De violentes manifestations ont lieu au Burundi depuis le 26 avril. Qui sont les manifestants et quel est l’objet de leur colère ? Comment expliquer cet embrasement soudain du pays ?
Les manifestants sont essentiellement les populations jeunes de Bujumbura qui ont l’appui des dix-huit partis d’opposition, relativement unis. On est moins certains qu’il y ait eu d’importantes manifestations dans les zones rurales. Ce sont des jeunes qui refusent principalement ce qu’on appelle, si ce n’est un coup d’État constitutionnel, du moins une manipulation constitutionnelle. Cette dernière tient au fait que le président Pierre Nkurunziza se représente pour un troisième mandat, malgré les dispositions des accords d’Arusha de 2000, réalisés sous l’égide de Nelson Mandela. Ces accords prévoient que seuls deux mandats consécutifs peuvent être effectués par un président. L’argutie juridique utilisée par Pierre Nkurunziza repose sur le fait que pour son premier mandat, il n’avait pas été élu au suffrage universel mais par le Parlement. La Cour constitutionnelle, qui est aux ordres du président, a considéré cette troisième candidature comme valide – le
vice-président de la Cour a d’ailleurs été obligé de fuir suite à cette décision. Par ailleurs, on observe que les manifestations se sont traduites par une très grande violence de la part de la police, qui a tiré à balles réelles sur la foule. On sait également que des milices, manipulées par le pouvoir, sont intervenues auprès des manifestants pour entrainer cette violence. On est donc dans une situation où le mécontentement est croissant. Certains ont à l’esprit les manifestations au Burkina Faso contre la manipulation constitutionnelle de Blaise Compaoré ou encore des exemples de pays où une transition démocratique a pu avoir lieu.
Au vu de l’histoire violente et difficile du Burundi, la confrontation entre les différents groupes ethniques a-t-elle été dépassée ou peut-on craindre de nouveaux affrontements de ce type ?
Il faut savoir que le Burundi a subi les mêmes troubles suite à la disparition du président Cyprien Ntaryamira en 1994. Il y a alors eu des affrontements à caractère ethnique entre les Hutus et les Tutsis, faisant environ 300 000 morts. De 1993 à 2003, le Burundi a traversé une période de très forte insécurité, y compris après les accords d’Arusha signés en 2000. La situation s’était ensuite peu à peu apaisée sur le plan des conflits ethno-régionaux. Ce sont les Hutus qui sont globalement au pouvoir au Burundi, à la différence du Rwanda. Les accords d’Arusha ont fait en sorte que la moitié des responsables soit d’origine Hutu et la moitié des responsables de l’administration de l’armée soit d’origine Tutsi. Les questions ethniques ou religieuses n’étant plus considérées comme des questions importantes, le conflit a pu être dépassé pendant au moins dix ans. Par conséquent, les manifestations récentes n’ont absolument pas eu un caractère ethnique.
Ceci étant, quand on connait l’histoire du Burundi, on sait que la question de l’ethnie peut être instrumentalisée à la fois par le pouvoir politique – c’est à craindre – mais également par les pays voisins. On sait par exemple que des milices Hutus sont très proches des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) en République Démocratique du Congo (RDC). Si jamais des provocations entrainaient la mort de Tutsis, il y aurait immédiatement une intervention de Paul Kagame, actuel président du Rwanda. Inversement, si des Hutus étaient tués, une intervention de la RDC serait également à prévoir.
Lors de la manifestation du mardi 19 mai, des personnalités politiques et des membres de la société civile se sont joints à un rassemblement à Bujumbura. Après un coup d’État raté de l’armée burundaise en date du 13 mai, quid de l’opposition politique ? Un report des élections peut-il permettre un retour au calme ?
L’opposition a été relativement unie jusqu’à présent. Après l’échec du coup d’État, les manifestants ont dans un premier temps été extrêmement prudents et n’ont pas immédiatement organisé d’importantes manifestations. Néanmoins, depuis la reprise du pouvoir par le président Nkurunziza, le mouvement s’est très nettement renforcé avec un nombre d’arrestations important. La police a à nouveau tiré sur les manifestants faisant des morts. La situation n’est pas du tout contrôlée, et l’armée a au départ remplacé la police dans ses fonctions. Cette dernière a désormais repris son rôle mais l’armée reste quant à elle extrêmement divisée et apparait aujourd’hui en retrait. L’incertitude porte sur la position que l’armée adoptera in fine. Ce qui est sûr, c’est que les mouvements sont actuellement en marche et que la stabilité politique du pays est fortement mise à mal.
De son côté, le président a accusé les Shebabs de menacer l’ordre du pays, mais cette déclaration n’a évidemment eu aucune crédibilité auprès des populations. Il a limogé son ministre de la Défense qu’il avait trouvé trop proche des putschistes, ainsi que son ministre des Affaires étrangères, plutôt pour contenter les opinions occidentales. On est donc face à un pouvoir qui renforce son dispositif sécuritaire et annonce qu’il souhaite lutter contre le terrorisme. Par conséquent, il est évident que les élections ne pourront pas avoir lieu si elles se déroulaient dans de telles conditions. Si Pierre Nkurunziza venait à se représenter pour un troisième mandat, il y a selon moi un risque réel de dérive. Quoi qu’il en soit, troisième mandat ou pas, des affrontements importants seront à craindre. Le Burundi a connu des conflits extrêmement violents historiquement et reste un pays vulnérable.
Le plus vraisemblable est que ces élections soient reportées, comme le demande l’Union africaine, les représentants de l’Union européenne ou encore l’opposition. L’idéal serait que le président ne se représente pas et qu’il décide de se retirer, comme Blaise Compaoré l’a fait au Burkina Faso. Il ne faut pas non plus négliger la pression des États voisins dans la mesure où le Burundi fait partie de la Communauté d’Afrique de l’Est et doit tenir compte de l’avis de ses partenaires. Les acteurs régionaux ne seront pas indifférents à l’évolution de la situation et peuvent jouer sur le Burundi pour agir en fonction de leurs propres intérêts. Enfin, il peut aussi y avoir une pression exercée par la communauté internationale ou par les États-Unis. Ces derniers se sont d’ailleurs prononcés en affirmant que le président était légitime à la suite du coup d’État raté du 13 mai, mais ne soutiennent pas pour autant une troisième candidature de Pierre Nkurunziza. Celui-ci a aujourd’hui choisi la méthode forte, malgré les conseils des pays africains et occidentaux. S’il va jusqu’au bout, les violences risquent de resurgir avec une intensité et des effets de contagion au Rwanda et en RDC qu’il est difficile de prévoir.
China hat unter der neuen Führung eine Reihe außenpolitischer und außenwirtschaftlicher Initiativen gestartet, die weit über die eigene Region hinausweisen. Die US-Regierung steht den chinesischen Plänen ablehnend gegenüber und sieht vor allem die von China angestoßenen Finanzinstitutionen als Herausforderung für die etablierten und westlich dominierten Einrichtungen. China dagegen argumentiert, es handle sich um sinnvolle und wichtige Ergänzungen der bestehenden Architektur. Die europäischen Staaten schlossen sich der Haltung der USA nicht an, viele wurden Gründungsmitglieder der Asiatischen Infrastrukturinvestitionsbank (Asian Infrastructure Investment Bank, AIIB). Chinas übergreifende Vision der »neuen Seidenstraßen« über Land und See zielt auf eine Integration Asiens und Europas durch Infrastrukturnetzwerke und erfordert daher ebenfalls eine Positionierung von europäischer Seite. Um zu einer besseren Abstimmung untereinander zu kommen als im Falle der AIIB, müssen EU und europäische Staaten die wirtschaftlichen und politischen Dimensionen der chinesischen Initiativen im Gesamtzusammenhang diskutieren und bewerten.
Nilüfer Göle est sociologue et directrice d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS, Paris). Elle répond à mes questions à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage « Musulmans au quotidien : une enquête européenne sur les controverses autour de l’islam », aux éditions la découverte.
Votre enquête veut donner la parole aux « musulmans ordinaires » sur lesquels se focalisent les controverses, mais qui sont absents des débats médiatiques. Comment expliquer cela ?
Il y a une focalisation médiatique sur l’islam sans donner la voix aux musulmans, en ignorant les visages multiples. Les controverses autour de l’islam présentent une occasion pour nos sociétés de confronter la différence islamique, de débattre des normes séculières et religieuses, de familiariser l’un avec l’autre. Mais, très souvent, l’hypermédiatisation empêche l’exploration de la multiplicité des points de vue, la possibilité d’échange, et reproduit des oppositions binaires, des représentations simplistes et caricaturales d’autrui. Les traits de la différence sont constamment agrandis, les personnages à scandales sont sollicités dans les débats médiatiques, tandis que la présence des musulmans « ordinaires », leur insertion au sein de la vie quotidienne dans les pays européens, est désavouée. Les citoyens musulmans ne sont en rien ordinaires, car ils sont « survisibles » comme sujet de controverses, tout en restant inaudibles et invisibles. J’ai voulu renverser la perspective et rendre compte des visages humains et des trajectoires multiples des musulmans de citoyenneté européenne. Pour cela il fallait mettre en place un dispositif de recherche, un « espace public expérimental », créer un lieu d’écoute et d’échange entre gens impliqués ou tout simplement concernés par les controverses autour de l’islam. L’islam est devenu une affaire publique. Cela signifie qu’il devient une affaire de tous et non seulement des musulmans et des migrants. Ces controverses signalent la présence des musulmans dans la vie publique et que l’on se trouve dans une phase post-migratoire.
Selon vous, c’est la conjonction de deux affaires en 1989, celle du foulard en France et la fatwa contre Salman Rushdie, qui ont rendu visible la présence de l’islam en Europe, mais d’une façon très dérangeante. Vit-on encore sous ce double choc ?
Rétrospectivement, on peut dire qu’en 1989 les deux acteurs emblématiques de l’islam en Europe avaient fait leur irruption sur la scène publique. Depuis, le voile des femmes musulmanes d’un côté, et la fatwa de mort de l’autre, désignent le champ shariatique dans lequel nous débattons de la présence des musulmans. Mais, il faut distinguer les deux logiques d’action, les façons de croire bien différentes. Cela devient un enjeu principal aussi bien pour les musulmans que pour la démocratie des pays européens. Ne pas faire l’amalgame entre les actes terroristes, les assassinats ciblés et les pratiques de la croyance ordinaire deviennent une condition sine qua non pour faire société. Or la figure du djihadiste semble occuper tout le terrain aussi bien media et politique qu’académique. L’espace public est dominé par la médiatisation des débats, les régulations juridiques et l’emprise des politiques sécuritaires. C’est l’ordre public qui prime sur la vie de la cité, tout en amenuisant le potentiel démocratique de l’espace public.
Contrairement aux idées reçues, votre livre et votre enquête montrent, en fait, que les musulmans affirment leur citoyenneté. Pouvez-vous préciser ?
En effet, contrairement à ce que l’on pense, l’affirmation de la religiosité ne signifie pas automatiquement une hostilité à l’égard d’autrui, ni un rejet de la citoyenneté. Au quotidien, les musulmans ordinaires cherchent à aller vers autrui, s’investir dans les espaces de vie européens, saisir les opportunités professionnelles, voire artistiques, investir la vie associative, tout en cherchant à affirmer, voir réinventer, leur rapport à la foi. Ainsi on voit l’émergence d’un « islam européen », que l’on ne retrouve pas dans les pays à majorité musulmane. Les musulmans en Europe sont dans un apprentissage de leur citoyenneté en situation minoritaire, dans un environnement séculier et sans pouvoir se projeter dans un Etat islamique. Ils sont moins dans une démarche shariatique et plus à la recherche des « styles de vie halal ». C’est le « certificat halal », le permis de vivre comme une euro-musulmane qu’ils cherchent à obtenir. Les fatwas de mort, les attentats terroristes, font dérailler le parcours et l’avenir de la citoyenneté des musulmans, en confisquant le sens de leur religion. L’initiative citoyenne du mouvement « pas en mon nom » / « not in my name », est une réponse à cette logique djihadiste et rompt avec cette représentation violente de la communauté des croyants. Les musulmans en Europe se trouvent aussi en rapport d’interdépendance avec les citoyens d’autres religions et de confessions. Une chaine humaine créée par les musulmans, autour de la synagogue à Oslo, après les attentats ciblés à Paris et à Copenhague, illustre bien ce genre performatif de la concitoyenneté, produit par les dynamiques européennes.