Déception à l’Elysée : le Parlement européen, réuni en plénière à Strasbourg, a voté mercredi, à une forte majorité de 368 voix contre 274, contre la création de «listes transnationales» lors des élections européennes, une idée défendue avec passion par Emmanuel Macron. «La France continuera à défendre cette idée dans les mois et années à venir, car elle contribuerait à renforcer la démocratie européenne en créant un débat sur des enjeux européens et non strictement nationaux», a immédiatement réagi l’Elysée. C’est la droite du Parti populaire européen (PPE), alliée pour l’occasion aux eurosceptiques (dont les conservateurs britanniques, qui ne seront pourtant plus là lors des élections européennes de mai 2019), aux europhobes et à une partie des députés d’Europe centrale et orientale et d’Europe du Nord allergiques à toute intégration européenne supplémentaire, qui a infligé ce camouflet au chef de l’Etat français, alors que la commission des affaires constitutionnelles du Parlement en avait validé le principe à une large majorité. Cette alliance de circonstance entre un PPE pourtant dominé par la CDU d’Angela Merkel – qui semble avoir de plus en plus de difficultés à contrôler ses troupes – et les eurosceptiques obéit à de purs calculs politiciens.
Clou
Même s’il n’était question d’affecter à ces listes transnationales que 27 des 73 sièges laissés vacants par les Britanniques le 31 mars 2019, les conservateurs redoutaient que le futur président de la Commission ne soit obligatoirement issu de ce contingent, qu’il ne dominerait pas forcément. En effet, le système imposé par le Parlement européen en 2014 prévoit que la tête de la liste arrivée en tête lors de l’élection européenne soit automatiquement propulsée à la présidence de l’exécutif bruxellois. Or en l’état actuel du rapport de forces politiques dans l’Union, c’est le PPE qui arrivera en tête en 2019 et sans doute pour longtemps encore… Le seul moyen de contrer ce quasi-monopole du PPE, et donc au final de la CDU-CSU allemande, sur l’un des principaux postes européens, est donc de créer une liste transnationale (chaque citoyen européen disposant alors de deux voix, une nationale, une européenne) qui pourrait parfaitement placer en tête un candidat qui ne serait pas issu d’une des grandes familles européennes. Par exemple LREM. Un cauchemar pour les apparatchiks du PPE qui ont préféré s’allier à tous les anti-européens et refuser un pas de plus dans l’intégration communautaire plutôt que de perdre la main.
Le Parlement européen, pour bien enfoncer le clou, a lancé un avertissement au chef de l’Etat français lequel n’a pas caché que, faute de listes transnationales, il militerait pour que les chefs d’Etat et de gouvernement nomment à la majorité qualifiée le président de la Commission, comme avant 2014. Car, pour Macron, le système actuel n’a aucune légitimité démocratique, la tête de liste étant désignée par un parti politique sans même être obligée de se présenter aux élections européennes, comme ce qui fut le cas pour Jean-Claude Juncker, l’actuel président de la Commission. Dans une résolution, ils ont donc prévenu que, dans un tel cas, ils voteraient systématiquement contre le candidat présenté s’il n’était pas la tête de la liste arrivée en tête. Même si le Parlement issu des élections de 2019 ne sera pas celui qui a adopté cette résolution, il ne fait guère de doute que les futurs élus et surtout les partis politiques européens refuseront de se laisser dépouiller d’une partie essentielle de leurs pouvoirs…
Charge
Lot de consolation pour Macron : la France obtient dans l’affaire cinq sièges de députés européens supplémentaires, la représentation française passant de 74 à 79. En effet, les 73 sièges (sur 751) que les députés britanniques occupent deviendront vacants le 31 mars 2019 : si, en bonne logique, le nombre d’eurodéputés aurait dû passer de 751 à 678, le Parlement a préféré utiliser une partie de ces sièges pour corriger les déséquilibres les plus scandaleux dans la représentation des citoyens européens.
Cette proposition du Parlement doit désormais être adoptée à l’unanimité des Etats membres en juin. Emmanuel Macron en profitera sans doute pour revenir à la charge sur les listes transnationales même s’il a peu de chance de triompher.
Photo: REUTERS/Charles Platiau
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Ma dernière chronique dans «La faute à l’Europe», sur France Info télé.
« Quelle est la différence entre Martin Selmayr et Dieu ? Dieu sait qu’il n’est pas Martin Selmayr ! » Ce mot assassin, attribué à Wolfgang Schäuble, l’ancien ministre des finances allemand, fait fureur à Bruxelles et fait même rire celui qui est visé par cette pique, le « chef de cabinet » (équivalent des directeurs de cabinet français) de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission depuis novembre 2014. « Raspoutine », « le monstre », « l’éminence grise », « le prince de la nuit », « le menteur », tels sont les sobriquets les plus aimables dont on affuble cet Allemand de 47 ans en légère surcharge pondérale et au visage toujours poupin que beaucoup considèrent comme le vrai patron de l’exécutif européen ou, à tous le moins, comme son numéro deux, le Néerlandais Frans Timmermans titulaire officiel du job n’étant là que pour la galerie. Un rôle qu’aucun chef de cabinet n’a eu avant lui, pas même Pascal Lamy, le « moine soldat » de Jacques Delors, président de la Commission entre 1985 et 1995 : s’il faisait, lui aussi, le sale boulot de son patron, il n’a jamais prétendu prendre sa place. Avec Martin Selmayr (prononcez Martine Sèlmaïer), le doute est plus que permis.
La rondeur de ses formes, son physique passe-partout et sa courtoisie toute germaine ne doivent pas faire illusion : ils dissimulent un caractère tranchant et manipulateur associé à une intelligence hors pair, une compétence incontestée et à une force de travail peu commune. « Les autres chefs de cabinet ont tellement peur de lui qu’ils ont pris l’habitude de se réunir régulièrement afin de discuter de sa psychologie et de s’organiser pour lui résister, prévenir ses lubies, parer ses coups », raconte un haut fonctionnaire. Car la réunion des « chefs cab » du lundi après-midi, celle au cours de laquelle la plupart des décisions sont prises, les vingt-huit commissaires ne discutant, le mercredi matin, que des quelques points encore en suspens, est devenue un enfer redouté : « humiliant, insultant, autoritaire, ne cachant pas son mépris pour les médiocres, il a fait craquer certain de mes collègues qui sont sortis de là en pleurant », témoigne un « chef cab ».
« Je veux bien reconnaître que je n’ai pas été tendre, mais seulement avec le chef cab finlandais (qui vient de démissionner, NDLR) », s’amuse Selmayr. Puis sérieux : « on exagère beaucoup ma brutalité, alors que la brutalité fait partie intégrante de cette maison ! La Commission n’est pas une école Montessori ». Pourtant, même les commissaires, tous des politiques qui ne lui doivent absolument rien, le craignent : l’un d’eux, qui a été plusieurs fois ministres dans son pays, m’a confié à voix basse en regardant par dessus sont épaule qu’il ne s’était pas opposé à ce que le collège n’ait pas eu son mot à dire avant la publication d’un document sur l’avenir de l’Union, en mars dernier, pourtant rédigé par les seuls Juncker et son âme damnée, « parce qu’il ne voulait pas se fâcher avec Selmayr »…
Un des pires défauts du personnage est son goût pour le mensonge : « il ment comme un enfant, il peut dire exactement le contraire de ce qu’il a dit une seconde avant », raconte un eurocrate. « Il est incapable de reconnaitre qu’il ne sait pas et va vous inventer le PIB de l’Estonie avec un aplomb sidérant ». Les journalistes – Britanniques et Allemands pour la plupart- qu’il honore de ses confidences et qui lui ont fait confiance l’ont chèrement payé et l’évitent désormais comme la peste.
« Une fois qu’il a été sûr de son pouvoir, au bout d’un an, son style s’est un peu adouci », précise un eurocrate : ce bourreau de travail - qui épuise ses équipes et débarque au bureau à 8 heures du matin et en repart rarement avant 23 heures - nous « a annoncé qu’il allait rentrer plus tôt chez lui, partir en week-end, voir sa femme. Il nous a un peu lâché la bride, nous a fait davantage confiance ». Mais la laisse reste courte, très courte. Selmayr ne recule pas devant le micro-management aidé en cela par sa femme, elle aussi « Volljurist ». Ce couple sans enfant partage beaucoup : « on a vu des notes revenir avec des post-it avec l’écriture de son épouse que Martin avait oublié d’enlever », raconte un haut fonctionnaire. « Cela étant, heureusement qu’il est là pour faire tourner la boutique », admet l’un de ses critiques qui reconnait que l’administration n’est pas facile à faire bouger. Et puis, il y a des soupapes de sûreté : « Martin picole pas mal, c’est son côté étudiant allemand, et là il devient plus sympa, plus humain », raconte un témoin.
Pour s’imposer au sein de la Commission, l’intelligence, le travail, le caractère restent insuffisants : il faut aussi en connaître les rouages sur le bout des doigts, ce qui est le cas de Selmayr comme en témoigne son parcours : il ne lui a pas fallu dix pour se hisser au sommet de la bureaucratie bruxelloise. Ce « Volljurist », après avoir obtenu sa thèse (qui portait sur l’euro) à l’Université de Passau (une ville de Bavière à la frontière autrichienne où sa future épouse a fait, au même moment, les mêmes études que lui), est embauché par Bertelsmann, le géant allemand des médias, un monde qui le fascine. Ce rejeton de bonne famille, petit-fils de deux anciens officiers de la Wehrmacht devenus d’importants généraux de la Bundeswehr, fils d’un juriste de haut vol qui a conseillé deux chanceliers, a alors 31 ans : « les études juridiques sont très longues en Allemagne », se justifie-t-il.
En 2002, Bertelsmann l’envoie à Bruxelles où il rencontre l’un des hommes les plus influents de la place, le député européen Elmar Brok (CDU, démocrate-chrétien), qui siège à ce moment-là à la convention chargée de rédiger le fameux traité constitutionnel que les Français et les Néerlandais enterreront en 2005. Selmayr, même s’il n’est pas encarté à la CDU, vient de rencontrer son parrain. « Il m’a demandé de rédiger un projet de constitution », raconte-t-il : « beaucoup des amendements déposés par le PPE (conservateurs européens) viennent de là », se rengorge-t-il. C’est aussi pendant les travaux de la convention, qui s’achèvent en 2003 ; qu’il rencontre la commissaire européenne Viviane Reding, une Luxembourgeoise chrétienne-démocrate en poste depuis 1999. Elle le presse de la rejoindre : Selmayr, qui parle couramment français, anglais et polonais en plus de l’allemand, réussit sans problème le concours de fonctionnaire européen et se retrouve bombardé, en 2004, porte-parole de celle qui vient d’hériter du portefeuille de la société de l’information et des médias dans la première commission Barroso.
C’est avec Reding qu’il découvre qu’il peut prendre le contrôle des personnes qu’il sert : « il a le goût des coups et parfois des coups de génie », reconnaît un haut fonctionnaire, « ce qui en interne suscite à la fois admiration et jalousie ». Par exemple, la fin du roaming téléphonique imposé aux Etats et aux opérateurs, c’est lui, même si c’est sa commissaire qui en tirera les bénéfices politiques. Reding ne l’oubliera pas en le nommant en 2009 chef de son cabinet, lorsqu’elle est reconduite pour la troisième fois comme commissaire, mais cette fois au poste des affaires intérieures. Il la poussera à affronter Nicolas Sarkozy sur la question des Roms roumains… Selmayr en profite pour tisser sa toile : « il reconnaît le travail fourni et promeut des gens qui sont ensuite prêts à mourir pour lui, comme la Bulgare Mina Andreeva ou la franco-britannique Natasha Bertaud » qui ont aujourd’hui la haute-main sur le service du porte-parole, raconte un chef cab.
Selmayr affirme que c’est Juncker qui est venu le chercher en mars 2014 pour diriger sa campagne pour les élections européennes du mois de juin, celle qui le propulsera à la tête de la Commission. Une autre version veut que ce soit lui qui soit allé chercher le Luxembourgeois qui n’avait alors aucune envie de mener ce combat et préférait viser celui plus pépère de président du Conseil européen. En jouant habilement des médias, il réussit à forcer la main d’Angela Merkel qui considérait qu’il revenait aux chefs d’État et de gouvernement de désigner le président de la Commission et non au Parlement européen qui voulait élire la tête de la liste arrivée en tête aux élections. Berlin gardera un chien de ma chienne à cet homme si peut respectueux de son pays : de fait, Selmayr, et c’est un avis unanime, n’est pas Allemand, mais Européen et même fédéraliste européen. Juncker sait ce qu’il lui doit et le soutient donc totalement, une situation de force inédite dans l’histoire de la Commission : « Juncker a plus besoin de lui que lui de Juncker », résume crument un eurocrate.
De fait, si on prête beaucoup de pouvoirs à Selmayr, c’est parce que Juncker lui en accorde beaucoup et se repose entièrement sur lui sans qu’on sache très bien si le premier ne pousse pas le second dans les travers qui lui ont valu de perdre le pouvoir au Luxembourg : ne quitter qu’en de rares occasions son bureau, ne parler aux gens que par téléphone, mépriser ses ministres au point de ne jamais les recevoir, tenir peu de conférences de presse… Si bien que beaucoup affirment que Selmayr a enfermé son patron dans son bureau du treizième étage du Berlaymont, le siège de la Commission, ce que l’intéressé dément fermement : « vous croyez sérieusement que je pourrais enfermer Juncker ? », s’esclaffe-t-il.
L’anecdote fondatrice de la légende Selmayr remonte au premier semestre 2015, en pleine négociation du plan Juncker de relance économique, lorsque les deux commissaires chargés du dossier, Jyrki Katainen, et la commissaire au budget, la Bulgare Kristalina Georgieva, découvrent qu’il a négocié dans leurs dos avec le Parlement et les États. Furieux, ils débarquent dans le bureau de Juncker qui les met dehors sans ménagement : « s’il fait votre boulot, c’est de votre faute… » Plus personne n’osera ensuite se plaindre de « Martin ». « Quand il dit tranquillement dans la presse allemande que les commissaires sont des somnifères, c’est qu’il se sent autorisé à le dire », affirme un bon connaisseur de la Commission.
Ce n’est pas un hasard « si toutes les décisions remontent chez lui et pas chez Juncker », souligne un eurocrate. Selmayr s’est d’ailleurs arrogé, dès novembre 2014, le pouvoir de désigner qui il entend aux postes de direction de la Commission : une modification du règlement intérieur a, en effet, confié le pouvoir de nomination au seul président de la Commission, ce qui signifie à son chef de cabinet. Et il veille à ne pas promouvoir des personnalités qui pourraient lui faire de l’ombre, à l’image du Néerlandais Alexander Italianer, bombardé secrétaire général de la Commission, LE poste clef de l’exécutif : un homme compétent, mais trop aimable pour être combatif et surtout en fin de carrière, ce qui pourrait donner un point de chute à Selmayr en novembre 2019 quand Juncker quittera ses fonctions. C’est d’ailleurs là que se situe l’une des perversions du système : tous les commissaires ayant choisi des fonctionnaires comme chef de cabinet, aucun d’eux n’ose s’opposer à celui qui peut décider de leur carrière…
Cette orgie de pouvoir a pris un goût de cendre en mai 2017, avec l’élection d’Emmanuel Macron à la présidence de la République française. Comment son cadet, qui fut son égal comme « sherpa » (négociateur) de François Hollande, a-t-il réussi en si peu de temps un tel hold up dont il ne peut même pas rêver ? Un hold up à côté duquel ses manœuvres pour s’imposer comme l’homme fort de la Commission ne sont que des enfantillages. Une vraie blessure narcissique pour celui qui sait désormais que, quoiqu’il fasse, son ambition ne l’emmènera sans doute jamais au-delà du Berlaymont et qu’il restera pour longtemps un homme de l’ombre davantage craint qu’aimé. Seul échappatoire à cet anonyme destin , le retour à ses amours de jeunesse, le droit et la recherche : il évoque un poste de professeur à l’Institut européen de Florence en insistant sur le fait qu’il ne faut pas sous-estimer cette dimension de sa personnalité. Doit-on le croire?
N.B.: version longue du portrait publié jeudi 1er février dans Libération. Les contraintes de place, toujours...
Photo: Albert Facelly