant de défis énormes qui nous obligent à partager nos souverainetés plutôt que de gloser une fois de plus et de façon stérile sur les changements du Traité et jouer au mécano ou au lego institutionnel. C’est ouvrir la boîte de Pandore du détricotage de tout ce qui a été réalisé depuis l’appel de Robert Schuman. Le récent appel des pays du Visegrad est à cet égard significatif. Pas de Parlement européen, désormais rôle accru des parlements nationaux qui devront être les derniers décideurs en dernier ressort, dans le processus législatif, renforcer le Conseil européen représentant les Etats au détriment de la Commission, la plus grande proximité possible du Royaume-Uni, hostilité à tout projet de renforcement du noyau dur autour de la zone euro et des pays fondateurs. Telles sont les conclusions de la réunion des chefs de gouvernement du groupe de Visegrad à Varsovie le 21 juillet dernier.
Les grandes lignes d’action qui viennent d’être esquissées, sont la meilleure façon de répondre aux angoisses identitaires . C’est le sens à donner aux jeunes générations. Le nouveau monde est plein de menaces mais il est aussi rempli d’opportunités mobilisatrices.
Pour en savoir plus :
-.Attentes à l’égard de l’UE, résultats de l’Eurobaromètre spécial pour le Parlement européen . Les grands enseignements https://jean-jaures.org/nos-productions/eurobarometre-special-du-parlement-europeen-les-grands-enseignements
-. L’UE malgré tout ?Les opinions publiques européennes face aux crises (2005-2015)Daniel Debomy, Institut Jacques Delors http://www.institutdelors.eu/011-23086-L-UE-malgre-tout-Les-opinions-publiques-europeennes-face-aux-crises-2005-2015.html