Dans les tuyaux depuis plusieurs années, l’idée de conditionner l’attribution des fonds européens au respect des valeurs européennes s’est concrétisée en décembre 2020 avec l’adoption d’un mécanisme de conditionnalité des fonds européens au respect de l’état de droit. Le principe est simple : si un pays se rend coupable de violations de l’état de droit, l’Union européenne peut décider de suspendre les différentes aides financières à destination de cet Etat. Mais la mise en œuvre de ce mécanisme est aujourd’hui retardée par certains blocages politiques et judiciaires.
Pourquoi lier les fonds européens au respect de l’état de droit ?Les traités européens prévoient déjà un régime de sanctions en cas de violation des valeurs européennes et de l’état de droit. Figurant à l’article du 7 du traité sur l’Union européenne, la procédure vise la Pologne depuis 2017, ainsi que la Hongrie à partir de 2018. Mais ses chances d’être menée à son terme sont très faibles, voire inexistantes. Car son aboutissement doit être décidé à l’unanimité des Vingt-Sept moins une voix et Budapest et Varsovie se sont mutuellement assurées de leur protection.
À LIRE AUSSIViolation des valeurs de l’UE : comment fonctionne la procédure de sanctions (article 7) ?Afin de contourner ces blocages, le Parlement européen, la Commission ainsi que plusieurs Etats membres ont proposé des alternatives, parmi lesquelles celle de la conditionnalité des fonds européens. Celle-ci vise un double objectif : sanctionner financièrement les Etats coupables de violations de l’état de droit, et éviter que le budget européen ne soit utilisé à mauvais escient par des gouvernements agissant en contradiction avec les valeurs de l’Union.
Formellement proposée par la Commission européenne en mai 2018, l’idée avait été avancée en 2017 par le commissaire européen au Budget de l’époque, l’Allemand Günther Öttinger, et défendue par de nombreux eurodéputés. En 2020, le sujet est revenu au cœur des débats entre les Vingt-Sept. Le volume exceptionnel du budget pluriannuel de l’Union européenne pour l’exercice 2021-2027, en raison du plan de relance de 750 milliards d’euros lui étant adossé, a poussé des Etats membres à réclamer des mécanismes de contrôle plus importants.
Après un accord de principe au Conseil européen de juillet, puis à celui de décembre 2020, le “règlement relatif à un régime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union” a finalement été adopté le 16 décembre 2020, sous la présidence allemande du Conseil de l’Union européenne.
Si le mécanisme de conditionnalité au respect de l’état de droit est une première pour l’UE, la suspension d’une partie des fonds européens a déjà été appliquée en 2013 contre la Hongrie, pour sanctionner une mauvaise gestion et un manque de contrôle des versements communautaires qu’elle avait perçus.
Comment fonctionne le nouveau mécanisme ?Concrètement, le mécanisme de conditionnalité devra être activé par la Commission européenne si celle-ci constate une violation avérée de l’état de droit, qui compromettrait la bonne utilisation des fonds européens dans un Etat membre. Elle peut également choisir de déclencher le mécanisme de manière préventive, s’il existe un risque clair et sérieux de violation de l’état de droit. Une fois le dispositif activé et des sanctions proposées, il reviendra au Conseil de l’UE d’adopter des mesures en se prononçant à la majorité qualifiée et ce, dans un délai d’un mois (trois dans des cas exceptionnels).
Sans surprise, la mise en place d’un tel mécanisme ne s’est pas faite sans obstacles. Notamment car il nécessite l’unanimité des Vingt-Sept. Or deux Etats membres, la Hongrie et la Pologne, sont déjà visés par des procédures de sanction sur le non-respect de l’Etat de droit, et pourraient donc être concernées par ce nouvel outil européen. La négociation autour de sa mise en place a donc nécessité plusieurs compromis :
Le mécanisme de conditionnalité inclut par ailleurs une clause permettant de ne pas sanctionner injustement les bénéficiaires finaux. “Pour nous, il était crucial que les bénéficiaires finaux ne soient pas punis pour les fautes de leurs gouvernements et qu’ils continuent à recevoir les fonds qui leur ont été promis et sur lesquels ils comptent, même après le déclenchement du mécanisme de conditionnalité”, explique le co-rapporteur du Parlement européen pour le règlement, le socialiste espagnol Eider Gardiazabal Rubial. Ainsi, les bénéficiaires finaux des fonds européens s’estimant lésés par les éventuelles sanctions visant leurs gouvernements pourront déposer en ligne une plainte auprès de la Commission, afin de recevoir directement de la Commission les montants dus, court-circuitant ainsi leur gestion par les autorités nationales.
Dans quels cas de figure ce mécanisme peut-il être déclenché ?Les cas d’application du mécanisme sont encore source de débats au sein des institutions européennes.
Si l’on s’en tient au texte, le règlement inclut une définition de l’état de droit impliquant “l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste”, ainsi que les principes de “droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi”, tels que définis dans l’article 2 du traité sur l’Union européenne. La mise en péril de ces principes peut donc être considérée comme une violation de l’état de droit, explique le Sénat français, et donner lieu à l’activation du mécanisme.
À LIRE AUSSICorruption, loi anti-LGBT… Le plan de relance hongrois sous la menace de sanctions européennes Qu’est-ce qui bloque aujourd’hui sa mise en œuvre ?Le mécanisme de conditionnalité à l’état de droit des fonds européens est officiellement entré en vigueur depuis le 1er janvier 2021. Toutefois, malgré son approbation par les Vingt-Sept en décembre 2020, la Pologne et la Hongrie continuent de chercher à l’enterrer. Les deux Etats ont pour cela déposé un recours début mars 2021 devant la Cour de Justice de l’Union européenne, contestant la légalité du mécanisme. En réaction, le Parlement européen a demandé à la Cour de se saisir de l’affaire en procédure accélérée, pour assurer la mise en application du mécanisme le plus tôt possible : “la situation dans certains États membres justifie déjà une action immédiate”, alertent les eurodéputés. A l’occasion de la session plénière de juillet, ils ont également demandé aux États membres de lancer une requête interétatique auprès de la Cour européenne des droits de l’homme en cas d’inaction de la Commission.
Au-delà de ce retard judiciaire, un blocage politique est également en cause. Une clause de l’accord de décembre 2020 précise en effet que le mécanisme restera inactif tant que la Commission n’aura pas publié des “orientations”, ou “lignes directrices”, censées éclairer sur l’interprétation qu’elle compte faire du régime de conditionnalité et la manière dont elle appliquera le règlement. Des orientations que les eurodéputés ont estimé “inutiles et même contreproductives”, jugeant que “le texte du règlement est clair et ne nécessite aucune interprétation supplémentaire pour être appliqué”.
La Commission, qui n’a à ce jour toujours pas publié ces orientations – invoquant la nécessité d’attendre la décision de la CJUE, délai pour le moins imprécis – est sous le feu des critiques, et même menacée d’une possible procédure judiciaire de la part du Parlement, pour inaction. Si les eurodéputés continuent d’appeler la Commission à agir au plus vite, l’exécutif européen indique que ce retard sera comblé : “toute violation survenant après le 1er janvier 2021 sera prise en compte”, a assuré la présidente de l’institution Ursula von der Leyen face au Parlement européen le 16 décembre 2020, jour du vote sur le mécanisme.
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Avec le variant Delta, “les vacances en Europe sont-elles en péril ?”, s’interrogent Les Echos. Sa circulation accrue sur le continent ravive en tout cas “le débat sur les restrictions aux frontières intérieures et extérieures de l’Union européenne”, poursuit le quotidien économique.
“Trois pays d’Europe connaissent aujourd’hui un rebond épidémique clair : l’Espagne, le Portugal et le Royaume-Uni”, note ainsi France info. “Outre-Manche, les autorités enregistrent 401 nouveaux cas en moyenne chaque jour pour un million d’habitants, un chiffre qui a quasi doublé en onze jours”. Le rebond s’observe également en Grèce : “du 30 juin au 7 juillet, le nombre de nouveaux cas y a augmenté de 183,37 %” [France info]. Le Portugal est passé au rouge sur la carte du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies, tout comme de nombreuses régions espagnoles.
Les conséquences sur certains systèmes de santé commencent à se faire sentir. Dans les hôpitaux catalans, par exemple, “les admissions dues au Covid ont augmenté de 54 %” en deux semaines, indique El País. Le journal espagnol relève toutefois que l’impact devrait y être “moins important que lors des vagues précédentes”, notamment grâce à la vaccination et parce que les contaminations concernent surtout les plus jeunes, moins susceptibles de développer des formes graves de la maladie.
À LIRE AUSSIVaccination contre le Covid-19 en Europe : où en est-on ? Limiter les voyages ?Une situation fragile qui a amené le secrétaire d’Etat aux Affaires européennes Clément Beaune à recommander la “prudence” aux touristes jeudi 8 juillet, appelant les Français à “éviter” de se rendre en Espagne et au Portugal [La Dépêche du Midi]. Dans l’Hexagone, le Conseil de défense prévu lundi 12 juillet “pourrait […] décider d’un renforcement des obligations d’isolement pour les personnes contaminées, et d’un durcissement des contrôles aux frontières”, fait savoir Le Monde.
À LIRE AUSSIFrontières : où peut-on se déplacer en Europe depuis la France ?Les Etats européens sont pourtant mieux coordonnés depuis la mise en place le 1er juillet du certificat numérique Covid. Un nouveau pays a d’ailleurs rejoint la plateforme de l’UE : “la Commission européenne a donné son feu vert au certificat Covid-19 suisse” jeudi 8 juillet, annonce la chaîne publique romande RTS.
Si le pass sanitaire européen est destiné à “donner un coup de fouet à l’industrie touristique en difficulté” [The Irish Times], les messages se multiplient donc afin que les Européens limitent leurs déplacements à l’étranger. “Ce n’est pas parce que les gens peuvent voyager plus facilement à partir de la mi-juillet qu’ils doivent le faire”, martèle le quotidien irlandais, dont le pays doit se connecter à la plateforme numérique de l’UE le 19 juillet.
À LIRE AUSSICovid-19 : comment fonctionne le “pass sanitaire” européen, destiné à faciliter les voyages ? Des approches divergentesLes Etats conservant leur marge de manœuvre sur les restrictions aux frontières, “des différences vont subsister avec les différentes réglementations d’entrée en vigueur” [RTS]. Une situation qui peut conduire à créer des tensions entre les pays du continent. Exemple parmi d’autres, “lors du sommet européen tenu le 24 juin dernier à Bruxelles, la chancelière allemande Angela Merkel n’avait pas hésité à critiquer le Portugal pour avoir autorisé les voyageurs britanniques à entrer sur son territoire”, rappellent Les Echos. “Berlin a fini par mettre de l’eau dans son vin” en revenant sur les mesures imposées aux voyageurs qui se rendent en Allemagne en provenance de Lisbonne ou Porto, relate le journal. Les personnes vaccinées peuvent s’y rendre sans devoir se confiner après leur arrivée, mais celles ne l’étant pas sont tenues d’observer une quarantaine de dix jours, avec la possibilité de la raccourcir en cas de test PCR négatif au cinquième jour.
La question des vaccins acceptés pour pénétrer sur le sol européen est également une des “pommes de discorde” [Les Echos]. “Peu encline à décréter des restrictions sur son secteur touristique, la Grèce accepte les voyageurs ayant reçu le vaccin Sputnik V ou Sinopharm, alors que leur efficacité contre le variant Delta reste incertaine”. Une approche qui suscite des critiques des gouvernements français et allemand, en faveur de règles communes pour les voyageurs venant de pays hors de l’espace européen et sur les vaccins reconnus en Europe, rapporte le quotidien.
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Prévue dès le traité de Rome de 1957, la politique commerciale européenne a pris de l’ampleur à la fin des années 2000. D’un côté, la mondialisation a conduit les entreprises européennes à investir et échanger de plus en plus avec les autres pays. De l’autre, la paralysie de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au cours de la première décennie du siècle puis, plus récemment, le virage protectionniste des Etats-Unis sous la présidence de Donald Trump de 2017 à 2021, ont amené l’Union européenne à multiplier les accords commerciaux.
Des accords, pour quoi faire ?Un accord de libre-échange, c’est quoi ? Au sens large, il s’agit d’un traité international entre l’UE d’une part et un État ou une autre organisation internationale d’autre part, qui réduit les obstacles commerciaux entre les deux parties.
L’objectif est simple : augmenter les débouchés des entreprises en leur ouvrant d’autres marchés et ainsi donner un coup de pouce à la croissance économique, voire à l’emploi dans les pays signataires…
Un accord de libre-échange comprend donc au moins la diminution des droits de douane dans certains secteurs. Avec des volumes limités (quotas) pour certains secteurs jugés plus fragiles, comme le bœuf dans les accords UE-Canada ou UE-Mercosur. Mais aussi l’ouverture mutuelle de marchés publics ou encore la reconnaissance de normes et d’indications géographiques protégées chez chacun des partenaires, par exemple.
Les accords les plus récents comprennent également des systèmes de règlement des différends, notamment en cas de conflit entre une entreprise et un Etat à propos d’une législation contraire à l’accord ou entre parties signataires. Enfin, certains incluent des critères politiques (amélioration des droits fondamentaux…), sociaux ou environnementaux, toutefois moins contraignants.
À LIRE AUSSILe commerce extérieur de l’Union européenne Quels reproches ?Avec le projet (aujourd’hui avorté) de partenariat transatlantique entre l’Europe et les Etats-Unis (TTIP/TAFTA) puis la signature des accords UE-Canada (CETA) en 2016 et UE-Mercosur en 2019, les traités de libre-échange ont été ces dernières années sous le feu des critiques.
Leurs détracteurs leur reprochent, pêle-mêle, d’avoir été négociés dans l’opacité, de niveler par le bas les normes européennes (restrictions sur les OGM, principe de précaution…), de mettre en danger certains emplois (notamment agricoles), voire de porter atteinte au fonctionnement démocratique des pays de l’UE (en permettant aux entreprises de remettre en question les législations nationales).
Des accusations dont la Commission européenne, mandatée pour mener les négociations commerciales, se défend. Tout comme les Etats membres. Il peut cependant arriver que certains d’entre eux soient en désaccord avec les termes de traités conclus par l’exécutif européen. Comme pour l’accord UE-Mercosur, que la France refuse de ratifier en l’état, estimant qu’il ne contient pas assez de garanties environnementales.
Quels projets ?Déjà signataire d’une quarantaine d’accords commerciaux sur tous les continents, l’UE a récemment conclu de nouveaux traités de libre-échange avec le Canada (Ceta, partiellement en vigueur depuis septembre 2017), Singapour (en vigueur depuis novembre 2019), le Japon (Jefta, en vigueur depuis février 2020), le Vietnam (en vigueur depuis août 2020), le Mercosur (accord de principe en juin 2019 mais en attente de signature et de ratification) ou encore le Mexique (un traité de libre-échange est déjà en vigueur depuis octobre 2000 et devrait être remplacé par un nouveau texte, pour lequel un accord de principe a été trouvé en avril 2020 et qui attend maintenant d’être signé et ratifié).
En décembre 2020, l’UE a signé un accord de commerce et de coopération avec son unique ancien Etat membre, le Royaume-Uni. Définitivement entré en vigueur le 1er mai 2021, le traité assure des échanges commerciaux post-Brexit sans droits de douane ni quotas entre les deux parties.
À LIRE AUSSIBrexit : les principaux points de l’accord entre le Royaume-Uni et l’Union européenneD’autres négociations sont en cours, comme avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande… Le 30 décembre 2020, un accord de principe a par ailleurs été conclu avec la Chine pour faciliter les investissements réciproques. Mais sa signature et sa ratification, nécessaires à son entrée en vigueur, ont été suspendues après que Pékin a sanctionné des parlementaires européens dénonçant les persécutions de la minorité ouïghoure.
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“Ensemble, nous pouvons instaurer un impôt minimum mondial pour assurer la prospérité de l’économie mondiale sur la base de règles du jeu plus équitables”. Le 5 avril, la secrétaire d’Etat américaine au Trésor Janet Yellen proposait de “mettre fin à la course vers le bas” en matière d’impôt sur les sociétés avec un principe simple : dès qu’une multinationale paierait moins de 21 % d’impôts à l’étranger, son pays d’origine récupèrerait la différence. Le 20 mai, ce chiffre déclinait à 15 %, un taux que 130 des 139 pays membres du “cadre inclusif” de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20 ont finalement approuvé le 1er juillet.
Avec un tel projet, toute entreprise américaine aujourd’hui exemptée d’impôt sur ses bénéfices localisés dans un paradis fiscal serait contrainte d’en reverser 15 % aux Etats-Unis. Une firme allemande taxée à 9 % en Hongrie devrait quant à elle verser 6 % d’impôts supplémentaires à l’Allemagne. Les exemples seraient nombreux : ils s’appliqueraient à toutes les sociétés - sauf industries extractives et minières et services financiers - des 130 pays signataires, dont 24 des 27 Etats membres de l’Union européenne à l’exception de l’Irlande, de la Hongrie et de l’Estonie. Cet impôt mondial pourrait ainsi porter un sérieux coup à l’évasion fiscale des multinationales, et générer chaque année “environ 150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires”, selon l’OCDE.
Pour faciliter les négociations, l’administration Biden avait également proposé de remettre à plat l’autre “pilier” du projet de l’OCDE : taxer les multinationales non plus en fonction de leur seule présence physique dans un pays mais des activités - et des bénéfices - qu’elles y réalisent. Ou, pour l’écrire comme l’OCDE, “réattribuer une partie des droits d’imposition sur les grandes entreprises multinationales de leurs pays d’origine aux pays de marché dans lesquels elles exercent des activités commerciales et réalisent des bénéfices, qu’elles y aient ou non une présence physique”. Opposés à une taxe spécifique aux géants du numérique, poussée par l’Europe et notamment la France, les Etats-Unis ont préféré élargir cette imposition aux “grands vainqueurs de la mondialisation”, soit les quelques sociétés qui concentrent aujourd’hui l’essentiel des profits mondiaux.
Les pays du “cadre inclusif”, groupe de travail allant bien au-delà des 38 membres de l’OCDE et des Etats du G20 et travaillant notamment sur des questions de fiscalité internationale, se sont ainsi accordés le 1er juillet pour répartir différemment l’impôt des 100 multinationales les plus rentables, du moins sur 20 à 30 % de leurs bénéfices “excédentaires” (au-delà d’une marge de 10 %). Ce sont ainsi 100 milliards de dollars qui seraient, selon les calculs de l’OCDE, plus équitablement distribués, incitant par ailleurs les entreprises à cesser de domicilier artificiellement leurs revenus dans des Etats à la fiscalité avantageuse. Pendant sept ans, seules les multinationales affichant plus de 20 milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel seraient concernées : y figurent les grandes entreprises américaines du numérique, mais également des sociétés d’autres secteurs et d’autres continents (en Asie et en Europe pour l’essentiel, le géant français du luxe LVMH étant par exemple cité). Le seuil descendrait ensuite à 10 milliards d’euros.
Révolution fiscaleParadoxalement, ce qui s’annonce comme une révolution fiscale a été initié par l’administration Trump, dont le mandat a pourtant été marqué par d’importantes baisses d’impôts. Depuis 2017 en effet, les entreprises américaines sont déjà taxées à l’étranger, à deux différences près toutefois avec le projet actuel : le taux en vigueur est de 10,5 % et non 15 %, tandis que les profits sont imposés en moyenne et non pays par pays. Ainsi, une multinationale dont les profits sont domiciliés pour moitié en France (taxés à 30 %) et pour l’autre moitié aux îles Caïman (0 %) est quitte : son taux moyen d’imposition dépasse déjà les 10,5 %. En revanche, avec un système pays par pays et un taux de 10,5 %, elle aurait dû verser 10,5 % d’impôts aux Etats-Unis sur ses profits enregistrés aux îles Caïman.
Les propositions formulées par l’administration Biden en avril ont donné un nouveau départ aux négociations entre 139 pays sous l’égide de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du G20, inaugurées en 2016. Celles-ci étaient jusque-là bloquées par les hésitations américaines et leur refus de viser spécifiquement les entreprises du numérique. Outre le changement de doctrine américaine, la pandémie de Covid-19 a également conduit beaucoup d’Etats à mobiliser des dépenses publiques conséquentes, y compris pour aider les multinationales qui parviennent à éviter l’impôt. Et l’Europe comme les Etats-Unis ont besoin de financer leurs plans de relance.
De manière plus générale, l’érosion de la base d’imposition des Etats, contre laquelle luttent l’OCDE et le G20, est en partie due à l’effondrement de l’impôt sur les sociétés depuis plusieurs décennies. Un phénomène initié par le tournant libéral des années 1980, accentué avec la crise économique de 2008 et la digitalisation de l’économie. Au niveau mondial, le taux moyen d’impôt sur les sociétés est passé de 45 % dans les années 1980 à 20 % aujourd’hui, souligne dans Le Monde Gabriel Zucman, professeur d’économie à Berkeley. Ce qui réduit d’autant la capacité des Etats à financer des dépenses publiques, fait davantage peser le poids de l’impôt sur les individus et accroît les inégalités.
Depuis une décennie, plusieurs mesures limitant l’évasion fiscale des entreprises ont été prises sous l’égide de l’OCDE et du G20, dont le “cadre inclusif BEPS” rassemblant aujourd’hui 139 pays. Un grand nombre d’entre eux ont modifié leurs régimes fiscaux pour les rendre moins “dommageables” vis-à-vis de leurs partenaires, procèdent à des échanges automatiques de renseignements (fin du secret bancaire), obligent leurs entreprises à déclarer le montant des impôts payés dans l’ensemble des pays où des filiales exercent une activité (reporting pays par pays) ou encore à payer une TVA sur la vente de produits en ligne.
Concurrence fiscale européenneAu sein de l’Union européenne, les quelques tentatives visant à limiter le dumping fiscal n’ont peu ou pas abouti, les propositions en la matière devant être adoptées à l’unanimité des Etats membres. En témoigne le projet d’harmonisation de l’assiette fiscale des sociétés (ACCIS) : évoqué dès le début des années 2000 par la Commission européenne pour fixer une base taxable des entreprises commune aux Etats membres, c’est-à-dire les revenus pris en compte pour calculer cette taxe sans même parler d’un taux commun, il a été enterré après deux propositions de directive en 2011 et 2016 par le blocage de quelques Etats.
À LIRE AUSSIFiscalité : quelles sont les règles communes dans l’Union européenne ?Les pays qui parviennent à tirer parti de la concurrence fiscale pour attirer les entreprises ont en effet tout intérêt à maintenir le statu quo. A côté de la France et de l’Allemagne dont les taux effectifs moyens d’impôt sur les sociétés avoisinent les 30 %, de plus petits pays comme l’Irlande (12,5 %), la Bulgarie (10 %) ou encore la Hongrie (9 %) pratiquent des taux deux à trois fois moins élevés. Sans compter les nombreux “accords de complaisance” qui permettent, dans certains Etats, aux entreprises d’échapper à tout ou partie de cet impôt. La société Apple par exemple, qui comme beaucoup d’autres entreprises du numérique a son siège européen en Irlande, n’y a longtemps payé que 1 % d’impôt, l’essentiel de ses bénéfices étant par ailleurs enregistrés aux Bermudes. Et la presse a révélé, à travers des enquêtes comme LuxLeaks et OpenLux, les montages dont bénéficiaient de nombreuses entreprises au Luxembourg.
À LIRE AUSSIRecettes fiscales, impôt sur les sociétés, TVA : quelle taxation dans les pays de l’Union européenne ?Selon l’ONG Tax Justice Network (qui s’appuie sur les chiffres de l’OCDE), les pays européens auraient, dans l’ensemble, perdu près de 80 milliards de dollars de recettes fiscales en 2020 en raison de l’évasion fiscale des entreprises (celle des particuliers, sur laquelle la coopération internationale est bien moins avancée, dépasserait quant à elle les 100 milliards de dollars). La France en est l’un des principaux perdants, avec plus de 14 milliards de dollars de recettes qui lui ont échappé cette année.
Quelle traduction en Europe ?Un accord international rassemblant un nombre conséquent de pays, dont les Etats-Unis et d’autres membres du G20, pourrait avoir de profondes répercussions sur l’ensemble du monde, y compris sur les Etats non signataires. Car avec un impôt mondial, les entreprises qui déclarent leurs bénéfices dans des paradis fiscaux seraient, in fine, taxées par leur pays d’origine.
Les paradis fiscaux n’auraient alors plus d’intérêt pour ces entreprises, qui seraient imposées à des taux équivalents quels que soient le pays dans lesquels elles sont implantées. La concurrence fiscale entre Etats n’aurait plus d’effet, anticipe l’OCDE, ce qui pousserait les Etats - notamment européens - à aligner leurs régimes fiscaux. Et à jouer sur d’autres facteurs pour attirer les entreprises : infrastructures, niveau d’éducation, recherche mais aussi coût du travail ou exemptions fiscales, comme les zones franches en Chine et le crédit d’impôt recherche en France.
Avec cet accord, le projet de taxe européenne sur le numérique (ou “taxe GAFA”) devrait par ailleurs être profondément remanié. Cette nouvelle ressource budgétaire, prévue pour 2023, doit contribuer au remboursement du plan de relance européen de 750 milliards d’euros. Le nouvel instrument permettrait néanmoins de rapporter quelque 17 milliards d’euros au budget de l’Union, selon les estimations de la Commission. Les pays qui ont mis en place leur propre taxe nationale sur les GAFA, comme la France, l’Autriche ou l’Espagne, pourraient également les abandonner.
La Commission européenne veut par ailleurs lancer, d’ici à 2023, une réforme de la répartition des droits d’imposition entre les Etats membres. Intitulée “BEFIT”, cette initiative viserait à traduire le premier pilier de la réforme de l’OCDE, et remplacerait le projet avorté d’ACCIS.
À LIRE AUSSIBudget européen : quelles nouvelles ressources propres pour l’Union européenne ?En Europe, les positions sur ce nouveau projet sont partagées. Après avoir plaidé pour maintenir le taux minimum de 12,5 % qui servait de base aux précédentes discussions, Bruno Le Maire s’était prononcé en faveur du seuil fixé à 21 % “si tel était le résultat de négociations”. La proposition américaine à 15 % a ainsi été qualifiée de “bon compromis” par le ministre français de l’Économie. En cas d’accord international, la France souhaite faire adopter une directive européenne sur le sujet lors de sa présidence du Conseil de l’Union au premier semestre 2022, et retirer sa taxe GAFA.
En Allemagne, le ministre des Finances Olaf Scholz a qualifié le projet américain de véritable “percée”. Mais dans les pays à la fiscalité plus avantageuse, les réactions sont moins enthousiastes : l’Irlande, la Hongrie et l’Estonie sont ainsi hostiles au projet. En revanche le Luxembourg et les Pays-Bas, lequel a profondément réformé son système fiscal depuis quelques années, font partie des Etats signataires. La Suisse y a également adhéré sous réserve de prendre en compte “les intérêts des petits pays innovants” dans “la formulation finale des règles” et de respecter “les procédures législatives des pays concernés”.
La réforme doit encore être avalisée lors du prochain G20 Finances les 9 et 10 juillet à Venise, puis en octobre par les dirigeants de ce même groupe. Il sera par ailleurs débattu au Congrès américain cet été : le taux n’y fait pas consensus, ni même le principe d’une taxation pays par pays. S’il est néanmoins adopté, il pourrait être mis en œuvre en 2023.
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