« Ce que le peuple veut, le peuple le peut ». Voilà, mot pour mot, la réaction de Marine Le Pen à l’élection de Donald Trump comme 45e président des États-Unis. Derrière cette phrase anaphorique qui met le peuple au cœur de la construction, derrière ces allitérations et assonances qui donnent un sens prophétique à sa phrase, Marine Le Pen délivre une explication apparemment claire et simple du résultat de l’élection américaine.
Elle oublie cependant de mentionner que le président-élu a, certes, remporté la majorité des voix des grands électeurs, mais pas la majorité du vote populaire, mais cela rentrerait dans le cadre d’une autre analyse. Ce qui est sûr, c’est que l’élection de D. Trump à la Maison Blanche signe un renversement du point de vue de la parole en politique et, effectivement, le peuple en est le premier destinataire. Le nom commun « parole » s’est vu affubler, ces derniers temps, d’un adjectif qui lui colle à la peau et forge un nouveau concept dont médias, politiciens et société civile abusent parfois – la « parole libérée ».
Le discours de Donald Trump n’échappe pas à ce phénomène. Et pourtant, quel paradoxe d’associer le concept de liberté à quelqu’un que l’on considère comme une menace. Il y a donc déjà un dévoiement dans le choix du terme. Plutôt qu’une parole libérée, c’est la victoire d’une parole simplifiée qui est exacerbée ces derniers temps et donne à voir une vision quasiment binaire de la société. C’est « eux et nous », « ma vision contre la leur », « ma parole contre leurs mensonges »… En somme, c’est un retour à l’opposition bien connue entre l’ordre et le chaos qui s’observe.
La complexité grandissante de l’ordre du monde et de toutes les interactions et interconnexions qui le composent donne l’impression que des choses sont cachées, que la situation est volontairement complexifiée pour tenir les citoyens dans l’ignorance et les tromper. Il y a là un véritable aspect « théorie du complot », que médias et figures publiques contribuent à alimenter lorsqu’ils passent à côté du changement de paradigme qui s’opère et donnent ainsi du grain à moudre à ceux qui les rejettent. Ce n’est pas parce que la parole se simplifie qu’il ne faut plus se donner la peine d’écouter, de décortiquer et d’analyser ce qui est dit et, surtout, ce qui n’est pas dit. Derrière la simplicité apparente, il y a toujours la construction d’un modèle, d’une réflexion. C’est là qu’il faut aller chercher ; c’est là que médias et société civile doivent s’attarder et creuser pour déconstruire ce discours et ces arguments qu’ils ont trop peu pris au sérieux.
« Plutôt qu’une parole libérée, c’est la victoire d’une parole simplifiée qui est exacerbée ces derniers temps et donne à voir une vision quasiment binaire de la société ».Proposer une parole « monocouche », une parole à un seul niveau de lecture, c’est se poser en démystificateur, en détenteur de la vérité, presque en prophète.
Le Front National (FN) vient légitimement grossir les rangs des prélats de la parole simplifiée. À la mi-novembre, le parti dévoilait son nouveau slogan et son nouveau logo pour la campagne présidentielle française de 2017. Le choix de la rose et de la couleur bleue a suffisamment été commenté. Le slogan « Au nom du peuple » est un écho à la réaction de la présidente du mouvement à l’annonce de la victoire de D. Trump ; c’est un pied de nez à ceux qui n’ont pas su appréhender le changement de paradigme et contre lesquels le FN se construit ; c’est l’incarnation même de cette parole simplifiée. Parler au nom de quelqu’un, c’est se poser en élu, c’est recourir une fois de plus à la figure prophétique qui guiderait, à travers le chaos du mensonge et de la corruption de la société actuelle, ceux qui ne sont pas éclairés. Par ce slogan, le Front National se pose comme celui qui va protéger ce « peuple », et la récente interview donnée à la BBC par la présidente du parti (disponible ici) vient corroborer cette stratégie. L’opposition « ma vision contre leur vision » est au centre de cet entretien.
Marine Le Pen construit systématiquement ses exemples sur un schéma binaire : « multiculturalisme, fondamentalisme islamique » s’opposent à « pays indépendant, maître de sa destinée » ; « des centaines de milliers de gens » s’opposent aux « Français d’abord » ; l’Union européenne (UE) comme « modèle oppresseur » empêche l’épanouissement d’une « Europe des Nations libres ». Lorsque l’opposition n’est pas directe, la métaphore utilisée crée des images si fortes qu’il n’est nul besoin de la nommer : au Mur de Berlin qui ne pouvait que chuter succède le « Mur de Bruxelles » qui doit suivre le même destin, et la métaphore est filée, lorsqu’elle dénonce l’isolement de la Russie et ce mur invisible qu’il faudrait reconstruire entre l’UE et Moscou pour mieux obéir aux ordres des États-Unis. Maladie, totalitarisme – les exemples sont forts et parlants pour parler de ce « nouveau monde appelé à remplacer l’ancien ». Le choix des mots et des images est simple. La présidente du FN illustre même ses propos de deux exemples concrets de coopération européenne qui remonterait à avant Bruxelles, à savoir Ariane et Airbus. C’est dit avec conviction, le journaliste ne rebondit d’ailleurs pas sur l’affirmation de Marine Le Pen ; pourtant, Ariane et Airbus sont deux projets qui ont pris réellement forme dans les années 1970, soit en plein dans la Communauté Économique Européenne qui voyait déjà se profiler doucement une intégration politique plus importante.
« Marine Le Pen construit systématiquement ses exemples sur un schéma binaire : « multiculturalisme, fondamentalisme islamique » s’opposent à « pays indépendant, maître de sa destinée » ; « des centaines de milliers de gens » s’opposent aux « Français d’abord » ; l’Union européenne (UE) comme « modèle oppresseur » empêche l’épanouissement d’une « Europe des Nations libres » ».Dans la même veine, lorsqu’il est question d’un référendum sur l’appartenance à l’UE que la députée européenne veut mettre en place, la question qu’elle formule, « Êtes-vous d’accord avec ce que l’UE est devenue ? », est complétement différente de « Souhaitez-vous quitter l’UE ? ». Or, elle les met sur un pied d’égalité et transforme la volonté de voir un changement dans l’UE en volonté de déconstruire cette UE.
Les médias qui se repentaient au lendemain de la victoire de D. Trump d’avoir été aveugle ne semblent pas avoir tiré de leçons. Aucun contre-argument n’est apporté au discours de Marine Le Pen ; pire encore, de l’eau est apportée au moulin du Front National. La question du FN comme parti raciste et antisémite donne l’occasion à sa Présidente de se présenter comme victime des médias et de la bien-pensance, de s’insurger contre ce procès d’intention qui lui est fait systématiquement. Elle répète à plusieurs reprises qu’elle est « désolée » en début de réponse, comme pour mieux souligner l’agression et l’injustice qui lui sont faites et réaffirmer un peu plus cette division binaire entre l’establishment et elle.
Pour en revenir au slogan du Front National pour la campagne présidentielle de 2017, la stratégie qui s’observe dans l’interview accordée à la BBC le 13 novembre vient absolument corroborer l’idée d’une parole simplifiée. En divisant le monde en concepts simples, en proposant des raccourcis simplistes qui piègent même les journalistes, Marine Le Pen qui parle « au nom du peuple » force les citoyens à s’insérer dans cette vision duelle de la société par le simple jeu du discours.
C’est à la société civile d’être vigilante, que ce soit concernant les propos du Front National ou de n’importe quel autre représentant politique. La Réplique s’efforce de donner des clés de description des discours et actions qui émergent dans cette société occidentale en crise ; la réponse ne peut être efficace que si elle émane d’un grand nombre de citoyens. Ne cédons pas aux sirènes de la simplification, d’un côté de l’échiquier comme de l’autre ; elle n’est pas encore une fatalité et ne le deviendra pas si nous parvenons à appréhender rapidement le changement de paradigme qui se déroule sous nos yeux depuis, au moins, juin 2016.
Amélie Ancelle
REUTERS/Kemal Aslan
La Turquie n’est pas une dictature, mais elle n’est plus une démocratie. Le président Racep Tayyip Erdogan, profitant du coup d’État manqué de juillet dernier, a purgé massivement, et bien au-delà des supposés putschistes, l’armée, la police, la justice, l’université et plus généralement l’administration, muselé l’opposition, notamment le HDP pro-kurde, et les médias, emprisonné 35.000 personnes, dont des députés et des journalistes, pris le contrôle d’entreprises déclarées « hostiles », renforcé les pouvoirs de la police, etc.. Pour couronner le tout, l’homme fort du pays a annoncé sa ferme intention de rétablir la peine de mort, abolie en 2004, en violation de la Convention européenne des droits de l’homme que la Turquie a pourtant ratifiée. Au rythme où se déploie la répression, il n’y aura bientôt plus guère de monde pour s’opposer au référendum que le leader de l’AKP, en qui la plupart des Occidentaux ont longtemps voulu voir une sorte de « musulman-démocrate », comme il existe des « chrétiens-démocrates », veut organiser au printemps prochain pour instaurer un régime présidentiel concentrant entre ses mains l’essentiel des leviers du pouvoir. Dès lors, l’Union européenne peut-elle continuer les négociations d’adhésion avec Ankara comme si de rient n’était ? Alors que les opinions publiques européennes sont déjà majoritairement opposées à l’adhésion de ce pays perçu comme non européen, l’Union peut-elle se payer le luxe d’ignorer la dérive autoritaire de l’État turc ?
En un mot, oui. En dehors de l’Autriche, « le consensus est plutôt de laisser les Turcs décider eux-mêmes s’ils veulent poursuivre ou pas les négociations, car nous n’avons aucun intérêt à les interrompre », explique un diplomate. Les capitales européennes estiment que la diplomatie s’accommode mal des indignations morales : « si nous claquons la porte au nez des Turcs, qui peut croire que cela dissuadera Erdogan d’agir comme il le fait ? Maintenir le processus sous respiration artificielle nous permet de faire pression pour un retour à l’État de droit », poursuit un autre diplomate. Autrement dit, l’Union estime qu’isoler la Turquie, en dehors de la brève satisfaction morale que cela procurera, ne servira ni la cause des opposants d’Erdogan, qui se retrouveront seuls, ni ses intérêts économiques (énergie, transport) et politiques.
En effet, Ankara, qui reste un membre historique de l’OTAN et donc du camp occidental, joue un rôle important dans la lutte contre Daech, même si les « ambiguïtés », comme on le dit avec componction à Bruxelles, demeurent nombreuses. De même, la Turquie s’est engagée à retenir sur son sol les réfugiés syriens à la suite d’un accord conclu avec l’Union au printemps dernier, accord qu’elle respecte à la lettre. Enfin, le processus de réunification de Chypre, dont elle occupe le nord depuis 1974, semble sur la bonne voie. Autant d’éléments de « real politik » qui poussent les Européens à ménager Erdogan.
Même le rétablissement de la peine de mort ne signerait sans doute pas la fin du processus d’adhésion, mais son « gel ». L’Allemagne, qui accueille 2,5 millions de personnes d’origine turque, dont un million ont acquis la nationalité allemande, ne cache pas qu’elle craint que cette communauté très politisée et très attachée à son pays d’origine ne lui crée des problèmes en cas de rupture avec Ankara. « Six pays européens sont dans le même cas que nous », souligne un diplomate allemand. Plus pragmatiquement, le SPD, partenaire de la grande coalition au pouvoir à Berlin, voudra maintenir les canaux ouverts, car les Allemands d’origine turque votent principalement pour les socio-démocrates… Boris Johnson, le ministre des affaires étrangères britannique, va encore plus loin en considérant que la peine de mort n’est pas un problème puisque la Grande-Bretagne, lors de son adhésion en 1973, en disposait encore comme la majorité des pays européens de l’époque. Une position isolée, certes, mais qui montre la détermination de l’Union à laisser la Turquie décider elle-même de l’avenir de ses relations avec elle afin de ne pas porter le chapeau, ce qu’elle pourrait faire rapidement si le président turc organise un référendum sur le sujet, comme il l’a annoncé lundi. « Soyons sérieux : ni Erdogan ni nous ne croyons que la Turquie adhérera un jour d’autant qu’il faudra un référendum en France », tranche un diplomate français qui reconnaît que « notre politique turque est subtile et ne se prête pas à un résumé en 140 caractères ». Les citoyens européens qui aimeraient être rassurés sur les frontières exactes d’une Union en expansion continue devront sans doute s’accommoder longtemps, pour la bonne cause, de cette subtilité…
N.B.: version longue de mon analyse parue dans Libération du17 novembre
Exigeons le récépissé lors des contrôles d’identité demande la société civile.
Le mercredi 9 novembre 2016, la cour de cassation a décidé que : « Un contrôle d’identité fondé sur des caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée, sans aucune justification objective préalable, est discriminatoire : il s’agit d’une faute lourde qui engage la responsabilité de l’Etat. » Suite à cette condamnation historique de l’Etat, la société civile demande de mettre en place un récépissé des contrôles d’identité.. L’arrêt de la Cour de cassation devrait être étendue au niveau européen par un acte des cours souveraines européennes, seul moyen de donner de la visibilité et de l’efficacité à cette mesure.
Les faits
En 2013, treize personnes ont portés plainte estimant avoir fait l’objet d’un contrôle d’identité fondé uniquement sur leur apparence physique : une origine africaine ou nord-africaine réelle ou supposée (couleur de peau, traits, tenue vestimentaire).
Le 24 mars 2015, la cour d’appel de Paris a rendu treize arrêts : dans cinq cas, l’Etat a été condamné à verser des dommages-intérêts à la personne contrôlée ; dans les huit autres, la responsabilité de l’Etat n’a pas été retenue.
Suite à cette première condamnation de l’Etat, l’Agent judiciaire de l’Etat s’est pourvu en cassation.
L’Etat a ainsi tenté de justifier le caractère discriminant et racistes de ces contrôles.
La Cour de cassation s’est prononcée donc pour la première fois sur la question du contrôles au faciès.
-. Un contrôle d’identité discriminatoire engage la responsabilité de l’État
-. Il y a discrimination si le contrôle d’identité est réalisé sur la seule base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée
-. Le mode de preuve de la discrimination est précisé
La Cour précise la façon dont la discrimination doit être prouvée ; il s’agit d’un aménagement de la charge de la preuve.
Désormais c’est à l’administration ( l’Etat) de prouver que les contrôles sont basés sur des critères objectifs et non au faciès.
Pour en savoir Plus et principales sources d’information
Cour de Cassation textes des arrêts concernant les contrôles discriminatoires