La Croix : Quelle est la portée de la demande de pardon publiée vendredi 20 avril par l’ETA ?
Jean-Jacques Kourliandsky : L’organisation n’a plus aucun écho au sein même du Pays basque. Elle comptait encore 1 000 activistes, selon le gouvernement espagnol, en 2000. Elle n’en avait plus qu’une cinquantaine lors du cessez-le-feu en octobre 2011. Dans ces conditions, rendre les armes, comme ils l’ont fait l’an dernier, était assez théorique, puisqu’il n’y avait plus grand monde pour s’en servir.
Progressivement, la complicité sociale dont bénéficiait l’ETA s’est dissoute. Le mouvement politique indépendantiste basque Batasuna a pris ses distances avec l’organisation avant de finalement rompre avec ETA. Batasuna a estimé que sa démarche vers plus d’autonomie avait plus de chances de porter des fruits que des bombes. Les attentats de Madrid, en 2004 – attribués dans un premier temps à l’ETA par le gouvernement Aznar – ont été un vrai choc pour les Basques. Ces attentats islamistes ont disqualifié aux yeux de tous les Espagnols le terrorisme d’où qu’il vienne. En ce sens, le succès actuel en Espagne du livre « Patria » de Fernando Aramburu est révélateur. Il raconte l’histoire de familles basques pendant l’époque du terrorisme.
Peut-on comparer le scénario basque à ceux de l’Irlande du Nord et de la Colombie ?
J-J. K. : En Colombie, la démobilisation des FARC a concerné 7 000 combattants. C’est loin d’être le cas pour l’ETA. En Irlande, le mouvement politique Sinn Féin a pu rompre sa subordination à l’IRA, grâce à l’appui des gouvernements britannique et irlandais. Cela a permis au Sinn Féin d’imposer la paix à l’IRA.
En Espagne, les contacts entre Batasuna et Madrid ont été interrompus avec l’arrivée au pouvoir en 2011 du Parti populaire de Mariano Rajoy. La démobilisation de l’ETA est due aux pressions combinées de Batasuna et du gouvernement basque. Celui-ci est le fruit d’une alliance entre les partis nationaliste et socialiste basques.
Le parti nationaliste basque joue la carte du compromis, dans le cadre espagnol, pour négocier plus d’autonomie. Actuellement ses députés à Madrid monnayent leurs votes en faveur du budget espagnol – déterminants pour la majorité de Mariano Rajoy – contre 500 millions d’euros d’investissements dans le Pays basque.
Comment les Basques vivent-ils la situation en Catalogne ?
J-J. K. : Au Pays basque, comme en Catalogne, le gouvernement espagnol refuse tout dialogue avec les acteurs locaux politiques. Les nationalistes catalans ont considéré que ce blocage leur permettait de violer la loi. Ils sont tombés dans le piège du gouvernement espagnol qui a demandé à la justice de juger les hors-la-loi. Ce pourrissement du dossier catalan a fabriqué de la sympathie pour Madrid dans le pays.
Le parti nationaliste basque, qui représente 37 % de l’électorat de la province, ne condamne pas le parti catalan mais n’est pas d’accord avec sa stratégie. En fait, ces Basques considèrent que l’indépendantisme est une idée du XIXe siècle. Ils jouent à fond la carte de l’Europe. Elle est pour eux une machine à fabriquer une autonomie plus large. C’est cette Europe qui a signé la disparition de la peseta pour l’euro. C’est elle qui a aboli les frontières avec Schengen.
Propos recueillis par Pierre Cochez pour la Croix
Cuba vit un moment historique. Unique candidat, le numéro deux du régime Miguel Diaz-Canel vient d’être élu par l’Assemblée nationale de l’île en tant président de Cuba. Cette transition marque la fin du pouvoir des frères Castro, Fidel puis Raoul, à la tête du pays depuis 1959. Le système de parti unique, dans lequel Raoul Castro reste cependant le Premier secrétaire général, interroge sur la marge de manœuvre du nouveau chef d’Etat, le castrisme ne semblant pas avoir donné son dernier mot. Pour nous éclairer, le point de vue de Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur à l’IRIS.
Peut-on dresser un bilan des dix années au pouvoir de Raul Castro, marquant la fin de la génération historique de la révolution à la tête de l’État ?
Raul Castro a assuré une continuité évidente. Il a succédé à son frère Fidel Castro, sans toucher au gouvernement de parti unique. Cela étant, Raul Castro a durant sa présidence assoupli un certain nombre d’éléments, notamment dans le domaine des droits de l’Homme. Désormais, les Cubains peuvent avoir accès à internet et voyager à l’étranger. Dans le domaine économique, l’ancien chef d’État a favorisé le « secteur privé », sous l’appellation des personnes qui ont des activités personnelles en propre. Il a également favorisé l’accès à la terre, les terres en friche, pour des agriculteurs individuels et pour des coopératives. Il a assoupli le droit de propriété en donnant la possibilité de vendre son appartement.
L’événement marquant de ses années au pouvoir reste évidement le rétablissement des relations diplomatiques avec les Etats-Unis en 2014, confirmé par la visite de Barack Obama sur l’île en 2016.
Cela dit, il n’y a pas eu de changement fondamental dans le système politique cubain, et non plus une évolution clairement affirmée en direction d’une économie de marché, comme ont pu le faire le Vietnam et la Chine, tout en souhaitant préserver l’idéologie communiste.
Miguel Diaz-Canel va-t-il incarner une nouvelle ère ou simplement rester dans la continuité de ses prédécesseurs ? Que reste-t-il finalement de l’esprit révolutionnaire du Parti communiste cubain au sein de la population ?
Le nouveau président va se situer pour l’instant, et jusqu’à au moins 2021, dans la continuité de ses prédécesseurs. Le discours qu’a prononcé Miguel Diaz Canel, bien que né après la révolution et fêtant aujourd’hui son 58e anniversaire, aurait pu être prononcé par Raul Castro. Il devrait prendre la place de son prédécesseur au poste de Premier secrétaire général, Raul Castro souhaitant quitter la tête du parti unique en 2021. Dès lors, il sera opportun de voir à cette échéance si le nouveau président s’inscrit dans une continuité, qui est celle de maintenir l’essentiel du système en pratiquant des réformes économiques à la marge, ou s’il se révèle être un « Gorbatchev » cubain avec de profondes réformes. Pour les trois années à venir, il ne faudra pas s’attendre à quelque chose de fondamentalement nouveau de sa part.
Concernant la ferveur révolutionnaire, les Cubains participent toujours largement à la fête du 1er mai et à l’anniversaire de la révolution, mais cela relève plus du rituel social que d’une adhésion au régime, sans qu’il y ait pour autant une opposition massive à la figure des Castro, ou une remise en cause du processus révolutionnaire.
Quels sont les défis qui attendent Miguel Diaz-Canel ?
A l’heure actuelle, il ne faut pas s’attendre à une modification de la politique ainsi qu’à de grandes décisions de la part du nouveau président. Le pays est dirigé par une sorte de « consulat », Raul Castro restant le Premier secrétaire général du Parti communiste cubain (PCC). Cuba est un régime politique à parti unique, permettant au secrétaire général d’avoir un poids extrêmement important sur la politique du pays. Dès lors, Raul Castro garde les clés des grandes orientations politiques et donc une mainmise sur le futur proche de Cuba.
Les défis vont essentiellement être économiques durant le mandat de Miguel Diaz-Canel. En effet, la préoccupation de la majorité des Cubains n’est pas le changement du système politique, mais concerne davantage une amélioration de la vie quotidienne qui demeure difficile. Le nouveau président a eu un mot dans son discours au sujet de la vie des Cubains, souhaitant que son peuple puisse vivre mieux. Ce qui pose le redoutable défi de mettre un terme au double système monétaire. Au sein de la population, cette inquiétude s’illustre sous différentes formes. Avec la possibilité de sortir du pays qui n’existait pas avant 2013, il y aurait autour de 60 000 jeunes cubains qui quitteraient chaque année leur pays pour rejoindre leur famille, soit aux Etats-Unis, en Espagne ou bien en Amérique latine. Quant à ceux qui restent à Cuba, de nombreuses personnes ont deux professions, la seconde généralement liée au tourisme, pour assurer une vie convenable à leur famille. Les Cubains qui sont dans la plus grande difficulté sont ceux qui n’ont pas de famille à l’étranger qui puisse les aider financièrement, ou ceux qui ne connaissent pas de langues étrangères, les empêchant de bénéficier de la forte présence touristique à Cuba. Les retraités, bien que bénéficiant de cartes alimentaires privilégiées, sont les moins bien lotis, car cette aide ne leur permet pas de s’alimenter correctement les 30 jours du mois.
Dans ce contexte, le nouveau chef d’État va devoir faire des choix de partenariat diplomatique et économique. Il y a quelques temps, Cuba bénéficiait de livraisons de pétrole à des prix préférentiels du Venezuela, que Caracas est de moins en moins en mesure d’assurer. En 2014, La Havane a fait le pari d’une ouverture avec les Etats-Unis et l’arrivée massive de touristes. Ces espérances ont été refroidies depuis la présidence de Donald Trump. Le chef d’État nord-américain ne remet pas en cause le rétablissement des négociations diplomatiques, mais il ne souhaite manifestement pas faciliter la vie des Cubains. Le renforcement des relations avec les pays d’Amérique latine ou d’Europe s’avère également limité. Dès lors, l’option qui paraît la plus probable pourrait être un approfondissement des relations avec la Chine, une Chine affichant de nombreux intérêts dans cette région, et qui est de plus en plus déjà présente sur l’île.
Le huitième président de la cinquième République propose une vingt-cinquième révision de la constitution, et au-delà, car tout n’est pas constitutionnel dans ce projet de réforme, de nos institutions.
Le 8 avril dernier, le parti de droite Fidesz est sorti gagnant des élections législatives hongroises pour la troisième fois consécutive, maintenant ainsi Viktor Orbán au pouvoir pour quatre années supplémentaires.
As hopes of a broad Eurozone reform are fading, Europe is once again confronted with a complex political equation. Emmanuel Macron’s election last year was expected to usher in a new era of trust among member states, and especially between France and Germany. The story went that, while France would send the “right signals” to Berlin in terms of structural reforms, Angela Merkel would in return bypass her country’s aversion to risk sharing and accept the core of Macron’s proposals aimed at fixing the Eurozone’s flaws.
Last September’s federal election in Germany undoubtedly helped to derail those plans. Not only has the governmental crisis delayed European negotiations on these issues by several months, but the electoral surge of the far-right Alternative for Germany (AfD) has translated into increased pressure on the entire political spectrum, away from any commitment to bold European reforms. Despite the optimism that dominated European debates until recently, the horizon was, however, already far from clear, even before the election complicated the situation further.
French policy circles in particular tended to downplay Germany’s persistent financial taboos, which preclude decisive steps towards a substantial common budget or a genuine banking union with a joint deposit insurance, not even to mention debt pooling or the reviled notion of a “transfer union”. Macron had not even been installed as president that Wolfgang Schäuble, then Germany’s finance minister, voiced his opposition to any ambitious reform, as he was more concerned about the Eurosceptic turn he foresaw in his country. Though strict and inflexible in crisis negotiations, Schäuble remains a sincere, old-school European federalist, in his own way.
When countering Macron’s proposals, he at least bothered to advocate alternatives of symbolic significance, such as transforming the European Stability Mechanism into a “European Monetary Fund,” which could provide assistance even outside episodes of systemic crisis. During the coalition talks that were later taking place in Berlin, a majority of French commentators tried to stick to the faith that the coalition would put Europe (and Eurozone reform) first, under the impulse of Martin Schulz, until he finally had to throw in the towel. Yet, coalition parties, while perpetuating Schäuble’s overall stance and trying to strike a more consensual tone, now even seem to be backtracking on other minor concessions that he implied before the German election.
This is hardly surprising if one takes on board the diverging definition of the monetary union on either side of the Rhine. These differences were visible as early as the 1980s during early discussions of a single currency, in the already complex environment of the exchange rate mechanism (ERM). While the elites of France and Italy expected the ultimate cause of monetary and political unification to prevail, economies further diverged throughout the early phase of the euro in the 2000s, and defiance surged on all sides as a result of the euro crisis. Simultaneously, the very notion of a grand plan following the course of history has diverted attention from real economic trends and the worsening political divide both within and among European countries. Quite paradoxically, while convergence towards Germany was set as the ultimate goal of European cooperation, actual interest in the country, in its culture and its complex economic reality plummeted. On specific subjects like Eurozone reform, this contradiction resulted in overly optimistic assertions.
Although this confusion could have been avoided by means of a more realistic assessment, a wave of resentment seems to be setting in. While Emmanuel Macron convenes the public message that the European agenda remains unchanged, many among the advocates of a federal Europe à la française have already begun to express their disappointment and to fulminate against the German government’s lack of commitment. Optimism easily morphs into trepidation.
As a result of these tensions, tacit arrangements, for example over the appointment of Jens Weidmann as ECB President next year, could be put into question, and contentious issues related to trade imbalances could come to the fore. While the euro will remain an unfinished monetary union in the foreseeable future, new lines of cooperation will have to emerge, which will probably centre less on institutional constructs and more on investment, technology and other concrete steps aimed at making European economies converge on the upside.
In December 2018, the United Nations General Assembly is due to adopt a “Global Compact for Safe, Orderly and Regular Migration” and a “Global Compact on Refugees”. These initiatives are intended to give new momentum to the international cooperation in refugee and migration policy. The first drafts are promising, but the “Zero Draft” for the Refugee Compact is not yet ambitious enough. With regard to the ongoing negotiations on the Refugee Compact, the German government should, in particular, submit proposals on how to strengthen the implementation of the Compact, how to improve the resettlement of refugees, and how to provide sustainable financial support to host countries.
European attitudes towards China and its Belt and Road Initiative are changing. While the People’s Republic under Xi Jinping is the only country in the world pursuing a global vision, distrust of China’s expanding influence is growing. As a consequence, the European debate about China is becoming increasingly emotional with interpretations fluctuating between alarmism and reassurance. Ideas about the ‘essence of China’ and expectations that the country should fit into the liberal order according to Western standards, however, threaten to limit Europe’s scope of action in dealing with the People’s Republic. In order to develop strategies for a confident German and European policy, China’s current global political approach should be considered systematically. Based on the features of China’s ‘connectivity politics’ (Konnektivitätspolitik), Germany and the EU could formulate policy options that go far beyond the realm of infrastructure.
Quels sont les marqueurs de ces mouvements étudiants et de cette nouvelle génération ?
On trouve des points communs dans les “causes” avec les mouvements des années 70 (remises en cause du capitalisme, de l’autorité , modes d’action etc) mais les affrontements entre groupes de type extrême gauche (anarchistes, trotskystes) et extrême droite (Occident, Gud…) ont quasiment disparu. La différence majeure tient au fait ce n’est plus une culture politique commune qui fédère ces groupes, parce que « tout simplement » ils savent qu’ils ne changeront rien et ont intégré la défaite. Le nihilisme caractérise cette génération plus que les autres.
Tout est remis en question, et pas seulement la légitimité des autorités universitaires, qui par ailleurs semblent douter elles-mêmes de leur propre légitimité! Ce sont des activistes dépolitisés, des gens intelligents et diplômés qui remettent en cause tous les savoirs, et qui ne font aucune projection dans l’avenir. Ils n’ont pas vraiment d’idées à mettre en avant ou à défendre ni de but précis. Une seconde caractéristique découle directement de ce constat : désormais c’est l’action, son efficacité et son résultat qui prime et qui devient leur élément structurant.
Le recours à l’occupation d’universités et au blocage de lieux publics a toujours existé comme mode d’action, mais les mouvements actuels révèlent-ils des bouleversements dans la société actuelle ?
On retrouve bien sûr des procédés communs avec les années 70, mais les intentions n’ont plus grand-chose à voir! Dans les ZAD, une partie des occupants peut croire dans l’idée d’un « laboratoire innovant » mais on est quand même très loin du communautarisme “hippie” incarné par le Larzac. Les zadistes cherchent surtout un lieu repli sur soi, le but de leur autosuffisance étant surtout de pouvoir se couper de la société, à l’image des groupes survivalistes. La Zad de Bure n’est plus vraiment un lieu de contestation du nucléaire.
Dans un communiqué, les étudiants de Sciences Po dénoncent une « école qui sert de laboratoire aux politiques d’éducation néolibérales et racistes telles que celles orchestrées aujourd’hui par le gouvernement ». Le blocage de Sciences Po est-il révélateur d’un changement au sein même de la « fabrique des élites »?
Oui, avec un phénomène nouveau de désintérêt de ces futures élites pour des parcours pourtant prestigieux en entreprise ou dans les cabinets ministériels. Une partie de ces étudiants n’adhèrent plus à ce modèle, car ils ne croient pas non plus dans un quelconque changement, y compris à des postes élevées. C’est un signal inquiétant pour le pouvoir et pour Emmanuel Macron, qui est l’incarnation de cette élite mondialisée, sociale-démocrate bon teint, etc. Le vrai danger de ces mouvements, c’est leur éloignement et leur indifférence aux projets de société qu’on leur impose.
Read more at http://www.atlantico.fr/decryptage/blocages-dans-universites-retour-aux-annees-70-ou-nouvelle-ere-eddy-fougier-3368366.html#3bhERG8iT8q6YQhR.99
Jean-Paul Tran Thiet, avocat et contributeur régulier de l’Institut Montaigne, nous livre ici son analyse du projet de loi actuellement présenté par le gouvernement.
Le 16 et 17 avril, Justin Trudeau rendait visite à Emmanuel Macron lors de son premier voyage diplomatique en France. C’est également la première fois qu’un Premier ministre canadien s’exprimait devant l’Assemblée nationale.
En la última década se han modificado las rutas de transporte, se han transformado las organizaciones criminales y también ha cambiado el mercado internacional. Estos cambios son especialmente relevantes para España, principal país distribuidor europeo.
Le président français s’est exprimé hier pour la première fois devant les eurodéputés au Parlement européen à Strasbourg pour évoquer sa vision de la réforme de l’Union européenne, et en particulier de la zone euro. Or, l’absence de concession du nouveau gouvernement allemand crispe les ambitions de la France. La visite du président français à Berlin ce jeudi va peut-être permettre à ces deux pays de refonder leurs liens, importants pour l’avenir de l’UE. Le point de vue de Rémi Bourgeot, économiste et chercheur associé à l’IRIS.
Que doit-on retenir de la réforme sur l’Union européenne présentée par le président français ?
Le projet initial d’Emmanuel Macron pour la réforme de l’UE se concentre sur la zone euro, avec l’idée d’approfondir l’union monétaire par le biais de deux mécanismes : un renforcement de l’union bancaire et la création d’un budget spécifique pour la zone euro. Toutefois, ces négociations s’avèrent très difficiles, notamment avec Berlin, dont les réticences traditionnelles sur les sujets touchant à la solidarité financière et aux transferts entre pays membres sont renforcées par la crise politique.
À l’occasion de son discours devant le Parlement européen à Strasbourg, la question de la zone euro n’a dès lors pas était centrale, du fait de l’impasse sur cette question. Par souci d’insister sur la notion « d’Europe des peuples » et d’amorcer une négociation au sein de l’Union, le président français a davantage focalisé son discours sur des sujets jugés importants pour Berlin, en évoquant notamment la crise migratoire. Pour cela, Emmanuel Macron a affirmé l’idée d’une assistance financière accrue de la part de l’Union européenne au profit des collectivités territoriales qui accueillent des réfugiés. Il s’agissait notamment d’envoyer un signal à Berlin, en vue de son déplacement de jeudi, en ce qui concerne la solidarité dans la gestion de cette crise, mais également à certains pays de l’Union qui sont en première ligne de ce dossier, comme l’Italie ou la Grèce.
Le président a par ailleurs dû évoquer le sujet de l’intervention en Syrie face au scepticisme exprimé, à défaut de critiques frontales, par plusieurs des partenaires européens de la France. Par ailleurs, alors que l’Europe de la défense était au cœur de la réponse de l’Union au Brexit, les divergences dans les approches stratégiques, notamment au niveau franco-allemand, continuent à soulever un certain nombre de questions quant à son évolution.
Au niveau de la zone euro, quel est le projet de la France ? Quels sont les points de convergence avec l’Allemagne ?
Concernant le dossier de la zone euro, il existe un clivage difficilement dépassable au sein de l’Union, et qui précède les difficultés supplémentaires issues de la crise politique allemande. D’une part, la vision française qui consisterait à approfondir la zone de manière structurelle, et de l’autre, la vision allemande partagée avec la plupart des pays du nord de l’Europe, qui privilégient un durcissement des contrôles tout en restant dans tous les cas assez opposés à l’accroissement de la solidarité financière et surtout à toute idée de transfert systématique entre pays au sein de la zone, en particulier du Nord vers le Sud. Ces derniers jugent tout ce qui pourrait aller à terme dans le sens d’une « union des transferts » comme inacceptable pour les contribuables du nord de l’Europe.
Depuis l’élection du président Macron, la France plaçait d’importants espoirs dans cette réforme. Le gouvernement français, du fait de son engagement européen et de ses projets de réformes structurelles au niveau national, pensait jouir d’une crédibilité suffisante sur la scène européenne pour convaincre l’Allemagne de consentir à un certain nombre de concessions de fond. Il s’agissait de penser qu’Angela Merkel accepterait ces modifications après les élections allemandes du mois de septembre dernier. Toutefois, avec la montée de l’extrême droite (AfD), entraînant un affaiblissement marqué des partis de gouvernement, notamment du bloc conservateur (CDU-CSU) et des sociaux-démocrates (SPD), la crise politique a suspendu toute forme de négociation européenne sur la zone euro et même conduit à un durcissement marqué de la position allemande, sur la base de réserves déjà profondes. La contestation de l’implication de l’Allemagne au sein de la zone euro est en effet un des premiers objectifs de l’AfD, au même titre que l’immigration ; ce qui exerce une pression marquée sur les deux partis de coalition contre l’intégration européenne. Au-delà de l’aggravation de la situation et du durcissement de la position allemande au sein de la coalition, le blocage actuel est lié plus fondamentalement à des définitions différentes de l’union monétaire.
Cette forte réticence s’est notamment exprimée avec le rejet à peine masqué de la proposition française par Wolfgang Schäuble, alors qu’il était ministre des Finances, concernant la création d’un budget substantiel au sein de la zone euro. Il y avait opposé l’idée moins ambitieuse sur le fond, mais ambitieuse dans la forme consistant à transformer le Mécanisme européen de stabilité (MES) en un Fonds monétaire européen, qui pourrait également soutenir les pays membres en dehors des périodes de crise systémique. Aujourd’hui, même cette proposition de Wolfgang Schäuble a tendance à être jugée trop ambitieuse, notamment par le ministre des Finances allemand actuel, le social-démocrate Olaf Scholz.
Sur la question de l’union bancaire et de la mise au point d’une garantie commune des dépôts bancaires, le sujet ne peut être complètement écarté, mais toute avancée est repoussée au lendemain d’un véritable assainissement de la situation du secteur bancaire d’un certain nombre de pays, dont l’Italie en particulier. En plus de l’Allemagne, un certain nombre d’États du nord de l’Europe, emmenés par les Pays-Bas, affichent collectivement leur opposition au projet de la France visant au parachèvement de la zone euro. On constate réciproquement une forte déception en France du côté du gouvernement et de l’administration face à une situation européenne qui pourrait ternir l’image d’Emmanuel Macron comme réformateur de l’UE.
Face aux tentations autoritaires et populistes et avec l’émergence d’un scepticisme du côté allemand, la France est-elle en capacité de devenir le fer de lance d’une nouvelle Union européenne, davantage démocratique et soudée ?
En plus d’obtenir certaines concessions au moins symboliques sur certains dossiers liés à la zone euro, Emmanuel Macron aura probablement à cœur de lancer de nouvelles pistes de réforme et de coordination, comme il l’a fait sur la question de la taxation des GAFA ou sur la politique douanière d’une Union européenne qu’il voudrait pouvoir présenter comme protectrice.
Le président français va plus généralement devoir déployer une nouvelle approche de sa politique européenne, en se concentrant probablement sur des aspects plus concrets de la coordination macro-économique entre les pays de l’Union, et par un approfondissement des relations entre la France et l’Allemagne ancré dans la réalité de conceptions différentes de l’intégration européenne et des crises politiques qui traversent les deux pays. Si la négociation en cours reste dans l’impasse actuelle, des crispations sur différents sujets pourraient émerger, à la fois sur certains déséquilibres profonds au sein de l’Union ou à propos d’éléments qui semblaient acquis, y compris dans des secteurs comme l’aéronautique.
Durant les prochaines semaines, Emmanuel Macron va devoir choisir entre deux options. D’un côté la voie d’une crispation et d’un relatif retrait, et de l’autre, celle qui consisterait à développer de nouvelles options concrètes. Ces projets concrets reposeraient moins sur une réforme structurelle de la zone euro et plus sur le problème tout aussi grave du rééquilibrage réel entre économies européennes, notamment sur le plan commercial, et en dépassant le cadre de la focalisation sur les comptes publics. Il est probable que l’on assiste à une combinaison de ces deux approches, mais dans tous les cas les négociations sont appelées à se complexifier entre partenaires européens.
Vendredi 13 avril, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont procédé à des frappes aériennes en Syrie, contre des sites stratégiques du régime. L’offensive occidentale a été perçue comme une agression par les alliés de Bachar al-Assad, entraînant dans ce jeu de puissances, une plus grande affirmation de deux blocs, et augmentant les tensions. Ces bombardements marquent-ils une nouvelle étape dans le conflit syrien ? Pour nous éclairer, l’analyse de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.
Comment analyser les réactions des alliés du régime syrien (Russie, Iran et Turquie), et du reste de la communauté internationale à propos des frappes occidentales ? Assiste-t-on à la formation de deux blocs dans le cadre du conflit syrien ?
La Russie, l’Iran et la Turquie ont réagi de façon différente. Les réactions de la Russie ont été plus véhémentes. Elle considère que « la Russie perd le peu de confiance qui existait entre elle et l’Occident […] et que la Russie et l’Occident se trouvent dans une situation plus dangereuse que pendant la guerre froide ». Le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov, a déclaré au lendemain des frappes sur la BBC que « les Occidentaux, plus particulièrement les États-Unis et la Grande-Bretagne » ont fermé « les voies de communication et ont créé une situation dangereuse ».
En Iran, même si le Guide de la République islamique a qualifié les trois chefs d’État impliqués dans les frappes « de criminels », les réactions gouvernementales ont été plus mesurées. Mohammad Javad Zarif, le ministre des Affaires étrangères iranien, a même pris contact avec son homologue britannique, Boris Johnson, pour lui indiquer qu’« aucun pays n’a le droit de lancer des opérations militaires unilatérales punitives contre un autre pays en dehors des règles internationales ».
La Turquie se trouve, quant à elle, dans une situation délicate entre la Russie et l’Iran, ses deux nouveaux alliés, et l’Occident dont le pont n’a pas encore été coupé entièrement. Dans une première réaction, la Turquie a approuvé le bombardement contre les installations chimiques syriennes, puis quelques heures après, a déclaré sa neutralité entre les Russes et les Iraniens d’un côté, et ses trois partenaires au sein de l’OTAN.
Les divergences sur la Syrie et le régime de Bachar al-Assad entre la Russie et l’Iran d’un côté, et les États-Unis et l’Europe de l’autre, sont telles que nous pouvons parler effectivement de deux blocs. Quant à la Turquie, si elle fait désormais, et de plus en plus, partie de la troïka, elle a des intérêts et des objectifs distincts de ses deux partenaires, notamment sur l’avenir de Bachar al-Assad. Également, même si les Iraniens affirment au cours des discussions avec ses interlocuteurs qu’ils partagent la même vue que les Russes sur cette question, tout laisse à penser que Moscou est plus souple sur cette question que Téhéran. Quant aux divergences entre les Occidentaux, elles sont publiques : le président français a ainsi laissé entendre qu’il a œuvré auprès de Donald Trump pour que l’envoi des missiles sur les objectifs choisis ne soit pas interprété comme une action contre l’Iran et la Russie.
Quant à la réaction de « la communauté internationale » en dehors des pays concernés par les frappes, il existe un réel malaise. Devant le veto russe à une intervention militaire en Syrie, la France et ses deux alliés occidentaux ont pris la décision d’outrepasser le Conseil de sécurité de l’ONU. Emmanuel Macron a ainsi présenté une nouvelle interprétation de la « communauté internationale », déclarant pendant qu’il s’agissait d’une intervention menée « de manière légitime, dans un cadre multilatéral », ajoutant que « c’est la communauté internationale qui est intervenue ». Deux arguments discutables l’un et l’autre. En effet, il laisse à penser que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité – même quand ils ne sont que trois sur cinq dans le cas présent – peuvent exprimer, y compris par des actions militaires, la volonté de la communauté internationale. Il a également évoqué la résolution 2118, en date du septembre 2013, sur l’interdiction de l’usage des armes chimiques qui laisse la possibilité au Conseil de sécurité de prononcer des sanctions si Damas ne respectait pas ses engagements en la matière. Mais, il ne s’agit pas de sanctions automatiques. En cas de violation du plan de désarmement, une deuxième résolution « sous chapitre VII de la charte de l’ONU » serait nécessaire. Ces arguments rappellent ceux de George W. Bush et de Tony Blair pour envahir l’Irak, même si les objectifs de ces deux interventions ne sont bien évidemment pas les mêmes.
Est-on entré dans une nouvelle phase du conflit syrien ? Une solution politique est-elle toujours possible ?
Une nouvelle étape de la guerre en Syrie vient d’être franchie, marquée par la victoire de plus en plus évidente du régime syrien face aux forces rebelles. L’une des étapes décisives pour les troupes de Bachar al-Assad a été la récente prise de la Ghouta orientale, zone proche de Damas. Ce territoire fut occupé par les forces rebelles et des organisations présentes majoritairement issues de mouvements jihadistes et salafistes. La reprise de la Ghouta libère une partie importante des forces militaires syriennes. D’ores et déjà, le débat se porte sur la prochaine cible de Damas, Deraa au sud de Damas, ou Idlib plus au nord.
Parallèlement, l’implication de l’Iran et de la Russie au côté de Bachar al-Assad est de plus en plus affirmée et présente. Dans le passé, les Iraniens n’étaient pas d’accord sur tous les points avec la stratégie de la Russie en Syrie. Les Russes ne faisaient pas du maintien de Bachar al-Assad leur objectif à tout prix, mais étaient intransigeants sur leur influence en Syrie. L’Iran apparaissait comme le plus solide allié du régime sur ce point. Cependant, tel que déjà mentionné, leurs positions se sont désormais rapprochées. Les deux alliés du régime syrien ont toujours exprimé leur attachement à une solution politique et d’autres initiatives comme celle d’Astana, en parallèle des pourparlers de Genève sous l’égide de l’ONU.
Mais aujourd’hui, la perspective d’une solution politique rapide s’éloigne, comme l’a affirmé le Kremlin au lendemain des frappes, suite à un entretien entre Vladimir Poutine et l’ayatollah Khamenei. C’est une réaction diamétralement opposée à celle du président français, Emmanuel Macron, qui pense que ces frappes de « représailles » vont déboucher vers une solution politique.
Cela étant, la différence d’approche sur la Syrie entre la France et les États-Unis existe toujours également. Pour répondre indirectement au président français qui a laissé entendre qu’il a fait changer la position de Donald Trump sur la Syrie pour que les États-Unis ne retirent pas ses forces présentes en Syrie, la Maison-Blanche a confirmé que Washington aller le faire « le plus rapidement possible » du pays.
Après sa victoire dans la Ghouta orientale, le président syrien, va par ailleurs certainement pousser son avantage sur le terrain, ce qui recule d’autant la perspective d’une solution politique. Celle-ci ne serait d’ailleurs possible qu’en la présence d’une opposition forte et crédible. Or, ce qu’on appelle « l’opposition modérée » constitue une partie infime des rebelles au sein desquelles les jihadistes et des forces salafistes sont majoritaires, ce qui ne facilite pas la position occidentale.
La Syrie reste vitale pour la Russie, comme point d’appui pour son retour sur le plan international ainsi qu’au Moyen-Orient. Il serait ainsi très peu probable que les Russes changent leur stratégie à la suite de ces bombardements. Poutine pourra peut-être abandonner Bachar al-Assad au terme d’une solution politique, mais il ne se risquerait pas à délaisser le régime actuel. Cette guerre semble pour l’instant être remportée par la Russie, marquant son retour sur la scène internationale grâce à son réalisme. D’autant que face à l’avancée militaire des troupes de Damas et l’arrêt de l’opposition, le camp occidental ne s’est pas réellement préparé à apporter une solution politique. Et jusqu’alors, les nombreuses discussions au sein de l’ONU, le processus de Genève ou la mise en place de cessez-le-feu n’ont pas pu influer sur le cours du conflit.
Les conséquences de ces frappes aggravent finalement davantage les relations entre les pays occidentaux et les alliées du régime syrien, et surtout freinent la volonté de la France de jouer un rôle de médiateur au Moyen-Orient, que ce soit au sein du conflit syrien, ou bien plus largement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, ou entre Beyrouth et Riyad.
Au lendemain des frappes occidentales, le régime syrien a annoncé avoir entièrement repris l’enclave rebelle de la Ghouta orientale. Est-ce à dire que les frappes n’ont pas eu d’impact sur la stratégie syrienne et de ses alliés ? Où en est-on des forces en présence sur le territoire syrien ?
Évidemment, le régime syrien, même avant les frappes, avait totalement repris la Ghouta orientale. Cette offensive va sûrement permettre à l’armée syrienne de déployer une stratégie de plus grande ampleur pour continuer dans cet élan de reprise de territoires, les rebelles étant toujours présents dans certaines régions. Le régime syrien a compris que ces frappes de représailles n’avaient pas comme objectif de changer stratégiquement le rapport des forces en présence et qu’elles étaient destinées essentiellement à crédibiliser la position occidentale en envoyant un signal à la Russie. Quant à l’Iran, il semblerait que son gouvernement soit davantage préoccupé par la réaction israélienne que par les frappes françaises. Des informations contradictoires en provenance de la Syrie font d’ailleurs état d’un bombardement israélien sur des bases iraniennes en Syrie au lendemain des frappes occidentales.
À l’heure actuelle, le plus grand groupe d’opposition au régime n’est plus Daech ou d’autres organisations jihadistes salafistes, mais bien les Kurdes syriens n’ayant pas la même position que les autres organisations mentionnées vis-à-vis du régime syrien. Récemment, à Afrine, des soldats syriens ont porté soutien aux combattants kurdes, cibles de l’armée turque. Des organisations salafistes telles que Jaych al-Islam et Faylaq al-Rahmane, soutenues par l’Arabie saoudite, ont été vaincues à la Ghouta et ont ensuite été évacuées vers Idlib, la province du Nord, très peuplée, où l’ex al-Nosra (affiliée à Al-Qaïda) est présente en force. Des poches de rébellion moins importantes, y compris Daech, existent également au sud de Damas, à Deraa.
Ainsi, plusieurs conflits se déroulent en Syrie au même moment. Aujourd’hui, même si des élections s’organisaient en Syrie sous l’égide de l’ONU, il serait peu probable que le régime de Bachar al-Assad soit perdant. Cette perspective aggrave la situation actuelle et explique d’une certaine manière les récents bombardements occidentaux souhaitant affaiblir le régime en place.