L’initiative citoyenne européenne (ICE) permets aux citoyens européens de demander à la Commission européenne de légiférer sur un sujet donné. D’après Frans Timmermans, Vice-président à la Commission européenne, cet outil a vocation à « rapprocher l’Union de ses citoyens »[i]
Dès 1996, lors de la conférence d’Amsterdam, les ministres des affaires étrangères d’Autriche et d’Italie avaient proposés de lancer un droit d’initiative citoyenne, mais cette proposition n’avait pas trouvé d’écho. Des propositions similaires ont ensuite figurées dans le projet de Constitution européenne. A la suite du référendum négatif, ces propositions ont tout de même été inscrites dans le Traité de Lisbonne.
C’est ainsi, grâce au Traité de Lisbonne, que le droit d’initiative voit le jour en décembre 2009. Il offrait déjà la possibilité aux citoyens européens de demander à la Commission de modifier une loi européenne.
Dès lors, représentants de la société civile et ONG s’étaient emparés de cette opportunité. L’ONG Greenpeace et Avaaz, mouvement encourageant l’activisme, avaient remis à John Dalli, alors commissaire européen chargé de la Santé, une pétition dépassant le million de signataire demandant à la Commission de cesser d’autoriser les organismes génétiquement modifiés (OGM) tant qu’un organe indépendant, éthique et scientifique ne serait pas mis en place pour estimer leur impact.
A l’époque déjà, cette demande avait été méprisée : quelques mois plus tard, la Commission avait donné son feu vert à la commercialisation de la pomme de terre transgénique Amflora.
Finalement mise en place en février 2011, l’initiative citoyenne européenne (ICE) telle que nous la connaissons aujourd’hui, est une invitation faite à la Commission européenne de présenter une proposition législative dans un domaine dans lequel l’UE est habilitée à légiférer. Elle doit être soutenue par au moins un million de citoyens européens issus d’au moins 7 pays sur les 28 que compte l’Union.
Pour lancer son ICE, il faut créer un comité des citoyens composé d’au moins 7 citoyens de l’UE résidant dans au moins 7 Etats membres différents. L’ICE ne peut pas être gérée par des associations ou organisations. Ces dernières peuvent promouvoir l’ICE, à condition de le faire en toute transparence, mais sans jamais avoir de rôle décisionnel.
Autrement dit, l’initiative doit être lancée par 7 citoyens, hors organisations, ayant au moins 7 citoyennetés différentes, et devant trouver 1 millions de signatures provenant d’au moins 7 pays de l’Union différents en 1 an.
Admettons cependant que l’ICE parvienne à regrouper 1 millions de signataires. La Commission disposera alors de 3 mois pour recevoir les organisateurs afin de comprendre plus précisément l’initiative ; organisera une audition publique devant le Parlement européen ; et enfin, adoptera une réponse officielle dans laquelle elle présentera éventuellement l’action qu’elle propose en réponse à l’initiative.
En revanche, il est important de savoir que « la Commission n’est pas tenue de présenter une proposition législative à la suite d’une initiative. » [ii] C’est-à-dire que toute cette procédure ne débouche pas forcément sur une décision de la part des instances européennes.
Pour un outil sensé combler le déficit démocratique de l’Union européenne, la procédure ressemble plus à un parcours du combattant qu’à une véritable opportunité démocratique.
Faire une balance entre réussites et échecs
Nous sommes en novembre 2017 et depuis les six ans et demi d’existence de l’ICE, seules trois initiatives sur cinquante-six présentées ont réussi à remplir l’ensemble des conditions fixées par la Commission européenne.
« Right2Water » est la première d’entre elle. L’initiative invitait la Commission « à proposer une législation qui fasse du droit à l’eau et à l’assainissement un droit humain au sens que lui donnent les Nations unies, et à promouvoir la fourniture d’eau et l’assainissement en tant que services publics essentiels pour tous »[iii]. Même si l’ICE reçoit une réponse positive ainsi que de nombreux engagements de la part de la Commission (notamment en termes d’aide au développement, d’accès à l’eau et de transparence avec le secteur de l’eau), la Commission s’est d’abord contentée de ne lancer qu’une consultation publique sur la directive « Eau potable ». Bien que positive, la réponse apportée par l’institution est décevante. Encore aujourd’hui les incidences sur l’agenda européen sont moindres, néanmoins une proposition législative prévoyant des exigences minimales de qualité de l’eau a été présentée en 2017.
La seconde initiative citoyenne européenne « Un de nous » s’est vu opposer un refus catégorique de la part de la Commission. Cette dernière demandait à l’UE d’interdire la destruction d’embryons humains, notamment dans les domaines de la recherche, de l’aide au développement et de la santé publique, et mettre fin au financement de telles activités.
La réponse de la Commission est simple : l’UE continuera à appliquer les règles éthiques strictes mais ne cessera pas ses expérimentations sur les embryons tant que les recherches font avancer la science.
Enfin, le 3 mars 2015, la Commission rend sa décision concernant la troisième ICE « Stop vivisection ». L’initiative demandait une nouvelle directive relative à la protection des animaux. Celle-ci devrait permettre de mettre fin à l’expérimentation animale et de rendre obligatoire, pour la recherche biomédicale et toxicologique, l’utilisation de données pertinentes pour l’espèce humaine. La Commission répondra que la directive existante sur la protection des animaux est suffisante, et que bien qu’elle soit convaincue que les essais sur les animaux devraient être progressivement supprimés, cette solution serait prématurée et risquerait de chasser d’Europe la recherche biomédicale. L’initiative reçoit donc un soutien relatif de la part de l’exécutif européen.
« Right2Water », « Un de nous » et « Stop vivisection », voici les trois initiatives « réussies »[iv].
Mais alors qu’entendons-nous pas « initiatives réussites » ? Finalement, est-ce le nombre de projets ayant réussi le chemin jusqu’à la dernière étape, celle de la Commission, ou bien le nombre d’initiatives ayant obtenu un changement significatif dans les politiques européennes, voir un changement législatif ?
Un manque criant de démocratie
Le collectif « Stop TTIP », regroupant 500 associations européennes, s’opposait aux accords de libre-échange entre l’UE et les Etats Unis et l’UE et le Canada. Ayant obtenu 3,2 millions de signatures via une pétition autogérée, le collectif souhaitait créer une ICE en bon et due forme. Cependant, cette initiative à essuyer le refus de la Commission. En effet, la demande des pétitionnaires ne rentrait pas dans le cadre de ses attributions. « Le règlement sur l’ICE concerne les actes juridiques que la Commission peut proposer. Il ne permet par contre pas de demander à la Commission de ne pas faire quelque chose », affirmait un porte-parole de la Commission le 7 octobre 2015.
Mais le collectif ne s’est pas arrêté là puisque les comités de citoyens à l’origine de cette demande d’initiative ont introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne.
C’est ainsi, que le 10 mai 2017, le tribunal de l’Union européenne casse la décision de la Commission et affirme que cette dernière a eu tort de rejeter l’initiative citoyenne européenne contre le TTIP. Le tribunal va même jusqu’à affirmer que cette initiative nourrit le débat démocratique.
Mise en place dans le but de donner un nouveau souffle démocratique en Europe, l’ICE affiche un bilan mitigé.
En février dernier, le coup d’envoi de l’ICE « Stop Glyphosate » (Lire aussi #LaRéplique : Questions de santé publique vs. questions économiques : les enjeux liés aux « Monsanto papers ») était donné.
L’initiative demande l’interdiction du glyphosate afin de protéger les populations et l’environnement contre les pesticides toxiques.
Environ quarante ONG sont toujours mobilisées sur le sujet puisque l’ICE à recueillit un nombre suffisant de signature et attend actuellement une réponse de la part de la Commission qui a jusqu’au 8 janvier prochain pour l’examiner.
Le sujet du glyphosate est depuis des années sur la table des décideurs politiques européens. Malgré cela, les études concernant sa toxicité ne sont pas prises en compte et le travail des associations, ONG et groupements de citoyens (prenons l’exemple du Tribunal de Monsanto) ne sont pas prise en considération.
Ce 9 novembre 2017, lors d’un vote concernant la proposition de la Commission pour un renouvellement de la licence du glyphosate pour 5 ans, les Etats membres n’ont pas réussi à se mettre d’accord. Peut-être pouvons-nous espérer que d’ici là, la Commission aura examiné l’ICE concernant l’herbicide.
Présentée comme le « premier instrument de démocratie participative transnationale », l’initiative citoyenne européenne donne le sentiment d’un instrument démocratique rouillé. La Commission semble peu se soucier des obstacles que rencontres les citoyens lors de sa longue et laboureuse procédure, tout comme leurs besoins de communiquer avec les instances européennes afin de participer à la gouvernance. En effet, lors de l’évaluation de l’ICE au printemps 2015, la Commission « confirme que les procédures et les mécanismes nécessaires au bon fonctionnement du dispositif relatif aux ICE sont bien en place ». Le Parlement européen quant à lui, demande plus de considération à l’égard de ces ICE : « si la Commission néglige des ICE couronnées de succès et largement soutenues dans le cadre du mécanisme démocratique établi par le traité de Lisbonne, l’Union européenne en tant que telle perdra en crédibilité aux yeux des citoyens ».[v]
Louise Bougot
Pour en savoir plus :
Hermès 77, L’initiative citoyenne européenne révèle l’impasse communicationnelle entre les citoyens et les institutions, 2017, p63-70
Site de la Commission européenne avec une page sur l’ICE : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/welcome?lg=fr
[i] Guide de l’initiative citoyenne européenne, 3e Edition, 2015.
[ii] Site de la Commission Européenne : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/basic-facts?lg=fr
[iii] Communiqué de presse de la Commission sur l’initiative citoyenne européenne « L’eau et l’assainissement sont un droit humain ! L’eau est un bien public, pas une marchandise ! » du 19 mars 2014
[iv] C’est le terme utilisé par la Commission européenne sur son site internet : http://ec.europa.eu/citizens-initiative/public/initiatives/successful
[v] Résolution du Parlement européen du 8 septembre 2015 sur le suivi de l’initiative citoyenne européenne « Right2Water »
Dans ma dernière chronique pour «la Faute à l’Europe» sur France Info télé, je me demande pourquoi l’UE a si peu de champions industriels notamment dans le domaine du numérique. La réponse tient en un mot: idéologie.
This Thursday, 9th November 2017, the Council of the EU – which was composed by EU ministers competent for dealing with agricultural issues in their given countries – voted against the renewal of the use for glysophate within the Union’s borders. This decision was following a lively debate happening in the EU Parliament about a month ago to reduce the Commission’s original renewal plan from 10 years to 5 years only. During the vote, the 28 skilful ministers failed to agree on letting EU farmers keep on using this particular weedkiller. This comes amid controversies about glysophate, which has been the object of a lot of environmental concerns lately.
Indeed, this particular chemical product has been credited by a 2015 World Health Organization (WHO) study as « probably carcinogenic ». This has therefore raised preoccupations among EU consumers and Green parties’ advocators about the use of glysophate by farmers in Europe. Franziska Achterberg, who works for the well-known Greenpeace NGO as a food policy director at the EU level, reacted to the news: “The Commission is trying to ram through a new glyphosate licence, despite massive scandals surrounding its main maker and the EU’s own risk assessment. A new licence is a new licence, regardless of its length. If the Commission continues to allow this toxic chemical to contaminate our soils, water, food and bodies, it is simply rewarding Monsanto for obscuring the dangers linked to its weedkiller. The EU needs to ban it now, not in three, five or ten more years”.
The vote did successfully gather half of the 28 European member states’ ballots, U.K. comprised, for backing up the Commission’s plan. However, as it required a 55% qualified majority of member states, the vote failed to reach the appropriate number of EU countries for the renewal to be granted. More precisely, 14 countries out of the 28 voted for the 5 years renewal proposed by the Commission and then modified by the Parliament; 9 voted against it; and 5 abstained. Thus, the licence which is currently used in Europe for this specific herbicide should expire by the end of this year, on December the 15th.
Even though environmentalists might consider this a victory, the fact that glysophate – which has been introduced by the infamous American agrochemical company Mosanto in 1974 – could no longer be used represent an issue for EU farmers. In fact, glysophate, despite its potential harmful effects on health and the environment, helped agriculturists reaching higher yields. Now that it might not be employed anymore, a substitute will need to be found in order to help EU farmers out, as they undoubtedly need to be as productive as possible in a world that is constantly seeking for more foodstuff.
Raphaël Moncada
For further information:
BBC News: http://www.bbc.com/news/world-europe-41928007
EU Observer: https://euobserver.com/tickers/139818
Euronews: http://www.euronews.com/2017/11/09/eu-prepares-to-vote-on-glyphosate-licence-renewal
Phys.org: https://phys.org/news/2017-11-weedkiller-glyphosate-controversial.html