Cette fois-ci, c’est la bonne, jurée ! La Commission a présenté aujourd’hui un document sur « l’avenir de la défense européenne » visant à enfin doter l’Europe de forces militaires dignes de ce nom. Preuve de sa détermination à sortir d’un statu quo mortifère à l’heure où les États-Unis renouent avec l’isolationnisme d’avant-guerre et où la Russie se montre menaçante, elle a mis sur la table du Conseil des ministres, l’instance où siège les gouvernements, une proposition de règlement créant un « Fonds européen de la défense » destiné à encourager la recherche militaire sur le plan européen puis, à terme, le développement et l’acquisition de systèmes d’armes européens.
Le budget prévu est de 5 milliards par an à partir de 2020 auquel s’ajouteraient des instruments financiers destinés à faciliter l’acquisition de matériels.L’air de rien, en proposant de financer sur fonds communautaire une politique industrielle militaire, la Commission s’attaque à un sacré tabou : il faut se rappeler qu’au début du siècle, la plupart des États avaient exigé que Galileo, le système de GPS de l’Union, n’ait aucune finalité militaire de peur de faire de l’ombre à l’OTAN et à l’Oncle Sam.
Pour Bruxelles, il est temps de se faire une raison : l’Union ne peut plus compter sur l’OTAN et ses alliés anglo-américains pour assurer sa défense, après le Brexit et l’élection de Donald Trump. Les citoyens en ont pris conscience et font d’ailleurs de la sécurité intérieure et extérieure l’une de leurs principales préoccupations, près de 80 % d’entre eux souhaitant une « défense européenne ». Or, après le départ de Londres, la seule armée crédible, capable de se projeter à l’étranger et surtout d’y combattre, resteral’armée française. Mais elle aura le plus grand mal à maintenir son rang au cours des prochaines années, les contraintes budgétaires risquant de l’empêcher d’acquérir de nouveaux matériels, de plus en plus coûteux, pour remplacer ceux qui arrivent en fin de vie. Le seul moyen de permettre à l’Europe d’assurer sa défense est donc, selon la Commission, de mutualiser ses moyens qui sont loin d’être ridicules : les Vingt-huit dépensent 227 milliards d’euros pour leur défense, soit la moitié des 545 milliards d’euros des Américains, mais ne sont actuellement capables que de mener 15 % des missions américaines (40.000 soldats, soit 3 % du total, pourraient aujourd’hui être déployés)… La faute à la redondance : chaque armée nationale veut disposer de ses propres centres de recherche et de l’ensemble des moyens, ce qui aboutit à une déperdition en ligne. Ainsi, l’Union totalise 178 types d’armements contre 30 aux États-Unis, 20 modèles d’avions de chasse contre 6, 29 navires de guerre contre 4 et 17 chars de combat contre un. Sans parler de son retard massif dans les armes du futur comme les drones ou le cyberespace.
En outre, beaucoup de pays européens ont pris l’habitude d’acheter du matériel américain sur étagère, c’est-à-dire déjà largement amorti sur le marché intérieur américain et donc moins cher, au détriment de systèmes européens : il n’existe aucune préférence communautaire pour les marchés publics et encore moins dans le domaine militaire. Il est vrai aussi que les États-Unis proposent de larges compensations industrielles et, surtout, utilisent l’OTAN comme vecteur pour imposer leurs armements. Il ne faut pas non plus sous-estimer le fait qu’ils forment une grande partie des élites militaires européennes qui ensuite n’ont qu’une idée en tête, acheter américain. C’est ainsi que l’armée néerlandaise, formée à West Point, avait, au milieu des années 90, préféré l’hélicoptère Apache au Tigre franco-allemand, pourtant bien plus performant. Enfin, les États unis, pour saper toute velléité européenne de se lancer dans une défense européenne ont réussi à convaincre une partie des États européens (Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas) de participer au financement du désastreux F35, un avion de chasse de cinquième génération, qui a siphonné une partie des budgets militaires. Ce nationalisme militaire qui empêche toute mutualisation des recherches, des programmes et des achats a un coût compris entre 25 et 100 milliards d’euros, selon la Commission.
C’est donc en partant des armements du futur que la Commission propose de commencer, en allant au-delà des quelques programmes intergouvernementaux existants (avion de transport militaire A 400M, hélicoptères de combat et de transport franco-allemand, etc.): l’idée même de créer ex nihilo et immédiatement une « armée européenne » fait parti des rêves fumeux, tant les priorités, les conceptions stratégiques ou les capacités sont différentes d’un pays à l’autre, personne, en dehors des Américains, n’étant capable de combler les trous béants existants (par exemple sur le plan logistique). Si déjà, chacun se spécialisait dans quelques domaines, si les systèmes d’armement étaient compatibles et interopérables, des opérations conjointes et autonomes de l’OTAN et donc des États-Unis pourraient à terme être lancées. Mais il ne s’agira nullement d’une « armée européenne » dotée d’un même uniforme et d’un commandement unique.
Si elle avait dû exister, c’est juste après la guerre qu’elle aurait dû être créée, alors que l’OTAN était balbutiante et les armées européennes détruites. Mais la France a rejeté, en août 1954, le traité de 1952 créant une communauté européenne de défense (CED), interdisant jusqu’à aujourd’hui tout intervention de l’Union dans le domaine militaire. Les tentatives de relance, tant franco-britannique qu’européenne, ont échoué. Ainsi, en 1999, l’Union s’était engagée à créer avant 2003 une force d’intervention rapide dotée de 50 000 à 60 000 hommes capable de se déployer en trois mois pendant un an. Elle est toujours dans les limbes.
Mais même une meilleure intégration des armements ne signifie nullement que l’Union deviendra une puissance militaire : il n’existe actuellement aucune vision commune de ce que doit être une puissance européenne pas plus que de ses intérêts extérieurs. Beaucoup de pays n’imaginent l’Europe que comme une grande Suisse, commerciale et en paix avec le monde entier. Autrement dit, il faudra bâtir en même temps une politique étrangère et surtout définir une doctrine d’emploi de la force. On n’y est pas, loin de là. La Commission l’envisage certes dans son document de réflexion, mais comme une hypothèse lointaine qui serait le couronnement d’une lente convergence des cultures nationales.
En même temps, l’Union ne doit pas tomber dans le piège américain qui réduit le pouvoir à la force militaire, c’est-à-dire au « hard power ». Or l’influence peut s’exercer de bien d’autres manières, la guerre étant souvent un échec, comme on le voit en Afghanistan, en Irak ou en Syrie. L’Union est ainsi la première pourvoyeuse d’aide au développement, un élément essentiel du « soft power », tout comme le commerce ou l’exportation de normes juridiques (ce qui a permis une transition démocratique en Europe de l’Est). Mieux vaut prévenir les guerres que de les entretenir.
Today, the European Commission published the Reflection Paper about European Security and Defense for launching the European Defense Fund.
On 1 March 2017, the European Commission presented a White Paper on the Future of Europe. Subsequently, a series of reflection articles have been published to implement the Global Strategy. This Reflection wants to integrate ongoing activities in the defense package endorsed by the European Council in December 2016, consisting in the implementation of the EU’s comprehensive strategy on security and defense, and cooperation with NATO. However, the EU wants to improve its capabilities and show more autonomy.
According to the Reflection Paper, achieving this goal requires progress in several areas. Firstly, there is a need for greater cooperation between the Member States in the field of defense, while maintaining their sovereignty. Secondly, EU member states must have a common perception of new threats. Third, cooperation with NATO has to be strengthened. Finally, the EU must increase defense spending. In order to address this problem, Member States’ spending on defense should be better coordinated. Most of the financial resources for defense will continue to come from national sources, but it is also necessary to create the European Defense Fund.
According to the Reflection Paper, the Fund is important to prevent threats, improve the technological research, ensure the security of citizens, enable states to cooperate more effectively and improve the EU military industry.
Maria Elena Argano
For further information:
European Commission Site: https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/reflection-paper-defence_en.pdf
European Commission Site: https://ec.europa.eu/commission/publications/reflection-paper-future-european-defence_fr
European Commission Site: https://ec.europa.eu/commission/white-paper-future-europe-reflections-and-scenarios-eu27_fr
European Commission Site: https://ec.europa.eu/commission/sites/beta-political/files/defending-europe-factsheet_en_1.pdf
After World War II, Europe had trouble reconstructing its destroyed towns. That is why George C. Marshall made the most of a speech delivered at Harvard to present his ideas about the aid the U.S. could give to its European counterparts.
June 5, 1947, the secretary of State, George C. Marshall, gave a speech at Harvard University to celebrate Commencement Day. Mr. Marshall took the opportunity to present his thoughts about the necessity of helping Europe, a continent ruined by the war. The bill behind it explained that this was “an act to promote world peace and the general welfare, national interest, and foreign policy of the United States through economic, financial and other measures necessary to the maintenance of conditions abroad in which free institutions may survive and consistent with the maintenance of the strength and stability of the United States”. The European states accepted it quickly after its approval by the U.S. Congress. This aid, officially called the “European Recovery Program”, is mostly know as the Marshall Plan. The United Kingdom and France were the two countries that benefited the most from this aid. That is why it is interesting to note that, to date, this anniversary is not even mentioned in most of the main media outlets.
An aid aimed at two main different objectives
The Marshall Plan was, of course, particularly necessary for the reconstruction of Europe. The countries suffered from World War II. Entire cities, towns and villages were destroyed. However, this is the “physical” part of the damages caused by the war. This assessment was accompanied by a ruined economy and a demoralisation of the economic players. The damages were more or less important according to the country or the region but no state was spared. That is why, in his speech, George C. Marshall noticed a less perceptible problem from the U.S. point of view: the trade between the cities and the countryside was more and more difficult. Urban people had to face food shortages while farmers could not obtain manufactured goods to help them producing more food. One of the major goal was then to modernise the European mean of production.
Marshall also took into account the general situation of international relations. In 1947, the Cold War was only at its beginning. The blocs were not totally shaped. Marshall and the U.S. administration feared that communism had spread to European western countries. The goal was to strengthen their ties with the U.S. The Marshall Plan was presented to all the European countries, even the ones who were drawn to communism. Its acceptance certainly rigidified the constitution of blocs. In Eastern Europe, the communist parties strengthened their domination over major parts of the societies and became satellites of the USSR.
An aid laying the foundation of the European unification
The Marshall Plan was original in that that it let Europeans determine their common priorities. This meant that Europeans, fighting in a war 2 years prior, would have to all get together to discuss these common economic priorities. The Marshall Plan also lead to the creation of the Organization for European Economic Co-operation (OEEC). Its role was to distribute credits among the 18 members who accepted to be part of the European Recovery Program. In 1961, the OEEC became the Organization for Economic Co-Operation and Development (OECD), an organization bringing together mostly developed countries.
This first step in co-operation with European countries also tol the foundation stone for co-operation with other fields. As Clinton said during the 50th anniversary of the Marshall Plan: “It planted the seeds of institutions that evolved to bind Western Europe together, for the OECD, the European Union and NATO. It paved the way for reconciliation of age-old differences”. The European Coal and Steel Community had not, for instance, been created because of the Marshall Plan. To eventually bring about the European Union that we know today, the will and the leadership of a minority of pro-Europeans were necessary. However, the Marshall Plan allowed Western Europe to keep its ties with the U.S., to remain in the “Free world” and so to enter into an integration in which the sovereignty of each state was respected.
Even if the 70th birthday of the Marshall Plan is not celebrated throughout Western European countries, it is necessary to remember that it was a major plan for our societies that helped us to get back on our feet. It would also be way to remember the ties and relations that unite the two sides of the Atlantic, especially before President Trump, who questioned the necessity of the NATO and the EU.
Pierre Angelloz-Pessey
Sources:
Brouillard sur la Manche et l’Atlantique, l’Europe est isolée. Après le Brexit et l’élection de Donald Trump, les alliés anglo-américains du vieux continent, ceux qui l’ont sauvé à deux reprises de l’impérialisme allemand et qui, depuis, garantissent sa sécurité et donc sa prospérité, ont baissé le rideau de fer et se réfugie désormais dans un splendide isolement. Angela Merkel l’a reconnu officiellement, dimanche 28 mai, après deux réunions houleuses (sommet de l’OTAN, à Bruxelles, et G7 à Taormina, en Italie) au cours desquels le président américain a donné toute sa mesure.
« Les temps où nous pouvions totalement nous reposer sur d’autres sont en partie révolus. Je l’ai vécu ces derniers jours », a-t-elle lancé. « Bien sûr, nous devons rester amis avec les États-Unis, le Royaume-Uni, en bons voisins, là où cela est possible, ainsi qu’avec la Russie. Mais nous devons le savoir : nous devons lutter nous-mêmes, en tant qu’Européens, pour notre avenir et notre destin », a insisté la chancelière allemande, ce qui implique que l’Europe devienne « un acteur qui s’engage à l’international », comme elle l’a précisé deux jours plus tard. Des mots qui font échos à ceux de Gérard Araud, l’ambassadeur de France à Washington qui, le jour même de la victoire de Trump, a tweeté : « Après le Brexit et cette élection, tout est désormais possible. Un monde s’effondre devant nos yeux. Un vertige ». Si les autorités politiques hexagonales, que ce soit sous l’administration de François Hollande ou celle d’Emmanuel Macron, ont évité d’étaler au grand jour leur désarroi, elles ne cachaient pas en privé leurs inquiétudes qui se sont concrétisées lors de la tournée européenne de Donald Trump. Le quotidien américain New York Times, en titrant au lendemain de la sortie de Merkel : « un potentiel tournant sismique » (« a potentially seismic shift ») ne s’est pas trompé sur l’importance des mots de la chancelière, Berlin étant l’un des plus fidèles alliés des États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.
Que ce soit sur le plan des valeurs, de la défense, de la politique commerciale ou du climat, après la dénonciation de l’accord de Paris, jamais le fossé transatlantique n’a été aussi grand, Washington se montrant même infiniment plus accorte avec l’Arabie Saoudite qu’avec ses alliés européens. Certes tout n’est pas faux dans les critiques de Donald Trump, en particulier lorsqu’en s’en prend aux monstrueux excédents commerciaux allemands (« bad, very bad », a-t-il dit la semaine dernière), qui sont un problème grave pour l’Europe elle-même. Mais sa volonté de faire prévaloir à tout prix ce qu’il perçoit comme les intérêts américains menace l’équilibre du monde, privé de son gendarme à l’heure où la Russie a renoué avec ses pulsions impériales et où le terrorisme islamique menace les démocraties, et de l’occident en particulier, orphelin du leadership et du parapluie militaire américain.
Face à ce vide planétaire, il y a donc une place à prendre. Aucun pays européen seul ne pouvant même imaginer jouer ce rôle, l’Union peut y prétendre. Première puissance économique et commerciale du monde, première pourvoyeuse d’aide au développement, exportatrice de normes et de valeurs, espace de paix, de prospérité et de solidarité (elle concentre la moitié des dépenses sociales de la planète), elle n’est néanmoins pas en mesure de le faire dans l’immédiat, faute de compétences régaliennes notamment dans les domaines de la défense, de la politique étrangère ou de la sécurité intérieure : cette confédération inachevée d’Etats n’a pas les moyens de son leadership. C’est exactement ce qu’a voulu dire la chancelière : si l’Union n’accélère pas son intégration, elle sera vouée à être le jouet des évènements, la puissance ne se résumant à la signature d’accords commerciaux. Elle prépare donc son opinion publique à un tournant majeur dans sa politique européenne : le temps des réticences, notamment alimentées par la peur fantasmée de payer pour les autres, est terminé. Berlin est prête à aller plus loin.
Cette nouvelle donne valide la campagne d’Emmanuel Macron. Le jeune chef de l’État a, en effet, fait de l’approfondissement de l’intégration européenne l’alpha et l’omega de son action : remettre la France sur les rails de la croissance économique pour lui permettre de relancer l’Union. Même si l’Allemagne doute encore de la parole française, elle n’a d’autres choix que de la croire et de l’encourager. Merkel a ainsi souhaité, dimanche, le succès d’Emmanuel Macron en promettant de lui donner un coup de pouce : « Là où l’Allemagne peut aider, elle aidera, parce que l’Allemagne ne peut aller bien que si l’Europe va bien ». Le message est clair : si Paris maintient le cap de la réforme, ce qui devrait être facilité par la bonne conjoncture économique, Berlin répondra présent. Reste à savoir ce qu’elle entend précisément par « aide » : ira-t-elle jusqu’à relancer ses investissements publics et encourager les hausses salariales afin de réduire le déséquilibre de sa balance des paiements afin de donner de l’air à ses partenaires ? Même si elle a déjà décidé d’augmenter son effort de défense afin d’atteindre à terme le plancher de 2 % du PIB (1,2 % actuellement), on peut avoir quelques doutes, du moins tant que Wolfgang Schäuble, l’inflexible ministre des Finances, sera en poste. Il faudra attendre la formation du futur gouvernement, après les élections législatives de septembre, pour y voir plus clair.
Petit à petit, c’est donc un nouvel ordre européen qui se met en place. La percée des partis démagogues a été stoppée après le Brexit, les Français ont dit non au « Frexit » en élisant le plus européen des candidats, Angela Merkel est enfin sortie de son attentisme, le couple franco-allemand est remis d’aplomb et les Européens prennent conscience des dangers de l’immobilisme. Les chantiers sont nombreux et urgents : achèvement de la zone euro (lire ci-contre), mise en place d’une défense européenne (sans doute d’abord industrielle et franco-allemande) et d’une politique commune d’asile et d’immigration, développement de la sécurité intérieure pour lutter contre le terrorisme, remise à plat de l’architecture de l’Union pensée pour empêcher l’émergence de tout leadership... Au fond, on a presque envie de dire : merci, M. Trump !
N.B.: version longue de mon analyse parue le 1er juin.
REUTERS/Nacho Doce
L’euro a résisté à la crise de 2010-2012, mais à quel prix ! Une récession économique prolongée, des politiques d’austérité sans précédent appliquées à la Grèce, au Portugal, à l’Irlande, à Chypre et à l’Espagne en échange d’une aide financière. Pour faire face à ce tsunami venu des États-Unis qui a déstabilisé la monnaie unique, les Européens ont dû bricoler dans l’urgence afin de renforcer les fondations de leur maison commune. La Commission européenne estime qu’il y a urgence à achever les travaux avant la prochaine crise : hier, elle a rendu publiques ses propositions sur « l’approfondissement de l’union économique et monétaire », un document de 48 pages qui tombe au meilleur moment politique : Brexit, isolationnisme américain, menaces russes, élection d’Emmanuel Macron. Voici l’essentiel de ses propositions qu’elle souhaite voir adopter entre 2019 et 2025.
· L’Union bancaire et l’Union financière
La première urgence, d’ici à 2019, est d’achever « l’Union bancaire » afin de briser les derniers liens entre dettes bancaires et finances publiques, ces dernières ayant dû éponger les pertes des banques. Si, désormais, les principaux établissements sont placés sous la surveillance unique de la Banque centrale européenne et l’ordre de responsabilité en cas de faillite bancaire est précis (actionnaires, créanciers, déposants et seulement ensuite contribuables), deux éléments importants ne sont toujours pas en place à cause du refus allemand : le « système européen d’assurance des dépôts » (les fameux 100.000 € garantis aux déposants en cas de faillite) et le soutien budgétaire au « Fonds de résolution unique » (FRU)destiné à financer la restructuration des banques. Ce dernier est pour l’instant alimenté par le seul secteur bancaire et est donc insuffisant en cas de crise grave. L’exécutif européen milite pour que le Mécanisme européen de stabilité (MES,) un fonds doté d’une capacité d’emprunt de 700 milliards d’euros chargé d’aider les pays attaqués par les marchés, serve de garanti au FRU, ce qui lui donnerait une crédibilité sur les marchés qui lui fait défaut pour le moment. Après la défection britannique, Bruxelles estime tout aussi urgent de mettre en place une « union des marchés des capitaux » dans la zone euro afin de permettre aux acteurs économiques de se financer plus facilement sur les marchés au lieu de recourir (très difficilement en période de crise) aux emprunts bancaires.
· Le budget de la zone euro
La Commission est favorable à la création, d’ici à 2025, d’une « capacité budgétaire de la zone euro », financée par des recettes stables (une partie de l’impôt sur les sociétés ou de la TVA, par exemple), qui pourrait avoir trois fonctions : soit garantir le maintien du niveau d’investissement public en cas de ralentissement de la croissance, ce budget étant le premier à être coupé, soit abonder un « fonds de réassurance » des régimes nationaux d’assurance chômage afin de soulager les budgets en période de crise, soit, enfin, servir de caisse de secours aux Etats en cas de choc asymétrique. Elle pourrait avoir recours à l’emprunt, ce qui permettrait à la zone euro de disposer de l’équivalent des bons du Trésor américain, un « actif sans risque » au niveau européen. . Cette capacité budgétaire pourrait se transformer à terme en budget pur et simple, c’est-à-dire qu’il pourrait financer des politiques spécifiques à la zone euro même en dehors des crises. L’actuel budget à 27 serait maintenu, mais le versement des fonds régionaux aux pays de la zone euro serait conditionné au respect des engagements de politique économique.
· Les institutions de la zone euro
La Commission se dit persuadée qu’à terme l’euro deviendra la monnaie de toute l’Union. Une affirmation pour le moins étrange, alors que ni le Danemark ni la Suède ne rejoindront jamais la monnaie unique, pas plus que la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, la Bulgarie, la Roumanie et la Croatie à un horizon prévisible. Une pétition de principe qui lui évite de se prononcer sur sa propre légitimité à s’occuper des affaires de la zone euro puisqu’elle est composée d’un commissaire par État membre, ce qui signifie que 75 % de l’économie de la zone euro (Allemagne, France, Italie) n’est représenté que par 3 commissaires sur 28, des commissaires qui décident à la majorité simple… Elle reconnaît néanmoins qu’il y a un problème au niveau du Conseil des ministres des Finances (les 28), puisqu’il est la seule instance habilitée à adopter des textes contraignants même s’ils ne concernent que la zone euro, l’Eurogroupe (les 19) n’ayant aucune capacité juridique. Mais elle ne propose aucune solution.
En revanche, elle milite pour la création, à l’horizon 2025, d’un poste de ministre des finances de la zone euro en fusionnant les fonctions de président de l’Eurogroupe et de commissaire aux affaires économiques et monétaires qui serait chargé de représenter la zone euro au FMI. Une proposition ancienne, mais qui posera un problème aux grands pays peu soucieux de voir leur influence diluée au sein d’une Commission dans laquelle ils ne pèsent rien…
Un « Trésor de la zone euro » devrait être créé, Trésor qui assurerait la surveillance économique et budgétaire des Etats (rôle actuellement exercé par la Commission), serait chargé d’émettre de la dette publique et gérerait le MES, le tout sous l’autorité de l’Eurogroupe. La Commission se contente d’évoquer l’idée de créer un Fonds monétaire européen (intégrant le MES), une idée allemande, qui pourrait notamment restructurer d’autorité les dettes des Etats.
Un silence de taille : quasiment pas un mot le contrôle démocratique de la zone euro. Actuellement, ni la Commission, ni l’Eurogroupe n’ont de compte à rendre à une Assemblée démocratiquement élue. Bruxelles convient juste qu’il faut « renforcer la responsabilité démocratique » en « dialoguant » davantage avec le Parlement européen (limité aux seuls députés de la zone euro ? Pas un mot non plus), mais « dialoguer » n’est évidemment pas « décider ». Un trou noir inquiétant.
N.B.: version longue de mon article paru dans Libé le 1er juin