Si Alexis Tsipras pensait faire plier ses partenaires de la zone euro, ou au moins les diviser, en annonçant, dans la nuit de vendredi à samedi, un référendum (le 5 juillet) sur un compromis qui n’existe pas, c’est totalement loupé. C’est exactement le contraire qui s’est passé au cours de l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances) convoqué samedi dans l’espoir de boucler un accord avec la Grèce destiné à lui assurer une nouvelle aide financière de plus de 15 milliards d’euros, un plan d’investissement de 30 à 35 milliards d’euros, le tout assorti d’un calendrier de renégociation de la dette grecque en échange de réformes structurelles, de hausses d’impôt et de coupes dans les dépenses publiques. Ce référendum « ferme la porte à la poursuite des discussions », a tranché le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem et patron de l’Eurogroupe. La Vouli, le parlement monocaméral grec, a adopté la loi autorisant le référendum dans la nuit de samedi par une très large majorité de 178 voix contre 120 (sur 300 sièges). Le Grexit redouté est désormais au bout de la semaine, voire avant, sauf rebondissement en Grèce.
• Que s’est-il passé ?
Personne ne comprend le brutal raidissement d’Alexis Tsipras : « on était à deux doigts d’un accord », affirme une source proche des négociations. « Tout le monde pensait qu’on allait conclure. À la demande des Grecs, on a convoqué, lundi, un Eurogroupe et un sommet de la zone euro, puis un nouvel Eurogroupe mercredi, puis jeudi. Le Conseil européen de jeudi et vendredi a aussi permis de progresser et c’est pour ça qu’on a convoqué un nouvel Eurogroupe samedi ». Mais, à la surprise générale, Tsipras a annoncé au milieu de la nuit de vendredi à samedi la tenue d’un référendum sur le texte de compromis tel qu’il existait jeudi, après avoir prévenu quelques minutes auparavant François Hollande et Angela Merkel, (Jean-Claude Juncker, lui, plongé dans un profond sommeil, n’ayant pas décroché). « Or, ce texte a changé vendredi pour tenir compte des demandes grecques. Ce référendum est sans objet », ajoute cette même source. Pire : « les Grecs sont partis au pire moment, avant qu’on parle de la soutenabilité de la dette, de l’extension du programme (au-delà du 30 juin) » et du plan d’investissement, s’est étonné Jeroen Dijsselbloem. En effet, si le texte est négocié par le « groupe de Bruxelles » (les représentants de la Commission européenne, de la Banque centrale européenne (BCE) et du Fonds monétaire international (FMI)), seuls les ministres des Finances sont habilités à parler des autres questions. « Tout était sur la table de négociation » afin « d’aboutir à un accord global et durable », insiste Michel Sapin : « mais le gouvernement grec n’a pas souhaité que la négociation continue ».
Au cours de la réunion à haute tension qui a débuté en début d’après-midi, aucun pays de la zone euro, mis à part la France, n’a plaidé pour une poursuite du programme d’assistance financière au-delà du 30 juin, la date convenue lors d’un premier accord conclu avec la Grèce le 24 février. Tsipras l’avait pourtant demandé afin de permettre à son pays de tenir jusqu’au référendum : sans ce cadre – qui est une promesse que la Grèce acceptera de procéder à des réformes afin d’équilibrer son budget-, la BCE ne peut pas continuer à alimenter les banques grecques en liquidités (ELA ou ligne de liquidités d’urgence dont le plafond approche désormais les 100 milliards d’euros).
Les Européens, lassés par cinq mois de vaines négociations, ont refusé de lui faire ce cadeau. Il fera son référendum, mais l’Europe ne lui tendra pas la main, ce qui risque de précipiter son pays dans une crise bancaire et économique… À quoi bon continuer la discussion dès lors que le gouvernement grec a décidé de soumettre à référendum un texte datant de jeudi et auquel il a décidé d’appeler à voter non ? « On ne peut pas étendre un programme dont un pays ne veut pas puisque le gouvernement grec a d’ores et déjà décidé d’appeler à voter non », s’est justifié le ministre des Finances français, Michel Sapin.
La rupture a donc été rapidement consommée. L’Eurogroupe a été suspendu, le temps que Yanis Varoufakis, le ministre grec, quitte la salle, et la réunion a ensuite continué pour évoquer les conséquences d’un défaut grec, désormais inéluctable, et les mesures à prendre pour éviter une contagion au reste de la zone euro. Pour la première fois, un communiqué de l’Eurogroupe, qui signe la fin du programme d’assistance à la Grèce, a été adopté par seulement dix-huit ministres des Finances qui, au passage, rappelle « les importants transferts financiers et l’aide apportée à la Grèce au cours des dernières années ». Le Grexit, souhaité par plusieurs ministres, dont l’Allemand Wolfgang Schäuble, est désormais dans toutes les têtes.
• Que va-t-il se passer la semaine prochaine ?
La BCE va se réunir dimanche. Selon toute probabilité et en l’absence de programme, elle va décider (à la majorité des deux tiers de ses 25 membres) d’interrompre l’alimentation des banques grecques en liquidités : « poursuivre cette aide, c’est encourager le bank run, c’est-à-dire le retrait d’argent par les Grecs, aux frais des contribuables européens. Rien que cette semaine, les 1,6 milliard d’euros prêtés aux banques grecques ont été immédiatement retirés par les épargnants. C’est un puits sans fond », nous confie une source européenne. Si la Grèce adopte une loi ce dimanche prévoyant la fermeture des banques dès lundi et la mise en place d’un strict contrôle des capitaux, la BCE pourrait de nouveau intervenir pour éviter les faillites bancaires que la Grèce seule n’a pas les moyens d’éviter faute d’argent (elle n’a pas accès aux marchés et les caisses sont vides). Mais cela n’est pas certain, les durs de la BCE pouvant faire valoir que l’attitude de Tsipras exclut un retour à la normale avant longtemps. Surtout, les banques grecques ne sont plus solvables à la suite du retrait massif d’argent de ces derniers mois.
Si jamais la Grèce n’adopte pas un contrôle des capitaux, la zone euro va se couper de tous les canaux la reliant au système financier grec pour éviter la contagion d’un effondrement du système financier grec. En clair, si la Grèce ne s’isole pas elle-même, c’est la zone euro qui l’isolera. Dans le second cas, le système bancaire grec va vite s’effondrer faute d’argent frais. Selon plusieurs experts, ce sera une affaire de jours et non de semaines… Ce qui aura un effet immédiat sur le tissu économique grec, alors que le pays est déjà retombé en récession (on attendait 3 % de croissance cette année): les faillites d’entreprises vont se multiplier, faute de crédit, et les Grecs ne pourront plus retirer d’argent. Cette asphyxie programmée du système bancaire risque aussi d’affecter la saison touristique qui a déjà commencé. On imagine le marasme et la panique dans lequel va se dérouler le référendum.
Cela étant, la zone euro insiste sur le fait que les négociations peuvent reprendre à chaque instant : « les portes sont ouvertes », a martelé Jeroen Dijsselbloem, « ce ne sont pas les institutions qui ont quitté la table de négociations la nuit dernière, c’est le gouvernement grec ». Tous les gouvernements ont tenu le même discours : l’accord est proche, il suffirait de quelques heures pour le boucler.
• Sur quoi va porter le référendum ?
Il semble que la question portera sur le projet de compromis dans sa version de jeudi. Le problème est que ce texte est déjà dépassé (par exemple, vendredi, les créanciers ont accepté de limiter l’augmentation de la TVA sur l’hôtellerie à 13 % au lieu de 23 %). Surtout, ce texte n’a plus aucune existence légale depuis samedi, puisque le programme prend fin le 30 juin, ce qui signifie que l’offre des créanciers est caduque. Même si le résultat est positif, il faudra reprendre les négociations sans garantie que le texte final sera identique à celui de vendredi. Surtout, les Grecs vont se prononcer sur un texte qui ne porte ni sur la restructuration de la dette, ni sur le plan d’investissement promis, ni sur l’extension du programme (avec un doublement de la somme de 7,2 milliards promise). Ce référendum est donc un tantinet surréaliste. La seule question qui vaille, en réalité, devrait porter sur l’appartenance de la Grèce à la zone euro.
• Le « oui » peut-il l’emporter ?
Même si les Grecs sont massivement attachés à l’euro (entre 70 % et 80 %), le résultat ne fait guère de doute. « Si j’étais Grec, je voterais non à ce texte », confie un diplomate d’un grand pays, « puisqu’il ne comporte que des hausses d’impôts et des coupes dans les dépenses publiques. En soi, il ne veut rien dire, puisqu’il n’est pas accompagné des mesures qui donnent un horizon au pays. Mais le gouvernement grec se gardera bien de le dire et ça n’est pas à la zone euro de faire campagne ». Si par miracle le « oui » l’emportait, Tsipras serait dans une situation inconfortable et devrait sans doute convoquer de nouvelles élections après un tel désaveu. Et là, tout est possible.
• Vers le Grexit ?
« Il n’y a pas de mode d’emploi pour une sortie de la zone euro, car personne n’avait prévu une telle situation. On est dans les figures libres », confie une source européenne. On peut donc très bien imaginer que la Grèce reste formellement dans la zone euro, mais ne dispose plus d’euros fournis par la BCE. Il faudra donc qu’elle émette en parallèle une nouvelle monnaie (après avoir repris le contrôle de sa banque centrale, ce qui l’exclura de facto de la BCE) afin de payer les salaires des fonctionnaires et les retraites. Mais cette nouvelle drachme, qui circulera parallèlement à l’euro, n’aura de valeur que pour les biens et les services produits par la Grèce, ce qui limitera considérablement son pouvoir d’achat : tous les produits importés (ou comportant une part d’imports) devront être payés en euros sonnants et trébuchants. Et la Grèce importe beaucoup, des produits agricoles aux produits technologiques en passant par les médicaments. La Grèce serait dans la situation de Cuba qui connaît aussi une double circulation monétaire, le peso local qui ne vaut rien et le peso convertible (CUC) dont la valeur est proche de celle du dollar qui permet seul l’accès aux produits de « luxe »… La Grèce, privée d’accès à l’euro, peut aussi choisir de partir d’elle-même. Dans les deux cas, sa situation ne sera guère brillante, car elle n’aura pas accès avant longtemps aux marchés financiers : elle devra vivre avec ce qu’elle produit.
• Un risque de contagion ?
C’est la question à mille euros. Jeroen Dijsselbloem a insisté sur la solidité de la zone euro qui disposerait désormais des moyens de « préserver son intégrité ». En particulier, le Mécanisme européen de stabilité (MES), doté d’une capacité d’emprunt de 750 milliards d’euros, pourra intervenir pour venir en aide à un pays attaqué par les marchés et la BCE est lancée dans un programme de rachat massif des dettes d’État de 60 milliards par mois qui permettra de juguler une éventuelle panique des marchés. « Ils ont intégré depuis longtemps le risque d’un Grexit, mais on ne peut jamais savoir comment ils réagiront », confie une source européenne. Néanmoins inquiet, l’Eurogroupe a décidé d’accélérer son intégration en suivant les recommandations du rapport des cinq présidents (Commission, Parlement européen, Eurogroupe, BCE, Conseil européen) dont les chefs d’État et de gouvernement ont pris connaissance vendredi. Un mal pour un bien ? C’est l’espoir auquel on se raccrochait à Bruxelles, samedi soir.
Christine Lagarde a remplacé Angela Merkel dans le Panthéon grec de l’impopularité. Un exploit, car la chancelière allemande (et les Allemands en général) avait plusieurs longueurs d’avance sur la directrice générale du Fonds monétaire internationale (FMI). Mais, le 16 juin Alexis Tsipras, le jeune premier ministre grec, a clairement désigné son nouvel ennemi : devant la Vouli, le parlement monocaméral grec, il a dénoncé la « responsabilité criminelle » de l’organisation dirigée par Lagarde dans la situation de son pays. Deux jours plus tard, celle-ci lui répondait sèchement en demandant que la Grèce envoie enfin des « adultes » pour négocier. Pas démonté, Tsipras a remis le couvert le 24 juin en l’accusant de ne pas chercher réellement un compromis, mais de « servir des intérêts particuliers », comprenez ceux de ses adversaires politiques…
« Il y a un problème FMI », confirme un diplomate européen dans les couloirs du sommet qui a eu lieu à Bruxelles jeudi et vendredi. Alors que la zone euro affichait lundi soir son optimisme, après qu’Alexis Tsipras ait enfin proposé une série de réformes, dont la plupart à l’opposé de ses engagements électoraux, Christine Lagarde a jeté un froid en corrigeant rudement sa copie. Pour elle, la Grèce, en procédant surtout à des hausses d’impôts au détriment des coupes dans les dépenses publiques, allait étouffer son économie déjà flageolante… « C’était une négociation surréaliste, car le FMI ne semble plus savoir ce qu’il veut », raconte un diplomate proche des négociations. « Ainsi, il voulait une hausse de la TVA sur la restauration à 23 %, une mesure que rejetait Tsipras à cause de son effet récessif. On lui a expliqué que cela lui permettra de trouver les 900 millions qui manquent pour parvenir à un deal. Il négocie durement avec sa majorité et finalement accepte. Mais à ce moment le FMI explique qu’il a refait les calculs et qu’à cause de l’effet récessif, cette mesure va seulement ramener 300 millions et qu’il faut augmenter la TVA ailleurs. De quoi devenir dingue, non ? »
La Commission a depuis longtemps pris ses distances avec les « fanatiques » de l’organisation de Washington, mais sans jamais s’épancher sur la place publique. « Le Fonds est dans une posture idéologique », dénonce un eurocrate : « par exemple, il estime qu’un assouplissement du marché du travail est bénéfique par principe. Mais en Grèce, le chômage est à 25 % et même le patronat ne le demande pas. Même chose sur les retraites, il faut les réformer, mais pas en 3 mois : ça se prépare, ça se négocie, on ne passe pas à la hussarde ». Mais, pour le FMI, la Commission a une vision bisounours du monde, celle où on essaye de ménager toutes les susceptibilités et de ne fâcher personne. Lui, il n’a pas ces états d’âme : lorsqu’il intervient pour éviter à un pays la faillite, il a l’habitude de prendre les commandes du pays et de tailler à la hache pour que le plus dur soit fait rapidement. Les Britanniques, qui ont dû l’appeler à l’aide en 1976, sont encore traumatisés par son intervention qui a préparé l’avènement de Thatcher : mieux vaut faire soit même les réformes plutôt que d’attendre les « hommes en noir »…
Leur boîte à outils est simple : des prêts à court terme pour permettre à l’État aidé de continuer à payer ses fins de mois, des coupes dans les dépenses publiques, des hausses d’impôts, une restructuration de la dette et une dévaluation de la monnaie, ce qui est censé remettre le pays sur pied avec des comptes publics en ordre, une compétitivité restaurée, une dette soutenable. Le problème est que cette boite à outils n’est pas adaptée à la Grèce : la monnaie ne peut pas être dévaluée et ses partenaires de la zone euro ont exclu une nouvelle restructuration de la dette grecque après celle de 2012 (115 milliards d’euros de perte pour les créanciers privés). Et pour ne rien arranger, les réformes n’ont été que partiellement mises en œuvre par Athènes, les différents gouvernements se heurtant à de fortes résistances internes. Or, les règles internes du FMI sont strictes : pour prêter, il faut que la dette soit soutenable, ce qui n’est pas le cas de la dette grecque qui continue d’augmenter. Donc il faut davantage couper dans le budget afin de dégager des marges pour permettre ce remboursement, même si cela accroit le marasme économique. Bête et méchant. « Alors que nous, les Européens, on s’en fiche », explique-t-on à Paris. « On sait qu’on rendra cette dette perpétuelle par de l’ingénierie financière et qu’elle ne sera pas intégralement remboursée. Mais ça, le FMI ne peut l’entendre ».
On ne peut pas faire l’injure à Christine Lagarde, ancienne ministre française des Finances, de ne pas comprendre le piège dans lequel elle risque de faire tomber et la Grèce et la zone euro. Mais elle n’est pas libre de faire ce qu’elle veut : son board est composé d’une majorité de pays infiniment plus pauvres que la Grèce qui encaissent mal le traitement de faveur qui lui a été accordé, jamais aucun pays n’ayant reçu une telle aide. Beaucoup estiment que si les recettes du FMI ne fonctionnent pas, c’est de la faute des Grecs : on le pense en Allemagne, en Finlande ou aux Pays-Bas, qui soutiennent l’approche du FMI, mais aussi en Afrique, en Amérique Latine et en Asie. Lagarde, en campagne pour sa réélection, et certaine de bénéficier du soutien des Européens, n’a aucune intention de se couper de son board en lui tordant le bras. En supposant qu’elle en ait l’autorité suffisante. Ce dont doutent plusieurs observateurs, après qu’elle se soit plainte de ne plus pouvoir contrôler son négociateur en chef, le Danois Poul Thomsen, qui ne cache pas son mépris des Grecs après cinq ans de négociations épuisantes.
N.B.: article paru ce matin dans Libération
Syriza s’est fait élire en promettant la fin de l’austérité. Ce parti de gauche radicale prétend, et il n’est pas le seul en Europe, qu’elle est imposée de l’extérieur par la zone euro et le Fonds monétaire internationale et affirme qu’une « autre politique » est possible. Or, disons-le brutalement, cela n’est pas le cas. L’histoire sans fin qu’est la crise grecque a fait oublier son point de départ : en 2009, Athènes affichait une dette de 134,6 % du PIB et un déficit de 15,3 % du PIB. Dit comme cela, ça ne paraît pas grave. En chiffre absolu, cela signifie que ce pays de 11 millions d’habitants dépensait 36,3 milliards d’euros de plus qu’il ne disposait de revenus ! 36,4 milliards d’euros alors que la France a le plus grand mal à faire 4 milliards d’économies. C’était loin d’être un accident : dès l’accession au pouvoir du socialiste Andreas Papandreou, le déficit grec a plongé dans les abîmes (-8,7 % en moyenne entre 81 et 99) dont il n’est sorti qu’à la suite d’un trucage des comptes publics destiné à qualifier le pays pour l’euro. Une fois dans la monnaie unique, en 2001, la fête a repris de plus belle. Par exemple, les salaires des fonctionnaires ont augmenté de 126 % entre 2000 et 2009.
En 2010, les marchés financiers ont refusé de lui prêter davantage d’argent. La Grèce n’a alors eu d’autre choix que d’équilibrer son budget, ce qui passait par des coupes dans les dépenses publiques et des hausses d’impôts, mais aussi par la réforme d’un État clientéliste, bureaucratique, corrompu, incapable de lever l’impôt.
La zone euro et le FMI, en intervenant, ont permis à la Grèce d’éviter une faillite brutale qui aurait risqué de contaminer le reste de la zone et de déstabiliser le système bancaire européen. En échange, ils lui ont demandé non seulement de se réformer, mais aussi d’adapter ses dépenses à ses faibles revenus réels, l’Europe n’ayant pas vocation à les financer. C’est douloureux, nul ne le conteste, mais quelle était l’alternative ? Même si les Européens s’étaient contentés d’assister au naufrage grec, il aurait quand même fallu qu’Athènes équilibre son budget en coupant 36,4 milliards d’euros de dépenses. Et, pour le coup, pas sur cinq ans, mais dans la minute… Sans compter que les banques auraient fait elles aussi faillite, ce qui aurait fait perdre aux Grecs leur épargne.
La politique d’austérité n’est donc rien d’autre qu’un ajustement budgétaire rendu nécessaire par le refus des marchés de prêter de l’argent à un pays qui s’est endetté en oubliant de produire de la richesse. L’Irlande, le Portugal, l’Espagne ou encore, hors zone euro, la Lettonie sont aussi passés par là, et, curieusement, cela n’a guère suscité de compassion.
Ceux qui imputent l’austérité à l’Europe oublient de dire ce qu’il aurait fallu faire. Et on le comprend : en réalité, pour préserver le niveau de vie de la Grèce, et faute pour elle de disposer d’une économie compétitive et d’un accès aux marchés, la seule solution aurait été que les citoyens européens acceptent de lui verser chaque année sans contrepartie 36 milliards d’euros afin de financer ses dépenses… Pas facile à vendre.
Depuis jeudi dernier, le malade grec a mobilisé : jeudi, un Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro, le Fonds monétaire international et la Banque centrale européenne) ; lundi, un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de la zone euro ; mercredi soir, un Eurogroupe ; aujourd’hui : un Eurogroupe suivi d’un Conseil européen et sans doute, demain ou lundi, d’un nouvel Eurogroupe. Sans compter les réunions techniques, les réunions à deux, à trois, à quatre. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a quasiment planté sa tente au rond-point Schumann à Bruxelles, à mi-chemin de la Commission et du Conseil européen…
Les négociations entre la Grèce, d’une part, la zone euro et le FMI, d’autre part, ont largement battu les records de durée de l’histoire communautaire. Cela fait cinq mois que le gouvernement Syriza/Anel (gauche radicale/droite radicale) discute avec ses créanciers, sans guère de résultat. Or, l’horloge tourne inexorablement : il ne reste plus que cinq jours avant le 30 juin, date d’expiration du second programme d’aide financière et date à laquelle Athènes devra rembourser 1,6 milliard d’euros au FMI, une somme qu’elle ne pourra payer que si ses créanciers lui versent les 7,2 milliards promis. Les plus anciens comparent cet affrontement aux marathons agricoles des années 70 au cours desquels les Six de l’époque s’empaillaient sur la fixation des prix, encouragés à l’intransigeance par des manifestations de paysans souvent violentes. Jacques Chirac aimait raconter l’un de ses exploits : avoir réussi à tenir sept jours et sept nuits à Luxembourg, alors jeune ministre de l’Agriculture de Georges Pompidou…
• Pourquoi ça coince ?
Dimanche soir, Alexis Tsipras a envoyé à ses partenaires un projet de compromis signé de sa main, une première. Un geste apprécié, car en cinq mois la valeur de la parole grecque s’est effondrée, les négociateurs, tant au niveau technique qu’au niveau politique (celui de Yanis Varoufakis, le ministre des Finances), ayant souvent été contredit par Athènes quelques heures après avoir conclu un accord à Bruxelles. La méfiance a atteint un tel sommet que le négociateur en chef du FMI, le Danois Poul Thomsen, s’est contenté, ces derniers jours, d’envoyer un fonctionnaire junior ne disposant d’aucune autorité… Ambiance.
Lundi soir, après la réunion du Conseil européen de la zone euro convoquée en urgence vendredi dernier, tout le monde pariait sur un accord, la Grèce ayant fait un effort important pour non seulement équilibrer son budget, mais dégager un excédent budgétaire primaire (avant charge de la dette), certes sérieusement revu à la baisse par ses partenaires : les mesures proposées étaient censées rapporter 2,69 milliards d’euros en 2015 et 5,2 milliards en 2016 (2,87 % du PIB). Las : dès le lendemain, le FMI a passé le projet grec au karcher. Publié par le Wall Street Journalet le Financial Times, le document revu et corrigé ressemblait à une copie d’étudiant barrée de rouge par un professeur acrimonieux… Un rien humiliant pour la partie grecque.
Sur le fond, l’organisation dirigée par Christine Lagarde, soutenue depuis par la zone euro, reproche au compromis grec de miser essentiellement sur des hausses d’impôts frappant, notamment, les entreprises et d’oublier les coupes dans les dépenses, ce qui risque d’étouffer définitivement la reprise économique. Le compromis grec donne, de fait, l’impression de vouloir préserver à tout prix les retraites (le régime étant gravement déficitaire) et la fonction publique au détriment de l’économie réelle et de l’avenir de sa jeunesse.
Parmi les points de désaccord : la trop forte hausse de l’impôt sur les sociétés, la taxe spéciale de 12 % sur les bénéfices des entreprises supérieurs à 500.000 euros ou encore la taxe sur les jeux. En revanche, les créanciers estiment qu’il faut que la réforme de la TVA permette de dégager un gain de 1 % du PIB (la Grèce propose 0,74 %). Dans le viseur, en particulier : le passage de 6 à 23 % de la TVA sur la restauration (Athènes a accepté que la TVA sur les hôtels passe de 6,5 % à 13 %). Au chapitre des coupes dans les dépenses, les créanciers exigent une accélération de la réforme des retraites, avec notamment un recul de l’âge de la retraite de 62 à 67 ans et à 40 annuités dès 2022 (et non 2025) et une augmentation des cotisations sociales dont les retraités étaient exonérés jusqu’à présent. Ils veulent aussi des économies plus conséquentes dans le budget de la défense (de 200 à 400 millions).
• Pourquoi la zone euro refuse-t-elle de restructurer la dette grecque ?
Pour ne rien arranger, la zone euro refuse de faire le geste qui permettrait à Tsipras d’avaler une pilule nettement plus amère qu’attendu : répéter leur engagement de novembre 2012 d’examiner la soutenabilité de la dette grecque, ce qui ouvrirait la porte à une restructuration (sous forme d’un allongement des remboursements de 30 à 50 ans). Même si la dette détenue par les États et le Mécanisme européen de stabilité (195 milliards d’euros sur 251,5 milliards d’euros) ne pèse pas sur les finances publiques grecques pour l’instant (moratoire sur les intérêts jusqu’en 2023 et maturités portées à 30 ans), elle explique pourquoi les créanciers exigent un excédent budgétaire primaire : il s’agit de dégager de l’argent pour un futur remboursement au détriment de la relance…
Mais affirmer trop clairement que la zone euro va encaisser une perte risque de compromettre l’approbation de l’éventuel compromis par plusieurs Parlements nationaux, en Allemagne, en Finlande (dont la nouvelle majorité est très remontée contre toute aide à la Grèce) ou aux Pays-Bas. D’autant qu’il va sans doute falloir remettre une vingtaine de milliards au pot pour éviter à Athènes un retour prématuré sur les marchés. Bref, si la restructuration de la dette est une urgence politique pour Tsipras, elle est un épouvantail politique pour la plupart de ses partenaires, même si ceux-ci ne se font pas d’illusions.
• Quelles sont les marges de manœuvre d’Alexis Tsipras ?
Le projet de compromis du gouvernement grec a mis en fureur l’aile gauche de Syriza, à tel point que Tsipras a dû retirer, mercredi soir, deux mesures qu’il proposait, dont l’augmentation des cotisations sociales sur les retraites (que les créanciers jugent déjà insuffisantes…). Il faut dire que la marge de manœuvre du Premier ministre grec est très étroite : entre 40 et 45 % de ce conglomérat de petits partis d’extrême gauche (maoïstes, trotskistes, communistes staliniens, eurocommunistes) et d’anciens cadres du PASOK (parti socialiste) sont clairement en faveur d’une rupture avec « Bruxelles » et le FMI, assimilés à des forces d’occupation dignes du nazisme, d’un retour à la drachme et à la constitution d’un nouveau front des « non-alignés » version 2015 qui irait de Caracas à Pékin en passant par La Havane, Moscou et Athènes. Ainsi, ce matin, Panagiotis Lafazanis, le ministre de l’Énergie, représentant du courant le plus dur de Syriza, a même affirmé que la Grèce devait tourner la page de l’euro et chercher ailleurs de nouvelles alliances…
La majorité du parti, elle, est réaliste, mais est loin d’être convaincu par les bénéfices de l’intégration communautaire : elle savait surtout que pour se faire élire, les Grecs étant massivement attachés à l’euro, Syriza ne devait pas attaquer directement la monnaie unique, mais l’austérité. Ces « Européens » espéraient que les créanciers, effrayés par les risques de contagion d’un éventuel « Grexit », accepteraient un compromis qui leur serait défavorable. Ils se sont rapidement rendu-compte qu’ils se trompaient lourdement : d’accord pour laisser les Grecs choisir les coupes budgétaires et les augmentations d’impôts nécessaires pour équilibrer le budget, d’accord pour redonner des marges de manoeuvre budgétaires à la Grèce en revoyant à la baisse l’exigence d’un excédent primaire (avant charge de la dette), mais pas question de courir le risque d’un nouveau déficit d’ici un an ou deux, ce qui impliquerait un nouveau plan de sauvetage... Tsipras n’a d’ailleurs trouvé aucun allié en Europe et s’est même mis à dos les pays de la zone euro les plus pauvres qui ont contribué au sauvetage de son pays et estiment que la Grèce n’a pas été jusqu’au bout de la purge nécessaire (Lettonie, Lituanie, Estonie, Slovaquie, Slovénie, Portugal). L’Allemagne, le bouc émissaire facile, est donc loin d’être isolée au sein de la zone euro…
Si le soutien de son parti est fragile, Tsipras peut compter sur celui de l’opinion qui lui est largement favorable, ce qui lui donne de l’air. Selon un sondage GPO-Mega Channel effectué la semaine dernière, plus de 56 % des Grecs sondés (contre 36,4 %) estiment que ce sont les créanciers qui sont responsables d’une absence d’accord, 54,3 % contre 43,8 % approuvent la façon dont les négociations ont été menées par le gouvernement et 47,3 % estiment que Syriza devra rester au pouvoir en cas d’échec. Et, cerise sur le gâteau, en cas d’élections anticipées, il obtiendrait le même score qu’en janvier dernier alors que Nouvelle Démocratie (conservateurs) ne recueillerait que 23 % des voix, soit un écart de treize points... De quoi faire rentrer dans le rang une partie des députés Syriza qui seraient tentés par une fronde à la Vouli, le parlement monocaméral grec.
• Reste-t-il encore du temps ?
Très peu : même si la Grèce parvient à rembourser le FMI le 30 juin, elle sera confrontée à une nouvelle échéance le 20 juillet, date à laquelle elle doit rembourser 3,5 milliards d’euros à la Banque centrale européenne (des obligations rachetées sur le marché secondaire et qui arrivent à échéance). Le pays sera donc en défaut de paiement soit le 30 juin, soit le 20 juillet… Sauf un éventuel compromis auquel tout le monde affirme encore croire.
Selon un rapport remis à François Hollande, la taxe sur les transactions financières européenne représente la meilleure chance d’augmenter les financements publics pour le climat dans les pays en développement.
Entre inquiétude et exaspération, l'opinion des Allemands à l'égard d'Athènes s'est fortement dégradée ces derniers mois, au point qu'une courte majorité d'entre eux est désormais favorable au « Grexit ».